Anonyme [1652], LES INTERESTS DES PEVPLES REPRESENTEZ A SON ALTESSE ROYALE. PIECE D’INSTRVCTION: Où le Lecteur verra que c’est folie de se ruiner pour chasser le C. Mazarin, si l’on n’insiste également à la diminution des Tailles, Gabelles, Entrées des Portes, & autres imposts: Et qu’il ne faut point demander l’vn sans l’autre. , françaisRéférence RIM : M0_1716. Cote locale : B_5_53.
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LES
INTERESTS
DES
PEVPLES
REPRESENTEZ
A SON ALTESSE
ROYALE.

PIECE D’INSTRVCTION :

Où le Lecteur verra que c’est folie de se ruiner pour
chasser le C. Mazarin, si l’on n’insiste également
à la diminution des Tailles, Gabelles, Entrées
des Portes, & autres imposts : Et qu’il ne faut
point demander l’vn sans l’autre.

A PARIS.

M. DC. LII.

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MONSEIGNEVR,

L’approbation dont Vostre Altesse Royale
a honoré mon zele auec ma plume, ne m’a pas
peu enhardy à trauailler à faire remplir les esperances
de la France en vous representant les
Interests des Peuples au suiet de la Paix que
V. A. ROYALE, Messieurs les Princes, & le
Parlement de Paris traitent auec la Cour. Cette
Remonstrance ne pouuoit estre portée mieux

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qu’à Vous, qui estes le Chef d’vn party armé
contre l’Ennemy de l’Estat, qui auez touché
la main de la Iustice pour luy faire desserrer ses
foudres sur la teste de ce Criminel ; & qui enfin
par l’authorité de vostre naissance auez attiré
ou maintenu dans la defence de la cause
publique tout ce dont elle se treuue à present
fortifiée. Ie presteray ma plume aux Peuples
d’autant plus volontiers que ie découure que
leurs interests sont meslez auec ceux de V. A. R.
ainsi que ie feray voir dans la suite, ce mélange
me donnant lieu de continuer à vous donner
des arres de ma seruitude.

 

Ie considere icy les commencemens de cette
Guerre, & la fin pour laquelle on a fait entendre
aux Peuples qu’il falloit prendre les armes.
On a dit dans les Assemblées des Chambres,
& des Corps de Ville, que le Cardinal
Mazarin estant vn Tyran, & l’Ennemy de l’Estat
dans lequel il estoit r’entré, il falloit luy faire
la guerre ; qu’on n’embrassoit que l’interest
public, qu’on n’auoit autre chose dans la pensée
que le repos & le soulagement des Peuples,
& que c’estoit la veritable fin de la Guerre. On
a deliuré les Commissions, & écrit aux Parlemens

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en ces termes pour obtenir des Arrests en
faueur d’vn nouueau Party ; & enfin la douceur
de ces esperances qu’on auoit données aux
Peuples a esté cultiuée par des protestations
reïterées, lors qu’on a mis les mains sur les deniers
publics, leué les Tailles dans les Prouinces,
& fait les logemens des gens de Guerre.

 

C’est là, MONSEIGNEVR, que vostre
foy se trouue engagée auec celle de Messieurs
les Princes dans des promesses si solemnelles,
que pour retirer ce depost, il est question de
payer d’effets. Autrement les Peuples, qui apprennent
tousiours la Politique dans l’Eschole
des Guerres Ciuiles, ne manqueroient pas de
remarquer qu’en mesme temps qu’on fait la
guerre à l’infidelité du ministere, on en imite
la deprauation ; Et alors il ne leur seroit rien
plus aisé que de faire retomber les reproches
dont on a couuert la conduite du Card. Mazarin
sur celle d’vn Fils de France, & des Princes
du Sang. Ils diroient ouuertement que
pour les obliger à prendre les armes, on les
a flatez de l’esperance d’vn soulagement imaginaire.

Par ces raisons qui n’ont point de replique,

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V. A. R. iugera combien il est important
de satisfaire à tant de promesses en vous interessant
pour le soulagement des Peuples, afin
de leur oster tout suiet de plainte.

 

Or l’occasion à s’interesser, & faire instance,
est sans doute celle d’vn Traité de Paix :
C’est le lieu à faire voir la passion que Vostre
Altesse Royale a pour les Interests des Peuples,
qui ne peuuent receuoir de plus grandes
certitudes de leur soulagement, que lors
que cette main sacrée vaincuë par les Prieres
& les Remonstrances de son Parlement, en
signant la Declaration de la Paix, laissera couler
le lien qui doit reünir la Maison Royale ;
& que la mesme les déchargera d’vne partie
des Tailles, des Gabelles, & des Imposts qui
faisoient la pesanteur du ioug du Ministere
tyrannique du Cardinal Mazarin.

