Anonyme [1649], ESTABLISSEMENT VNIVERSEL DE LA PAIX GENERALE, OV SENTENCES MORALES ET POLITIQVES Sur les plus importantes matieres de l’Estat. Contre les vsurpateurs du bien public. Où le droit des gens, & la cause commune sont equitablement defendus. En faueur des Souuerains & des Peuples. Touchant la veritable creation & la legitime authorité des Roys, & la mutuelle obligation des Princes enuers leurs Sujets, & des Sujets enuers les Princes. Piece rare & instructiue & pour le Tiers Estat, & pour la Noblesse. , françaisRéférence RIM : M0_1289. Cote locale : A_2_63.
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ESTABLISSEMENT
VNIVERSEL
DE LA PAIX GENERALE,
OV
SENTENCES MORALES
ET POLITIQVES
Sur les plus importantes matieres de l’Estat.

Contre les vsurpateurs du bien public.

Où le droit des gens, & la cause commune
sont equitablement defendus.

En faueur des Souuerains & des Peuples.

Touchant la veritable creation & la legitime authorité
des Roys, & la mutuelle obligation des Princes
enuers leurs Sujets, & des Sujets enuers
les Princes.

Piece rare & instructiue & pour le Tiers Estat,
& pour la Noblesse.

A PARIS,
Chez PIERRE VARIQVET, ruë S. Iean de Latran
deuant le College Royal.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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ESTABLISSEMENT VNIVERSEL
de la Paix generale, ou Sentences Morales
& Politiques sur les plus importantes
matieres de l’Estat.

LA felicité publique est vne Déesse d’vne nature
si douce, si aymable, & si bien faisante d’elle-mesme,
que si les Princes, & les Peuples, n’estoient
pas ingrats aux extraordinaires faueurs
qu’ils reçoiuent continuellement en temps de Paix, de
cette incomparable Diuinité tant desirée ; ils ne manqueroient
pas de la reuerer comme vn estre glorieux, ou comme
vn bien inestimable. Lucullus, tres-illustre Capitaine
Romain, & l’vn des plus considerables Partisans de
Sylla, apres qu’il eut deffait quelque cent mille combatans
en vne bataille qu’il auoit donnée contre Mitridates
Roy de Pont, s’en reuint à Rome, où il fit bastir vn Temple
si riche, si somptueux, & si superbe à cette Diuinité si
charmante, que tout l’Vniuers ensemble n’a iamais veu
rien de pareil, ny iamais veu rien de si magnifique. Iulius
Cesar premier Empereur des Romains, & Lepidus Capitaine
souuerain, & l’vn de ceux qui partagerent l’Empire
auec Antoine & auec Auguste, luy en sirent eriger encore
vn autre, où l’extreme profusion d’vn nombre infiny
de richesses, ne paroissoit pas moins qu’en celuy que nous
venons de dire. Enfin si la nature sçauoit raisonner en faueur
de cét vnique espoir des belles ames, elle diroit, que
c’est le Dieu des Esprits bien heureux, & le seul obiet à
qui les hommes deuroient sacrifier ce qu’ils ont de plus
cher, s’ils estoient capables d’vne excellente idolatrie. Et
sans me trop éloigner de la verité, ie ne feindray pas de
dire auec vn des plus excellens Philosophes du Siecle,

