Anonyme [1649], LES LVNETTES A TOVTES AGES, POVR FAIRE VOIR CLAIR aux Ennemis de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2335. Cote locale : A_5_26.
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LES LVNETTES A TOVTES AGES,
pour faire voir clair aux Ennemis de l’Estat.

NOVS lisons dans l’Antiquité qu’il se trouua
vn Aspendius ioüeur d’instruments, qui ialoux
du plaisir qu’on prenoit à l’entendre, touchoit
par desdain son Luth de la main gauche, & se bassement
encore qu’il n’y auoit qui luy que pût se diuertir
par son agreable harmonie. Ie me garderay bien de
participer aux imperfections de cét auare, qui refusoit
de partager auec personne, ce que la nature luy auoit
donné si liberalement de gentillesse en son Art, & ie
ne veux pas retenir pour mon particulier rien de ce qui
se trouuera que i’aye de propre à seruir à ceux qui croyront
que ie le puisse faire. C’est la cause qui me fait exposer
en lumiere ces Lunettes à tous aages, pour faire
voir plus loin que leur nez à ceux qui ont des tayes
dans les yeux qui leur font la veuë trouble, & les empeschent
de reconnoistre les mauuais desseins du Cardinal,
& la ruine qu’il a meditée de ce Royaume. Ces
Lunettes ne sont pas de celles qui furent inuentées en
Hollande il y a quelques années : Les nostres font voir
d’vne extremité de la France à l’autre, & celles-là ne
guident la veuë que deux lieuës. Les nostres montrent
les choses presentes & les choses futures, ce qui ne se
peut plus voir, ce qui se void & ce qui se verra : elles ne
trompent personnes, elles n’alterent les dimensions ;

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proportions, simmetries, hauteurs, largeurs, profondités,
quantitez & qualitez des objets, comme celles
qui sont taillées à plusieurs faces, accommodées ensorte
qu’il y ait plusieurs angles, & que ces angles se
terminent au milieu, afin qu’ils conuiennent à la prunelle
des yeux & à la faculté visuelle, à ce que le regard
se diuise, & ne puisse contempler vne chose vraye,
ny en l’estat qu’elle est : Ces Lunettes ainsi façonnées,
font voir à ceux qui s’en seruent, pour regarder quelqu’vn
au visage, autant d’yeux qu’en auoit Argus, s’ils
regardent le nez, autant de nez que d’yeux, & ainsi des
autres parties du corps, bref tout objet leur paroistra
monstrueux & multiplié. Ceux qui se promettent de
prendre Paris, parce que peut-estre ils ont leu dans
l’Almanach, prise de Ville esmerueillable, auroient
besoin de nous enuoyer de telles Lunettes, pour nous
faire croire, que pour deux ou trois Regimẽs ils en ont
cinquante, & pour cinq cens hommes, vingt mille : Ils
auroient aussi vn tres-grand auantage, si leurs Soldats
vouloient receuoir leur paye auec ces Lunettes, &
pour vne espece de monnoye en creussent receuoir
cent, & qu’ainsi plusieurs Soldats fussent quelquefois
deuant leurs yeux, & iamais dans leurs mains. Ces Lunettes
que ie mets en vsage, ne sont deceptiues ny frauduleuses
comme les autres : Par le moyen d’icelle ie
veux faire à l’endroit de nos Ennemis, ce que la commune
Baleine fait à la grosse quand elle perd la veuë
par la pesanteur des sourcils qui la luy couurent : L’on
dit que cette Baleine commune va deuant, pour monstrer
à l’autre les chemins asseurez, luy seruant ainsi

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d’yeux & de Lunettes. Vsez de mesme, Messieurs les
Aueugles, de celles que ie vous presente, & sçachez
auparauant qu’elles sont de meilleur seruice aux yeux
spirituels qu’aux corporels. Cest par elles que vous
connoistrez, Messieurs les Quinze-Vingts, (car aussi
bien nos Troupes n’en font gueres d’auantage :) C’est
par elle, dis-je, que vous connoistrez l’iniustice de vos
armes que vous ne sçauriez desnier, puis que vous aduoüez
les auoir prises contre la Iustice. C’est par elles
que vous descouurirez la fausseté des pretextes dont
on vous couure le momon pour vous engager à seruir
vn Cardinal Esclaue de ses vices, le bourreau de la France,
& le Perturbateur de son repos. Par elles vous verrez
l’absurdité des raisons qu’il dit l’auoir obligé de
nous rauir la Personne sacrée de nostre Roy, & premierement
la fausseté de ce qu’il allegue, que ces Augustes
Senateurs qui veillent nuict & iour à la grandeur
de nostre ieune Monarque, ayent intelligence auec
l’Estranger, eux que chacun sçait n’estre estimés
criminels, que pour auoir refusé d’en auoir auec luy,
& que s’ils auoient voulu donner consentement aux
mauuais desseins de Mazarin, le plus grand Ennemy
qu’ait la France, ils seroient tenus pour des fidelles Suiets
de sa Majesté, par ceux qui se plaignent auiourd’huy,
qu’ils ont voulu attenter sur sa Personne, comme
si la vouloir rauoir des mains d’vn Estranger, pour
la rendre entre celles de ses Tuteurs affectiõnez, estoit
contre elle vne conspiration formée. La troisiesme raison
qu’il auance est si ridicule, que ie ne vous inuiteray
point à prendre mes Lunettes pour en recõnoistre

