Anonyme [1652], LES CONFERANCES DV CARDINAL MAZARIN AVEC VN DE SES PLVS GRANDS CONFIDENTS, TENVES A S. DENIS EN FRANCE auant son depart, I. Il represente toute l’histoire de sa vie, depuis son arriuée en France iusques à present. II. Les trauerses qui luy sont arriuez, tant par Messieurs les Princes, que des iugemens contre luy rendus par Messieurs de Parlement. III. Les deffences qu’il a exercée, & exercent contre ceux qui luy en veulent. Ensemble les responses du Confident du Cardinal Mazarin, luy representant les malheurs qui luy pourroient arriuer cy-apres, sur toutes les articles par luy proposée en ces rencontres. , françaisRéférence RIM : M0_746. Cote locale : B_11_35.
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LES CONFERENCES
tenuës à sainct Denys en France,
entre le Cardinal Mazarin, & vn
de ses plus grands Confidents, luy
representant l’histoire de toute sa vie,
depuis son arriuée en France.

Le Cardinal MONSIEVR, Ie suis bien mal-heureux,
dans l’estat où sont les affaires, que
tout le monde est bandé contre moy, & qu’il n’y ait personne
qui veüille plaider ma cause. C’est vne chose estrange que
ces Messieurs du Parlement de Paris, qui font Iustice à tout
le monde, me condamnent ainsi sans m’escouter. Vous auez
assez de credit parmy eux Monsieur, pour oser entreprendre
la cause d’vn malheureux, & vostre probité leur est assez
connuë, pour qu’ils ne vous ayent point pour suspect.

Son bon amy luy respond, Monsieur, pleust à Dieu que ie
pusse reconcilier vostre Eminence auec ces Messieurs là, ie
me tiendrois le plus heureux homme du monde, puisque cela
termineroit vn different, où ie ne trouue rien d’auantageux
pour vostre Eminence : mais de grace, Monseigneur, mettez-moy
dans le chemin de vous rendre ce signalé seruice ?

Le Cardinal. Monsieur, vous leur representerez d’abord,
que ie ne suis pas vn objet digne de leur colere, que ie ne suis
que le valet de la Reyne, que les Princes se seruent de moy
pour colorer leur ambition, qu’ils me conseruent pour victime
destinée à leur mauuaise fortune, qu’ils se seruent de

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moy pour tirer les marrons du feu ; & pour preuue de tout
cela, j’ay demandé cent fois à m’en aller.

 

Response Mais, Monseigneur, me pardonnerez-vous, si
pour mieux conduire l’affaire ie choque vn peu vos sentimens,
& ie vous dis librement les miens ?

Le Cardinal. Monsieur, si ie pensois que vous vous contraignissiez
le moins du monde, ie ne vous ouurirois pas ainsi
mon cœur, c’est plustost pour me conseiller auecques vous,
que pour autre chose que ie vous ay mandé.

Response. Vous me permettrez donc de vous dire, Monseigneur,
que si ie commence par où vous desirez, que ce
sera le moyen de tout gaster, d’autant que soit qu’il soit vray
ou non) tout le monde tient pour chose asseurée, que vostre
rare esprit estoit de ces suprémes intelligences qui donnent
le bransle au premier mobile, & que les Princes de vostre
party, quoy que tres excellens pour l’execution, faisoient
gloire de se regler sur la lumiere & la solidité de vos conseils ?

Le Cardinal. Mais quelle asseurance ont ils de cela.

Response. Que voulez vous que ie vous dise ? Si ie leur replique
cela, ils me diront que c’est par leur malignité qu’ils
connoissent vos conseils, tant ils sont coiffez de la mauuaise
opinion de vostre Eminence ?

Le Cardinal. Hé bien, il n’est pas bon d’aigrir cette humeur
là, c’est vne estrange beste que le peuple, il y a de certaines
saisons où il luy faut accorder tout. Pour moy ie suis
dans vn estat où il faut que ie me contraigne vn peu, & mesle
la peau du Renard à celle du Lyon.

Response Monseigneur, tout cela ne seruira de rien, i’aimerois
mieux, si vous me faites l’honneur de me croire, leur
representer rondement mes raisons, & tascher de me iustifier
s’il est possible ?

Le Cardinal. Vous direz bien, mais encore faut-il se reconcilier
les esprits des Iuges, & leur dire comme ie suis leur tres-humble
seruiteur, qu’il n’est rien en mon pouuoir que ie ne
fasse pour eux, & que mesme la Reyne me veut mal que ie
prends trop leur party.

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Response. Monseigneur, ie suis honteux de vous parler
si librement, mais ie vous prie ne prenons point ces
biais-là. Il me semble que i’entends ces Messieurs me
dire desia qu’ils ne connoissent que trop l’humeur Italienne,
qui flatte pour mieux mordre, qui sçait dissimuler
quand il faut, & qui donne de la force à sa vengeance,
par la contrainte qu’vne feinte reconciliation
luy apporte, bref ils me diront mille fadaises touchant
cela que vous sçauez mieux que moy.

Le Cardinal. Quoy les François sont deuenus bien
sçauants !

Response. Sçauants, Monseigneur, vous ne croiriez
pas combien ils le sont, car il n’y a rien qui aiguise tant
l’esprit comme la pauureté.

Le Cardinal. Ie voudrois que par cette raison-là ils eussent
encore plus d’esprit (mais cela soit dit entre vous &
moy) ils ne seroient pas peut-estre si orgueilleux, ny si
refractaires aux commandements & aux volontez de la
Reine.

Response. Monsieur, ie serois bien marry qu’il entendissent
ce discours-là.

Le Cardinal. Vous voulez dire qu’ils ne manqueroient
pas de dire que la Reyne ne donne point de commandemens,
que ceux que mes conseils luy suggerent. Ces
gens là ont bonne opinion de la Reyne. Il s’ensuiuroit
donc de là, que la Reyne ne seroit pas capables de conseil.

Response. Le peuple est si fol, Monseigneur, qu’il dit
que vostre Eminence la charmée, & sans vous offenser,
ie suis de leur opinion : mais c’est par la beauté de
vostre esprit, & l’ascendant que vostre genie a sur le
leur.

Le Cardinal. Encore cela me console-t’il dans mon affliction
que le monde ait si bonne opinion de moy.
Mais insensiblement nous nous esloignons de nostre
dessein. Apres vous auoir dit ma pensée, dites moy vn

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peu la vostre ; comment nous y faut il prendre ? par où
entamerez-vous mon Apologie à ces Messieurs ?

 

Response. Monseigneur vostre Eminence se mocque
de moy, ie ne suis icy que pour receuoir ses commandemens,
si ie m’emancipe vn peu de choquer ses sentimens,
ce n’est que pour leur donner du lustre par vne
opposition si obscure, qu’elle ne sert que d’ombre au vif
éclat de ses raisonnemens.

le Cardinal. Monsieur, puisque ces esprits solides ne
se payent pas de paroles, prenons les par des seruices,
dont la solidité est telle, qu’ils ont serui de pierre fondamentale
à toute la gloire & felicité de la France.

Response. Voila la meilleure voye par où vous les puissiez
prendre Mais il faudroit vne langue plus diserte
que la mienne pour leur faire vn Panegyrique de vostre
illustre vie, & leur prouuer agreablement la verité de
vos seruices. Vous ne le sçauriez croire, Monseigneur, il
semble que le cliquetis des armes, & le bruit des mousquetades
les ait rendus sourds, ils n’entendent pas à
demy ; Et la mort que la reputation de vostre Eminence
a soufferte dans leurs esprits, a produit en eux le mesme
effect que celle de nostre Sauueur apporta dans sainct
Thomas, elle les a rendus incredules.

