Anonyme [1649], LES MOTIFS DE LA TYRANNIE DV CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2504. Cote locale : C_6_27.
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LES MOTIFS DE LA TYRANNIE
du Cardinal Mazarin.

COMME i’ay eu consideré la façon dont i’ay vescu,
ie n’y trouue point de fautes qui meritent de
s’y arrester : Et parce qu’en France les esprits
sont plus scrupuleux qu’en Italie, ie me suis resolu
de faire voir les raisons pourquoy i’ay traitté
les François tyranniquemẽt, comme chacun
dit, & monstrer qu’ayant suiuy la piste de mon predecesseur ce
grand Escolier de Machiauel, qui tenoit pour maxime ; que le
Tyran se deuoit introduire par la douceur, & maintenir par la
cruauté, ie ne croy point auoir failly ; I’ay grande obligation à
ce personnage, dont i’honore la memoire, parce qu’il m’a reconnu
digne de luy succeder par la manutention des siens, dõt
pas vn n’auoit assez d’esprit ny de capacité pour se conseruer
apres luy sans mon appuy : & quand ie m’approchay de luy, qu’il
voyoit mon employ estre à controoller sa cuisine, & moucher
des chandelles quand il joüoit, luy rendant des deuoirs cõme
à vne Diuinité, il iugea que i’estois propre à continuër ses desseins,
ne croyant pas qu’en France il y eust personne à qui il
se pust fier, tant à cause qu’il estoit hay generalement de tous
les François, & mesmes des meschans à qui il donnoit employ ;
que pource qu’il ne iugeoit pas que dans la Monarchie autre
que moy eust voulu faire ce que i’ay fait apres luy. Il est vray
que depuis sa mort i’ay conduit la barque iusques à present si
adroitement, que tout a flechy sous moy : & n’eust esté l’entremise
que d’Emery a faite imprudemment contre tous les Officiers
de France, ie n’aurois esté heurté : mais il a faict ce manquement,
à quoy ie ne puis plus remedier : Aussi l’ay-je chassé
de la Cour.

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Auparauant cela, ie me seruois des bons preceptes du passé
par prescriptions temeraires, emprisonnemens iniustes, supplices
honteux, bouconi segati, & autres inuentions tyranniques,
qui estoient necessaires pour me maintenir. I’auois acheué de
ruïner les peuples & les Officiers par impositions & taxes extraordinaires,
à quoy i’estois fort aydé par deux ou trois mille
Partisans, gens de neant, de sac & de chorde, abandonnez à
toutes sortes de meschancetez, qui estoient mes courtisans &
mes esclaues, qui reduisoient les hommes au desespoir, par les
violences qu’ils leur faisoient. A l’esgard de la Noblesse, ie l’ay
destruite par elle-mesme, enuoyant les plus grands Seigneurs,
Gentils hommes, & autres à la guerre, comme simples personnes,
ne cognoissans leur facilité, & fomentant tousiours,
comme estant le pretexte de mon deuancier qu’il prit pour le
plus specieux, afin de regner lors qu’il fit rompre le traitté qui
auoit esté si solemnellement fait entre les deux Couronnes à
Veruins, pour auoir subiect d’exercer toutes les cruautez imaginables
sur les François, pour tirer l’argent du Royaume : Il
s’empara de l’auctorité du defunct Roy, abusant de sa bonté il
en esloigna Mere & Frere : Il establit dans les Charges de la
Iustice, des Finances, & de la Guerre des Chefs à sa disposition :
Il mit dans les Gouuernemens des Prouinces, Villes, Chasteaux,
Citadeles, Havres, & Ports de Mer, des gens de sa Caballe,
afin d’en disposer. Il destruisit la Rochelle & autres
Villes qu’il croyoit luy pouuoir faire obstacle ; Il mit les plus
belles charges de l’Estat dans sa famille. Il se rendit Directeur
general de tous les Benefices de France, qui sont à la nominatiõ
du Roy, pour les conferer à ceux de sa faction. Il enuoya dans
toutes les prouinces des Intendans, pour y faire regner son
nom, dont l’horreur faisoit trembler les peuples, joignant à ces
Intendans des troupes de Voleurs appellez Fuzeliers, Sergens,
& Archers, qui ruïnoient & desoloient les lieux où ils alloient
pour violenter les subiects du Roy. Il authorisa hautement les
Maltotiers & Partisans, par lesquels il faisoit faire des traittez
iniques, & remplis d’impietez ; & se faisoit adorer comme vn
Dieu par la violence de quantité de Filoux, Vagabonds ; & Brigands

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en grand nombre qui luy seruoient de gardes, & sous ce
nom d’Eminence, tout craignoit, & rien ne luy estoit impossible.
De maniere que sur vn si bel exemple, i’ay formé ma façon
de regner, croyant qu’apres de si grandes instructions d’vne
personne dont la tyrannie estoit tant redoutée, ie pouuois continuer
sur ses pas.

