Anonyme [1649], LES EFFETS ADMIRABLES DE LA PROVIDENCE DE DIEV SVR LA VILLE DE PARIS; OV REFLEXIONS DVN THEOLOGIEN enuoyées à vn sien amy solitaire sur les affaires du temps present. , français, latinRéférence RIM : M0_1199. Cote locale : A_3_26.
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LES EFFETS
ADMIRABLES
DE LA PROVIDENCE
DE DIEV
SVR LA
VILLE DE PARIS ;
OV
REFLEXIONS DVN THEOLOGIEN
enuoyées à vn sien amy solitaire sur les
affaires du temps present.

A PARIS,
De l’Imprimerie d’ALEXANDRE LESSELIN,
ruë vieille Bouclerie, prés le pont S. Michel.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LES EFFETS ADMIRABLES
DE LA PROVIDENCE DE DIEV
SVR LA VILLE DE PARIS.
OV
REFLEXIONS D’VN THEOLOGIEN
enuoyées à vn sien amy solitaire sur les affaires
du temps present

MONSIEVR,

Quoy que ie sçache tres bien que les deuoirs de
l’amitié requierent que l’on se rejoüisse du bon heur & felicitez
de ses amis, & que l’on prehne part dans toutes leurs
bonnes fortunes ; neantmoins, sans pecher contre les regles
de l’Apostre qui veut que la charité ne soit point enuieuse ;
vous me permettrez de vous dire, que peu s’en faut que ie ne
vous enuie le repos de vostre solitude, & vostre éloignement
de Paris en cette conjoncture si estrange. Ce n’est pas que
la face de cette Ville, soit si horrible que le bruit commun
pourroit la vous dépeindre, mais pour ne vous point mentir,
ie ne serois pas marry si par quelque heureux sort ie pouuois
me trouuer vn peu à l’escart de Paris pour quelque temps,
quand ce ne seroit que pour ne me voir pas exposé aux occasions
d’entendre tous les iours les gemissemens des pauures
Villageois, les saccagemens de leurs Villages, les incendies des
maisons, les profanations des Eglises, les violemens des
femmes & des filles, sans épargner mesme les Religieuses,

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les vols, meurtres, pillages, massacres, & autres semblables
hostilitez, que les nations barbares, ie veux dire les Allemans
& Polonois, que le Sicilien a fait venir, excercent
aux enuirons de Paris : Quis talia fando temperet lachrymis,
de maniere, que nous aurions icy assez de sujet de reciter ce
Pseaume, lors que l’Eglise Iudaïque considerant les rauages
& desordres qu’elle souffroit par l’insolence des Caldeens
ses ennemis, disoit, se plaiguant à Dieu.

 

O Seigneur ! des Nations prophanes sont venuës icy saccager nos
heritages, polluer vostre Temple, respander du sang comme
de l’eau aux enuirons de Ierusalem. Nous n’auons qu’à changer
le nom de la ville, & nous y trouuerons le suiet de la
mesme plainte & l’amentation.

Et voila les choses desquelles pour n’estre pas le spectateur,
& n’en entendre pas le bruit, ie souhaiterois d’estre vn
peu à l’escart de Paris, pour quelque temps, & pour cét effet,
estre compagnon de vostre agreable solitude, & témoin
des belles meditations que vous y formez, desquelles pour
vous obliger de me faire part, ie vous en enuoye quelques
vnes des miennes sur l’estat des affaires presentes.

Et premierement, quand ie considere l’insolente audace
du Sicilien, par laquelle, aydé de la facilité qu’il a trouuée
dans les esprits de nos Princes, s’estant éleué en vn degré
d’vne domination tyrannique & honteuse à toute la France,
auiourd’hui pour s’y maintenir, de voir qu’il ioüe à perdre vn
Estat si florissant, qu’il mette toute la France en combustion,
attaque la capitale du Royaume, veüille affamer vne si grande
Ville, faire perir tant d’ames innocentes, & sous pretexte
de quelques testes illustres à qui il en veut, qu’il ne se soucie
pas de perdre le general de toute vne ville, & d’enuelopper
dans vne mesme ruine, les innocens, auec ceux qui luy paroissent
estre coupables.

