Anonyme [1649], LES ENTRETIENS DV ROY, A S. GERMAIN. , françaisRéférence RIM : M0_1253. Cote locale : A_3_39.
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LES ENTRETIENS
DV ROY,
A S. GERMAIN.

Le Roy.

Mon frere, ie suis bien aise que tu sois
venu dans ma chambre, puisque ie
pourray te dire auec plus de liberté
mes sentimens.

Monsieur.

Mon petit papa, ie seray bien aise de les sçauoir,
puisque à vous & à moy on nous interdit de parler
à personne, & que nous pouuons nous consoler
tous deux, de ce qui nous arriue.

Le Roy.

Mais monfrere, prenons garde auant que de
rien dire, si quelqu’vn nous escoute ; car ma bonne
maman fait tousiours veiller sur nos discours.

Monsieur.

Ouy dea, voyons, afin que nous puissions parler
en seureté.

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Le Roy. Ne vois-tu personne ?

Monsieur. Non.

Le Roy. Vien donc t’asseoir aupres de moy, &
nous dirons ce que nous sçauons. Dy moy, ne
sçais tu point pourquoy nous demeurons tant
icy, pour moy ie commence de m’y bien ennuier,
car ie ne sçay ce que i’y fais ?

Monsieur. Ie m’y ennuie bien aussi & le temps me
dure bien de retourner à Paris, où ie me plais
mieux qu’icy.

Le Roy. Mais dy donc, ne sçay tu pas pourquoy
nous demeurons tant icy ?

Monsieur. Ie vous le diray bien, mon petit papa ;
mais ne dittes donc pas que c’est moy qui vous
l’ay dit, car si ma bonne maman le sçauoit, ie serois
bien fustigé, & vous vous estes a cette heure
exempt du foüet.

Le Roy. Non, non, dy seulement, ie te promets
que ie n’en diray mot à personne.

Monsieur. Mon petit papa, c’est qu’on dit que
Monsieur le Cardinal a fait tant de mal aux Parisiens,
qu’ils neveulent plus qu’il y retourne.

Le Roy. Mais on m’auoit dit que c’estoit à moy
que les Parisiens veulent mal.

Monsieur. Non, non, mon petit papa, ne les croyés
pas, ce sont des causeurs ; qui vous ont dit cela, les

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Parisiens vous aiment de tout leur cœur ; mais ils
veulent vn mal enragé à Monsieur le Cardinal, &
voudroient tous l’egorger s’ils pouuoient.

 

Le Roy. Mais pourquoy est-ce donc que ma bonne
maman le veut garder, puisque tout le monde
luy veut mal, pour moy ie luy veus bien mal
aussi ?

Monsieur. Et moy aussi, ie voudrois bien qu’il
fut bien loin.

Le Roy. Ie m’estonne pourquoy on le garde.

Monsieur. Mon petit papa, c’est que tout le monde
croit qu’il a ensorcellé ma bonne maman.

Le Roy. Comment ensorcellé.

Monsieur. Qu’il luy a donné des characteres, afin
qu’il soit bien puissant.

Le Roy. A mon oncle le Duc d’Orleans, luy en
a-t’il donné aussi ?

Monsieur. On dit qu’ouy.

Le Roy. Et à mon cousin le Prince de Conde ?

Monsieur. On dit aussi qu’il luy en a donné.

Le Roy. Iesus ! il est donc bien meschant.

Monsieur. Vrayment ouy, il est bien meschant, il
est si meschant qu’on dit qu’il a vn diable familier.

Le Roy. O bon Dieu ! n’approchons donc plus de
luy.

Monsieur. Pleut à Dieu.

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Le Roy. Il me fera bien plaisir de ne me point aborder,
car ie l’ayme encore moins que ie faisois.

Monsieur. Mon petit papa, il ne faut pas dire cela,
car s’il sçauoit que vous & moy nous ne l’aimons
pas, il nous ensorceleroit pour se faire aimer.

Le Roy. Ie luy veux faire bonne mine, mais ie luy
feray mauuais ieu, ou ie ne pourray.

Monsieur. Vous ferez bien, mon petit papa, pour
moy ie luy en veux faire autant.

Le Roy. Mais d’où vient que nous ne retournons
pas à Paris.

Monsieur. C’est que ma bonne maman a fait assieger
Paris.

Le Roy. Elle l’a fait assieger.

Monsieur. Ouy vrayment.

Le Roy. Et que croit-elle donc de faire,

Monsieur. Elle croit les faire mourir de faim.

Le Roy. Mais que dit-on de ce siege ?

Monsieur. On dit que ma bonne maman n’y fera
que sang & eau.

Le Roy. Comment,

Monsieur. On dit qu’elle n’y fera rien.

Le Roy. Tant mieux, i’en seray bien aise, comment
n’en fera-t’elle rien.

Monsieur. C’est qu’on dit, qu’ils sont plus forts
qu’elle.

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Le Roy. Mais leurs gens ne sont-ils pas pour moy ?

Monsieur. Ouy vraiement ils sont pour vous.

Le Roy Mais les Parisiens ont-ils bien du pain, car
i’entends quelquefois dire qu’ils meurent de
faim,

Monsieur. Vraiement, vraiement s’ils ont du pain,
ils ont du pain & toutes sortes de viandes pour
six mois.

Le Roy. Et que ferons nous donc pendant ce
temps-la, demeurerons nous tousiours icy ?

Monsieur. Ie n’en sçay rien, il me fascheroit bien.

Le Roy. Mais qu’en dit-on,

Monsieur. On espere que le bon Dieu fera desensorceler
ma bonne maman, qu’elle fera leuer le
[1 lettre ill.]ege, & que nous retournerons à Paris.

Le Roy. Mais remenerons-nous M. le Cardinal ?

Monsieur. O que nanny, car si nous retournons à
Paris, il faudra bien qu’il fasse gile, car les Parisiens
ne l’y souffriroient iamais entrer, ils le tueroient.

Le Roy. Mais ma bonne maman, les Parisiens l’aiment-ils
bien ?

Monsieur. Certes ouy, mon petit papa, car ils ont
tousiours conneu qu’elle estoit bien deuote, bien
bonne & bien-heureuse, il n’y a que ce meschant
homme a qui ils veulent mal.

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Le Roy. Ie voudrois donc bien que quelqu’vn dit
à ma bonne maman, qu’elle le chassat, elle ne me
croiroit pas si ie luy disois.

Monsieur. Ny moy aussi, & ie n’ay pas garde de luy
dire, mais Sire, i’ay peur que nous ayons trop demeuré
ensemble & qu’on ne se doute de quelque
chose.

Le Roy. I’en ay peur aussi.

Monsieur. A Dieu donc, mon petit papa, si vous
ne dittes pas ce que ie vous ay dit, ie vous diray
vne autrefois tout ce qui se passe.

Le Roy. S’il ne se dit que par moy, sçaches qu’il
ne se sçaura pas, ie suis aussi secret que toy, & ie
sçay bien me ressouuenir de tout, sans rien dire,
A Dieu.

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