Anonyme [1649], EPILOGVE, OV DERNIER APPAREIL DV BON CITOYEN, Sur les miseres publiques. , français, latinRéférence RIM : M0_1264. Cote locale : A_3_35.
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EPILOGVE,
OV DERNIER APPAREIL
DV BON CITOYEN,
sur les miseres publiques.

COMME ie n’ay pas tant d’horreur de la pierre qui
m’est iettée, que i’ay de ressentiment contre celuy
qui me la iette ; ie n’ay point tant d’auersion contre
celuy qui me blesse, & qui n’y pense pas, comme i’en
ay contre celuy qui le conseille à me mal faire, &
sans les suggestions & impulsions duquel, ie ne receurois
point de tort. Ie pardonne tres-volontiers au Prince sous la
domination duquel la prouidence de Dieu m’a reduit, toutes les
charges & impositions qu’il me fait souffrir, par la creance que i’ay
que ce mal ne m’arriue pas de son gré, & de son inuention : mais i’ay
vn grand ressentiment contre le donneur d’aduis, & le mauuais
Conseiller, qui me met à rançon, & qui me persecute. Ie regarde
mon Roy, ie le choye, & le respecte, comme vne personne sacrée :
Mais i’ay en horreur le barbare Officier qui me tyrannise ; c’est pourquoy
ie fais tout ce qui m’est possible pour éuiter le coup dont il me
veut frapper : Ie me soustrais, ie m’enfuis, & si ie ne puis eschapper,
ie pare, & me defens le plus accortement que ie puis : Ie ruse en
fin, & ie me sauue par les faux fuyans, & par les equiuoques, quand
ie n’ay plus d’autre refuge : ayant ouy dire assez souuent qu’il est loisible
de frauder la Gabelle, principalement quand elle est excessiue.
Et neantmoins parce que cette leuée se fait sous le nom, & par l’authorité
du Prince ; le particulier qui tascheroit d’y resister par vne

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voye de fait, commettroit vne rebellion. Mais autre chose est quand
tout le peuple par vn mouuement, & par vn interest commun se
sousleue contre l’oppression ; car alors ce n’est plus vne rebellion, &
vne desobeyssance, c’est vn procez, dont la contestation se forme par
vne guerre, & la decision s’en fait par le sort des armes selon la volonté
de Dieu, qui est le souuerain du Roy & du peuple, & le dernier
Iuge d’appel. On demandera, & on trouuera estrange, comment il
se fait que ce qui est rebellion, & desobeyssance à vn particuliér,
quand il est entrepris par tout vn peuple, deuient vne guerre legitime,
veu que le plus ou le moins, selon la Philosophie, ne change pas
la substance. Il faut respondre que cette maxime est vraye aux choses
physiques, mais elle reçoit explication aux morales & politiques.
Et premierement toute desobeyssance n’est pas rebellion. Si le Prince
ou son Ministre ordonne quelque chose qui soit contre la loy de
Dieu ; le refus d’y obeyr n’est ny rebellion, ny crime : au contraire ce
seroit vn crime que d’y obeyr. Sperne potestatem, timendo potestatem, dit
sainct Augustin : C’est à dire, Tu peux impunément, voire mesme tu
dois mespriser le commandement de la puissance humaine pour satisfaire
à celuy du Tout-puissant. Secondement, si le Prince te fait
vn tel commandement qui de soy n’est pas contre la loy de Dieu,
mais neantmoins il est iniuste, parce qu’il est excessif : en ce cas-là c’est
le Prince qui peche, parce qu’il agit contre la loy de Dieu, qui
l’oblige à faire iustice : mais toy en l’executant tu n’offenses pas ; au
contraire tu en fais exercice de patience : Or cette patience est loüable,
& la resistance que tu ferois au contraire, seroit inutile, seroit de
mauuais exemple, & te seroit prejudiciable. En ce cas-là il faut que
tu obeisses : & le Magistrat qui agit sous l’authorité du Prince, ty
peut contraindre par amendes, par peines & emprisonnemens. Et
quoy que l’imposition soit excessiue & iniuste en soy, neantmoins
par relation au repos public que tu ne dois pas troubler par ton impatience,
il est iuste que tu subisses. Mais si la charge & la coruée est
vniuersellement imposée sur tous les habitans du païs, & que ne la
pouuans plus supporter, ils se resoluent de la refuser, & qu’en vengeance
de ce refus on procede contre eux par outrages & guerre declarée,
qu’on les affame, qu’on les massacre, qu’on viole leurs femmes
& leurs filles : La nature alors s’esleue contre le pretendu droict
ciuil, dont le Prince se veut préualoir, & presente le Bouclier de la

