Anonyme [1649], LES DOVCEVRS DE LA PAIX, ET LES HORREVRS DE LA GVERRE. , françaisRéférence RIM : M0_1173. Cote locale : A_3_22.
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LES
DOVCEVRS
DE LA PAIX,
ET LES HORREVRS
DE LA GVERRE.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë saint Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LES DOVCEVRS DE LA PAIX,
& les horreurs de la Guerre.

LA Guerre en ses fureurs est si contraire à la
nature, qu’elle n’engendre point d’estre qui
ne la craigne, & qui ne s’efforce de l’euiter.
Cette antipathie qu’elle a logé dans quelques-vns
des plus insensibles mesmes, ne les
pousse naturellement qu’à se fuïr, & c’est par vn mouuement
violant & extraordinaire qu’ils vont quelquesfois au
combat. Les plus vaillans & les plus raisonnables des animaux
(si ie puis parler en ces termes) n’entrẽt dans la mélée,
& ne s’exposent aux fers & aux flammes qu’en fremissant.
On a veu de ces hommes lions parmy les coups, & rouges
de feu dans les perils, qui pourroient glacer les plus fiers
courages ; trembler depuis les pieds iusques à la teste en y allant.

C’est la nature qui s’abat quoy que l’ame s’éleue, & qui
montre sa crainte malgré la hardiesse de l’esprit qui la sollicite.
C’est la partie inferieure qui s’intimide à mesure que
la superieure s’anime. C’est la chair & le sang, le corps cette
partie sensible & corruptible, à qui les douleurs sont si ameres,
& la mort est si effroyable qu’elle ne fuit que ce qui l’en
approche, & ne desire que ce qui l’en peut éloigner.

Ce n’est pas que l’ame generalement & des animaux, & des
hommes ne craigne la mort, aussi bien que le corps. Estant
la forme dont il est la matiere, leur vnion & l’amour estroite
qui se rencontre entre l’vn & l’autre, leur donne vne extreme
auersion pour tout ce qui les peut desunir. Celle des
brutes apprehende la perte de la vie, parce quelle perit par
le mesme effort qui fait perir le corps, auquel elle vit en l’informant,
& sans lequel comme elle est toute materielle, elle

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ne sçauroit subsister. Celle des hommes outre ces considerations
generales, & ces frayeurs si violantes & si naturelles ;
regarde la mort auec des horreurs, qui ne sont pas
moins estranges pour luy estre particulieres. Quand elle apperçoit
cet obiet effroyable, elle se souuient incontinent
des crimes qu’elle a commis, & de cet arrest irreuocable
de la Iustice diuine, qui condamne l’homme
pecheur à mourir. C’est ce qui fait que les hommes les plus
perdus dans leurs vices quant ils vont au combat, sentent
se ioindre aux frissons du corps, les troubles & confusions
de l’ame, & redoubler tout à la fois la cheute qui precipitant
de la vie au tombeau iette encore du tombeau dans
l’abysme. Ceux mesmes qui n’ont pas des frayeurs si profondes,
& qui esperans en la misericorde diuine, souhaittent de
passer cette perilleuse carriere ; ne laissent pas de sentir quelques
terreurs se méler parmy leurs desirs. L’image du trépas
les trouble, & quoy que toute la rigueur en soit ostée, pource
que sa laideur demeure, & qu’il porte tousiours imprimées
les marques de l’ire de Dieu ; il effraye & met d’abord
en allarme les plus saints & les plus genereux esprits. Iesus-Christ
mesme semble en auoir apprehendé les approches, &
par vn si fameux exemple auoir voulu en iustifier les sentimens,
puis que luy mesme les auoit soufferts.

 

Si la mort donc cause des craintes si vniuerselles, & qu’elle
ne regne en nulle autre occasion si souuerainement qu’en
la guerre. Qui pourroit ne pas hayr ce furieux & ce boüillant
exercice ; où l’on void terriblement marcher de toutes
parts, cette fatale meurtriere, & cette ennemie irreconciliable,
de laquelle il est si difficile d’échaper, lors mesmes
qu’elle ne semble pas courre apres nous. Qu’elle ame auide
de sang & de carnage, ne fremiroit pas dans ces occasions
ou le trépas se rencontre à la pointe de l’espée, des picques,
des halebardes, ou il vomit sa fureur par la bouche des pistolets,
des mousquets, & des canons ; où l’on void éclatter sa
rage aux bombes, aux mines & aux grenades. L’air, la terre,
& la mer en tremblent bien souuent, & quelquesfois les
nuës de crainte en sont dissipées.