C’est en cette décharge, MONSEIGNEVR,
que les Peuples font consister les
interests qui les touchent de plus prés ; Car
comme la multitude & l’excez des Imposts
fait leur oppression, la diminution qui doit
faire leur soulagement, est proprement ce qui
les regarde. C’est le seul profit solide que la

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France puisse recueillir de l’éloignement du
C. Mazarin. Et si les Peuples ne iouyssoient
point de ce rabais, les François qui ont soûtenu
le party de ce Ministre, pourroient bien
demander à ceux qui ont suiuy le vostre, où
sont les fruits d’vne si grande leuée de Boucliers,
& qu’est-ce qu’ils ont gagné à se ruiner,
si les Tailles, les Gabelles, & les autres
Imposts doiuent continuer dans le même excez.
Les Peuples qui ont eux-mêmes alteré
leur repos pour fortifier par la ionction de leurs
armes le Party de V. A. R. continuans ainsi à
gouster les amertumes du Ministere passé, seroient
semblables à ces iets d’eaux, qui ayant
souffert des mouuemens violens pour plaire
aux yeux, & s’éleuer par-dessus leurs tuyaux,
retombent tousiours dans le mesme bassin, &
ne perdent rien de leurs premieres qualitez.
Celuy qui osta la conduite du Char à ce Phaëton
fabuleux, n’eut pas guery les ardeurs & les
ariditez de la terre, s’il n’eut changé le cours
& la carriere de ce Chariot de lumiere. Ce
n’est pas non plus guerir vn blessé, que de
faire quitter à son Ennemy l’Epée qu’il luy
tient dans le corps ; il en faut tirer le fer qui

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fait sa blessure & sa douleur. La seule presence
de l’Estranger duquel ie parle, n’est pas
la cause de l’oppression de l’Estat. Les Tailles
& les Subsides excessifs que ce premier
Ministre a imposez, qui luy ont fait donner
le nom de Tyran, qui ont fait perir de faim
& de misere plus de cent mille Suiets, &
rüiné plus de dix millions de familles, sont la
veritable & vnique cause de la desolation du
Royaume. C’est là dessus que la haine des
Peuples est fondée. Ils ne veulent mal au Card.
Mazar. que parce qu’il leur en a trop fait. L’Interest
fait le temperamẽt du cœur ; il l’échauffe
& il le rafroidit ; & s’il s’ouure à l’amour, ou
se ferme à la haine, ce n’est que par les mouuemens
de ce ressort. Tellement que s’il estoit
question de choisir, ou la sortie de cét Estranger
hors du Royaume, ou le rabais des Tailles,
des Gabelles, & des autres Imposts, il
n’est point de doute que les Peuples ne préferassent
ces soulagemens essentiels au voyage
d’vn Courier : Duquel, pour dire la verité,
ils ne souhaittent l’éloignement que sur la
croyance qu’ils ont que ceux qui gouuerneront
en sa place, n’exigeront pas tant. Et

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s’il arriuoit qu’ils fussent trompez, ils seroient
sans doute bien marris d’auoir trauaillé, au
prix qu’il leur couste, à le faire sortir.

 

Les promesses & les desseins de V. A. R.
demeurans ainsi présupposez touchant les Interests
des Peuples, qui ne peuuent consister,
comme i’ay demonstré, que dans le Rabais
des Imposts ; I’oseray vous prier, MONSEIGNEVR,
d’agréer que ie desavouë en vostre
Nom le dix-huitiéme Article contenu dans
l’imprimé, qui porte pour tiltre ; Les Articles
de la Paix proposez à la Cour par Messieurs
les Princes, comme estant ledit Article contraire
aux intentions que V. A. R. a témoigné
auoir pour les Interests publics.

Que les Tailles, Gabelles, & Imposts ordinaires
és Entrées des Portes seront continuez
iusques à ce que l’on ait traité la Paix generale,
qu’on pourra soulager le Peuple des frais immenses
d’vne si longue & difficile Guerre.

Les Peuples qui se remettroient en memoire
les protestations de V. A. R. & de Messieurs
les Princes pleines de zele pour leur
bien, auroient suiet de s’estonner, non seulement
de ce qu’on les auroit oubliez, n’y ayant

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pas vn parmy XX. Articles dans lequel on
fasse instance pour leur soulagement : Mais
mesmes que ceux qui n’auoient depuis peu
en bouche que les Interests des Peuples, auroient
demandé par vn Article exprés la continuation
de leurs miseres, & de toutes sortes
d’Imposts dont ils sont accablez.

 

Quand V. A. R. proposera au Roy les Articles
de Paix qu’elle aura concertés dans son
Conseil, les Peuples ne peuuent pas craindre
que leurs veritables Interests soient oubliez,
sans douter de la fermeté de vostre
parole, dont le dégagement doit estre remplacé
de preuues qui soient notoires à tous.
Quand bien mesme cette necessité qui part
d’vn libre engagement de vostre foy, ne vous
obligeroit point à vous interesser pour eux :
V. A. R. y seroit conuiée par les souffrances
publiques, & la desolation generale qu’vne
Guerre Ciuile a répandu dans cét Estat.
Cette bonté Royale, que ie puis dire sans
flaterie, vous estre naturelle, seroit prouoquée
par les gemissemens de tant de Peuples
qui n’ouurent la bouche qu’aux soûpirs, & ne
goûtent que l’amertume des larmes qui leur

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coulent des yeux.

