Anonyme [1652], LE VERITABLE MANIFESTE DE LA FRANCE, A SON ALTESSE ROYALE ET A MESSIEVRS DV PARLEMENT, SVR LES DESORDRES DES GENS DE GVERRES. , françaisRéférence RIM : M0_3941. Cote locale : B_5_36.
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LE VERITABLE
MANIFESTE
DE LA
FRANCE,
A SON ALTESSE ROYALE
ET
A MESSIEVRS
DV PARLEMENT,
SVR LES DESORDRES DES
GENS DE GVERRES.

A PARIS,
Chez CLAVDE LE ROY.

M. DC. LII.

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LE VERITABLE MANIFESTE
de la France, à son A. R. & à Messieurs du
Parlement, sur les desordres des gens de guerres.

GRAND Prince, ie sçay que vous compatissez à ma
disgrace, & que vous meslez de bon cœur vos larmes
auec les miennes, & puis qu’il vous fache extremement
de me voir aujourd’huy reduite au plus déplorable
estat, ou ie pouuois iamais estre : Ie m’adresseray
à V. A. R. pour l’entretenir de ma douleur, & pour
luy demander quelque remede aux maux qui m’accablent,
& qui infailliblement me vont faire perir si
vous n’accourez à mon secours.

Vous auez vne longue & triste experience des calamitez
que i’ay endurees, & sans vous obliger de relire les
guerres que i’ay euës contre les Anglois, & contre Charles
le Quint & Philippes second : Il me suffit de vous dire
que vous n’ignorez pas les troubles que m’ont cause les
Religionnaires dans la plus fascheuse saison de cette Monarchie,
de mesme que ceux de la ligue & les autres guerres
qu’elle a produit, & ie m’asseure que vostre esprit fremit
encores des spectacles d’horreur qui ont paru [1 mot ill.]
temps là sur mon theatre. La fœlicité du regne d’[1 mot ill.]
le grand vostre pere, en auoit reparé toutes les pertes [1 mot ill.]
les François ne se souuenoient plus des disgraces passée
sous Louys treize. Les miseres publiques ont reprise si
profondes racines qu’elles subsistent encores, & les peuples
extremément lassez & autant affoiblis par les victoires

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que par les pertes, estoient à la veille de respirer & de
ioüyr d’vn bien heureux repos.

 

Vn malheur qui n’a point d’exemple dans l’histoire,
va rouurir toutes mes blesseures & mettre en pieces mes
pauures entrailles, va auec le fer & le feu se respandre par
toutes mes Prouinces, & va causer le plus grand embrasement
qui ayt iamais paru dans le monde : Et ce qui
m’estonne & me surprend, est qu’on n’a point veu de
guerre qui n’ait eu quelque fondement, où du moins vn
legitime pretexte, & dont la fin n’ait regardé l’interest
de quelques particuliers : Les troubles de la Religion
ont fomenté l’ambition des Princes, qui vouloient à
quelque prix que ce fut gouuerner l’Estat, & posseder par
force & par violence les bonnes graces des Roys. La ligue
auoit pour but l’vsurpation de la Monarchie, & elle vouloit
esteindre & couper la racine de la maison Royale :
Mais dans cette fatale & cruelle conjoncture, on ne respire
que le bien general, on ne trauaille qu’à maintenir
l’authorité souueraine, on ne cherche que la fœlicité publiques,
& on ne demãde au Ciel que le bon heur de tous
mes sujets, & la Cour est en cela d’accord auec le Palais,
& tous les François crient vnanimement viue le Roy.

Il ny à pas mesme qu’asi lieu de se plaindre, & si les
desordres ou les necessitez publiques ont deuoré plusieurs
millions, & si les dispensateurs des deniers publics
ont eu des mains, ils ne seront pas exempts de la repetition
& recherche qui s’en doit faire, vn bon reglement
fermera la bouche à tout le monde & reünira tous mes
enfans : Et apres tout, grand Prince, est il iuste que pour
reparer vne faute il faille employer vn remede pire mil

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fois & plus fascheux que le mal mesme, & que les François
versent tout leur sang, les vns contre les autres, pour
puis apres deuenir les esclaues de leurs ennemis & faire
changer de face à la plus redoutable & la plus florissante
de toutes les Monarchies. Que diront les amis & les alliez
de cette Couronne ? Que ne feront point les ennemis ?
Quel iugement en feront les autres nations ? Qu’elle
gloire & Qu’elle reputation reputation produira
vne telle leuée de Bouclier, & qu’en croira la posterité ?
Estrange aueuglement que ceux qui sont aujourd’huy
les Maistres & les Arbitres de la Chrestienté, soient peut
estre obligez demain de se sous-mettre, & que des victorieux
ayent la honte & la confusion de receuoir la loy
des vaincus.

 

Le Roy ne demaude que de l’obeïssance, & ceux de
Paris n’ont point d’autre pensee que de luy en rendre ; &
sans entrer plus auant dans de grandes irruptions ny faire
des actes inoüys d’hostelité, ne vaut il pas mieux se reconcillier
de bonne heure & n’attendré pas que le desordre
soit monté à vn exceds qui le rende irreparable.

Faites grand Prince, qu’vn fauorable accord preuienne
vne infinité de pilliages, d’incendies, de sacrileges, de
viollemens, de meurtres, de l’arcins & de tant d’autres
meschancetez qui sont en vsage, & que la guerre ciuille
pratique ? Et dans les malheurs dont l’aduenir nous menace,
faites voir qu’il est aussi d’angereux de vaincre que
d’estre vaincu, puisque les victorieux ne remportetont
que de funestes trophées & des desplaisirs immortels,
d’auoir combatu les vns contre les autres.