Le Cardinal. Ie leur prouueray si clairement mes seruices
& mon affection enuers le France, que mes plus
grands ennemis aduouëront, en despit qu’ils en ayent,
que i’ay le cœur François : & si l’obligation est double
lors qu’elle s’offre d’elle-mesme, que diront-ils de celle
que ie leur rendis à Cazal ?

Response. Monseigneur, pour bien conduire nostre affaire,
vous me permettrez, s’il vous plaist, de la debattre
vn peu, & d’entrer dans leurs sentimens, afin que
vostre Eminence qui connoist mieux que moy le fonds
des poincts que ie dois auancer, m’instruise aux reparties
que ie dois faire, afin que ie serue d’autant mieux vostre
Eminence.

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Le Card. Mons. i’entends que vous me parliez comme
si c’estoit Monsieur de Broussel, ou plustost tout le
Parlement ensemble, parce qu’il faudra que vous leur
fassiez teste à tous, & pariez à toutes bottes, si tant est
que vous entrepreniez de defendre ma cause comme
vous me promettez.

Response. Monseigneur, ie vous feray beaucoup de
tort, & souhaitterois que vous y fussiez en personne,
vous reüssiriez bien mieux que moy, & donneriez beaucoup
plus de satisfaction à ces Messieurs.

Le Cardinal. I’en serois bien marry, & aurois crainte
que la satisfaction ne fust trop grande, i’aime bien
mieux plaider par Procureur.

Response. Monseigneur, voulez-vous que ie vous die,
ce qu’ils me repliqueront quand ie leur vanteray vostre
seruice de Cazal ? Ils me diront que vous estiez vn garçon
de fortune, & que cherchant iour à la faire, la premiere
occasion qui s’est presentée ç’a esté en France, où
vous auez rencontré vn esprit de vostre trempe, & de
nature à approuuer des actions que les autres Politiques
eussent detestées. Ie vous dis ce qu’ils me pourront dire,
& à cela ie leur repliquerois dequoy leur fermer la bouche.
Mais i’aurois peur de vous faire plus de tort que de
bien ; car si pour iustifier vostre Illustre Predecesseur,
i’allois dire que les Espagnols prestent plus la main aux
trahisons, que les François, & que c’est le seul moyen
par où ils se soient iamais rendus puissans, cela rejalliroit
sur vous qui estes de cette genereuse Nation.

Le Cardinal. Il leur faudra soustenir que c’est par choix
& par inclination que i’ay seruy la France, & que i’ay
eu mille belles occasions pour m’auancer en Espagne ;
mais qu’emporté par la force de mon inclination i’ay sacrifié
mes interests au bien de la France.

Response. Monseigneur, s’ils me demandent quelque
preuue de cette verité, & qu’ils veulent que ie leur marque
quelques-vnes de ces illustres occasions que vous

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auez euës de vous auancer en Espagne.

 

Le Cardinal. Vous leur direz, que quand ie les nommerois,
ils ne me croiroient pas, parce que pour en veuir
à la preuue, il faudroit que les Ministres qui m’ont
sollicité, le declarassent, & si ne les croiroit on pas
peut-estre, & que i’exposasse beaucoup de François qui
m’ont donné iour à faire des choses preiudiciables à
l’Estat.

Response. Mais s’ils vous demandoient, Monseigneur,
pourquoy estant si fidele à la France, vous n’auez pas
fait faire punition de ces sortes de gens là ?

Le Cardinal. Ie me suis contenté de les esloigner des
charges petit à petit.

Response. Comme ils sont tout pleins de mesdisance,
Monseigneur, ils diront que vous n’auez pas voulu chastier
des gens de vostre sorte, & que le desespoir leur
fait declarer des choses qui ne vous eussent pas esté
auantageuses.

Le Cardinal. Il les faut laisser dire, les effects dementent
les calomnies.

Response. Helas, Monseigneur, ils ne sçauent que
trop la verité.

Le Cardinal. Qu’ils en disent ce qu’ils voudront, si
est-ce qu’ils ne sçauroient nier que i’aye liuré Cazal à la
France.

Response. Il est vray, Monseigneur, mais comme ils
veulent vous ternir vos plus glorieuses actions, ils ne
manqueront point d’auancer que vous auez en cela
trahy vostre Prince, & mis en compromis la reputation
de sa Sainteté, à qui vous apparteniez alors.

Le Cardinal. S’ils vous pressent iusques là, dites leurs
que i’ay preferé leur interest à mon honneur.

Response. Monseigneur, pardonnez-moy s’il vous
plaist, ce seroit leur donner cause gagnée, car ils infereroient
delà que vous estes vn homme sans honneur, &
que le fondement de vostre fortune estant sur vne infame

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action, le bastiment ne sçauroit estre que vicieux.

 

le Cardinal. Pour vous descouurir le nœud de l’affaire,
à vous qui m’estes intime amy, ie n’ay iamais eu d’autre
but que mon establissement, & il n’y a rien que ie
n’eusse mis en besogne pour le faire.

Response. Ne pouuez-vous pas vous auancer en
Espagne ?

le Cardinal. Ne sçauez-vous pas que personne n’est
prophete en son païs, & qu’estant de naissance obscure,
ie ne me pouuois aduancer que par quelque action extraordinaire.
Ie vous aduoüeray bien, que i’ay eu toûjours
dessein de seruir ma Patrie, & il me semble que
le vray moyen de le faire auantageusement, estoit d’acquerir
du credit en France.

Response. Mais comment auez-vous pû surprendre
l’esprit
du Cardinal de Richelieu.

le Cardinal.Ie n’ay iamais tenté cela, au contraire,
i’ay tasché (comme i’ay tres-bien reüssi) de luy persuader
que i’estois tres-affectionné à la France, sçachant
bien que si ie passois pour tel dans l’esprit de ce grand
Genie, la France ne manqueroit point d’auoir la mesme
estime de moy. Et puis de son viuant ie ne pouuois pas
esperer de tenir le timon de l’Estat.

Response. Mais quelle asseurance auiez-vous de luy
succeder dans le Souuerain Ministeriat, veu que vous
estiez contraint de mal traiter, & vous rendre odieux à
la Reyne Regente ?

le Cardinal. Nous songions bien à la Reyne alors ;
Ie taschois seulement de me mettre dans l’esprit du
Roy, qui deuoit apparemment suruiure au feu Cardinal.

Response. Mais le Roy estant mort, comment estes vous
entré dans l’esprit de la Reyne, qui sans doute auoit
alors de l’auersion pour vous, comme l’vn de ses persecuteurs.

le Cardinal. I’auois des amis en Cour, qui representerent

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à cette bonne Princesse, qu’ayant tous les secrets
de l’Estat en main, & le fils des affaires, il ne falloit pas
m’escarter d’abord, mais se seruir de moy quelque
temps, en me donnant des compagnons pour me tirer
petit à petit les affaires des mains.

 

Response. C’estoit là tout ce que vous pouuiez souhaiter
pour lors.

le Cardinal. Ie vous laisse à penser, si ie m’oubliay à
carresser tout le monde, & à tesmoigner hautement, que
de l’administration ie n’en demandois que le trauail, &
en laissois volontiers aux Princes toute la gloire & l’emolument.

Response. Vostre Nation, Monseigneur, entend
parfaitement cela, & vous maniez vos esprits comme il
vous plaist, vous demontez à visce vos ames, comme vos
postures, & sans cette addresse-là, pour dire vray, l’homme
est pire que d’aucunes bestes.

le Cardinal. Ie n’eus pas si tost eu l’oreille de la Reyne,
que la voyant vn peu ébloüie de l’éclat de sa nouuelle
grandeur, ie luy en fis faire de telles reflexions, que ie
l’aueuglay tout à fait ; Ie luy inspiray des maximes si
conformes à la ioye demesurée qu’elle sentoit, qu’enfin
i’apperceus qu’elle prenoit plaisir à m’escouter, & me
demandoit souuent ce qu’il falloit faire pour estre heureuse
& puissante Reyne.