A vôtre aduis, mon cher Solitaire, ne voila pas dequoi fournir
suffisamment de la meditation à nos esprits, sur les dangereuses
extremitez, esquelles pousse les hommes, le furieux
appetit de regner, auec celuy de la vengeance. Autrefois Caïphe

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prophetizant sur l’vtilité qui deuoit reuenir de la mort
du Fils de Dieu prononça, qu’il estoit expedient qu’il mourut,
afin que toute la nation des Iuïfs ne perit pas. Cet homme-cy
semble tenir vn langage tout differend, & dire en sa maniere,
qu’il est plus expedient que toute la nation Francoise perisse
plustost qu’il dechoie tant soit peu du feste de sa grandeur :
de maniere, qu’il est bien éloigné du zele du Prophere Ionas,
qui apperceuant vne horrible tempeste, & s’en reconnoissant
l’autheur, consentit d’estre ietté dedans la mer, afin que la
tempeste cessat. Ce Sicilien qui est cause de nos tempestes,
neyer oit tous s’il pouuoit, temoin qu’il y employe vne riuiere
tant qu’il peut, sans parler de celuy de qui il est secondé
dans ce mesme dessein : Mais nous esperons qu’auec la misericorde
de Dieu nous pourrons dire, que, Desiderium impiorum
peribit. Car ie remarque que quoy que ce Ionas autheur
de nos tempestes, soit maistre de la riuiere, qu’il en occupe
les passages, que ie sache tres-bien que de tout temps
la Seine a esté appelée la mere nourrice de Paris ; neantmoins,
le Seigneur qui est le grand Pere nourricier de tous
les hommes, qui n’abandonne pas les petits des Corbeaux
qui crient à luy, comme dit le Psalmiste. il n’abandonne
point la ville de Paris, ny tant d’ames innocentes & religieuses
qui le reclament iournellement. Et quoy que l’on tienne
Paris inuesty, & qu’on en ferme les passages de tous costez,
neantmoins la main de Dieu qui atteint d’vn bout à l’autre
tre les ouure en nostre faueur, pour nous faire venir des viures
par des voyes toutes miraculeuses.

 

Et comme autrefois en consideration de ces seruiteurs,
tantost il commandoit à vne pauure veufue de les nourrir,
comme à cette femme Sunamite, à l’égard du Prophete
Elizée, tantost aux Corbeaux, comme au sujet d’vn Elie,
souffrant de la persecution de la part d’vne Reine indignée,
tantost il se sert du Ministere d’vn Ange, enleuant le Prophete
Habacu lors qu’il alloit porter vn disner à ses moissoneurs
& le transportant tout à coup en Babylone dans la fosse aux
lyons, où estoit le Prophete Daniel : Pareillement la prouidence

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de Dieu nous fait venir des Conuois, tantost d’vn
costé, & puis d’vn autre, par des routes secretes, qui sont des
marques manifestes d’vne merueilleuse prouidence de Dieu
sur la ville de Paris.

 

Nous n’auons du pain qu’auec de la peine, cela est vray,
mais neantmoins nous en auons.

Nous sommes nourris icy à la Laconiene, pour aguerrir
la ieunesse des Lacedemoniens, on leur tenoit serrées les
prouisions, & ne leur donnoit-on pas à manger toutes
les fois qu’ils vouloient : de maniere, que pour la pluspart
il faloit qu’ils tachassent d’auoir du pain par surprise, &
de l’en leuer comme à la dérobée : Voila, Monsieur, de la
façon que nous sommes nourris, nous n’auons point de
pain qu’il ne faille disputer, tâcher de le surprendre quelquefois
de nuit, comme si nous le derrobions, il faut
faut rendre des combats, le disputer à la point del’espée,
cela est vray. Mais n’importe, au moins en auons nous, aussi
bien que de toute sorte d’autres prouisions, non seulement
pour la necessité, mais mesmes iusques a pouruoir à la volupté
& aux delices, nonobstant les oppositions de nos aduersaires.
De maniere, que comme Sainct Ambroise meditant
sur ces festins que faisoit le Prophere Daniel au milieu
de la fosse aux Lyons, dit ces belles paroles. Leones fremebant,
at Daniel epulabatur, Que Daniel banqueroit tout à son
aise, tandis que les Lyons fremissoient autour de luy. Voila
vne image de nostre condition, nous banquerons, & faisons
des festins au milieu de la ville de Paris, tandis que les lyons
qui sont autour de nous fremissent de rage, & s’estonnent
comment nous ne mourons pas de faim.