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defense legitime contre la force & la violence, Vim vi de fendere omnes
leges, & omnia iura permittunt. Car alors le respect estant perdu de la
part du peuple, & le Prince s’estant despoüillé de toute charité,
& ne rendant plus iustice ny protection, la liaison mutuelle est
dissoute ; il n’y a plus ny Prince ny subjects, & les choses sont reduites
à la matiere premiere. Alors il arriue que la forme du gouuernement
se change totalement, car ou la Monarchie passe en Aristocratie,
ou en estat populaire : ou bien si les peuples ne sont pas entierement
dégoustez de la Royauté, ils la transferent à vne autre famille,
ou ils se sousmettent à vne autre Nation plus puissante, & reglée
par de meilleures loix. Ainsi les Hollandois se mirent en estat populaire ;
ainsi les villes subjetes aux Cheualiers Teutoniques se donnerent
au Roy de Pologne. Voila les extremitez où les violens Conseillers
& les Fauoris reduisent les Princes & les peuples. Que deuiennent
donc tous ces commandemens de sainct Pierre & de sainct
Paul, si expres & si reïterez dans le nouueau Testament, de l’obeïssance
qu’il faut rendre aux puissances superieures ? Les Docteurs respondent
facilement à ces passages : le principal desquels est le 13. chap.
de l’Epistre aux Romains. Ils remarquent que sainct Paul escriuoit
sous Neron qui dominoit tout ce grand Empire Romain, dans lequel
les Chretiens ne faisoient qu’vne petite poignée d’hommes, lesquels
estant persuadez de la liberté de l’Euangile, & comme ils
n’estoient plus sous la seruitude de la Loy ancienne, pouuoient pretendre
& se faire accroire qu’ils n’estoient plus obligez à l’obeïssance
des Princes seculiers. Pour cette raison l’Apostre prend soin de les
instruire, & de les tenir en deuoir & en sousmission : mais il ne iustifie
pas pour cela les excez & les cruautez de Neron, qui fut condamné
incontinent apres par le consentement de tout le Senat & de tout le
peuple. Et quand sainct Pierre commande aux seruiteurs d’obeïr à
leurs Maistres, etiam [1 mot ill.] ce mot signifie seulement quand ils sont
moroses & de mauuaise humeur ; autre chose est quand ils tuent, &
qu’ils massacrent, alors cette obligation n’est plus dans ses bornes.
Alors la nature se declare, & prend la defense legitime pour elle-mesme,
& foule aux pieds le pretendu droict ciuil, en la mesme
sorte que font ces Lyons appriuoisez, quand ils ont souffert de leurs
maistres quelque grãd outrage, qui les met au bout de leur patience,
& de leur docilité. C’est ce qui vient d’arriuer depuis nos iours dans