Response. Ne vous proposa-t’elle iamais de faire la
paix.

le Cardinal. Oüy, & i’en fus rauy, & l’entretins dans
cette volonté-là fort long-temps, luy disant mesme
qu’elle l’a deuoit faire esperer à tout le monde, & que
c’estoit le moyen de gagner les cœurs & se rendre tres-puissante.

Response. Comment puissante, Monseigneur, vostre
Eminence est-elle d’opinion que la paix rendre les Monarques
puissants ?

le Cardinal. Que vous m’entendez mal : Ie voulois

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que la Reyne persuadast à vn chacun, qu’elle n’ambitionnoit
rien tant que de faire la paix ; afin que le Parlement
qui esperoit desia cela de sa pieté & sa naissance,
dont l’vne faisoit croire qu’elle auroit pitié de la misere
du pauure peuple, & l’autre qu’elle auroit horreur que
le sang d’Espagne, dont elle estoit sortie, & celuy de
France à qui elle deuoit la qualité de Mere du Roy, se
respandissent de son adueu dans vne sanglante & barbare
guerre. Ie vous rapporte les sentimens du Parlement,
comme la Reyne m’a dit les auoir receus de leur
bouche.

 

Response. Et ensuite, Monseigneur, qu’arriua-t’il ?

le Cardinal. Il arriua que le Parlement, croyant fermement
que la Reyne feroit la paix, par ces motifs que
ie viens d’alleguer, la declara Regente, comme vous
sçauez, & comme ie n’auois pas dit mon dessein à la
Reyne, elle fit son personnage le mieux du monde, &
au sortir du Palais vous eussiez dit qu’elle auoit le rameau
d’oliue en main.

Response. Il est vray, Monseigneur, que c’estoit la
pensée de tous les honnestes gens.

le Cardinal. Ce n’estoit pas celle de tous les gens
d’esprit.

Response. Mais, Monseigneur, pourquoy auez-vous
vne telle auersion pour la Paix ?

le Cardinal. Pour rendre la Reyne puissante, comme
ie luy auois promis, & pour suiure mes interests.

Response. Pouuiez-vous rendre vn seruice plus important
à toute la Chrestienté, & signaler vostre memoire
d’vn action plus illustre ?

le Cardinal. Que vous entendez mal mes interests !

Response. Mais quels estoient donc vos interests, Monseigneur ?

le Cardinal. Ceux de la France.

Response. Voila le moyen de clorre la bouche à Messieurs
du Parlement, si nous leur pouuons prouuer cela.

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le Cardinal. Ie vous le vais prouuer par deux raisons,
par mes interests propres, & par ceux de la
France.

Response. Vous me rauissez desia de cette pensée.

le Cardinal. L’interest de la France est d’estre pauure,
& que ie sois riche, sera vous surprend ?

Response. Il est vray, Monseigneur.

le Cardinal. Vn peu de patience ; vous estes Chrestien,
n’estes vous pas ; Vous croyez aux sainctes Euangiles,
& à tout ce que l’Eglise ordonne.

Response. Oüy, Monseigneur.

le Cardinal. IESVS-CHRIST ne nous commande-t’il
pas de prier & de ieusner pour rendre la chair obeïssante
à l’esprit ? Et ne voyez vous pas dans les maisons
Religieuses, que leurs Regles les obligent à ieusner pour
le mesme suiet ?

Response. Il est vray, Monseigneur.

le Cardinal. N’est t’il pas vray aussi que les Officiers
du Conuent ne ieusnent pas tant que les autres, afin de
ne pas succomber au trauail, & que parmy les Capucins,
qui font vœu de pauureté, le Pere Procureur ne laisse
pas de faire vn bourse, pour les reparations de la maison
& autres despenses necessaires ?

Response. Tout cela est ainsi, Monseigneur.

le Cardinal. Il en est de mesme d’vn Estat, & particulierement
de la France, où les esprits sont vifs & entreprenants.
Et comme il n’y a rien qui inquiete tant
que la necessité, elle les occupe de telle façon, qu’ils
n’ont pas le loisir de songer à rien machiner contre
l’Estat, & pour moy il falloit que ie fisse vn fonds pour
subuenir aux affaires inopinées.

Response. Vous voyez à present, Monseigneur, qu’il
en est arriué autrement, & que le desespoir a fait ce que
vous craigniez de l’abondance.

le Cardinal. C’est que la France n’estoit pas encore
assez pauure ; si l’on eust suiuy mes conseils, ce Royaume

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ne fust pas tombe dans ce mal heur, il le falloit saigner
vn peu dauantage.

 

Response. Mais, Monseigneur, tout le monde n’en
pouuoit plus.

le Cardinal. Vous voyez pourtant que Paris leue des
armées.

Response. Mais la campagne, Monseigneur, en quel
estat la voyez-vous.

le Cardinal. C’est Paris aussi que ie dis qu’il faut
saigner.

Response. N’y faites vous pas, Monseigneur, tout ce
qui vous y est possible ?

Le Cardinal. Non, pas le quart. Nous auions de certains
mauuais Politiques, qui disoient, qu’il falloit du
moins espargner le cœur du Royaume, pour en tirer du
seruice en cas de necessité, & qu’estant bien auec Paris,
on pouuoit gourmander tout le reste du Royaume.
Il eust bien mieux valu que les esprits vitaux de ce cœur
eussent esté dans les coffres du Roy, & que vous n’eussiez
pas allaicté cette Vipere, qui empoisonne auiourd’huy
tous les autres Parlemens, & nous menace d’vne
entiere ruïne.

Response. Il en faut mieux esperer, Monseigneur. Mais
pour reprendre le second point de vostre proposition
qui estoit, que c’est l’interest de la France, que vous
vous enrichissiez, comment entendez vous cela, Monseigneur ?

Le Cardinal Tout ainsi que le Soleil & les rayons dont
il est enuironné, attirent auec vne auidité nom pareille
toute l’humidité de la terre, pour la respandre par
apres auec vn auantage merueilleux. De mesme, comme
l’œil de l’Estat & le Soleil de la France enuironné
de mes Partisans, comme d’autant de rayons, qui alloient
chercher l’or iusques aux entrailles, & qui en
faisoient produire mesme par leur vertu, où il n’y en
auoit point, Nous attirons, dis-je, tout l’or & l’argent

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de la France, que nous luy redonnions par apres,
par nos depenses magnifiques, & nos superbes bastimens,
qui donnoient la vie à tant de pauure peuple.

 

Response. Mais, Monseigneur, ces Messieurs diront,
que vous estes riche en effet, aussi bien qu’en comparaisons,
& que vous n’auez redonné à la France toutes
les finances que vous luy auez rauies.

Le Cardinal. Le temps n’en estoit pas encore arriué,
il falloit que ie me misse en estat, & pouuoir de luy faire
du bien auparauant : & pour cét effet i’enuoyois mes
richesses en Italie, pour y acquerir de la reputation, car
vous sçauez comment l’on se gouuerne en ce pays-là.

Response. Qu’est-ce que cette reputation eust apporté
à la France ?

Le Cardinal. I’aurois donné le boucon à ce Pape cy,
s’il eust vescu trop long temps (puis qu’il vous faut tout
dire) & me serois fait eslire Pape, & pour ces choses il
faut de l’argent, & non pas peu : Iugez apres cela, si ie
n’eusse pas pû rendre la France heureuse.