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Et certes quant la guerre n’auroit autre tiltre que de
fleau de Dieu, elle est assez effroyable par cet epithete terrible.
C’est vne chose horrible de tomber aux mains du
Dieu viuant, dit l’Apostre ; quand il n’y auroit que le seul
penser sans la chose, qu’elle asseurance humaine pourroit
tenir bon en la presence de l’image d’vn objet si formidable
& si menaçant ? mais ces menaces ne sont pas de vaines
idées, l’effet suit la cause qui l’a precedé ; le coup succede
à la parole ; & le foudre éclate & rompt l’air en milles pieces
aussi tost que l’éclair est passé. Rarement voyons-nous
les armes en pratique, que nous n’apperceuions incontinent
toutes sortes de maux en vsages. La guerre traine apres
elle vne infinité de miseres, de mesme que le corps traisne
son ombre, la famine & la peste luy sont de fatalles suiuantes,
qui ne l’abandonnent que rarement ; les incendies, les
meurtres, les violences extremes, & les ruines épouuantables
sont tousiours à sa suite. Nous en auons de si fameux &
de si deplorables exemples dans l’antiquité, qu’il est bien
mal-aisé d’ignorer encore ces sanglantes rigueurs. Troye la
grande qui vit ces pompes enseuelies dans les flãmes grecques.
Rome la genereuse qui fut vn iour la proye pitoyable
de celles des Gaulois, & Carthage la superbe, que celles des
Romains abismerent dans ces propres cendres. Toutes les
cités qui furent, & qui ne sont plus ; tous les Empires qui
ont diuersement senty la reuolution des siecles, & la furie
des armes ; toutes ces choses nous crient du tombeau qui
enseuelit tout dans son ombre, de qu’elles rigueurs la guerre
a tousiours accompagné l’execution de ces entreprises ?
Sans aller si loin dans les siecles passés, le present ne nous le
fait-il pas assez remarquer ? combien depuis vingt-ans a-t’on
veu souuent l’Allemagne fumer du sang encore tout chaud
de ses habitans, & du feu des incendies qui a desolé ses plus
belles contrées ? combien a-t’on veu chez elle d’habitations
renduës desertes, combien de chasteaux demolis, combien
de maisons abattuës, & combien de familles ruinées.

Le demon de la guerre à n’en point mentir, est vn monstre
bien cruel & bien capricieux, & ie ne m’estonne pas de ce

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que Dauid aima mieux tomber en la main de Dieu, qu’en
celle des hommes ; & estre accablé des fleaux ineuitables du
ciel sans resistance, que d’auoir à craindre ceux de la terre
en resistant. Il iugea sagement ce Royal Prophete, quant il
prefera les coups du Tout-puissant à ceux là de ses ennemis,
& qu’il eut en plus grande horreur les suites d’vne guerre
de six mois de la part dés hommes, que tout autre chastiment
qu’eust merité le crime qu’il auoit commis.

 

Car les hommes de fait ne sont plus hommes, & semblent
perdre l’humanité dans la guerre. Nous l’auons veu tout autour
de Paris depuis nos funestes desordres, ce peu de temps
a destruit & mis au neant l’ouurage de plusieurs années.
Toute la campagne est vn funeste theatre, ou la rage de Mars
s’est baignée dans le sang, s’est échauffée dans les flammes
qui ont tout bruslé, & s’est ioüée des larmes, & des soupirs
de ceux qu’elle a persecutés.