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plusieurs Prouinces de l’Europe. Or il ne faut point aller à Delphes
pour sçauoir qui a poussé les Princes dans ces precipices, & qui leur a
bãdé les yeux pour ne les pas apperceuoir. Ce sont les infideles Conseillers,
& les patrõs de l’authorité absoluë. Vne dominatiõ moderée
n’est point subjete à ces accidens, & si elle reçoit quelque atteinte,
c’est par l’attaque du dehors ; car par elle mesme & de son estoc, elle
est presque immortelle, ne plus ne moins qu’vn corps bien temperé,
& sobrement nourry, qui de soy ne forme ny fiévre ny abcez, & qui
ne peut estre endommagé que par les accidens estrangers. Qu’heureux
seroient les peuples, & qu’heureux seroient les Roys si on pouuoit
purifier leurs Cours de la contagion de ces pestes. Or cela n’est
pourtant pas impossible, car nous sçauons qu’il y a des Royaumes en
l’Europe, où le nom de Fauory n’est non plus en vsage que la chose.
Pourquoy la France, l’Espagne, & l’Angleterre ne s’en pourroient-ils
pas bien passer ? Mais puis que cette maudite engeance est si opiniastre
à nous affliger, & qu’ils ne veulent pas démordre ny se destacher
de nostre peau, quoy qu’ils regorgent de nostre sang : soyons
de nostre part perseuerans à nostre legitime defense, & taschons d’en
dégouster & desabuser nos Roys & nos Reynes qui les protegent.
Or voicy, Dieu mercy, le temps acceptable pour ce bon œuure en
cette sainctes semaine : voicy les iours de salut, & peut-estre que le
nostre est plus prochain que nous ne pensons pas. Il y a apparence de
croire que Messieurs nos Princes donneront quelque quart d’heure
à leurs Confesseurs, & peut-estre que ces bonnes gens auront bien le
courage de leur auancer vne verité en secret, puis qu’ils n’ont osé
iusques à present la prescher en public. Ils verront neantmoins vn
iour s’ils seront bons marchands de leurs discretions & circonspections
trop timides. Quant aux fauoris & fauteurs de la puissance absoluë,
il ne leur faut pas tant de respect, nous auons assez de qualité
& de charactere pour leur parler du pair. Que si leur orgueil les empesche
de nous escouter, nous sommes contens de n’en estre pas
creus, mais nous leur produirons les aduis des sages anciens, selon
que la memoire nous les fournira. Et premierement Polybe leur apprendra
qu’il faut faire vne notable difference entre la Monarchie &
la Royauté. La Royauté c’est vne puissance legitime déferée par la
volonté & le choix du peuplé. La Monarchie c’est vne puissance
violente qui domine contre le gré des subjets, & qui les a sousmis

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contre leur gré. La Royauté se gouuerne par la raison, la Monarchie
à discretion, & selon la conuoitise du commandant : La fin de la
Royauté c’est l’vtilité commune : La fin du Monarque c’est la sienne
particuliere. Aristote le Roy des esprits & du raisonnement humain,
dit que le gouuernement monarchique, c'est à dire d’vn seul, est bestial
comme celuy du Roy des abeilles, qui les regit sans conseil.
Que la Royauté c’est vn gouuernement propre des hommes, qui s’administre
par conseil & par communication de l’aduis des personnes
bien sensées. Ciceron le Prince des Philosophes Latins aussi bien que
des Orateurs, dit apres Aristote, & auec le consentement de tous les
Politiques, que les peuples ont esleu les Roys pour leur faire iustice,
& pour les proteger ; Pour cet effect qu’ils ont choisi les plus vertueux
& les plus sages : Et quand Ciceron, Polybe, & Aristote ne l’auroient
pas dit, peut-il entrer dans le sens commun qu’on en aye peû vser
autrement ? Ces mesmes grands Genies nous disent que les gouuerneurs
des peuples & des Republiques soient-ils Roys, Empereurs,
Electeurs, Consuls, ou qualifiez de tels autres noms qu’on voudra,
ne doiuent point estre considerez autrement que comme sont les tuteurs
à l’esgal de leurs pupilles. Vt tutela, sic procuratio rei publicæ, ad
eorum vtilitatem qui commissi sunt, non ad eorum quibus commissa est,
referenda est. Cic. lib. 1. Officiorum. Cet oracle est si vtile, si beau, &
d’vne verité si indubitable, qu’il deuroit estre escrit dans tous les
Palais des Princes, dans tous les Auditoires de Iustice, & dans toutes
les Chambres du Conseil public. Fabius Maximus, au rapport
de Tite-Liue, sur ce que le ieune Scipion vouloit passer son armée
en Afrique contre le consentement du Senat, auança son aduis en
ces termes ; I’estime, Peres Conscripts, que Scipion a esté creé Consul pour
le bien de la Republique, & pour le nostre, & non pas pour le sien particulier.
Le mesme se peut dire de tous ceux à qui on donne le commandement
pour gouuerner vne nation, de quelques noms qu’ils soient
honorez. Et comme ce Consul ou ce Dictateur est obligé d’agir & de
regir par iustice pendant son année, ou ses six mois ; le Roy pareillement
est obligé d’administrer iustice pendant tout le cours de sa
vie & de son regne. On ne les a iamais esleus sous d’autres conditions :
& il ne peut pas tomber dans le sens de qui que ce soit, que
iamais vne Communauté, pour barbare qu’elle aye pû estre, se soit
formé vn Chef pour en estre affligée & gourmandée. Cela estant