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que toutes les choses qu’elle expose aux sens des creatures
iudicieuses & raisonnables, sont autant d’images & de parcelles
de ce souuerain bien qu’on espere de receuoir quelque
iour, dans la Beatitude eternelle. Mais comme il estoit
tres-difficile de l’acquerir icy bas parmy nous, veu l’estrange
corruption où toute la nature humaine se trouuoit, depuis
la cheute de nostre premier pere ; Les hommes au
commencement des Siecles, induits par vne inspiration
toute Diuine, créerent vn chef d’entre leurs freres, pour
se garantir de la cruauté, de la vengeance, & de l’vsurpation
des Tyrans, qui ne cherchoient qu’à les destruire.
C’est pourquoy nous pouuons aisément conclure, que les
Roys n’ont l’obligation d’estre ce qu’ils sont, qu’à ceux
qui les ont faits ce qu’ils se disent estre. Les habitans d’Enoch,
firent election d’vn chef, à qui ils donnerent l’entiere
administration de leur petit Empire. Peu de temps
apres le deluge, que Dieu auoit enuoyé sur la terre, pour
la purifier des abominables pechez des hommes, Belus
premier autheur de l’idolatrie & du Sacerdoce des Chaldéens,
fut aussi reconnu par ses Suiets pour Prince du Peuple.
Melchisedech Sacrificateur de Dieu, sans pere, sans
mere & sans genealogie, n’ayant ny commencement de
iours, ny fin de vie, demeurant Prestre à l’Eternité, fut
fait Roy de Salem, ville Metropolitaine de la Iudée, par
les habitans de cette saincte demeure. Abraham fils de
Tharé & Pere des Croyans, fut couronné de ceux qui ne
cherchoient qu’à luy rendre toute sorte d’obeïssance. Ie
veux bien que Dieu en ait du depuis authorise l’election
que le Peuple en auoit faite en la personne de Saül, lors
que sa Diuine Maiesté presta l’oreille aux supplications des
Israëlites, quoy qu’il les eust desia, seuerement repris de
luy demander vn homme mortel pour les conduire : & que
cét incomparable Autheur de tout l’Estre creé fasse vn
commandement vniuersel à toute la nature humaine de se
garder de leur indignation, de les honorer comme personnes
sacrées, de prier souuent pour eux, & de les reuerer,
& de les craindre, lors qu’ils sont sages ; Ce que ce Diuin

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Sauueur n’auroit pas voulu faire, si la puissance Royale luy
auoit esté odieuse : si est-ce pourtant que sa Souueraine
Bonté n’entend pas en façon quelconque, qu’ils prennent
la liberté, d’oppresser leurs Suiets sur peine d’en estre punis,
ou par leurs propres seruiteurs, ou par des forces
estrangeres. Ne sçauent-ils pas bien que ce Souuerain
Eternel est le Protecteur des innocens & le fleau des coupables ;
qu’il confond les autheurs & les complices des
mauuais desseins, & qu’il punit seuerement tous ceux qui
s’amusent à persecuter son Peuple. La puissance ne leur
est donnée de Dieu que pour edifier, & non pas pour destruire :
& le glaiue qu’ils portent, ne leur a esté mis entre
les mains que pour authoriser la iustice qu’ils sont obligez
de rendre à toute sorte de personnes, ainsi qu’il leur est
ordonné, par vne Sagesse infinie, pour le bien du public,
& pour le salut de la Patrie.

 

Deut. 17. 5.
15.

Genes. 4.

Berose l. 4.
Euseb. l. 1.
de sa preparation
Euãgelique,

Genes. 14.
Heb. 7.
Psal. 76.
H. 1. 55.

Genes. 14.
Ioseph. l. 1.
desanti. Iudai.
cha. 7.
& 8.
1. Sam. 8. &
10.
1. Roys 9.

Pron. 16.
1. Pier. 5.
1. Timo[2 lettres ill.] 2.
1. Roys 3.
Psal. 2.

Amos. 4. &
6.
Ezech. 22.
Mich. 3.
Pron. 29.
Eccl. 10.
1. Sam. 12.
1. Roys 14,
Psal. 17. 26.
30. 32. 70.
[2 mots ills.].

1. Cor. [2 lettres ill.]
Rom. 63.
Roys 10.

Les Roys, principalement les Roys Chrestiens, ne
doiuent pas auoir seulement la Nature pour guide, mais
l’Autheur de la Nature mesme, qui commande vniuersellement
à tout le Monde, & qui rend à chacun ce qui luy
appartient, & pour son honneur & pour sa gloire. Et comme
Dieu a voulu imprimer cette dignité Royale en vne infinité
de ses creatures, afin que l’homme y peust lire comme
dans vn liure escrit de sa propre main, tout ce qui
peut rendre vn Prince venerable parmy ses Peuples, il a
voulu pareillement aussi grauer son image & semblance sur
tous les habitans de la terre ; afin que les Souuerains y vissent
comme dans vn diuin obiet, qu’il a daigné racheter
de son propre sang, tout ce qui peut rendre vn pauure Suiet
considerable parmy les Monarques du Monde. La premiere
& la principale cause de leur creation, fut vne certaine
prudence & vne admirable conduite dont ils se seruoient
en l’ordonnance & en la dispensation de leurs propres
interests, & de leurs propres negoces. Cette seule
vertu commença de reluire, & de les éleuer au dessus de
leurs concitoyens & de leurs compatriotes ; Si bien que les
Peuples rauis de leur merueilleuse façon d’agir, les iugerent