Mais il y a vn autre estonnement qui les surprend beaucoup,
& qui les met au desespoir, & c’est vne chose qu’ils ne
peuuent comprendre de voir comment la multitude d’vn
peuple si nombreux, le corps d’vne si grande ville sous la
conduite de tant de Chefs, subsiste si long-temps dans vne si
estroire vnion, non obstant les efforts & tous les artifices
des quels ils se seruent pour nons diuiser.

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Sur le poinct qu’on nous enleua le Roy, on enuoya vne
lettre de cacher adressante au Preuost des Marchands & Escheuins
de la ville de Paris, par laquelle le Roy declare que
ce n’est point au Bourgeois & Habitant de sa bonne ville
qu’il en veut, mais à quelques-vns du Parlement, qu’il dit
estre des factieux, ennemis de son Estat, auoir l’intelligence
auec l’Estranger, & conspirer contre sa personne : d’abord
les moins clair-voyans s’apperceurent bien que s’estoit
vn artifice tendant à la diuision, & à destacher le corps de la
ville, d’auec celuy du Parlement. Cette Declaration ne
produisant pas son effet : En voicy arriuer vne autre de sainct
Germain comme par vn nouueau renfort, plus foudroyante
que la precedente, qui casse, supprime le Parlement, les declare
criminels de leze Maiesté, ennemis de l’Estat, perturbateurs
du repos public. Par la mesme Declaration le Roy
proteste n’imputer point au bourgeois, la reuolte de Paris
(c’est ainsi qu’ils le font parler) estre prest à les receuoir en
grace, offre quantité de demonstrations, de bien-vueillance,
promet oubly du passé, & abolition generale de toutes les
fautes. Mais comme cette vnion du peuple auec le Parlement
est vn œuure de Dieu, qu’il est écrit, que, Quod Deus
coniunxit homo non separet, aussi arriue-il, que tous les artifices
des hommes ne la peuuent rompre. Ces attraits de douceur
& clemence, ne pouuant produire l’effet pretendu, l’on
fait iouër vne autre piece de batterie. Voicy des visages effrayans
qui ne portent que terreurs & menaces, se presenter
aux enuirons de Paris, c’est à dire, des Herants d’armes, gens
qui par la nature de leurs charges, ne sont porteurs que de
Declarations de guerre, & sont les truchemens de la colere
& de la plus grande indignatioin des Roys. En mesme temps
voila paroistre dans la ville, le Cheualier de la Valetre porteur
d’vne mauuaise graine que l’on appelle zizanie, c’est à
dire, des placards & libelles extremement seditieux, qu’il seme
& repand par toute la ville : Adioustez à cela tant d’autres
boute-feux secrets, tant de traistres & espions de la Cour
desquels Paris est tout plein, tant de liberrins & mauuais

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garnemens, tant de gens de fortune à qui les doigts demangent
de piller, & qui n’en attendent que l’occasion depuis si
long-temps, la cherté du pain qui deuroit faire murmurer le
Peuple, le marchand qui ne gagne rien par ce temps fascheux,
la pluspart des Ouuriers qui chomment, la Iustice qui
cesse à l’égard du particulier, le commerce interrompu, le
Bourgeois de Paris, que l’on accuse d’estre vn peu delicat,
qui deuroit se lasser déja des fatigues des veilles, de la garde
des Portes, des couruées qu’il luy faut faire quelquefois à
la Campagne, & des taxes & frais de la Guerre, ausquels il
luy faut subuenir. Que toutes ces considerations ne soient
pas suffisantes de diuiser les esprits, & rompre la bonne intelligence :
Quiconque dira qu’il n’y a point à cela du miracle,
ie m’inscris en faux & dis qu’il ne considere, & ne pese pas
assez bien toutes ces circonstances.

 

Vous sçauez, Monsieur, ce que nous apprend l’histoire
des Actes sur le commencement de l’Eglise naissante, que,
onescente numero discipulorum, ortum est murmur, que le nombre
des fideles se multipliant il commença d’y arriuer du
murmure & dissention parmy eux. Et sainct Gregoire le
Pape, parlant de ce filet de sainct Pierre, lequel l’Apostre
ayant ietté dans la Mer, præ multitudine piscium rumpebatur
rete eorum, qu’il vint à rompre par la grande multitude de
poisson, dit, que cette rupture est vne image ou Symbole
de ce qui arriue ordinairement dans toute sorte de multitude,
& de grandes assemblées.

Qu’en deuoit-il estre ? & que ne deurions-nous craindre
dans cette grande multitude de peuple de Paris ?