Response. Oüy, en biens spirituels, Monseigneur.

Le Cardinal Les estimez-vous moins que les corporels ?
I’aurois espuisé le Thresor des Indulgences, & de
mes benedictions pour enrichir la France, & luy aurois
payé auec vsure l’indigne metail que i’ay reçeu
d’elle.

Response.Mais, Monseigneur, quoy que ces choses
là soient infiniment bonnes, si est-que la necessité ne
les prend pas pour argent comptant, la vie de l’ame
n’est pas celle du corps.

Le Cardinal. Outre cela, ie l’aurois merueilleusement
seruie dans les affaires temporelles, aux choses
où il y auroit eu de la contention entre la France &
l’Espagne, & dont i’aurois esté l’arbitre.

Response. Vous sçauez, Monseigneur, que le Pape
doit estre le Pere commun des Chrestiens, & que c’est
exposer sa dignité, que de se monstrer partial.

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Le Cardinal. I’aurois aussi eu esgard à cela, & n’aurois
voulu rien faire qui m’eust esté preiudiciable.

Response. Monseigneur c’est vn pain bien long que
ces seruices là, les pauures François seroient morts par
vn si long ieusne.

Le Cardinal. Les gardes machines ne se meuuent pas
si viste. Si le chappeau de Cardinal m’a esté facile à acquerir,
grand mercy aux François ; mais les Italiens se
menent vn peu d’vne autre façon, il n’y à que l’argent
qui les fasse parler.

Response. Mais, Monseigneur, ie n’entends point
cela, que vous dites que vous vouliez detourner la paix
pour vous enrichir ; N’est-ce pas dans la paix que l’abondance
regne ? Et la guerre n’est elle pas vn gouffre,
qui engloutiroit les richesses d’vn Cresus ?

Le Cardinal. Oüy, si l’on payoit les soldats, & qu’on
n’eust point d’autre but que de conquerir : Mais cela
est bon à des idiots ; la France est si belliqueuse, que si
l’on luy laschoit labride, & qu’on payast bien les soldats,
l’Espagne ne luy seroit qu’vn des-jeuner. Mais ce
n’est pas là le jeu des bons Politiques, ny mesme l’interest
de la France.

Response. Vous me rauissez l’esprit, Monseigneur,
Vos maximes sont admirables, & me surprennent d’autant
plus, qu’elle semblent choquer le sens commun.

Le Cardinal. Vous m’auez interrompu, il me semble
que j’allois dire quelque chose de bon, sur quoy en
estois-je ?

Response. Monseigneur, vostre pensée estoit si subtile,
qu’elle m’a aussi eschappé de l’esprit.

Le Cardinal. Ie m’en souuiens à present. Ie disois que
ce n’estoit pas mon interest, ny celuy de la France de
conquerir si promptement.

Response. Mais, Monseigneur, si l’on ne fait la guerre
que pour conquerir, & que la guerre soit vn fleau de

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Dieu si déplorable, n’est il pas bon de la terminer bien-tost
par de glorieuses conquestes ?

 

le Cardinal. Que vous entendez mal la Politique. Ce
n’est pas mon but de pousser les conquestes de la France
plus auant, & quand ie le voudrois ie ne le pourrois
pas. La raison de cela est, que la France & la Maison
d’Austriche sont les deux Poles, sur lesquels repose toute
la tranquillité de l’Europe, pourueu que leurs puissances
soient égales. Et c’est dans ce contre poids que
les autres petits Estats trouuent leur seureté, de là vient
qu’ils se rengent toûsiours du costé du plus foible. Car
si la France auoit subiugué l’Espagne, ou l’Espagne la
France, les autres petites Souuerainetez viendroient
d’elles mesme se rendre au vainqueur Témoins les
Hollandois qui nous ont abandonné, tesmoins les Suisses
qui n’ont iamais voulu permettre de nous rendre
maistres de la Franche Comté, & tesmoin enfin l’eschoüement
de l’ambition d’Espagne, qui a pretendu
vainement à la Monarchie vniuerselle.

Response. Il me semble, Monseigneur, que ces raisons
vous deuoient auoir obligé à faire la paix, puisque
la guerre n’est plus de saison lors qu’on ne peut
plus conquerir.

le Cardinal. Les armes sont aussi faites pour se defendre.

Response. Vous auiez mis, Monseigneur, par vos
sages conseils, la France en vn estat de donner de la
terreur à ses ennemis, plustost que de les craindre.

le Cardinal. Tant plus vn Estat a moins à craindre au
dehors, tant plus a-t’il à craindre au dedans. Ie ne veux
point d’autre exemple que l’Angleterre, qui a fait comme
ces vins fumeux qui creurent le tonneau, & se perdent
faute de leuer le bondon. Si le Roy de la Grand’Bretagne
eust donné air à ce sang renfermé dans vne
Isle inaccessible, il n’eust pas esprouué les mal-heurs,
sous lesquels il est accablé auiourd’huy.

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Response. Vous estes donc, Monseigneur, de l’opinion
des Medeins de Paris, qui veulent tousiours saigner.

le Cardinal. Vous comprenez ma pensée. La comparaison
n’en est pas mauuaise Car pour moy ie crois que
la repletion tuë plus d’hommes que l’espée. Ie pourrois
adiouster que l’oisiueté est la mere de tous vices, qu’il
faut employer la Noblesse Françoise, qui desdaigne
tout autre exercice que celle d’Angleterre ; ce n’est pas
comme ailleurs, où ils se plaisent à estre marchands ou
laboureurs Il y a aussi tant d’esprits faineants dans vn
grand Royaume, qu’il faut employer pour le descharger
d’autant. Et pour conclusion, il faut qu’vn Prince
soit tousiours armé, pour donner tousiours de la jalousie
à ses voisins, de la crainte à ses peuples, & estre tout
prest à appaiser les sousleuemens, s’il en arriue en quelque
partie de son Estat. Où estions nous, si nous n’eussions
point eu d’armée, quand ce grand Corps de Paris
s’est esueillé en sursaut pour nous déuorer ?

Response. Monseigneur, si vous n’eussiez pas pincé
cette grosse beste, elle dormiroit encore, & iamais les
peuples ne se sousleuent quand on les gouuerne paisiblement,
que la Iustice regne, & que la Religion fleurit.
Ce n’est pas que ie ne voulusse qu’vn Roy eust des fortes
places bien munies, & vn thresor pour la necessité.

le Cardinal. L’exemple d’Angleterre confond tout ce
raisonnement là.

Response. Pardonnez moy s’il vous plaist, Monseigneur,
la Religion estoit toute corrompuë en Angleterre,
le Roy n’auoit aucune forte place munie, & ses
coffres estoient tousiours vuides.

le Cardinal. Monsieur, ie vous ay dit tout ce qui se
peut dire sur ce sujet là & j’y adjousteray encore, que
mon interest demandoit que la France fust en guerre,
& mesme qu’elle continuast long-temps.

Response. Mais Monseigneur, vostre Eminence n’a-t’elle
iamais consideré, que Dieu auoit mis entre ses

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mains tout le bon-heur de l’Europe ? N’a-telle iamais
eu horreur de tant de sang respandu, de tant d’Eglises
prophanées, elle qui est vn Prince de l’Eglise ; & d’vne
misere vniuerselle, capable d’attendrir les marbres &
les rochers ? Vostre Eminence n’a t’elle iamais eu vn
mouuement de pitié pour ce pauure peuple François,
qui souffroit le joug auec tant d’obeїssance, & qui vous
adoroit comme le Demon tutelaire de sa Nation ?