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dignes de les gouuerner, & de prendre vne generale
& absoluë administration de tous les affaires de leur Republique.
C’est ce qui a fait dire à Iustin, que les Roys n’auoient
esté esleus à cette dignité si eminente, qu’à cause
de leur glorieuse generosité, & de leur illustre integrité
de conscience. La seconde raison qui suscita les Peuples
à faire vn Sacrifice solemnel, de ce qu’ils auoient de plus
cher au monde, à des ames si vertueuses, fût vne liberale
& loüable affection qu’ils auoient de reconnoistre le bien
qu’on venoit de leur faire. Si tost qu’vn de leurs citoyens
les auoit deliurez de la seruitude, ou de la puissance de
quelque tyrannie, ou qu’il auoit amplifié les limites de
leur pays, & rendu quelques Prouinces estrangeres suiettes
& tributaires à leur Republique ; ou bien que par l’institution
de quelques bonnes Loix, il auoit mis leur vie
dans vne tranquillité parfaite : alors les Peuples par vn suffrage
commun, l’esleuoient à cette dignité Royale, pour
n’estre pas ingrats ny à leurs biens-faits, ny à leurs merites.

 

Scipion l’Affricain, fut nommé Roy des Romains apres
qu’il eut vaincu Asdrubal, & fait demolir la Ville de Carthage ;
ce qu’il refusa pourtant auec vne merueilleuse modestie,
sçachant que ce titre leur estoit odieux par dessus
toutes choses. Ciceron, fut surnommé Roy des Romains
& Pere de la Patrie, pour auoir deliuré Rome de la coniuration
de Catilina. Et Dieu mesme apres ce Diuin miracle
qu’il venoit de faire en la multiplication des cinq
pains d’orge & des deux poissons, ne fut-il pas appelé Roy
par ce nombre infiny de legions qui le suiuoient, en reconnoissance
de ce prodigieux bien-fait qu’ils venoient de
receuoir de sa saincte & sacrée personne ? La troisiesme &
derniere raison pour laquelle les hommes furent esleuez à
des dignitez si glorieuses & si sublimes, fut vne necessité
commune de créer vn Chef, qui d’vn courage excellent
& magnanime se peust librement opposer à la fureur & à la
violence des Tyrans, des Perturbateurs de l’Estat, & des
Sangsuës publiques, afin de maintenir les habitans dans
vn repos parfait, & tout le monde ensemble dans vne tranquilité

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inuiolable. Ce qui nous oblige à croire que les
Roys furent créez dés le commencement du monde, &
bien tost apres que nos premiers Peres furent bannis du
Paradis terrestre, veu que les violences, les cupiditez, &
les oppressions commencerent d’estre dés que les hommes
commencerent à se tirer de l’obeïssance qu’ils deuoient à
la raison, & à leur premier principe. Ainsi l’amour que
chaque particulier auoit pour son bien public, fut cause
de la diuision generale qui se glissa vniuersellement sur
toute la terre. Le Diuin Apostre Sainct Paul nous asseure,
qu’il n’est point de Puissance qui ne soit ordonnée de
Dieu, & à laquelle nous ne deuions nous assuiettir en tout
ce qui nous sera possible ; c’est pourquoy il semble que qui
resiste à leurs desseins, resiste absolument aux decrets de
la volonté independante de ce Souuerain Seigneur, & par
consequent à son salut, pourueu que leurs passions soient
legitimes. Mais c’est vn malheur tout à fait deplorable de
voir que les Princes songent plustost à vaincre leurs ennemis,
que les desordres qui se glissent dans l’ame. Ils leuent
des Legions formidables, pour ruiner leurs Suiets, & pour
porter la terreur à toutes les nations estrangeres, & ne voudroient
pas auoir employé vn seul moment à se deffendre
des vices qui les maistrisent, & par ce moyen ils tesmoignent
auoir plus d’amour pour assouuir leur vanité, que de
zele pour le salut des Peuples.