Vostre Al. R. qui est issuë de l’illustre tige de nos Rois,

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& qui a porté les armes & soustenu puissamment l’interest
du Roy contre les ennemis de l’Estat, & dont les progrez
sont l’ornement de toutes mes conquestes, n’ignorez
pas combien la guerre fait de miserables, & iusques
ou peut aller la licence & l’impunité du soldat, & encores
en cette pitoyable occasion, où le pere est contre le
fils, où le frere medite la mort de l’autre, & où tous les
parens ne pensent qu’à ce deffaire de leurs plus proches.
Desliurez moy grand Prince, de tous ces malheurs, vous
la pouuez, soyez le mediateurs de tous ces differends qui
n’ont pour objet qu’vn retour, & pour mettre fin à mes
maux accordez vne retraitte ou l’on ne me puisse faire de
mal, & aydez au ieune Monarque qui me gouuerne à
manier le Septre qui est en sa main, plustost que de hazarder
ma fortune, reseruez la valeur de mes enfans pour
vne meilleure occasion : Les Parisiens seuls dans vn malheur
general, ne sont ils pas capables de seruir vtilement,
& il ny en à pas vn qui n’ait assez de force & de courage
pour prediger sa vie & respandre son sang pour vn Roy,
s’il estoit attaqué auec perte ou desaduantage ; comme il
arriua lors que les ennemis s’emparerent de Corbie & des
autres Villes frontieres, lors qu’ils porterent le fer & le
feu dans toute la Picardie, & lors qu’ils donnerent l’espouuente
& la terreur à tous les François.

 

C’est cette puissante & superbe Ville qui fit vn effort
digne d’elle, & qui donna moyen au feu Roy de couurir
vne faute, & de reparer l’inprudence du Cardinal de Richelieu,
qui auoit laissé cette partie de l’Estat trop à descouuert :
En effect les Espagnols mesme parlant de cette
Ville de Paris, ce sont assez fait entendre, quand ils ont

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publié hautement ; vrbs præuallet orbi : que c’estoit vn
prodige & vne merueille de la nature, par le moyen de
laquelle nos Rois peuuent ameilleur titre se dire Monarque,
que non pas les Assiriens, les Medes les Perses, les
Grecs & les Romains, puis qu’elle est capable de leur
ouurir le chemin de la conqueste de l’vniuers.

 

Mais ce qui est admirable, elle ne veut point faire cognoistre
sa force & sa puissance que pour le seruice de
son Prince & de sa patrie, & quoy qu’il puisse arriuer,
elle veut demeurer ferme & constante dans le deuoir &
l’obeïssance qu’elle doit à son Souuerain. C’est la toute
l’ambition de Messieurs du Parlement : ils detestent &
condamne toutes les vsurpations, soit qu’elles ayent esté
heureuses, soit que le succez en ait esté funeste, ils ont
mesme en horreur l’establissement de la Republique
Romaine, qui n’a pas commancé si heureusemẽt qu’eux :
Comme aussi les Suisses qui ne se sont pas liguez auec
tant dauantage, & mesme les Estats de Hollande & les
Parlementaires d’Angleterre qui n’ont pas agy auec tant
de force ny auec vne conduite pareille à la leur. Ils ne
trauaillent que pour soustenir la grandeur & la dignité
de cette Couronne, & pour rendre eternelle la Monarchie
Françoise, qui est si bien establie, qu’à vray dire elle
ne peut perir que par elle mesme & par la diuision du
peuple.

Grand Prince, agissez donc Noblement de toute vostre
force, comme ie vous en conjure, par les cris les larmes
& le sang d’vne infinité de miserables, & faites en
sorte qu’il arriue la mesme chose aux François qu’il arriua
autresfois aux Espagnols : Ils estoient diuisez & auoient

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peine à supporter la domination des Allemans,
& à souffrir l’heumeur de Charles le Quint : Vne guerre
ciuille s’estoit cruellement allumée en Castille, & à dire
vray elle y eust causé vne espouuentable desolation, si
l’armée Françoise qui fut enuoyée par la conqueste de
Nauarre, se fust contentée d’auoir pris Pampelune, &
triomphé en quinze iours de tout ce Royaume, mais
l’imprudence & l’auarice de ceux qui commandoient les
porta à entrer hostilement en Espagne, où ils ne firent
autre progrez que de reünir les Espagnols diuisez, esteindre
des animositez domestiques & mettre fin à vne
guerre sanglante, qui sans doute eust ruïné les affaires de
l’Empereur & donné en proye toute l’Espagne, qui en
vn iour victorieux reconquit tout vn Royaume, & donna
vne chasse honteuse aux François.

 

Et apres que tous les esprits se seront reconciliez, &
que tous les François seront bien d’accord, vous acheuerez
grand Prince, l’accomplissement du bon heur de
toute la Chrestienté, par la conclusion de la paix general,
ce faisant V. A. R. aura le contentement d’auoir essuyé
mes larmes & mis fin à mes desplaisirs, & la satisfaction
d’auoir beaucoup contribué au repos public, &
rendu la seureté & l’abondance à tout l’vniuers, qui
aura tout le ressentiment qu’on peut auoir d’vne si parfaite
obligation.

FIN.

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