 

le Cardinal. Vous me comptez-là de belles fadaises,
ces sentimens là sont bons à des ames molles & à des
bigots.

Response. Mais ne croyez-vous pas en vn Dieu, Monseigneur.

Le Cardinal. Oüy dea, mais ie crois que s’il prend part
aux choses d’icy-bas, il illumine ceux qui y president.

Response.Vous voudriez donc rendre Dieu autheur
du mal.

Le Cardinal. Brisez là Monsieur, ie vois bien que
vous n’estes que Theologien.

Response. Bien, ie veux entrer en vos sentimens à cette
heure. Si tout vostre but estoit de vous enrichir, l’Espagne
vous eust donné deuant sa paix auec les Estats de
Hollande, tout ce que vous eussiez souhaitté pour la
faire auecques la France ; Et le Roy d’Angletere, que
ne vous auroit-il pas donné, dans l’esperance qu’il
auoit que la paix generale estant concluë les Princes
de deçà fussent venus le secourir ?

le Cardinal. I’ay bien eu cette pensée-là, mais i’attendois
que la Reyne d’Angleterre m’eust demandé vne
de mes Niepces en mariage pour le Prince de Galles. Ie
les enuoyay vne fois toutes trois expres à sainct Germain,
pour faire connoissance auec la Reyne d’Angleterre.

Response. Ce mariage-là n’eust pas esté au dessous de
vostre Eminence. Mais il me semble que sans cela vous
ne deuiez pas laisser eschaper cette belle occasion de

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restablir la Religion Catholique en Angleterre, en y
enuoyant des troupes Catholiques, vous qui pretendez
y tenir vn iour le Siege de sainct Pierre ; car vous sçauez
que le denier de ce grand Apostre, estoit vn des beaux
reuenus du Pape.

 

le Cardinal. Vous reuenez tousiours à vostre bigoterie.

Response Vous m’excuserez, Monseigneur, ie parle
du denier de sainct Pierre que payoient les Anglois.

le Cardinal. Le denier de Sainct Denis est plus present
que celuy-là. Et puis ie m’iray tourmenter pour des
personnes qui ne m’en sçauront peut-estre point de gré,
car combien est on Pape ?

Response. Qu’appellez-vous le denier de S. Denis,
Monseigneur ?

Le Cardinal. Vous parlez comme si vous ne sçauiez
pas que sainct Denis est le Patron de la France, & que
par son denier, i’entends les finances de France, qui
pourront en vne autre saison, c’est à dire quand ie seray
Pape, restablir le denier de S. Pierre.

Response. Pour retourner à l’Angleterre, il me semble,
Monseigneur, qu’en bon Politique, vous ne deuiez
pas laisser tomber absolument le Roy d’Angleterre.
Car si i’entends l’interest de la France ou de l’Espagne,
c’est que les Isles Britanniques soient tousiours occupées
entr’elles, afin qu’elles ne puissent prendre party,
& arrester les progrés de l’vne ou de l’autre, pour faire
la balance égale entre ces deux Couronnes, comme
nous disions tantost.

Le Cardinal.Vous me parlez là d’vne affaire dont ie
vous puis dire des nouuelles, comme en ayant esté le
principal Acteur.

Response. Hé, Monseigneur, de grace faites-m’en l’histoire.

Le Cardinal. Ie vous la diray en deux mots. Tout le
suiet & principal but que feu Monseigneur le Cardinal

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d’heureuse memoire, & moy eussions dans cette affaire-là
estoit, que nous voulions mettre le feu par tout,
& nous venger de l’affront que le Roy d’Angleterre
nous auoit fait en receuant la feuë Reyne Mere, Monsieur
de Vendosme, Monsieur de la Vieuville, Monsieur
d’Espernon, Monsieur le President Cogneux, Madame
de Chevreuse, & plusieurs autres, qui estoient nos ennemis
jurez en ce temps là, & que nous voulions poursuiure
iusques aux Antipodes, comme nous auons fait à
Bruxelles dont nous les auons chassez, en Angleterre,
en Hollande, & enfin à Cologne, dont nous
fismes rauager le païs circonuoisin, si tost que la
Reyne Mere y fut, pour attirer sur elle la haine de tous
les peuples, qui ne se voyoient malheureux que pour
l’auoir receuë : Mais la passion m’emporte ; nous fusmes
trop indulgents & ne deuions rien espargner pour faire
donner la mort à tous ces ennemis là, ils ne seroient pas
auiourd’huy dans le pouuoir de me nuire. Vn Duc de
Vendosme par vn fils qui me trouue indigne de sa main,
& iure qu’il me veut voir perir par la main d’vn bourreau,
Le President Cogneux, qui a donné de sanglants
Arrests auec ses Confreres contre moy, & iuré qu’il
feroit en sorte, que les Cardinaux n’exileront plus les
Presidents au Mortier.

 

Response. Monseigneur, vous vous emportez. I’ay
peur que cela ne vous fasse mal. Il ne faut rien dans les
apprehensions où vous estes, pour vous trousser. La
crainte, la vengeance, le despit, la colere, & le conflict
de toutes ces passions font vn grand rauage dans vne
ame, il faut que vous l’ayez bien forte pour subsister en
vie auec tout cela.

Le Cardinal. Ie me suis vn peu emporté, mais que
voulez-vous ? C’est que ie sens à present la pesanteur des
fautes que i’ay commises, dont celle là n’est pas la plus
legere : mais où en estions-nous de nostre Histoire ?

Response. Vous parliez du suiet qui vous auoit porté

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à allumer la guerre en Angleterre, mais ie ne veux pas
vous le repeter, cela vous pourroit encore esmouuoir.
Faites-moy la grace seulement de me dire, comment
vous eschauffastes ces esprits morfondus du Septentrion.

 

Le Cardinal. Auec le feu de Promethée ; par le moyen
de la Religion. Comme i’auois grand credit en la Cour
de Rome, Monsieur le Cardinal me laissa manier cette
affaire-là. le fis entendre au Pape qu’il y auoit grand
iour de restablir la Religion Catholique en Angleterre,
& que i’auois disposé la France à y trauailler. Sa Sainteté
m’en sceut tres-bon gré. Ie luy fis dire qu’il y falloit
enuoyer vn Nonce, & bien payer les pensionnaires
qu’il y auoit, & faire mesme en sorte par les Ambassadeurs
du Roy Catholique, que les pensionnaires d’Espagne
fussent fort bien payez, & particulierement les
Catholiques Cela fut fait comme ie l’auois dit : Ie
mets quantité d’ouuriers à la vigne de Iesus-Christ,
dont ie coupois sourdement les racines. L’on gagne vne
infinité d’Anglois, l’on y enuoye des legions de Prestres,
le Pere Suffren qui estoit auec la feuë Reyne Mere,
monte en chaire. Les Capucins de la Reyne d’Angleterre
font merueille, le Nonce du Pape promet des recompenses
eternelles, bref l’ouurage s’auance beaucoup.
Le Roy & la Reyne ne se deffioient pas de cela,
la Reyne estant Catholique, & le Roy qui ignoroit ce
dessein là, & qui se fust mocqué de sa vanité s’il l’eust
sceu, comme en effet cela estoit bien loin de ma pensée.

Response. Combien dura bien cela, Monseigneur.

le Cardinal. Assez long temps, parce que ie voulois
que cela fist esclat sur tout, mesme ie faisois donner de
l’argent à ceux qui se conuertissoient, pourueu qu’ils
le declarassent hautement, & vinssent entendre le seruice
Diuin aux Eglises publiques, comme à la Chappelle
de la Reyne d’Angleterre, à celle de la Reyne
Mere, du Nonce & des Ambassadeurs mesmes, ie faisois

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donner des Indulgences à ceux qui les visitoient
toutes le plus souuent.