 

Iean 6.

Rom. 13.
1. Pier. 2. 15.

Les Stoïciens, plus iudicieux en cela que nous, ne vouloient
pas que leur Sage se laissast aller aucunement à son
ambition, ny qu’il prestast l’oreille à sa flaterie : c’est vn ennemy
qui ne cherche qu’à nous destourner de l’amour
que nous deuons auoir pour Dieu, pour nostre prochain,
& pour nous-mesmes, afin de nous faire glisser insensiblement
dans le precipice qu’vne horrible eternité nous prepare.
C’est vn tyran qui nous fait abandonner le party de
la Vertu, pour embrasser celuy du vice. Et si nous prenons
le soin d’escouter les inspirations que cét Adorable Viuifiant
des Esprits, infuse continuellement dans nos ames,
nous apprendrons de cette tres-saincte & sacrée personne

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que les passions des hommes ne sont que des demons
reprouuez, ou des furies abominables, aux Roys &
auz Peuples. La vertu, qui se trouue rarement dans le siecle
où nous sommes, doit estre vne faculté inseparable des
Souuerains, & vne habitude glorieuse de bien faire à tout
le monde. Le desir de l’Eternité, & l’esperance de la Beatitude
deuroient porter leur generosité à la conqueste de
ces felicitez permanentes, afin d’establir leurs Maiestez
dans vn regne infiny contre la tyrannie des siecles. Mais
bien loin de donner leur esprit à de si dignes obiets, les
miseres publiques ne sont pas seulement capables de leur
arracher vne larme des yeux, ny d’esleuer leur entendement
à des meditations si necessaires ; Neantmoins qu’ils
sçachent qu’il n’est rien qui leur soit plus important, ny qui
les doiue toucher dauantage ; Car ils ne sont pas seulement
responsables de leur propres actions, mais ils le sont
encore de celles de leurs Suiets, & Dieu les fait choir bien
souuent du Throne où ils sont montez, pour y placer quelquefois
vn funeste vsurpateur, veu qu’ils n’empeschent
pas leurs Peuples d’irriter sa Diuine Maiesté en murmurant
contre luy, lors qu’ils le peuuent faire, C’est pourquoy
les Roys, par vne prudence qui ne doit point auoir
d’autre obiet que la Prouidence Diuine, semblent d’estre
obligez de s’accommoder aux necessitez du public, & d’agir
en leur endroit auec plus de douceur que de force.
C’est par ce moyen que leur valeur se trouuera moins necessaire
que leur clemence, afin de trauailler en nostre faueur,
& pour nostre profit & pour leur gloire. Les Mysteres
de l’Estat ne sont pas si contraires aux Mysteres de
la Religion, qu’ils ne puissent tous deux également viser
au salut des Peuples. Les anciens Politiques se trouuoient
bien souuent deceus au gouuernement des Estats ;
parce qu’ils n’imitoient en leur conduite que les actions
des hommes qui les auoient precedez, en la pratique
d’vn exercice si deceuant & si funeste. Mais vn Prince
Chrestien, vn Fils aisné de nostre Eglise Militante, ne deuroit
iamais auoir d’autre exemple deuant les yeux que