 

Vous n’ignorez pas, MONSEIGNEVR,
que la desolation & le crime sont les fruits
de la Guerre ; qu’il ne faut qu’vn logement
pour faire d’autant d’hostes, autant de mendians ;
& que les troupes estrangeres pillent
auec vne licence qu’on ne peut contenir. Pour
auoir deuant les yeux des preuues de ces veritez,
il n’est pas besoin d’aller à la Campagne
pour veoir des miserables : en quantité de
lieux on n’en trouueroit point du tout, parce
qu’on n’y trouueroit point d’hommes ; partie
ayant esté tuez, & la langueur ayant conduit
le reste au dernier remede. Paris, ce grand
abregé de la France, l’est à present de ses miseres ;
la multitude extraordinaire de mendians,
& de pauures honteux dont cette Ville
est remplie, fait entrer à tout moment en
connoissance & en compassion de la perte
qu’a fait le Laboureur, l’Artisan, & le Riche.
Ce n’est encore là, pour le dire ainsi, que la mõtre
des souffrances publiques, n’estant point
de maison en France, pour accommodée
qu’elle soit, qui n’ait ressenty de l’incommodité
de cette Guerre. Ie n’excepte pas celles

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des Princes & des Grands du Royaume, où
le retranchement qui s’y voit découure l’étenduë
du mal qui affoiblit l’Estat. Aprés cela
il n’est pas possible de dissimuler la connoissance
de la desolation publique, non plus
que de l’ignorer sans se meconnêtre soy-mesme.

 

Ie ne dis rien de l’impossibilité qui se trouuerroit
dans la leuée des Tailles, des Subsides,
des Gabelles, & des autres Imposts, iusqu’à
l’excez auquel le C. Mazarin les a leuez. Ie
m’arreste à considerer que lors que la puissance
n’est plus, les obiets dont elle iouyssoit
toute seule ne sont pas necessaires. Ce Ministre
a nourry son auarice de l’excez des leuées
dont il a retiré tant de millions ; fait des despences
immenses en train & en meubles ; fourny
à celles de Mancini, des Mancinites, &
des Martinochites qu’il fait éleuer en Princesses ;
encor auoit-il bien de l’argent de reste
à faire transporter hors du Royaume ; Enfin
a confessé luy-mesme dans la lettre qu’il écriuit
à V. A. R. en auoir eu assez pour leuer &
soldoyer vne Armée ; & tout cela, personne
n’en doute, aux dépens des Peuples, & sur

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les deniers des Tailles, des Gabelles, & des
Imposts. Quand ce Tyran sera éloigné pour
ne mettre plus les mains dans les coffres du
Roy ; il est évident qu’il y a lieu à la diminution
de tant de charges du Peuple qu’il n’a
appauury que pour assouuir son auarice, &
enrichir ses parens. Puis qu’il ne doit plus
estre de gouffre qui engloutisse la substance
des Peuples, il ne faut plus tant de substances ;
Et si cette sang-suë n’étreint plus le corps
de l’Estat, au moins n’en faut-il pas tirer la
quantité de sang dont elle auoit coustume de
se remplir.

 

On peut adiouster à ces raisons qui sont
au dessus de toute contradiction, l’exemple
de la Declaration du Roy de l’année 1649.
dans laquelle la Cour octroye à la Prouince
de Guyenne qui s’estoit declarée contre sa
conduite, la décharge d’vne notable partie
des Tailles, & de l’Impost de deux
escus par Tonneau de Vin. Tant il est iugé
necessaire de soulager les Peuples aprés
les Guerres Ciuiles pour leur donner quelque
moyen de reparer les pertes & les
dommages que le desordre & la licence des

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armes leur ont fait souffrir.

 

Toutes les lumieres de l’entendement ne
valent pas la moindre chaleur du cœur ;
Et i’estime, MONSEIGNEVR, que
pour porter V. A. R. à s’interesser & faire
instance pour ce rabais, il ne faut que
vous prier de consulter l’amour que vous auez
pour les Peuples. Ie veux estre vaincu par
cette noble passion, qui doit auoir par dessus
moy l’avantage de pouvoir vous persuader.
Ie me tais, & ne veux pas redire que d’insister
à la sortie du C. Mazarin, & point à la
diminution des Tailles, des Subsides, & des
Gabelles excessiues qu’il a imposées ; C’est
poursuiure le meurtrier, & abandonner le
blessé sans se mettre en peine d’vn appareil ;
vouloir chasser le Tyran, & souffrir le cours
de la Tyrannie ; se rendre reprochable d’infidelité,
& se ruiner tout à fait de creance.

Ie ne veux qu’annoncer à VOSTRE ALTESSE
ROYALE les acclamations des Peuples
qui doiuent suiure ses soins, & les instances
qu’elle fera pour leur soulagement, qui
adoucira l’amertume du souuenir de leurs
pertes, & sera capable de les tenir prests à seconder

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vos intentions, en cas que le lien du
Traité de Paix qui doit reünir cét Estat diuisé,
vienne à estre rompu par l’infidelité du
Ministere.

 

FIN.

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