 

Response. Ne faisiez vous point conscience de prophaner
ainsi les Institutions sacrées de nostre Religion.

Le Cardinal. Vn bon Politique se sert de tout au besoin.
Si les Souuerains ne se soustiennent, qui defendra
les Religions ? Mais vous m’interrompez tousiours par
vos superstitions.

Response. Qu’arriua-t’il, Monseigneur, lors que la
Religion esclatoit si fort dans la ville de Londres.

Le Cardinal. Il arriua que les plus zelez dans la Religion
Anglicane en prirent l’allarme, & que sous-main
par mes pensionnaires Caluinistes ie faisois mettre le
feu aux estoupes, en representant aux Anglois qu’ils
alloient retomber sous la tyrannie des Moines, de leurs
ieusnes & de leurs Confessions auriculaires, & que le
Pape se feroit payer l’interest des arrerages du denier de
sainct Pierre. Il n’en fallut pas dauantage pour mettre
aux champs ces peuples là, qui sont plus affolez du leurs
Religions, qu’vn fol ne l’est de sa marotte, quoy qu’elles
ne valent pas grand chose. Voila tout le secret de
cette affaire. Il y auroit encore beaucoup d’autre particularitez
à vous dire, touchant les refforts que ie fis
ioüer, pour les faire venir aux mains : car ils se battirent
auant que d’en venir-là, si long temps par escrit, que
ie commençois à desesperer du succez de mon dessein.

Response. Tellement, Monseigneur, que c’est vous
qui auez esté cause de la ruine de tous les Catholiques,
qui estoient les innocents objets de la fureur de ces barbares-là.
Si vous eussiez appuyé ce bon dessein par la
force, ie croy qu’il auroit reüssi, & qu’on vous auroit
vn iour canonizé.

Le Cardinal. Quand ie seray bien riche ie me mettray en
vn estat où ie pourray canonizer les autres.

Response. Mais pour reuenir à nostre discours, puisque
nostre interest estoit que la guerre continuast en

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Angleterre, pourquoy n’auez-vous pas empesché le
Roy de tomber tout à fait.

 

le Cardinal. Ne vous ay je pas desia dit, que nous n’auions
excité leurs troubles que par vengeance, & puis
que me fust il reuenu de tout cela ? Les Parlementaires
de Londres m’ont plus donné d’argent, que leur Maistre
n’en maniera de long temps.

Response. Mais ne trouuiez vous pas, Monseigneur,
que la cheute du Roy d’Angleterre fust de mauuais
exemple aux autres peuples ?

Le Cardinal.Tout au contraire, j’estois bien-aise, que
les Monarques de l’urope connussent, que les clous de
diamant qui soustiennent leurs Throsnes, ne sont pas
à l’espreuue des coups de la fortune, que ie m’en jouë
comme du verre, que mes alliances valent bien des
Couronnes, que les Sceptres tombent si ie ne les soustiens.
Et enfin qu’ayant osté la Couronne au Roy
d’Angleterre, & laissé au Roy d’Espagne, celle que ie
luy pouuois oster, ie fisse connoistre à la France la necessité
de mes conseils, pour defendre la sienne de semblables
iniures.

Response. Mais il me semble, Monseigneur, que vous
auez estendu cét absolu pouuoir, que vous auez sur les
Sceptres, dessus la France, où vous vous joüez à present
de la Couronne de nos Roys, comme vous auez
fait de celle d’Angleterre, non pas par vne jalousie de
Religion, qui n’est qu’vn mal de teste, mais par vn mal
qui donne la mort & qui tient au cœur, ie veux dire par
la plus cruelle oppression qui fut iamais. Si les effects
ont de la proportion auec leurs causes, nostre mal doit
estre bien plus furieux que celuy d’Angleterre, & si les
François n’estoient pas affectionnez comme ils sont, à
l’innocence de leur Roy, vous exposeriez beaucoup
plus sa Couronne, que celle d’Angleterre ne l’a esté,
qui a pû le restablir en consentant à l’establissement de
Caluin sur les ruines de Luther. Le mal de la France

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tient aux entrailles, & si vous n’y remediez en sa naissance,
il deuiendra in curable.

 

le Cardinal. C’est dans la tempeste que mon esprit se
joue, c’est là où il trouue son repos, & qu’il trouue vne
estenduë proportionnée a son actiuité. La mer vient
humblement baiser le sable du riuage, mais elle paroist
forte contre vn vaisseau agité de vents contraires,
comme est à present la France.

Response. Monseigneur, il me semble que nous entrons
trop tost dans la iustification de cette belle action
qui est le couronnement de toutes les autres. Nous en
estions ce me semble à la ruine des affaires du Roy de
la grand’Bretagne.

Le Cardinal. La seconde consideration qui m’a obligé
à laisser tomber ce Prince là, a esté le dessein que j’auois
de vanger les interests de l’Eglise par la ruine de sa
personne, & celle de son party qui suiuoit cette Religion,
qui a braué si desauantageusement l’Italie, & a
diminué les reuenus, dont j’espere joüir vn iour quand
ie gouuerneray les ames de tout le monde, comme ie
fais les corps & les fortunes maintenant.

le Cardinal. Messieurs du Parlement qui sont si religieux,
& à qui l’Eglise s’est associée, gousteront bien
cette raison ; & cette saincte action eust esté capable de
vous sauuer, si vous n’eussiez pas eu moyen de vous
venger plus sainctement de l’Angletere, en y restablissant
la veritable Religion. Mais laissons là l’Angleterre.
Ie croy que ces Messieurs ne s’y amuseront pas
beaucoup. Ils s’attacheront dauantage aux affaires de la
France qui les regarde de plus prés. Le bruit court que
vous auez souuent arresté nos conquestes.

le Cardinal. Ie vous ay dit tantost, que l’intest de la
France estoit d’estre toûjours en guerre, & que pour
la faire durer il ne falloit pas tousiours conquerir. Outre
qu’il couste trop à tant de garnisons.

le Cardinal. Vos ennemis, Monseigneur, disent qu’en

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la conqueste des places vous tiriez de l’argent de la
France, & dans leur perte vous en receuiez de l’Espagnol.

 

le Cardinal. Pourueu que ie fisse le bien de la France
comme ie viens de vous faire voir clairement, peut-on
trouuer mauuais que ie fisse vn peu mes affaires ?

Response. Ils disent que Coutrray vous a beaucoup
valu.

le Cardinal. La place estoit bonne aussi.

Response. Ils disent encore que l’armée du Mareschal
Gassion vous a toüiours persecuté depuis ce temps-là
auec vn millon de diables ; car vous sçauez que de sa
Religion il n’en va point en Paradis, & qu’il proteste
qu’il se vengera de vous dans l’autre monde.

le Cardinal. Voila encore vn plat de vostre mestier,
vous tombez tousiours sur vostre chimere de Religon.

Response. Vous auez encore fait d’autres belles
actions, pour donner ce repos d’égalité, ou cette
égalité de repos à toute l’Europe. Lerida a bien signalé
vostre prudence & vostre charitable zele à toute l’Europe.

le Cardinal. Ie sçay bien que tout le monde me condamne
de n’auoir pas pris Lerida, mais chacun n’entend
pas le secret. Eussiez vous voulu que j’eussé donne
la clef de ma Patrie à ses ennemis capitaux ? & que
toute la terre m’eust reproché, que par la trahison d’vn
Espagnol, l’Espagne estoit tombée sous l’esclauage de
la France ? Vous sçauez qu’on est obligé, & par nature,
& par honneur, d’auoir quelque tendresse pour l’honneur,
& pour le bien de sa Patrie ? Ie n’aime point ces
esprits casaniers qui ne sont nez que pour eux ; il faut
viure partie pour soy, & partie pour sa Patrie. Et puis
la perte de Lerida eust rompu entierement cette égalité
entre la France & l’Espagne, sur laquelle est fondée
tout le bon-heur & le repos de l’Europe.