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celuy de ce Souuerain Seigneur qui conduit toutes choses
[1 ligne ill.]
ordinaire clemence. Il faut que la volonté de l’vn s’accommode
aux necessitez de l’autre, il faut que le foible reçoiue
quelque grace du fort, & que le bien de l’Estat & le
bien des particuliers soient estroitement vnis ensemble.
Lors qu’vn Souuerain voit qu’il se forme des partis pour
ruiner ses Suiets, & que par des trames secrettes les Ministres
de l’Estat & leurs Partisans conspirent ensemble la
ruine du Prince & du Peuple, c’est alors qu’il doit prendre
le glaiue en main pour exterminer ces criminels, & pour se
faire iustice soy-mesme. C’est alors que sa seuerité doit
paroistre aux yeux de tout l’vniuers, auec vn visage tonnant ;
Et c’est alors que sa misericorde ne doit pas estre considerée
que comme vn ennemy de l’Estat, ou que comme
vne Diuinité mal faisante. C’est alors qu’ils leur doiuent
apprendre que comme il n’y a point de vertu qu’ils ne sçachent
reconnoistre, qu’il n’y a point aussi de crime qu’ils
ne sçachent punir pour le bien d’vne Monarchie. Il leur
est impossible de pouuoir iamais establit vn regne bien florissant,
qu’apres la deffaite de ces Furies.

 

Prou. 2. 2.

Depuis que ces vsurpateurs de nos Finances, se sont
emparez de l’esprit de nos Princes, il ne s’est point formé
de party qui ne nous ait esté funeste & aux vns & aux autres.
Il faut aussi d’oresenauant qu’ils s’opposent ouuertement
à la menée de ces Tyrans, s’ils n’en veulent pas repondre
deuant Dieu, comme de leurs propres crimes. Et
vostre Maiesté, SIRE, leur doit, oster tout à fait le pouuoir
de nous nuite en les destruisant, si vous ne voulez pas
que Dieu vous face rendre conte vn iour d’vne clemence
si nuisible. Bien que Dieu traitre les Princes auec des douceurs
extraordinaires, & qu’il tesmoigne les [1 mot ill.] par
dessus le reste de ses creatures, il ne laisse pourtant pas
d’agir quelquefois en Souuerain contre eux, & [2 mots ill.]
de la trop grande impunité, dont ils [2 mots ill.]
criminels de cette nature. Ainsi, SIRE,[2 mots ill.]
la conduite de vostre Monarchie, vous [3 mots ill.]fecte

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si pernicieuse & si diabolique au Peuple, à l’Estat, &
à vostre Maiesté mesme. C’est ce qui vous fera mettre au
rang des Iustes. Vostre main leur doit estre fatale, & Dieu
qui prend le soin de vostre salut, l’a destinée de toute eternité
à la perte de ces autheurs de nostre misere. Le droict
de punir des personnes si criminelles, ne sera pas seulement
vne marque de vostre Grandeur : mais aussi vne glorieuse
marque de vostre Iustice. Leur interest particulier
ne peut estre iamais qu’vne eternelle cause de nostre diuisiõ
generale ; De sorte que si vous ne faites, SIRE, des miracles
pour y remedier, toute la France court risque d’estre
la proye de ces abominables Harpies. Et veritablement il
vous est impossible de porter le surnom de Iuste à iuste titre,
sans gouuerner l’Estat auec la mesme integrité que
Dieu gouuerne le monde. Il n’y a que trop long temps que
le Peuple gemit sous l’oppression de ces Tyrans & de ces
Sangsuës publiques. C’est en la punition exemplaire de
ces criminels, que vous deuez employer tout ce que vous
auez de genereux & de seuere. Enfin, SIRE, si vous deuez
vser de vos passions, vous en deuez vser auec iustice.
Le Ciel qui vous a fait part de sa lumiere, vous a fait part
aussi de son authorité, afin de venger l’innocent en la perte
du coupable. Vous ne pouuez sans offenser Dieu prester
l’oreille aux clameurs de ces criminels, ny aux apas
de leurs flateries ; & vous estes obligé, SIRE, de vous
conduire selon nos necessitez, & de traitter auec vos Suiets
comme Dieu traitte auec ses creatures, meslant l’equité
auec vos desirs, & la iustice auec toutes vos procedures.
Ce sont les Armes dont vn Monarque tres-Chrestien
comme vous, se doit seruir pour s’esleuer au faiste des plus
supremes Grandeurs d’icy bas, & pour rendre pareillement
aussi cette Monarchie Françoise en son premier lustre.
La Crainte de Dieu rend les Roys bien-heureux,
& ce Souuerain Seigneur les recompensera tost ou tard,
selon leur propre merite. Enfin leur sagesse doit faire l’establissement
de l’Estat & la felicité du Prince & du Peuple.
Cirus Roy des Perses ainsi qu’il conferoit auec quelques