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la contradiction. Il dit que ce Corps venerable veut
abolir l’authorité du Roy, qu’il en rende compte luy-mesme,
quand il la hazarda imprudemment le iour
de son beau Te Deum, à la mercy d’vne Populace esmeuë
iustement, contre l’insolence de ce Ministre qui
la gouuernoit. Certes, si vouloir faire le procés aux Financiers,
si diminuer les Tailles, si demander la Paix,
si soulager le Peuple, si reformer l’Estat, est vouloir
perdre l’authorité Royale, Messieurs du Parlement
sont tous prests d’auoüer leur rebellion, & de se ranger
à l’obeyssance, mais qu’il aduoüe auparauãt qu’elle
consistoit tout à perdre ses fidels seruiteurs. Et pour
lors on ne doit pas trouuer estrange, si ceux entre les
mains de qui elle fut de toute ancienneté confiée durant
le bas âge de nos Rois, veulent auiourd’huy perdre
cette tyrannique, & remettre en sa place la veritable,
& la premiere qui consiste dans l’equité & dans
l’amour de leur Peuples. Chaussez à present mes Lunettes,
si vous en eustes besoin iamais. C’est en ce momoment
qu’il faut démasquer les ruses & les fourberies
dont le Cardinal se sert, pour obseder l’esprit de la
Reine, pour ne point dire, le posseder : C’est icy vne
grande espreuue, c’est vn endroit où beaucoup ne
voyent goute, encore & recourent sans necessité au
soupçon de Magie, ne pouuant comprendre par quel
art il peut auoir charmé cette grande Princesse, qui ne
fait que trop de vœux pour nous : mais qui pourroit ce
me semble trauailler d’auantage à nous donner cette
Paix, que l’on sçait qu’elle demande tous les iours deuant
le Sainct Sacrement pour son Peuple. Le suiet de

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nostre admiration, s’accroit quand nous voyons deux
illustres Princes du Sang, empoisonnez de mesme erreur :
mais c’est la faute que nous faisons, de ne pas discerner
que ces deux Princes ont trop de cœur, pour
souffrir qu’on die qu’ils ayent suiuy le Cardinal, comme
trop de zele d’auoir accompagné sa Maiesté dans
l’enleuement qui s’en est fait, & trop de fidelité de ne
l’auoir pas tirée des mains de ceux qu’ils en croyoient
les legitimes depositaires, & qui n’en sont que les
injustes possesseurs. Pour ce qui regarde la haine,
ie dis que sa Majesté n’a pas encore conneu la
fatalité du present qui nous fut fait de ce meschant
Ministre, par vn autre qui ne valloit gueres mieux, &
qu’il est probable, que si la misere des François, les cris
& les gemissemens du peuple pouuoient toucher les
aureilles de cette Princesse vertueuse, elles luy toucheroiẽt
en mesme tẽps le cœur. C’est dequoy il faut prier
Dieu qu’il luy vueille rendre la veuë, pour abhorrer ce
loup desguisé qui luy fut recõmandé par le feu Roy son
espoux de tres-heureuse memoire, lors qu’il estoit dans
le dernier point de son agonie, priué presque de toute
connoissance ; Recommandation que nous ne sçaurions
nier pour sa derniere volonté, puis que ce grand
Monarque ne donna plus aucun signe de vie, si tost
qu’il nous eust donné celuy de nostre mort, auec cét
insolent ministre. Nous sçauons le respect que nous
deuons à la memoire de Louïs XIII. qui n’entẽdoit pas
à sa mort ruïner vn Estat, qu’il auoit tant pris de peine
d’agrandir toute sa vie. Aussi est-ce cette derniere intention
qu’il eut de le cõseruer florissant, que nous deuons

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tenir inuiolable, & croire que ce grand Roy n’eust pas
laissé ce tyran apres luy, s’il auoit conneu la verité de ce
qui s’en est escrit depuis six semaines, ausquelles eloges
il renuoye les Aueugles, ne les voulant pas reciter
icy, crainte d’vser de redites. Peuples François, ouurez
les yeux & si tu les a fascinez, romps ces Lunettes prestigieuses,
qui t’ont fait voir la grosseur des montagnes
dans les intentions de vengeance qu’ont les perturbateurs
de ton repos ; Celles-cy te feront voir leur ridicule
accouchement, & que les imaginations du Prince
de Condé sont choses differentes des effets ; Ne suis
point ses Estendars qu’à peine il a peu arborer dans
Charenton aux despens du Sang d’vn des plus illustres
Soldats de sa suitte : Ne souffre point de diuision
entre tes enfans, elle est dommageable aux Royaumes.
Les Romains qui conquirent le monde, n’entrerent
pourtant iamais dans vn païs qui ne fut diuisé,
& qu’ils ne fussent introduits par l’vn des partis.
Philippe de Macedoine conquit l’ancienne Grece
par les partialitez qu’il y trouua. François, tenez vous
vnis ensemble, & ne donnez pas iour aux Ennemis
de ce Royaume, qui pourroient profiter de vostre deuotion.
C’est ainsi que vous serez heureux, & que ie
n’auray pas regret de vous auoir donné à tous vne paire
de mes Lunettes.

 

FIN.

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