Response. Monseigneur, que cette excellente Maxime

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d’égalité, qui est comme le piuot sur lequel roule
toute vostre Politique, rend vostre Eminence admirable !
Car pour ne point parler de cét estre Souuerain,
dont l’égalité de trois personnes n’est pas moins adorable
que leur vnité en vn seul Dieu, vous sçauez, Monseigneur,
(vous qui estes de robe à connoistre les plus
mysterieux secrets de la Theologie) que la vision de
Dieu rend la felicité des Bien-heureux si egale, qu’ils
sont incapables de jalousie & de contestation, qui est
en partie la cause du repos des Bien heureux. Si nous
descendons plus bas, Monseigneur, vous voyez auec
quelle égalité roulent les globe Celestes, auec quelle
égalité s’entretiennent le feu & l’eau elementaire, &
comme cette égalité empesche leur conflict, la confusion
des Estoiles n’empesche pas qu’elles ne cõcernent
vne certaine égalité dans leur cours. Le Soleil marque
à point nommé toutes les minutes du iour dans vne
égalité parfaites : Et la Lune, quoy qu’elle ne chemine
que dans les tenebres, ne laisse pas d’estre égale dans
la course vagabonde qu’elle fait, lors que toute la nature
est en repos, les saisons composant si également
l’année, qu’elle ne fait iamais que douze mois. Enfin
Monseigneur, cette égalité admirable se rencontre
dans le flux & reflux de la mer, qui est le theatre de l’inconstance,
& de l’inegalité.

 

le Cardinal. Toutes ces comparaisons ne sont pas
mauuaises. Mais particulierement la derniere, parce
que dans l’inconstance & les orages de la guerre ; ie ne
laisse pas de conseruer cette égalité entre les deux Couronnes,
qui cause tout le repos de l’Europe, de mesme
que toutes ces égalitez que vous auez tres-doctement
descrites, composent cette harmonie, & cét accord qui
se void dans l’Vniuers.

Response. Tellement, Monseigneur, que pour conseruer
cette egalité nous auons perdu Lerida.

le Cardinal. C’est bien là la raison, mais il y en a encore

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de particulieres. Premierement pour faire valoir la
necessité de nostre protection aux Catalans, il les falloit
tousiours laisser à la proye du Roy d’Espagne.

 

Response. Mais, Monseigneur, si vous eussiez conserué
Lerida, les Catalans seroient contraints de parler
François, & n’auroient pas la liberté de se ranger du
costé de nos ennemis, si cette porte leur eust esté fermée.

le Cardinal.En cela vous dites vray. Mais ie voulois
conseruer la gloire de la prise de cette Ville, pour
mon frere à qui ie destinois la Vice Royauté.

Response. Sa gloire eust esté grande, apres que deux
Princes n’y ont pû reüssir.

le Cardinal. C’est pour ce suiet en partie, que i’ay fait
échoüer leurs entreprises.

Response. Pourquoy dites vous en partie, Monseigneur ?

le Cardinal. C’est que mon interest propre m’a encore
obligé à cela.

Response. Ce n’est pas l’interest d’égalité, Monseigneur.

le Cardinal. Non, c’est plustost l’inegalité. Il estoit
bien iuste, puis que i’ostois les Couronnes aux Princes,
& les conseruois à d’autres, que ie deuinsse leur égal, &
que pendant que i’auois le temps de disposer des finances
& des armes de la France, ie les employasse à conquerir
quelque Souueraineté, où i’eusse pû connoistre
la France par les alliances que i’eusse fait auec elle. Ce
dessein formé ie iettay l’œil sur l’Italie, à cause des habitudes
que i’y ay, & que par argent, dont ie ne manquois
point, Dieu mercy, l’on peut tout en ce païs là.

Response. Mais vostre Eminence reüssit mal la premiere
année à Orbitello.

le Cardinal. C’est ce qui m’y fit opiniastrer l’année
suiuante, & ie ne fus pas marry que Lerida fut assiegé,
parce que la piece estant plus importante de beaucoup

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qu’Orbitello, ie ne doutois point que l’Espagnol ne
m’abandonnast Orbitello, pour sauuer Lerida. Veu
aussi qu’il me voyoit opiniastré à Orbitello, & que i’empeschois
qu’il n’allast aucun secours au Comte de Harcourt,
pour luy faire sentir mon dessein, & luy faciliter
la de liurance de cette place.

 

Response. Mais pourquoy ioüastes vous le mesme
tour à Monseigneur le Prince ?

le Cardinal. Ie deuois cette reparation d’honneur à
Monsieur le Comte d’Harcourt, dont la gloire ne se
pouuoit sauuer que par l’impossibilité de la prise de
cette place, que le mauuais succez de Monsieur le Prince
deuoit persuader à tout le monde. Et de plus, c’estoit
des ombres qui deuoient seruir de relief à la gloire que
ie preparois à mon frere. Et puis cette place estoit si importante,
qu’elle eust exposé toute la France, & rompu
cette égalité si necessaire au bien de toute l’Europe.

Response. Ces Messieurs me diront aussi, Monseigneur,
que vous nous tailliez de la besongne en Italie
exprés pour y enuoyer vostre argent, sous pretexte d’en
enuoyer pour l’entretien des armées du Roy.

le Cardinal. N’est il pas iuste que chacun enuoye
son petit fait chez soy. Où en serois ie maintenant, si
i’auois laissé mon argent en France ?

Response. Puis que nous sommes sur l’Italie, Monseigneur,
dites moy qu’est ce que ie respondray à ces
Messieurs, si ils me demandent pourquoy vous auez engagé
la France, à supporter contre la Iustice, & l’interest
du Saint Siege les voleurs de ses finances ?

le Cardinal. Il faut dire des personnes qui auoient
fait leurs petites affaires. Voulez vous que ie vous en
dise la raison ? C’est que ie me sentois dans la mesme
condition qu’eux. Et eussiez vous voulu que i’eusse authorisé
des Loix, dont la rigueur se pouuoit exercer sur
moy mesme ?

Response. Et touchant les affaires de Naples qu’on

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vous accuse auoir negligées, Monseigneur, que diray-ie
à vostre iustification ?

 

le Cardinal. Vous leur direz qu’il falloit que ie les
laissassent perir pour le bien de la France.

Response.Mais, Monseigneur, n’est-il pas bien important
à la France de détacher ce ioyau de la Couronne
d’Espagne ?

le Cardinal. Non premierement pour conseruer cette
diuine égalité, mais encore pour détourner le mal qui
nous arriue maintenant. Car les Parisiens commençant
à remuer, si i’eusse souffert que les Napolitains eussent
esté victorieux, quel encouragement cela n’eust-il pas
apporté à la ville de Paris ? Et au contraire, voyant le
mauuais succez de leur sousleuement, les Parisiens
auoient suiet de craindre le mesme sort, & de ne rien
remuer, de peur que la chose ne tournast à leur confusion.

Response. Vous voyez que cela n’a de rien seruy, Monseigneur.

le Cardinal. Cela n’empesche pas que ie n’aye fait
ce que ie deuois faire.