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ainsi, de quelque date que soit l’origine d’vne Monarchie, elle ne
peut pas prescrire la liberté de la nation qui luy a donné l’estre & le
commencement. C’est vne maxime indubitable en Droict, que les
gens de robbe ne doiuent pas ignorer que, Nemo potest sibi mutare
causam [1 mot ill.]. Hue Capet fut esleu par les Estats de France pour
regner equitablement, & suiuant les loix du paїs ; il en fit le serment
solemnel lors de son sacre ; Il a par consequent transmis le Royaume
à sa posterité, à cette mesme condition. Si Louys XI. a entrepris
quelque chose au delà, il a peché contre son deuoir, & contre son
tiltre : & les Estats tenus à Tours sous Charles VIII. son fils, ont esté
bien fondez à remettre les choses en leur premier estat, & dans les
bornes de l’equité. Les Rois qui ont suiuy depuis, se sont maintenus
dans vne louable moderation. Louys XII. a merité le nom de Pere
du peuple. Henry IV. nourry dans la licence des guerres, hors de la
discipline de la vraye Religion, attaqué par les armes, irrité par les
plumes, diffamé par vn million d’inuectiues, estant paruenu en fin à
la Royauté, il s’y est comporté si legalement, qu’il n’a iamais fait
bresche à aucune loy fondamentale de l’Estat, n’a iamais contraint
aucune Compagnie de Iudicature, n’a pas mesme molesté aucun
particulier de ceux qui les composoient, iusques là que pour faire
passer l’Edict de Nantes, il prit soin d’honorer le President Seguier
de l’Ambassade de Venise pour éuiter sa contradiction. Nous sçauons
encore que s’estant échappé à quelque parole vn peu dure contre
le President de Harlay, il le renuoya querir dés le lendemain pour
luy en faire des excuses. C’est pour cette raison, plustost que pour ses
exploits militaires, que nous luy auons donné le tiltre de Grand ; &
ce fut en cette veüe qu’on mit sous son pourtraict (ie pense que ce
fut le Cardinal du Perron :)

 

 


Ce grand Roy que tu vois, de sa guerriere lance
Subjugua ses subjets contre luy reuoltez :
Mais d’vn plus braue cœur, quand il les eut dontez,
Luy-mesme se vainquit, oubliant leur offense.