Ajoustons encore si vous voulez multitude de Chefs, desquels
chacun peut auoir des veuẽs differentes, & des interests
particuliers à enuisager.

Mais comme autrefois sur le dessein de l’embrasement de
Sodome, Dieu protesta que s’il s’y trouuoit cinq hommes
iustes, il modereroit son indignation, & suspendant l’execution
de ses iugemens pour l’amour de ces cinq justes, qu’il
ne destruiroit pas la ville comme il auoit menacé. Concluons

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que c’est sans doute en faueur le quelques ames
innocentes & ageables à Dieu,que le Seigneur [1 mot ill.] cet
embrassement de sedition que nos aduersaires meditent depuis
si long temps contre nous, & que ne voulant pas nous
perdre, il conserue si miraculeusement cette bonne intelligence,
tant, parmy cette grande populace qui se laisse manier
auec tant de facilité, que parmy la multitude de tãt de Chefs
qui la gouuernent sans diuision,

 

Mais en mesme temps que nous admirons la Prouidence
de Dieu dans cette intelligence si miraculeuse à Paris, contre
l’attente inesperée de tous les hommes : Considerons la mesintelligence
qui suruient à S. Germain, selon l’ordre de cette
mesme Prouidẽce, de reflechir les mauuais conseils sur la teste
de leurs autheurs, de faire tomber dans la fosse celuy qui la
creuse au prochain, de confondre la prudence des Sages, infatuer
leur conseil, ainsi que parle l’Escriture, & enlasser
les plus subtils dans les cordages de leurs propres iniquitez.

De sorte, que comme le Fils de Dieu prononce dans l’Euangile
qu’il faut que tout Ryaume diuisé, tombe necessairement
en desolation, la diuision estant à sainct Germain, &
la rupture & separation estant venuë de ce costé là. Ha mon
cher solitaire, c’est icy où ie voudrois estre faux Prophere,
mais le Fils de Dieu qui est la verité mesme ayant prononcé
cette sentence, ie tremble dans mon apprehension, & prie
Dieu qu’il en détourne l’euenement.

Quand à nous, si nous persistons dans nostre vnion, comme
toutes les apparences le promettent, attendu la iustice
de nostre cause, & la droiture de nos intentions reconnuë
manifestement de tout le monde, ie ne doute point que nous
ne soyons inuincibles & que triomphans des ruses & de la
malice du Sicilien, nous n’abations la grandeur de ce Colosse
par terre.

Vous sçauez, Monsieur, que toutes choses ont leur periode,
& qu’ayant leur accroissement & decroissement, elles
ne peuuent subsister long-temps dans vn mesme estat de
consistance. Cét homme-cy s’estant accreu en vne prodigieuse

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grandeur, oportet illum minui, le temps de son decroissement
& decadence semble estre maintenant arriué. C’est
la roue qui tourne, mon cher amy.

 

 


nec iam ad culmina rerum
Iniustos creuisse querar, tolluntur in altum
Vt lapsu grauiore ruant.

 

Car tout ainsi que ceux que l’on execute aux gibets qui ordinairement
sont les plus proches de leur fin quand ils sont
montez au plus haut eschelon : Cét homme s’estant eleué vn
peu trop haut, il faut qu’il descende, mais il y a de l’apparence
que ce sera par le precipice. Il s’est engraissé de nos
biens, de sorte, qu’il semble desormais estre vne victime assez
propre pour le sacrifice.

Ne vous scandalizez point de ces paroles, mon Frere,
c’est le langage du Prophete Ieremie, lors que donnant la
raison pourquoy le Seigneur fait quelquefois prosperer les
mechans, il lit, qu’il en vse comme de ces bestes, lesquelles
on engraisse, & apres auoir engraissées on enuoye à la boucherie :
De mesme que Dieu engraissant les meschants des
biens & prosperitez de la terre, les destine apres au massacre,
& à quelque fin hontense & miserable ; il s’en sert comme des
verges pour chatier ses enfans, lesquelies il iette apres dedans
le feu, il leur met en main la coupe de son ire & de son
indignation pour en faire boire à tous les pecheurs de la terre,
mais aussi il leur en fait succer apres iusques à la lie, il
s’en sert comme d’vn marteau pour briser & destruire l’s
nations, mais leur destruction arriue aussi a leur tour, on n’a
qu’à auoir vn peu de patience : Iusques a quand, dit le Roy
Prophete se plaignant de l’insolence des meschans, Les Impies
parleront-ils si fierement & auec tant dauduce, haussant leur
nez ne fairont conscience de rien, fouleront la veufue, opprimeront
l’orphelin, mépriseront les larmes des pauures, & les
gemissemens des miserables : Mais attendez vn peu, dit le mesme
Psalmiste, i’ay veu le meschant estendant ses branches, comme
vn grand arbre, à l’ombre duquel tous les hommes reposoient,
verdoyant comme vn beau laurier, mais ayez vn peu de

