Anonyme [1649], LES GEMISSEMENS DES PEVPLES DE PARIS, SVR L’ÉLOIGNEMENT DV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_1475. Cote locale : C_5_27.
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LES GEMISSEMENS
DES PEVPLES
DE PARIS,
SVR L’ÉLOIGNEMENT
du Roy.

SIRE,

Si nostre desplaisir estoit moindre que nostre constance,
dans la rigueur du sort qui nous esloigne de vous, nous
souffririons toute nostre douleur sans nous plaindre, & vous n’auriez
pas le regret d’apprendre par nos regrets que vos suiets sont mal-heureux :
Mais, Sire, nous n’auons point de courage à l’épreuue de nostre
infortune ; la douleur de vostre absence nous donne de trop violans assauts,
pour auoir la force d’y resister, & nostre stupidité n’est point assez
grande pour endurer des coups si perçans, sans nous escrier au sentiment
que nous en receuons. Souffrez donc, Sire, les tristes clameurs
que nous vous adressons ; puis qu’il n’est plus en nostre puissance de les
retenir, permettez qu’elles ailles iusqu’à vous.

Vous estes, Sire, la premiere puissance de l’Europe, & comme l’Europe
est la premiere partie du monde, vous estes doncques la premiere puissance
de la terre ; Il n’y a plus que le Ciel au dessus de vous, & vostre Souueraineté
n’en reconnois point d’autre que celle du Monarque de tous
les Souuerains. Cela estant, Sire, quelqu’vn pourra trouuer mauuais
que nous interrompions vostre tranquillité par nos sanglots ; & que
nous fassions en quelque sorte la guerre à vostre repos par nos soupirs,
& de fait c’est vn crime aux basses destinées de troubler les hautes, &
l’on doit obseruer en presence des Roys vn silence continuel. La frayeur
& la crainte des Roys est vne loy qui se treuue naturellement imprimée
dans les ames suiettes, & ces passions timides ou respectueuses sont les
meres de l’obeyssance que nous leur deuons. De cette sorte, Sire, il
semble que nous violons les sacrées impressiõs de nostre deuoir, & qu’il
y ayt de l’orgueil & de l’audace dans nos douleurs. Mais, Sire, puisque

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se sont des douleurs, & des douleurs veritables elle sont assez iustifiées
du crime de l’vn & de l’autre de ces vices, que l’on leur pourroit reprocher.

 

Il est si naturel de se plaindre quant le mal presse, que nous n’auons
iamais encores ouy dire que les plaintes fussent criminelles, ny qu’il y
y eust de l’audace à soupirer. Dieu, Sire, celuy dont la grandeur est seule
toute adorable, comme elle est seule toute puissante, n’a iamais deffendu
les tristes gemissemens, des cœurs affligez. Il veut bien que dans
nos desplaisirs nous croyons à luy, & mesme il promet d’écouter nos
clameurs. Il prens plaisir à la reïteration de nos soupirs, & veut à force
de redoublemens se laisser amollir & se laisser vaincre à nos larmes. Sire,
nous ne craignons pas de vous importuner des nostres, puisque Dieu
les reçoit vous ne les reietterez pas.