 

C’est ce modele que le Mareschal de Villeroy deuroit faire voir à
son disciple, & non pas des exemples d’authorité absoluë, que les
Grecs appelleroient tyrannie. Quant à cette clause imperieuse laquelle
on a coustume d’apposer à la fin des Ordonnances & Lettres

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Royaux, Car tel est nostre plaisir, c’est vne legere objection, de laquelle
neantmoins tous les autres peuples nous font reproche, cõme
de la marque de nostre esclauage. Mais ceux qui sont tant soit peu
intelligens dans nos formalitez, sçauent que ces termes ne signifient
autre chose, sinon, Tale est placitum nostrum, Tel est nostre aduis, Tel est
l’aduis de nostre Conseil ; il dépend puis apres des Parlemens ou des
autres moindres Iuges d’examiner la iustice de telles Lettres, & de
les verifier si elles sont trouuées legitimes & raisonnables. Mais de
penser que ce mot de Car, soit vne causatiue, qui influë vn charactere
d’authorité aux Lettres, & qui tienne lieu d’vne raison ineluctable,
il n’y a point d’apparence ; & la pratique des Iurisdictions ordinaires
y resiste, qui refuse tous les iours des Lettres munies & fermées de
cette clause : Et c’est ce Car là qu’on pourroit iustement abandonner
à la correction des Docteurs de l’Academie, non seulement
comme inutile, mais comme de pernicieuse consequence. Or la premiere
Ordonnance où nous trouuons qu’il a esté mis en vsage, ç’a
esté celle de Charles VIII. de l’an 1485. par laquelle il defend les
habits d’or & de soye aux gens de moindre condition, & les reserue
pour la Noblesse : A la fin de cette Ordonnance il y adiouste : Car tel
est nostre plaisir. A la verité on ne peut pas dire que le Royaume de
France se peust plaindre d’vn tel Edict, & on pourroit bien le pardonner
à ce Roy-là, quand il n’auroit pas allegué d’autre raison : C’est
vne des confusions de nostre siecle, que les gens de neant s’habillent
& se meublent aussi somptueusement que les Princes, & qu’ils ne
leur laissent aucun discernement : Et ce n’est pas simplement vne
faute de bienseance que le luxe, mais c’est l’origine de toutes les
concussions, & de tous les vols publics.

 

Reuenons à cette Puissance Absoluë, & disons qu’elle n’est pas
compatible auec nos mœurs, soit Chrestiennes, soit Françoises ; Il
ne faudroit plus d’Estats ; il ne faudroit plus de Parlemens ; il faudroit
abolir le sacre de nos Rois, & le serment qu’ils font sur les sainctes
Euangiles, de rendre iustice, d’empescher les exactions, & de traiter
leurs subjets auec équité & misericorde : ce sont les propres termes
de la formule de leurs sermens. Nous n’auons pourtant pas faute
d’Escriuains, qui par le tiltre de leurs offices, & pour se monstrer extremement
fiscaux, portent cette authorité absoluë au delà de toutes
bornes, iusques à soustenir que les Rois peuuent dispenser de la

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Simonie : Mais ce qu’ils en ont dit, soit en plaidant ou en escriuant,
ç’a esté par vn zele de party, les vns pour refuter les premiers Huguenots,
qui vouloient mettre l’Estat en Republique ; les autres
pour s’opposer aux attentats & pernicieuses maximes de la Ligue.
Et au lieu de se tenir dans les opinions moderées, ils se sont iettez
aux extremitez, en attribuant aux Princes plus de pouuoir qu’il ne
leur est expedient d’en auoir pour leur propre seureté. Bodin en sa
Rep. 1. 2. ch. 3. pense beaucoup dire, & croit que c’est vne grande
bonté aux Rois de se sousmettre aux loix de la nature : Quant aux
loix ciuiles, il estime qu’ils sont releuez par dessus d’vne grande
hauteur : C’est dans ce chapitre où il est si temeraire de qualifier
d’impertinence le discours d’Aristote, sur la diuision qu’il fait des
differentes Royautez, au 14. chap. du 3. 1. de ses Politiques. Mais
en cette partie, c’est vn indiscret zelé, & qui n’est pas demeuré sans
replique. Cujas, (qui viuoit du mesme temps) auec beaucoup
moins d’affectation, & beaucoup plus grande cognoissance, a escrit
vne decision capitale sur cette matiere, en ces termes, Hodic principes
non sunt soluti legibus, quod est certissimum, quoniam iurant in leges
Patrias ; c’est sur la loy 5. ff. de Iust. & Iure. Le Pythagore des Gaules,
le Seigneur de Pibrac, qui auoit esté Aduocat General au Parlement,
autant passionné pour l’honneur du Roy, comme équitable
aux interests du peuple, ne feint point de dire, qu’il hait ces mots
de Puissance Absoluë. Au reste, toutes ces flatteries d’Orateurs qui
font des Panegyriques aux Empereurs, toutes ces paroles de braueries
que les Poëtes mettent en la bouche de leurs Rois de Theatre,
ne sont pas des authoritez considerables pour establir cette
puissance excessiue ; au contraire, ce qui est prononcé par vn Atreus,
vn Thyestes, ou vn Tibere, doit estre abhorré par vn bon Prince : Il
faut plustost prendre langue & instruction des Philosophes, qui
auancent leurs maximes en cognoissance de cause, & sur des fondemens
de raison & d’équité. Or on n’en trouuera aucun qui approuue
cette puissance sans limites : L’vn veut qu’il y ait vn Conseil
composé de gens experimentez ; l’autre veut qu’il y ait vne loy dominante,
dont le Prince ne soit que l’executeur & le ministre. L’empire
de la loy, dit Aristote, c’est quelque chose de diuin, de permanent,
& d’incorruptible ; l’empire absolu de l’homme seul est
brutal, à cause de la conuoitise, & de la fureur des passions, ausquelles