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patience, dans peu de temps il sera fletry, & il n’en sera plus
de memoire ? Que si ce Sicilien, qui est aujourd’huy l’anatheme
& execration de tous les hommes, laisse quelque memoire
de luy, elle ne sera qu’en obiet de hayne & d’horreur
comme d’vn Tyran insupportable, qui s’estant eleué insolamment
au dessus de nos miseres, & ayant batty sa fortune
du debris & ruines de la France, ne se rendra memorable
que par l’embrasement qu’il luy cause, comme cet Erostrate
pour auoir brulé le Temple de Diane, Memoria iusti cum
laudibus nomen autem impiorum putrescet, dit Sal.

 

Cependant, remarquons le prodigieux aueuglement
dans lequel plonge les hommes, l’amour des grandeurs de la
terre : Cét Italien marchant sur les traces d’vn sien compatriore,
homme de mesme nation, tombé dans le precipice
pour s’estre eleué trop haut, & n’auoir sceu vser de la fortune
auec moderation. Que cét exemple, comme celuy de
plusieurs autres, n’aye sceu luy desiller les yeux pour le rendre
sage par les maux d’autruy : Mais il faut auoüer que l’éclat
des grandeurs du monde à quelque chose d’ensorcelant,
qui enyurant les esprits des hommes leur oste le iugement.
Ce qui nous est designé par cette femme paillarde de l’Apocalypse,
qui habilée de pourpre, esclatante en pierreries, est
representée auec vne coupe d’or en la main, de laquelle elle
presente à boire, & enyure tous les grands de la terre. Peu
s’en falut que les Apostres ne parussent touchez de cette
maladie, tesmoin cette contestation qui s’eleuoit chaque
fois parmy eux, à qui seroit le plus grand dans vn certain
Royaume temporel & florissant, qu’ils s’estoient imaginez
du Fils de Dieu.

Mais ces Meditations me meneroient bien loin si ie voulois
en suiure la pointe, il faut que ie les rappelle au lieu d’où
ie les ay retirées, qui est, la Meditation des Euangiles du
Caresme, duquel j’ay interrompu le trauail pour vn peu de
temps, pour auoir l’honneur de m’entretenir auec vous. Ie
pourrois estendre quelques vnes de mes Reflexions sur d’autres
personnes, mais outre que ie ne pourrois rien dire à leur

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aduantage, qu’il faut que la plume d’vn Theologien soit dans
vne plus grade retenue que celle du cõmun des autres hõmes
& detrempée dans vne plus grande modestie, & que d’ailleurs
il est écrit, Nolite tangere Christos meos Et Principem populi tui
non maledices I’ayme mieux me tenir dãs le silence, & laisser
prendre cét essort à des plumes plus hardies que la mienne &
au lieu de l’employer en declamations & inuectiues, conuertir
plustost nos langues en benedictions & en prieres.
Et considerant le prodigieux aueuglement & endurcissement
de cœur, duquel Dieu a frapé les esprits de ceux qui
nous haïssent, demandons luy qu’il change leurs cœurs ;
Qu’il desille les yeux de nostre Reyne, luy fasse voir le penchant
du precipice où l’on la met, la ruïne generale de son
Estat qu’elle s’attire sans y prendre garde, le thrône de son
Fils qu’elle ébranle pensant l’affermir, sa reputation qu’elle
expose en plusieurs manieres, la haine & indignation des
peuples qu’elle se prouoque de tous costez. Que Dieu destourne
les maux qui menacent la France, fasse cesser la tempeste,
nous donne vn heureux calme, reünisse les esprits
des Princes, nous rende nostre Roy. Voila, mon cher, Solitaire,
vn digne objet de nos prieres, & à quoy ie vous exhorte
de tout mon cœur.

 

 


Viue vale si quid nouisti rectius istis
Candidus imperti, si non, his vtere mecum.

 

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