De quelque costé que vous les consideriez, Sire, elles ont dequoy
vous donner beaucoup de tendresse & beaucoup de pitié. Ce sont les
tristes marques de nos desplaisirs. Monarque tout bon auriez vous dans
vn cœur si ieune vne dureté si enuieillie ; que vous les reiettassiez au lieu
de les receuoir, & de les adoucir naturellement, Sire, vous estes attaché
à nous par des liens si forts que vous ne les pouuez rompre sans vous
nuire. Vous estes le chef de l’estat & nous en sommes les membres ;
pourrez vous endurer nos douleurs sans ressentiment ? à mesure que
nous nous affoiblissons vostre force se diminue, & ces larmes que nous
iettons sont des eaux fatales, qui mirent les fondemens de vostre grandeur.
Mais quant vous n’en seriez pas esmeu par cette pensee, Sire,
l’humidité de nos pleurs est la triste expression du feu de nostre amour.
C’est par cette belle flame que vos qualitez diuines ont mis dedans nos
ames, que par nos yeux le torrans de nos desplaisirs s’escoulle. L’ardandante
passion que nous auons pour vous, nous seche de douleur ; &
vous aymer comme nous faisons, & ne vous voir pas sont des delices
suplicians qui nous tuent, parce qu’ils nous flattent. Sçachans quel contentement,
c’est de vous aymer quant nous vous voyons, nous ressentons
quelle douleur c’est de vous cherir & ne vous voir pas. La memoire
de l’vn agraue le sentiment de l’autre, & vn peu despoir qui nous
chatoüille ne fait qu’aigrir ce peu mesme despoir qui nous picque, qui
nous perce & qui nous deschire. Il n’est pas croyable, Sire, que nostre
zele vous soit indifferent comme vostre interest, les membres de vostre
Estat languissent, mais aussi l’amour ardans de vos suiets soupire. Leur
zele les ronge & les deuore en vostre presence, que dis-ie, Sire, mais
bien en vostre absence ; En ce fatal esloignement qui leur oste cette
veuë precieuse, qui les faisoit viure & qui les fait auiourd’huy
mourir.

Sire, Sire, par toute sortes de loix vous estes obligé de reuenir leur
rendre cette vie que vous leur auez emportée, est-elle à vous cher Prince
pour nous la rauir ? & quand elle seroit vostre, apres nous l’auoir

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donnée, voudriez-vous bien nous en priuer ? Vous repantiriez vous de
vos dons, & feriez vous retraction de vos faueurs.

 

Sire, nous sommes de pauures hommes expirans, que la charité vous
oblige de secourir. Sire, nous sommes autant d’ames affectionnées
dont le zele ne doit point estre mesprisé. Sire, nous sommes vos suiets
chef illustre de cette triomphante Monarchie, nous sommes vos membres
affligez par vostre esloignement, rapprochez-vous vn peu de nous
pour nous resiouyr.

Que ne pouuons nous, Sire, aller aussi bien à vous que nous vous appellons ?
pourquoy Paris n’est-il pas vne Ville roullante ? pourquoy ne
pouuons nous pas la loger dans saint Germain ? Certes il n’est point de
fleur, Sire, qui se tourne plus amoureusement vers son Astre, que nous
nous tournerions vers vous si nous le pouuions.

Mais en attendant, qui pourra consoler nostre amour extreme ; ce cher
Roy ne paroist plus icy. O douleurs ! plus viues & plus penetrantes
qu’exprimables. Esperance à nos cœurs douce & cruelle tout à la fois !
Vous nous le faites esperer, mais helas, cet espoir n’a point pour nous les
charmes de la iouyssance. Que ce bien est petit, au prix du mal que nous
souffrons, & que tout resiouyssant qu’il est, il se confond aysement dans
vne si profonde tristesse. Suiets desolez que deuiendrons nous priuez de
nostre cher Roy ? Membres mal-heureux que ferez-vous, on vous a osté
vostre teste ? Helas nous voyons bien icy par tout briller l’authorité
Royalle. Mais nostre Roy ne paroist point : Astre Royal d’où s’émane vne
si diuine lumiere, venez aussi briller parmy nous. Quelque grand iour
qui esclair le monde, il n’est rien qu’vne belle tristesse quand le Soleil
demeure caché. Grand Prince, percez ces noires ombres, qui dérobent à
nos yeux vostre beau visage, ils n’auoient pas accoustumé de le voir si
long temps absent.

Encore si nos crimes meritoient vne separation si douloureuse, si
nous auions peché contre vous ; au lieu de nous plaindre nous nous punirions.
Mais helas, nous vous auons tousiours aymé d’vne ardeur extreme ;
Nons auons fait pour vous plus que nous ne pouuions. Nous sommes
innocens, Sire, nous sommes innocens, quoy que l’on nous traitte
en coupables : ouy, Sire, nous le sommes autant pour le moins comme
mal-heureux.

C’est ainsi que tout Paris soupire dans l’absence de son Monarque, &
qu’il solemnise ses desplaisirs par ses regrets.