Ie ne dis rien de ce que nous auons souffert dans cette ville,
nous estions pour en endurer bien dauantage, si nous
eussions voulu nous abandonner à la mercy de ce genie destructeur
que nous auons sagement éuité. Et sans mentir
Dieu a vne bonté bien particuliere pour cette monarchie, de
l’auoir retirée si heureusement du precipice ou elle s’alloit
petter. Autresfois pour donner frayeur à son peuple, il ne
le menaçoit point de fleaux plus redoutables, que de ceux
desquels il nous a guaranty. Tomber entre les mains de
leurs ennemis, & sous leurs espées estoit la crainte, par laquelle
il inuitoit ordinairement leur obeyssance. Et quand
il les mit en déroute deuant ceux de Hay, qu’il les liura en
seruitude sous la tyrannie de Sabin Roy de Hatsor, qu’il
abandonna leurs terres au pillage des Madianites, & qu’il
les exposa à la fureur des Ammonites & des Philistins,
c’estoit des coups de sa cholere que par leurs crimes ils auoient
irritée, & que par sa iustice il leur faisoit ressentir.
Coups si sensibles & si penetrans que leur malice en estoit
ordinairement surmontée, & que la dureté de leurs cœurs
s’en trouuoit tousiours ramolie.

Aussi sont-ils si estranges & si pesans, qu’vne ame est bien

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imployable, qui n’en est du tout point flechie, & vn esprit
bien fauorisé de Dieu, qui en estant abatu, respire encores,
& n’en est pas tout à fait accablé. Ce sont des verges en sa
main, dont ordinairement il corrige ses enfans en pere, mais
aussi quelquefois ce sont les instrumens de la vengeãce qu’il
exerce contre l’audace de ses ennemis. Si les Israëlites à diuerses
fois l’ont éprouué d’vne sorte, les cinq Roys & tant
d’autres infideles que Iosüé, que Debora, que Gedeon & que
Sanson ont vaincus l’ont assez éprouué de l’autre. Mais soit
qu’il nous en punisse en iuge, ou qu’il nous en chastie en pere,
nous y voyons tousiours l’image de quelque courroux
qui nous fait fremir, la menace de quelque douleur qui nous
fait trembler, & l’apparence de quelque spectacle qui nous
fait horreur.

 

Les Romains tous payens qu’ils estoient, & desquels la
grandeur n’estoit iamais si bien establie que quand ils auoiẽt
la guerre plus forte, estoient toutesfois bien aises de ne voir
point le temple de Ianus ouuert ; & Auguste luy mesme ce
grand Empereur, ne receut point de joye de ces victoires, ny
de ces triomphes ; egalle à celle-là que luy donna le Senat,
quand il ordonna sous son regne qu’il seroit fermé. Estimãt
mieux ce glorieux vainqueur de l’vniuers, vne paix qui sembloit
deuoir reboucher la pointe de sa gloire, qu’vne guerre
dans laquelle & par la quelle il se l’acqueroit tousiours si
brillante & si lumineuse.

Aussi à bien conter la paix est toute pleine de charmes, &
tout autant que la guerre est hideuse, elle est belle. Il ne faut
que faire les oppositions de l’vne à l’autre, pour connoistre
l’éclat de celle-cy par les laideurs de celle-là. L’vne a son
principe dans l’enfer, & est l’ouurage des demons de l’abysme,
& l’autre a son origine dans le Ciel, & est l’emanation
du Dieu tout clement. Tellement que ces cœurs ardans qui
ne demandent & qui n’appellent que le carnage, semblent
inuoquer cet esprit de tenebres, que S. Mathieu compare à
vn homme armé, & à vn lion rugissant. Et sans mentir ceux-là
qui ne demandent que les armes, ne ressemblent pas mal
cet animal vorace qui ne demande que la proye. Il ne faut

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pas que ces ames boüillantes se flattent, & se laissent en sor
celer par cette gloire qui ne se plante que dans la chair, ne
s’arrose que du sang & que des larmes des hommes. Cet
honneur est vn faux brillant, qui ne nous illustre pas tant
qu’il nous trope, & qu’il nous seduit. Il y a beaucoup d’ombre
dans cette lumiere, que chacun estime si éclattante & si
viue ; & quoy que veritablement il se puisse trouuer quelque
chose de bon dans ce mal ; il y faut tant de circonstances
pour le rendre tel, que rarement y voyons la vertu mesme
exempte de blasme, quand elle y rencontre des loüanges.

