Anonyme [1652], LES ENTRETIENS IMPORTANS DE LA REYNE, AVEC LE CARDINAL MAZARIN. Sur le sujet de sa teste mise à cinquante mille escus. , françaisRéférence RIM : M0_1255. Cote locale : B_12_1.
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LES
ENTRETIENS
IMPORTANS
DE LA REYNE,
AVEC LE CARDINAL
MAZARIN.

Sur le sujet de sa teste mise à cinquante
mille escus.

A PARIS,
Chez LOVYS HARDOVIN, ruë Sainct Victor.

M. DC. LII.

Auec Permission.

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LES ENTRETIENS
importans de la Reyne, auec le Cardinal
Mazarin, au suiet de sa teste mise
à cinquante mille escus.

SI tost que le Cardinal Mazarin eut aduis que la Cour
de Parlement de Paris, auoit par Arrest mis sa teste à
cinquante mille escus, pour ceux qui entreprendroient de
le tuer. Il en conçeut vne si grande apprehension, que depuis
ce iour là le sommeil semble l’auoir abandonné : car
ny debout ny couché il ne peut clorre l’œil, & le moindre
bruit qu’il entend luy semble estre celuy de ceux qui luy
veulent rauir la vie : en son boire & manger il fait faire
l’essay du vin & de la viande qui luy est seruie, à trois diuer
ses personnes, apres quoy il ne permet à aucun d’y touchet,
& n’oste point la veüe de dessus.

Dans ses paroles on y remarque des extrauagances
comme d’vn esprit troublé, & d’vne ame possedée de
crainte, & qui ne se fie de sa vie à personne.

Lors que dans ce trouble il est allé voir la Reyne, les
paroles qu’ils eurent ensemble sont remarquables.

LA REYNE A MAZARIN, Monsieur, quand
ie vous considere, ie voy en vostre visage les signes de
quelque forte apprehension, vos paroles entrecouppee
le tremblement & la crainte ; me font iuger que la touche
de la de fiance que vous auez vous rend la face pasle & triste,
comme si vous attendiez quelque mauuais & sinistre
accident. mas ce qui vous oblige à remettre vos sens est
la seureté que vous deuez auoir tant que vous aurez le

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Roy present : ne vous arrestez point aux aduis qu’on vous
donne de quelque conspiration sur vostre personne, nul
ne l’entreprẽdra qu’à moins que ce soit quelque determiné
qui ne se soucirroit de sa vie, & que pour auoir vne somme
d’argent, il se mettroit au hazard d’estre tué, & de faire
le voyage de l’autre monde, s’il vous accostoit auec ce
mauuais dessein, ce que ie ne peux m’imaginer.

 

Mazarin, Madame, si i’ay les signes d’vn homme effrayé,
ce n’est point sans cause, puisque le grand nombre
d’ennemis conjurez contre moy croiroient auoir fait vn
sacrifice agreable à Dieu, en me faisant mourir comme
telle est leur intention, & dont le mauuais genie qui me
possede ne manquera de me conduire à ce malheur d’auoir
vne fin fort tragique, car ils iettent sur moy, & donnent
à mes meschans conseils,

Le Blocus de Paris en l’an 1649.

L’emprisonnement des Princes, l’an 1650.

L’entreprise de la guerre de Bordeaux.

La perfidie recogneüe à la reddition d’Angers.

Les impietez & sacrileges, bruslement & les ruines
espouuentable que nos troupes ont commises en
Champagne, Picardie, Guyenne, à Blois, en Sologne,
en Gastinois & en Brie.

La trahison faite par mes ordres en la ville de Paris.

Le combat au fauxbourg de sainct Anthoine, que ie
croyois auoir la suitte que ie me promettois au lieu de la
perte de plus de mille homme des gens du Roy qui y ont
esté tuez, esperant qu’apres la prise de ce fauxbourg, &
la deffaite des Princes, on mettroit entre mes mains la
Bastile & les places plus sortes de Paris, par le grand nombre
de personnes de toutes qualitez & conditions, qui me
deuoient liurer vne porte, par laquelle ie ferois entrer le
Roy auec vne puissante armée, & chastier tous ceux qui
me sont ennemis.

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Entreprise malheureuse pour moy joint à la detention
des Deputez du Parlement de Paris, contre le droict des
gens, tant cela m’estant imputé à crimes capitaux par mes
aduersaires, n’aye pas raison d’apprehender la peine à perdre
tragiquement ma vie que i’auray peine d’empescher,
puis qu’elle est abandonnée à cinquante mille escus ; &
qu’il se trouuera assez de personnes qui executeront leur
volonté, pour toucher vne somme d’argent assez considerable
à des gens qui ne redoutent les perils ny les hazards,
possible que ceux là mesme que ie croy m’estre fideles
& qui me seruent, seront les satellites qui seront ce
coup, puisque l’argent fait violer toute fidelité & confiance
quelque religieuse & respectueuse qu’elle soit.

La Reyne, Monsieur, considerez que le Roy ne vous
abandonnera point, & tant que vous serez prés sa personne
comme vostre dignité de Gouuerneur principal vous
oblige. Il n’y a pas d’apparance qu’aucun soit si mal aduisé,
& si peu amoureux de sa vie que de se hazarder d’attenter
sur vostre personne, attendu que les Gardes l’empescheront
tousiours, joint que le respect de la Majesté Royale
donne tousiours de la retenüe aux plus determinez qui
sçauent que Dieu protege tousiours les personnes sacrez,
& partant, tant que vous serez aupres du Roy, vous pouuez
tenir vostre personne asseurée.