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Philosophes, des Vertus requises au Prince, leur dit,
que celuy qui n’estoit pas meilleur que ses Suiets, estoit indigne
de l’Empire. Quelques vns enuieux de l’honneur de
Leon Roy des Spartins, luy reprochoient qu’il estoit de la
mesme nature que les autres hommes, & qu’il ne meritoit
pas d’estre preferé à qui que ce fust, que par le moyen de
dignité Royale. Solon l’vn des plus Sages de Grece, interrogé
quel deuoit estre le Gouuerneur du Peuple ; Tel,
dit-il, qu’il se sçache gouuerner, auant que d’entreprendre
à regir les autres. Philippe Roy de Macedoine conseilloit
son fils Alexandre, de viure en telle sorte, qu’il ne donnast
pas suiet à personne de blasphemer contre sa renommée.
Et le mesme Alexandre profitant de cette doctrine
paternelle, se voyant importuné par vn de ses Fauoris de luy
dire quel il vouloit qu’on choisist pour son successeur en
l’Empire, lors que la mort l’auroit mis au nombre de ses
Manes, il luy respondit fort bien, que ce seroit celuy qui
en seroit digne. Salomon nous enseigne que l’homme equitable
& l’homme sage, sont plus propres à la Royauté que
les turbulens & les expugnateurs des villes. Agesilaüs Roy
des Lacedemoniens, soustenoit que celuy qui sçauoit captiuer
ses affections sous l’vsage de la raison, estoit plus digne
de loüange, que s’il eust assuietty tout l’Vniuers sous
sa puissance. Il est selon son sentiment plus glorieux de se
maintenir soy-mesme en sa propre liberté, que de la rauir à
tous les autres. Le Prophete Michée nous asseure, que les
mauuaises passions sont les ennemis domestiques des Princes.
Sainct Pierre en sa deuxiéme Epistre, & Sainct Augustin
au quatriéme liure de la Cité de Dieu, nous aprennent
vne mesme doctrine. Ciceron, quoy qu’il ne fust pas
esclairé de la lumiere Euangelique, nous instruit en ses
paradoxes de la Nature de l’homme, qui ne sçauroit pas
commander aux autres ne sçachant pas les veritables
moyens qu’il faut tenir pour se commander à soy-mesme.
Certes si le Prince veut que l’Estat soit dans vne tranquilité
parfaite, il faut qu’il se rende luy-mesme suiet à ses loix,
aussi bien qu’à celles de ses ancestres. L’exemple du Souuerain

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entend mieux l’art de persuader à ses Suiets, que
toute la Rhetorique du monde. Solon veut que les Princes
obeïssent les premiers aux ordonnances qu’ils ont faites,
s’ils veulent que leur Republique se conserue en Paix &
leurs Peuples dans vne sousmission parfaite. Auguste Cesar
Empereur de Rome auoit les loix en si grande veneration,
qu’vne fois seulement pour les auoir transgressees, il
faillit à mourir de colere. Licurgus Legislateur des Lacedemoniens,
n’ordonna iamais loy, à laquelle il ne se rendist
le premier obeïssant afin d’apprendre aux Peuples comme il
falloit faire. Il se trouue encore vn nõbre infiny d’exemples
dans l’Histoire Saincte, aussi bien que dans les Histoires prophanes :
mais cela seroit trop long à deduire dans vn ouurage
de si petite estenduë. Suffit de vous dire, qu’Aristote ne
fait point d’autre difference entre le Roy & le Tyran, si ce
n’est que le Roy obeit à la loy & le Tyran la viole. Le Tyran
accable son Peuple de subsides, & le Prince n’exige de
ses Suiets que les choses necessaires. Le Tyran ne conuertit
toutes ses exactions qu’en ieux & qu’en magnificences
inutiles, & le Prince les employe à la conseruation de ses
Suiets & à la deffense de son Royaume. Le Tyran veut
estre craint & redouté, & le Prince veut estre aimé d’vne
amitié paternelle. Le Tyran administre l’Estat par fraude
& par auarice, & le Prince par prudence & par integrité
de conscience. Le Tyran se gouuerne par ses flateurs, &
le Prince par le conseil des Sages. Le Tyran craint tout
& doit tout craindre, & le Prince est en seureré au milieu
de ses Suiets, comme vn bon pere de famille au milieu de
tous ceux à qui il a donné l’estre.