 

Ie ne veux point examiner les causes, ny faire vne recherche
exacte des accidens suruenus en ce nombre estonnant &
prodigieux de guerres que nos peres les plus éloignez, & que
nous mesmes auons veuës. Si seroit-ce toutesfois dans cet
examen que ie trouuerois l’esprit qui a fait tant de grands
guerriers que les siecles passez & que les nostres ont connus :
& que ie condamnerois ceux qui ont esté portez en triomphe,
& qui ont receu l’applaudissement des peuples de la
terre. Peut-estre que par ce moyen ie ferois le procez, &
conuaincrois de crime ceux à qui l’aueuglement des hommes
ont basty des temples, & ausquels mesmes les plus
Chrestiens ont dressé des autels dans leurs ames, en se faisant
de leurs idées des idoles qu’ils ont adorées dans leur
memoire.

Ceux qui ont écrit les vies, ou simplement les exploits de
ces grands, mais pour la pluspart malheureux genies, ont
quelquesfois touché les vices, que le monde prenoit pour
des vertus : & quoy qu’ils l’ayent fait legerement, ou pource
qu’ils n’en auoient pas de plus grande connoissance, ou
pour-ce qu’il est fascheux de s’opposer à vne approbation
vniuerselle, ou pour-ce mesme que la charité oblige les
Chrestiens à dissimuler les defauts du prochain : & que l’image
de cette charité qu’ont reconnu les Payens, ne leur a
pas permis de flestrir de gayeté de cœur vne reputation que
quelques combats, & quelques victoires auoient à tort ou
à droit remportée, toutesfois si peu qu’ils nous en ayent
dit, ils nous ont donné à penser le reste, & à penetrer plus

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auant dans les ouuertures de ces veritez si nous voulons.

 

Par là nous verrons que la gloire d’vn Alexandre, qui
s’estimoit estre quelque diuinité, & de tant d’autres qui
ont à force d’assassiner des hommes, de brûler des villes, de
desoler des Prouinces & des Royaumes monte à ce poinct
de grandeur, auquel on les a iugez resider, n’estoit qu’vne
fausse gloire sans fondement, & sans solidité. S’il n’y a rien
mieux à nous que cẽ qui nous est volontairement donné,
quel honneur possedoient-ils qui leur fust legitime ? puis
qu’au lieu de l’auoir receu, ils l’auoient vaillamment vsurpé,
& se l’estoient tyranniquement fait accorder, ils l’auoient
arraché de la pointe de leurs espées, & comme les
plus barbares brigans auoient assassiné des hommes pour
le leur voler.

La paix nous donne des estimes bien plus pures, & bien
moins tachées ; la gloire qu’on acquiert à sa faueur estant
sans violẽce brille d’vn éclat bien plus beau, & bien plus innocẽt ;
c’est de cet éclat dont brilloit Salomon, qui n’ayant
point esté conquis dans les batailles, mais estant vne suite
de profonde paix, luy estoit volontairement accordé par
toute la terre : Comme elle est la fille du Dieu des lumieres,
elle est vne production sans soüilleure, qui n’engendre rien
qui ne soit tres-net. Ses ouurages n’ont rien de tragique,
l’horreur, le carnage, & le sang ne la suiuent point. C’est
par elle que la nature entretient tous ses estres, dans cette
harmonie incomparable, qui donne aux sages tant de contentement
& d’amour. C’est par elle que Dieu débroüillant
le chaos & la masse premiere de toutes choses, crea tout
ce grand Vniuers. Elle est cette eternelle ouuriere qui trauaille
sans cesse, & qui enrichit le monde de ses ouurages :
autant que la guerre son ennemie l’en desole & l’en appauurit.
Tellement que nous la pouuons nommer en quelque
sorte vne diuinité, qui se plaist à produire, & qui ne se lasse
iamais de faire du bien. Sous le regne de ce Salomon qui
fut si pacifique, quels beaux ouurages ne fit-elle pas. Si
nous auions quelques restes des belles choses, qu’en ce
temps-là l’on luy vit produire, nous serions forcez de les admirer.

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Mais quoy que le temps les ait effacées, il reste encores
à nos yeux assez d’obiets, qui nous font souuenir de
ce qu’elle a tousiours esté. C’est elle qui s’accordant parfaitement
au cours de la nature, laisse le prin-temps rire, &
se resiouyr de la venuë du soleil. Elle voit les fleurs & l’herbe
naistre, & toute la campagne se peindre de l’admirable
varieté d’vn million de diuerses couleurs, elle sent de toutes
parts l’air plein des odeurs que iettent ces belles choses. Elle
entend la douce musique des petits oiseaux, qui commencent
à dancer aux chansons qu’ils entonnent eux mesmes,
elle les considere se faire l’amour, se plaindre, & tirer de
leurs poictrines les chauds gemissemẽs que leur inspire leurs
feux, & de toutes ces choses qu’elle regarde, elle les endure
auec patience ; elle ne voudroit pas auoir foulé vne fleur,
ny vne herbe, ny interrompre les ébats innocens de ces petits
animaux de l’air.