Response. Si ces Messieurs me demandent, Monseigneur,
pourquoy, voyant le Turc arborer son Croissant
dans l’Italie, & eriger les statuës de Mahomet sur
les ruïnes du Crucifix. Vous n’auez pas fait la paix pour
rendre de glorieux seruices à toute la Chrestienté, puis
que nos Roys estans les Fils aisnez de l’Eglise, doiuent
secourir les premiers, & Fils aisnez de l’Eglise, doiuent
secourir les premiers, & l’ont fait lors qu’ils estoient en
âge d’estre maistres de leurs actions ?

le Cardinal. Pour cét effet il nous falloit la paix, &
ie vous ay dit que ce n’estoit aucunement l’interest de la
France de le faire. Mais vous seriez bien estonné si ie
vous disois entre vous & moy, que c’est moy qui a porté
le Turc à armer contre les Venitiens.

Response. Hé pour quelle raison, Monseigneur ?

Le Cardinal. Pour subuenir aux maux qui affligent
maintenant la France.

Response. Et comment cela ; Monseigneur ?

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le Cardinal. I’ay remarque que tous les grands fleaux
de la guerre sont venus du North, comme Attilla, le
Roy de Suede, Mansfeld & les autres, selon le vieux
Prouerbe, Omne malum ex Aquilone. Ores preuoyant
par le naturel ingrat des François, & par les inspirations
que Dieu donne aux grands hommes pour le soin de
leur conseruation, que la France me traitteroit vn iour
comme elle me traitte à present, apres tant de signalez
seruices que ie luy ay rendus, i’ay voulu obliger les
Polonois, en les deschargeant du Turc que i’ay inuité
ailleurs, & par ce moyen i’ay mesme obligé le Turc, en
luy facilitant les moyens de venir à bout de ses ennemis
les Venitiens. Vous voyez comme les Polonois me seruent
desia pour me vanger des Parisiens, s’il en est besoin
le Turc est prest pour me rendre mesme seruice.

Response. Monseigneur, voila comme il fait bon
obliger tout le monde. Mais, Monseigneur, on vous
dira que tout cela est bien preiudiciable à toute la Chrestienté,
& particulierement à la France.

le Cardinal. Que la France ne me laisse-t’elle viure
en repos ? I’aime mieux que toute la terre perisse, que
non pas que ie descende d’vn seul degré du faiste de la
grandeur, où mon merite & mes bons seruices m’ont
esleué.

Response. Mais la Charité Chrestienne, Monseigneur ?

le Cardinal.Mais la Charité politique, Monsieur ?
I’ay encore vne autre raison qui m’oblige à me bien
mettre auec le Turc. C’est que deuant vn iour tenir le
Siege de Sainct Pierre, ie seray voisin du Turc, & vous
sçauez qu’il fait bon estre en amitié auec ses voisins.

Response. Quoy le Chef visible de l’Eglise, le Lieutenant
de Dieu sur terre, faire alliance & amitié auec
l’ennemy du Christianisme ?

Le Cardinal. Ie seray ennemy du Turc entant que
Chef de l’Eglise, mais ie seray son amy entant que Prince
temporel.

Response. Quittons s’il vous plaist l’Italie, Monseigneur,

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& passons par la France, pour aller en Allemagne
voir comme vous trauaillés à la Paix, & en Flandres
comment vous mesnagez les affaires de la guerre.
Ils me demanderont sans doute, pourquoy ces ballets
dans la plus grande necessité du siecle ?

 

le Cardinal. C’est à cause de cette necessité que ie faisois
toutes ces machines & ces ballets. N’auez vous iamais
veu sur la place Nauone, & mesme sur le Pont-neuf
comme les filous se separent ? & qu’il y en a vne
partie qui occupe les yeux & les oreilles du peuple par
des spectacles bouffons, & des chansons lasciues, tandis
que les autres leur coupent la bourse, & font des querelles
d’Allemand pour voler quelque manteau ; Ie les
imitois dans cette vrgente necessité des affaires, & attachant
les esprits, les yeux & les oreilles du peuple à ces
belles inuentious, qui le tenoient d’autant plus attentif
qu’elles luy estoient nouuelles & estrangeres, ie tirois
de l’argent de la bourse pour subuenir aux affaires de
l’Estat ; & faisois accroire aux vns qu’ils auoient mangé
le lard, afin d’en tirer de grandes sommes pour se reconcilier
auec moy ; & aux autres, pour auoir pretexte
de confisquer leurs biens.

Response. Mais, Monseigneur, ces machines coustoient
de l’argent.

Le Cardinal. Il faut donner vn œuf pour auoir vn poullet,
& puis cela estoit glorieux à la France, qu’au fort de
la guerre, elle eust encore de l’argent mignon pour des
diuertissmens, que les autres Princes auroient peine à
payer durant la paix I’estois aussi bien aise d’obliger la
Nation Italienne. Et pour vous confesser la verité, i’aime
ces diuertissemens là plus que toutes les choses du
monde.

Response. Le Mareschal Gassion, qui auoit pris les
affaires si fort à cœur, pestoit bien contre cette despense
inutile, tandis que les Armées du Roy déperissoient
faute d’argent.

le Cardinal. Il alloit trop viste en besongne, il falloit
conseruer l’importante egalité, iamais mort ne m’a tant

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rauie que celle de cét homme-là. Les Huguenots le regardoient
desia comme vn Chef de party, qui eust est é
capable de releuer cette engeance que nous detestons si
fort en Espagne & en Italie Si i’eusse regné encore vn
peu plus long temps, ou bien si ie remonte sur ma beste,
i’en veux exterminer la race ; Car mon ambition estant
d’estre vn iour Pape, mon interest veut que i’estouffe
ces monstres qui pourroient bien m’oster mes droits, &
en France & ailleurs, comme ils ont desia fait en beaucoup
d’endroits.

 

Response. Monseigneur, le sujet de la Comedie musicale,
ou musique Comique, ou recitatiue, comme vous
la nommez en Italie, ne se rapporte pas mal à vostre
dessein & à l’estat des affaires.

Le Cardinal. Comment cela ?

Response. Il me semble que sous la mithologie agreable
de la fable d’Orphée,

<p>Le Cardinal. Ie vous entends ; Vous voulez dire que
j’estois le veritable Orphée de la piece, & que i’amusois
les bestes de France par les doux accens de ma lyre.

Response. Ouy, Monseigneur, mais vous sçauez
qu’Orphée fut deschiré par les Bacchantes ; Dieu
veüille que vous ne ressembliez pas à Orphée en ce
poinct-là. On dit que les vefues des Seigneurs que vous
auez fait perir, vous veulent deschirer de leurs propres
mains.

Le Cardinal. Nous les appaiserons en leur donnant
d’autres maris, qui vaudront bien les premiers, par les
charges & emplois que nous leur donnerons pour appaiser
les manes des defunts.

Response. Et toutes ces harangeres de Paris & crieuses
de vieux chapeaux, qui plus proprement se peuuent
comparer à des furibondes, que ces vertueuses & desolées
Dames ; Comment pourrez-vous éuiter la fureur
de leurs orages.

FIN.

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Anonyme [1652], LES CONFERANCES DV CARDINAL MAZARIN AVEC VN DE SES PLVS GRANDS CONFIDENTS, TENVES A S. DENIS EN FRANCE auant son depart, I. Il represente toute l’histoire de sa vie, depuis son arriuée en France iusques à present. II. Les trauerses qui luy sont arriuez, tant par Messieurs les Princes, que des iugemens contre luy rendus par Messieurs de Parlement. III. Les deffences qu’il a exercée, & exercent contre ceux qui luy en veulent. Ensemble les responses du Confident du Cardinal Mazarin, luy representant les malheurs qui luy pourroient arriuer cy-apres, sur toutes les articles par luy proposée en ces rencontres. , françaisRéférence RIM : M0_746. Cote locale : B_11_35.