Mazarin, Madame, il y a des esprits si temeraires, & si
portez aux interests du gain & du prosit il n’y a sorte de
perils & de dangers qu’ils n’essuyent, & entreprise si scabreuse
qu’ils n’executent, sans auoir esgard aux personnes
sacrez quand elles seroient enuironnez de plusieurs legions
de Soldats. Cesar ce grand conquerant ne fut-il pas tué à
Rome en plain Senat parmy ses gardes Pretoriennes, qui
ne peurent empescher que M. Brutus & M. Lepidus n’eurent
le temps de luy percer le sein de vingt deux coups de
poignards : que si les grands Monarques ne se peuuent garder

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du glaiue des Conspirateurs, moy qui suis mortellement
hay de tous, & que chacun iette sur moy la naissance
& la suitte des troubles ciuiles du Royaume, qui ont
esté entreprises par mes conseils, en quel lieu pourrois-je
estre asseuré de ma vie, puisque dans les Palais & au milieu
d’vne grande ville de Paris, à la veüe de tant de gardes
& de peuples, deux Roys de France ont proditoirement
esté tuez par deux scelerats.

 

La Reyne, Monsieur, puisque vous ne trouuez vostre
personne asseurée prés celle du Roy, il faut vous resoudre
à garder la chambre sans parler, à qui que ce soit par le truchement
& entremise de quelques-vns des vostres, qui seront
tousiours prés de vous & sans armes pour oster la défiance
que vous aurez d’eux, sans permettre qu’aucun autre
vous approche. Ainsi nul ne va à l’Audience du grand
Seigneur en sa chambre, soit Ambassadeurs ou autres qu’il
ne soit conduit & soustenu par dessous les bras, & faut qu’il
parle d’assez loing du throsne Imperial de sa hautesse ; apres
son Audience il est rammené, ainsi conduit par dessous les
bras iusques hors sa chambre, tant la deffiance est grande
parmy eux.

Mazarin, Madame, ie croy estre plus asseuré en mettant
ma personne en la garde des Italiens, que ie cognois
m’estre fideles, quoy que traistres à d’autres selon leur
nation, & que ie les ay obligez par les grands biens que ie
leur ay faits, & pour m’en asseurer encore dauantage ie ne
les veux tenir prés de moy auec des armes, & sans sortir
de ma chambre que pour leurs necessitez, & seront obseruez
à chaque pas qu’ils feront ; c’est ce que ie peu faire,
car de changer de sejour ie baillerois plus de prise à mes
hayneux sur moy, qu’au lieu ou ie me trouue, quoy que
peu asseuré, & voudrois estre à cent lieuës de France.

La Reyne, Monsieur, ie croy que c’est auec raison que
trouuez vostre seureté plus grande parmy les Italiens

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qu’aux François qui ont tant d’auersion contre vous :
Mais vous vous sevré de ce contentement d’estre visité par
vos amis, & ceux principalement qui composent vostre
conseil, qui est le mesme que celuy du Roy, & qui ont
besoin de vous voir à toute heure pour aduiser auec vous
aux remedes qui pressent vostre personne & les leurs ;
mais il me semble qu’il vaudroit mieux vous seruir de vos
anciens seruiteurs qui vous ont rendu de si bons seruices,
& de la fidelité desquels vous auez assez de preuues pour
leur conferer vostre garde.

 

Mazarin, Madame, comme ie ne peux m’asseurer de la
fidelité des François, ny des miens, ie voy bien qu’au peril
de ma vie il faudra que ie quitte la France si ie ne veux
me voir tomber entre les mains de mes ennemis, ny pouuant
pas viure auec seureté de ma personne.

La Reyne, Monsieur, si vostre resolution est de sortir
de France, pour vous retirer en quelque pays estranger :
nous auons mille moyens de vous y faire conduire en toute
seureté. Mais considerez que vostre éloignement causera
vne sorte de bannissement pour moy, & sera la ruine
de tant de personnes d’honneur qui sont auiourd’huy prés
de vous, & qui sont en grand nombre par toute la France,
& qui dés à present se retirent pour éuiter le danger dont
ils sont menacez.

Mazarin, Madame, ie veux bien croire que le Roy est
puissant, & que son authorité peut beaucoup pour me proteger
en ma sortie hors de France : Mais vostre Maiesté
considerera s’il luy plaist l’Estat auquel la France est maintenant,
que Monsieur le Duc d’Orleans est declaré Lieutenant
General du Roy par tout le Royaume, Pays, Seigneuries
& Terres de son obeyssance ; & ce par Arrest du
Parlement de Paris, qui sera authorisé des autres Parlemens,
qu’en cette qualité toutes les villes luy obeyront,
& sera impossible à vos Maiesté de changer de seiour

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qu’auec la force, qui sera d’autant plus diminuée que vos
gens de guerre ne pourront toucher aucun denier, puisque
tous vos Bureaux sont arrestez, & les deniers qui y sont
destinez pour leuer des armées, qui iointe auec les Estrangers
viendront enleuer le Roy à main armée, & se saisir
de ma personne ; & ainsi ne voyant aucun moyen de me
pouuoir retirer à Sedan à Mez ou Pignorol : ce que ie
pouuois faire il y a quelque sepmaine. Il faut par necessité
que ie perisse, & partant, vous, Madame ne deuez trouuer
estrange si toutes les forces naturelles me manquent,
comme celuy qui est en l’agonie de la mort, & si la crainte
me saisi de tous costez.

 

FIN.

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