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les Princes sont sujets, aussi bien & plus que les autres hommes.
Nos aduersaires objectent & disent, Si celuy qui commande
est reglé & circonscrit par les loix, s’il est attaché à des gens de
Conseil ; ce n’est plus vn Roy, ce n’est qu’vn simple Magistrat.
Nous répondons que nous ne disputons pas du nom, ny des termes,
mais que nous trauaillons à la definition & à l’establissement solide
& legitime de la chose. Ce que nous appellons Roy en France, en
Allemagne c’est vn Empereur, en Moscouie c’est vn Duc, à Constantinople
c’est vn grand Seigneur : Mais par tout, de ces Seigneurs,
de ces Empereurs & de ces Rois, les peuples en attendent iustice,
protection & soulagement. En quelques endroits les Rois joüissent
d’vne pleine souueraineté ; En d’autres ils ne sont que feudataires ;
les vns & les autres obligez de rendre iustice : Il y en a
qui sont électifs ; Il y en a de successifs ; mais tous également obligez
à rendre iustice, & à regir en équité. Pour cet effet ils ont des
Officiers & des Gardes, tant pour l’execution de leurs volontez,
que pour la conseruation de leurs personnes : encore est-il fort à
considerer que ce nombre de Gardes qu’on leur donne, doit estre
limité & moderé pour deux respects ; d’vn costé, afin qu’ils soient
plus forts que les particuliers, pour les tenir en deuoir ; & de l’autre,
afin qu’ils ne soient pas trop puissans pour opprimer toute la Cité.
C’est le temperament & les précautions que baille le grand Aristote,
dont l’authorité est preferable à celle des supposts de la domination
violente. Au reste, on peut apprendre de ce sage Philosophe,
& l’experience nous le monstre, qu’autant qu’il y a de nations
diuerses, autant y a-t’il de differentes formules de gouuernement,
selon lesquelles elles ont estably leurs Souuerains en leur imposant
des noms selon leurs diuers langages. Mais toutes ces nations conuiennent
en ce principe, à ce que iustice leur soit administrée. Toutes
les autres qualitez sont accidens & circonstances : la Iustice fait
le corps & la substance de la Royauté ; c’est celle qu’on a requise en
la creation des premiers Rois, lors qu’on les a esleus. Deus iudicium
tuum Regi da ; c’est celle qu’on demande pour les Rois successifs,
& iustitiam tuam filio Regis. C’est en fin, apres le salut de nos ames,
le vœu & le souhait le plus necessaire que nous puissions faire pendant
la solemnité de ces sainctes Festes.

 

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