Et si vous ne le sçauiez pas mieux que nous, Sire, nous vous ferions voir
en eux des marques de cette tendresse naturelle, qui donnent moins à
croire qu’à admirer. Que ferez-vous, Sire, à ces exemples insensibles
& irraisonnables, qui monstrent tous les iours, & qui apprennent aux
hommes, la sensibilité & la raison. Nous ne doutons point que vostre cœur
ne se fleschisse vers les nostres, & que vous n’imitiez l’amour pur & incorruptible

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de ces Estres aueugles, auec ce glorieux aduantage, que le
vostre sera conduit par des lumieres & des puissances qui perfectionneront
son action.

 

Vous sçaurez qu’aymer vn miserable c’est le secourir, au moins quand
le pouuoir & la passion se rencontrent ensemble, & que l’vn & l’autre
peuuent agir. Veritablement la passion que nous auons pour vous ne
peut-estre que tres-violente pour estre legitime, vous aymer auec regle
ne seroit pas vous bien aymer. Car il se trouue bien des compassions
veritables sans secours ; mais c’est lors que l’impuissance empesche l’acte
exterieur d’vne volonté tousiours bien faisante en desirs, si ce n’est en
effets. Ah, Sire, vostre bonté que reclame nostre infortune n’a point à
craindre à ce deffaut. Secourez-nous donc, Sire, ayez pitié de nostre
mal-heur. Vous auez le pouuoir de nous bien faire, ayez-en la volonté
que nous vous souhaittons. Outre que nous sommes & seront tousiours
vos suiets, que d’ailleurs nous soyons auec vous d’vne mesme espece, &
que vous nous deuiez ce que nous vous demandons par raison de politique,
& par affection de nature.

Vous sçauez, Sire, combien les pauures sont recommandez en la saincte
Escriture, combien Dieu y promet de recompenses à ceux qui obseruent
ses Commandemens. Voyez, Sire, que nous sommes, quoy que
nous sommes vos suiets, puisque Dieu prend vn tel soin de nous. Tels
toutefois que nous puissions estre, nous ne vous implorons point auec
orgueil.

Plusieurs ont reclamé en vain la mesme grace que nostre desespoir reclame,
& si nous y venons apres eux, ce n’est point la presomption qui
nous y conduit ; Nous essayons de sauuer les riches auec les pauures, afin
que par le salut des membres nous puissions sauuer tout le corps. Vous
sçauez, Sire, que les riches sont nostre richesse, & que s’ils ne viuent, il
nous faut mourir. Leur abondance est la source qui fournit à nostre disette,
qui d’elle-mesme est sterille & ne produit rien. Donnez plustost quelques-vns
de vos precieux soupirs, pour tant de larmes que pour l’amour
de vous nos yeux respandent sans cesse. Iamais les peuples des Poles
ne furent si affligez quant ils ont perdu la lumiere, que nous le sommeil
du depuis que la vostre nous est disparuë. Iamais l’Egypte n’eust de si
tristes iours de tenebres : Astre diuin venez escarter les nuages qui nous
enueloppent. Helas, il n’est point de nuit qui dure tousiours, voulez
vous que la nostre soit eternelle. Ceux qui ont demeuré prés de six
mois dans l’obscurité, attendent auec ioye le Soleil qui leur rapporte infailliblement
la lumiere ; Mais nous attendons vainement, nostre attante
est tousiours trompeuse, nous auons veu l’aurore, Sire, si nous ne
vous auons point encor veu ; Vos Princes sont venus & vous estes demeuré,
faut-il que l’ordre des choses soit ainsi confondu pour nostre
supplice.

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Voicy le Printemps, Sire, comme vous plaist-il que nos fleurs
florissent sans vos rayons. Paris commance auenit sterile comme vn
desert par vostre absence, on ny treuuera plus que des chardons & que
des espines si elle dure, & vous verrez bien-tost la renommée mantir,
qui publie iusqu’aux bout du monde que vous estes le Roy du plus beau
Royaume, & de la plus belle Ville de l’Vniuers.

FIN.

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