 

Ie poursuiuis donc mon introduction sur l’auantage que
mon bon-heur me donna d’estre honoré du Tiltre de Parrain
du Roy au nom de sa Saincteté. Ce qui me dõna l’audace, apres
le deceds du feu Roy de parler plus facilement à la Reyne dans
sa Regence, & d’auoir la qualité de premier Ministre au lieu
de l’Euesque de Beauuais, tres-bon & sage Prelat, que ie fis
esloigner de la Cour : & par mes conseils abusant de la pieté &
bonté de la Reyne, ie fus faict directeur de l’éducation du Roy,
& disposay la continuation des volleries & pilleries que faisoient
les Partisans dans la France, sans qu’elle en sçeust rien ;
Ie confirmay les Intendans dans les Prouinces, & dans vne assemblée
qui se fit de quelques Partisans auec moy chez d’Emery
à la cheurette, apres auoir sardanapalisé ensemble, i’arrestay
auec eux cette façon de viure. Et pour cét effect ie mis
dans la Sur-intendance des finances d’Emery, parce que ie
n’en cognoissois point de plus cruel, inexorable & perfide pour
ayder à ma tyrannie, que luy, qui est originaire de mon pays,
& que ie sçauois qu’il pouuoit correspondre à mes fourberies
& meschancetez, à cause que par les siennes il eschappa belies,
lors qu’il estoit dans l’Argenterie du Roy, & qu’il passa dans
l’intendance sous le nom de d’Emery, parce que le nom de
Particelle estoit odieux à sa Maiesté : Et comme ie me voyois
fermement estably, ie craignois le Duc de Beaufort, à cause de
sa naissance, de son courage, & de son esprit. Ie le fis arrester
iniustement, & par l’entremise de l’Abbé de la Riuiere homme
de neant & d’argent, i’eus pour moy la faueur du sieur Duc
d’Orleans, pour ne me point nuire en Cour. Ie donnay de
l’employ au Prince de Condé aux armées, afin de l’occuper,
pour ne luy pas donner loisir de me mettre mal aupres de la
Reyne. I’estois au supréme degré de domination en France,

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sans estre contrarié de personne ; i’auois fait venir mon frere
que ie fis promouuoir au Cardinalat, moyennant douze millions,
& l’auois rendu Titulaire de l’Archeuesché d’Aix, &
fait Vice-roy dé Catalogne, Comme aussi i’auois fait venir
mon Nepueu & mes trois Niepces que ie faisois traitter de
Princes & Princesses, quoy qu’enfans d’artisans mechaniques,
afin d’en faire des alliances dans les plus grandes familles du
Royaume, pour soustenir & continuer ma tyrannie sous l’auctorité
Royale que i’ay vsurpée à la barbe de tous les François,
& fait passer plus de cent soixante millions en especes delà les
monts : Mais comme toutes choses sont subietres à varieté, &
qu’il n’y a rien de permanent, pendant que ie me diuertissois
aux bouffonneries de quantité de faquins de mon pays, que
i’entretenois icy à graisse d’or, pour amuser la bonté de la Reyne
à voir des Ballets & Comedies, pour luy empescher d’ouyr
les clameurs des Peuples qui gemissoient en langueur sous la
pesanteur d’vne tyrannie insupportable, & pour lesquels i’auois
des yeux de marbre, & des oreilles d’airain : Dieu suscita
l’Auguste Parlement de Paris, qui par des assemblées, où vraysemblablement
le Sainct Esprit presidoit, descouurit la cause
des maux de la Monarchie, & en mesme temps y trouua le remede :
d’où vint que mon aueuglement fut tel, que ie fis arrester
aucuns d’eux, proscrire les autres, & les heurtay si hardiment,
que tout Paris fut esmeu, se mit soubs les armes, me
contraignit honteusement de rendre & rappeller ceux que i’auois
mal traictez. Et comme ce Parlement ne faict rien que
par meure deliberation & bien à propos, il ne voulut rien ordonner
contre moy sur l’Arrest de 1617. dans la creance qu’on
auoit dãs mes promesses, que ie ne me meslerois plus de l’Estat.
Quelque temps se passa que tout estoit calme sous la bonne
foy d’vne Declaration faicte sur la reformation des desordres
que i’auois continuez, laquelle estoit verifiée és Cours Souueraines,
chacun croyoit viure en repos, en attendant la conclusion
de la Paix generale que ie promettois dans peu de temps,
& en moy-mesme ie premeditois vne vengeance contre le Parlement
& le Peuple, ie fis approcher des trouppes de diuers

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lieux aux enuirons de Paris, & par vne surprise digne de moy,
pendant que les Parisiens prenoient quelque repos, la veille
des Roys, à deux heures apres minuict, i’enleue la personne du
Roy, & toute la maison Royale, Princes & Princesses, se rendirent
auec moy dans Sainct Germain en Laye, & en mesme
temps ie fis bloquer Paris. Ce qu’estant faict, le Parlement députa
les gens du Roy pour venir en Cour, ie leur fis desnier
l’audience, & les fis renuoyer nuittamment, dont ie me repens
bien fort, cela ayant donné sujet au Parlement de faire iustice
contre moy, & de me declarer Perturbateur de repos public,
ennemy du Roy & de son Estat, de faire leuer les armes contre
moy. Ce qui me reduit au desespoir, parce que ie voy l’vnion
des Parlements de France auec celuy de Paris, la conformité de
toutes les Villes auec celle de Paris, & que le ressort que i’attendois
par vne sedition que ie faisois exciter dans la mesme
Ville à faute de pain, m’a mãqué par la prudence du Parlemẽt,
qui y a si bien & adroittement pourueu, que les viures n’y ont
point manqué : Il ne me reste autre appuy que celuy du Prince
de Condé, qui me tesmoigne grande affection, ayant pour mon
subiet pris les armes contre son pays natal, & la plus florissante
Ville de l’Vniuers, & à son desauantage mesme, enquoy ie luy
suis fort obligé : & si Dieu l’illumine pour considerer ce qu’il
faict, & qu’il me tourne le dos, comme i’en ay grande crainte,
ie suis perdu.

 

FIN.

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