 

Elle a la mesme tranquillité en toutes les saisons de l’année ;
elle souffre à l’esté de meurir ses fruits, à l’automne
de les cueillir, à l’hyuer d’en auoir l’vsage ; elle void auec
plaisir naistre, & se perfectionner les richesses de la campagne.
Les granges & les celliers cõblez de bleds & de vins,
n’ont point de peur qu’elle leur face outrage : elle souffre
que le laboureur iouysse de sa propre peine, elle conduit
les bergers & les bergeres dans les pascages, & garde elle-mesme
leurs troupeaux, pendant qu’ils s’entretiennent &
passent le temps ; Enfin sous son regne toutes choses demeurent
dans leur splendeur naturelle, & celles que la guerre ou
quelques autres accidens ont desolées elle les restablit. En
sa domination si la campagne a esté rauagée, elle repare ses
breches à son aise ; si les villes ont esté destruites, on les void
incontinent rebastir. Si mesmes elles sont encores entieres,
elle fait de marbre comme fit iadis Auguste de Rome, ce qui
n’estoit encores que de brique. C’est à elle à qui nous deuõs
ces superbes edifices, qui annoblissent nos cités ; tout ce
qu’ont iamais eu de beau l’Egypte, l’Italie, & la Grece estoit
de son inuention ; dans les confusions de la guerre on ne
pense point à la symmetrie des bastimens. Mars ne demande

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que des faiseurs de mousquets, de picques & d’épées : aussi
n’est ce pas luy qui fait naistre au monde ces admirables artisans,
que la nature semble ne produire que pour enrichir
& pour decorer l’vniuers. Ils sont les enfans de la paix ces
illustres artistes, la guerre n’a besoin que de quelques pernicieux
ingenieurs. Les sciences non plus n’ont guere d’vnion
auec les armes, & quoy que les Poëtes nous en representent
la deesse armée ; ce n’est pas pour nous dire qu’elles
florissent les vnes parmy les autres ; mais seulement pour figurer
que c’est par le sçauoir & par la prudence que se gouuerne
la valeur. Il ne faut donc pas s’imaginer qu’encore
que les fougues de Mars se seruent de l’esprit & du sçauoir
de Minerue, il la face ny subsister, ny naistre aucunement.
Iuppiter est son illustre pere, & l’autheur de la paix est aussi
celuy du sçauoir.

 

Il n’y a donc rien d’excellent & de beau, ny de souhaitable,
iusques aux autels mesmes, qui ne soit libre dans la
paix, qui ne florisse, & qui ne rentre dans la pureté de ses
vsages, & dans la gloire de son estre. Ie dis iusques aux autels,
pour ce qu’ils fument auec plus de presse dans le calme
que dans l’orage, dans l’vn si les vœux se conçoiuent, dedans
l’autre ils s’accomplissent & s’executent. Qu’on ne
dise point que le temps de douleur est celuy de Dieu, & que
les delices amollissent le zele ; il me semble que l’ame est
bien ferme, qui parmy les frayeurs des allarmes s’éleue vers
le Ciel sans desordre. Le sentiment du mal oste beaucoup de
celuy de la deuotion, & rarement void-on vn cœur épouuanté
s’humilier auec asseurance en la presence de Dieu.
La paix nous déliure de tous ces troubles, & comme il n’y a
point de passion qui gehenne l’esprit comme la crainte,
elle nous en degage, & nous fait iouyr de cette liberté si necessaire
à ceux qui veulent s’entretenir auec Dieu, & fait
que sans estre diuertis par ce fascheux empeschement, ils
s’approchent iusqu’au pied du trône de sa Majesté.

Qu’y a t’il donc au monde d’égal à la paix, qui nous comble
de tant de biens tous ensemble. Crions, poussons nos
graces vers le Ciel qui nous l’a dõnée, lors que nous croyons
aller choir dans les plus bas abysmes de la guerre.

FIN.

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