 

1. Roys. 10.
9.

Prou. 25.
1. Cor. 3. 12.

Eccles. 10. 1.

Prou. 14.

Mich. 7.

Mais, Illustres Conquerans, dignes Oingts du Souuerain
Eternel, magnanimes Potentats de la terre, si vous desirez
auoir des qualitez qui semblent surpasser celles des
Anges, vous n’auez qu’à prendre nostre Incomparable &
Auguste LOVIS Dieu donné, pour obiet, & vous former
sur ses exemples. N’est-ce pas vne chose inouyë, qu’vn
Prince à l’age de quatre ans, de son propre mouuement, &
sans autre inspiration que la sienne, ait sceu répondre auec

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vn zele incroyable à tous les mysteres d’vn Sacrement, où
Iesus-Christ se trouua luy mesme en personne ? Monseigneur
l’Eminentissime Euesque de Meaux qui le baptisoit,
en fut tellement surpris, qu’il ne sçauoit si c’estoit vne illusion,
ou quelque autre espece de ces images deceuantes.
N’estoit-ce pas encore vne chose merueilleuse, d’entendre
cette voix enfantine & toute celeste, raisonner auec vne
harmonie, qui n’en eut iamais de semblable, sur vne matiere
si delicate, que celle de l’ablution interieure de nos ames ?
Les abiurations que ce genereux Prince faisoit, en
vn âge si tendre que le sien, contre vn nombre infiny de Legions
infernales, qui ne cherchent qu’à nous perdre en des
actions de pareille nature, donnerent vne si puissante emulation
à tous ceux qui le consideroient, qu’il n’y en eut pas
vn qui ne s’en allast auec vne conscience toute épurée :
Il ne s’oublia pas encore de répondre hardiment à toutes
les propositions qu’on luy faisoit sur sa creance, selon les termes
du Rituel Romain, & de faire voir qu’il n’estoit pas
ignorant en l’art de se faire obeyr au vent, ny en l’art de
remuer les Montagnes. En suite, pour confirmer les paroles
que ce digne Monarque venoit de dire, il recita hautement
deuant tous les assistans, d’vne action si noble & si
pieuse que la sienne, le Symbole des Apostres, & l’Oraison
Dominicale : & puis tenãt vn cierge ardant entre les mains,
il se mit à prier Dieu durant tout le reste de la ceremonie.
Et du depuis, que n’a-t’il pas fait pour redonner la Paix à
tous ses Suiets. I’ay ouy dire à quantité d’Officiers, qui ont
l’honneur d’approcher sa personne, qu’il auroit voulu estre
à Paris, d’où il estoit sorty contre son gré, & qu’il estoit extrémement
faché de voir les grandes persecutions que l’on
faisoit à son peuple. Apres cela, se peut-il voir des boutez
pareilles aux siennes ? Et apres des graces si extraordinaires,
que peut-on desirer dauantage d’vn Prince si touché de l’esprit
d’vn Dieu, qui nous l’a donné pour sa gloire ? Ne sont-ce
pas là des actions à se mettre au nombre des biẽ-heureux,
& à porter sa renommée au delà des siecles ? Ne sont-ce
pas là des effets d’vne vertu sans seconde, & d’vne pieté sans

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exemple ? N’est-ce pas là dans vn commencement encore
tout enfantin, posseder des qualitez à faire rougir des Princes
plus âgez que luy, & qui se picquent d’auoir & plus de
generosite & plus de sagesse. C’est s’il me semble sçauoir faire
des miracles en sa faueur, & s’esleuer à des honneurs, où
personne que luy ne sçauroit atteindre. Et c’est en vn mot
auoir trouué les moyens d’attirer sur sa Maiesté, toutes les
bonnes influences du Ciel, & toutes les benedictions de
Dieu & des hommes, sur toute l’estenduë d’vn Royaume
si florissant, que celuy dont sa Diuine Prouidence l’a voulu
honorer, en reconnoissance d’vne vertu si prodigieuse que
la sienne.

 

Dieu dont les bontez sont infinies, luy fasse la grace de
perseuerer en de si dignes sentimens, afin de se mettre au
nombre des Saincts, aussi bien qu’au rang des illustres. C’est
le souhait que tous les bons François doiuẽt faire pour luy,
& les moyens dont ils se deuroient seruir, pour obtenir des
benedictions infinies. A quoy ne sommes nous pas obligez
pour vn Souuerain, que le Ciel a doüé d’vne si extraordinaire
vertu, & pour vn Estat qu’il a tousiours chery, & si necessaire
à sa gloire. Ce Prince a des qualitez si vtiles au salut
de cette Monarchie, que nostre zele seroit digne de blasme,
s’il s’arrestoit au seul repos où le sort nous a mis, & s’il ne tẽdoit
à des faueurs plus excellentes & plus glorieuses pour
son bien, aussi bien que pour le nostre. Ce Souuerain Eternel
nous a tousiours témoigné qu’il auoit plus d’amour pour
nos Roys que pour tous les Princes de la terre. La France
luy a esté continuellement en plus grande consideration
que le reste des autres Empires. C’est ce qui nous doit obliger
à croire fermement, que ce Diuin Protecteur des Peuples
& des Estats, ne manquera pas de sa part à nous assister
de tout ce qu’il nous fera besoin, pour nous acheminer à des
desseins si pieux & si considerables que les nostres ; pourueu
que de nostre costé nous ne manquions pas de contribuer
en tout ce qui nous sera possible à les receuoir dignement,
afin qu’ils ne nous soient pas enuoyez sans efficace.

Nous commençons desia heureusement, apres tant de

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troubles, que l’enfer nous auoit fait naistre, à nous ressentir
des graces que Iesus-Christ a tousiours promises à tous
ceux qui viuront sous ses Loix, & qui obserueront le contenu
de ses Ordonnances. La Paix nous a esté donnée par
ce digne Liberateur, lors qu’on n’en pouuoit pas comprẽdre
les moyens, qu’on desesperoit de son salut, & qu’on
n’attendoit plus qu’vn deluge vniuersel, & de feux & de
flames. Le pere armoit contre le fils, le Maistre contre le
valet, le vassal contre son Seigneur, & le Suiet contre son
Prince. La rage & la terreur couuroit toute la surface de
la terre : & tout ce que les Furies peuuent susciter de plus
abominable dans l’esprit des hommes, s’exerçoit sur les obiets
les plus precieux, & sur les personnes les plus sacrées.
Mais le Roy, la Reyne, les Princes, le Conseil, & Nosseigneurs
du Parlement, inspirez d’vne amour toute Diuine,
ont trouué l’Art d’imiter sa Diuine Bonté, & de faire des
miracles en faueur de cette Monarchie. Voyez donc si
nous ne sommes pas bien obligez de prier Dieu pour eux,
& de remercier eternellement des personnes, de qui nous
auons receu des graces si extraordinaires, que celles qu’ils
nous ont faites, en nous donnant la Paix que nous auions
ant desirée.

 

FIN.

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Anonyme [1649], ESTABLISSEMENT VNIVERSEL DE LA PAIX GENERALE, OV SENTENCES MORALES ET POLITIQVES Sur les plus importantes matieres de l’Estat. Contre les vsurpateurs du bien public. Où le droit des gens, & la cause commune sont equitablement defendus. En faueur des Souuerains & des Peuples. Touchant la veritable creation & la legitime authorité des Roys, & la mutuelle obligation des Princes enuers leurs Sujets, & des Sujets enuers les Princes. Piece rare & instructiue & pour le Tiers Estat, & pour la Noblesse. , françaisRéférence RIM : M0_1289. Cote locale : A_2_63.