Anonyme [1649], LES MOTIFS DE LA TYRANNIE DV CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2504. Cote locale : C_6_27.
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Ie poursuiuis donc mon introduction sur l’auantage que
mon bon-heur me donna d’estre honoré du Tiltre de Parrain
du Roy au nom de sa Saincteté. Ce qui me dõna l’audace, apres
le deceds du feu Roy de parler plus facilement à la Reyne dans
sa Regence, & d’auoir la qualité de premier Ministre au lieu
de l’Euesque de Beauuais, tres-bon & sage Prelat, que ie fis
esloigner de la Cour : & par mes conseils abusant de la pieté &
bonté de la Reyne, ie fus faict directeur de l’éducation du Roy,
& disposay la continuation des volleries & pilleries que faisoient
les Partisans dans la France, sans qu’elle en sçeust rien ;
Ie confirmay les Intendans dans les Prouinces, & dans vne assemblée
qui se fit de quelques Partisans auec moy chez d’Emery
à la cheurette, apres auoir sardanapalisé ensemble, i’arrestay
auec eux cette façon de viure. Et pour cét effect ie mis
dans la Sur-intendance des finances d’Emery, parce que ie
n’en cognoissois point de plus cruel, inexorable & perfide pour
ayder à ma tyrannie, que luy, qui est originaire de mon pays,
& que ie sçauois qu’il pouuoit correspondre à mes fourberies
& meschancetez, à cause que par les siennes il eschappa belies,
lors qu’il estoit dans l’Argenterie du Roy, & qu’il passa dans
l’intendance sous le nom de d’Emery, parce que le nom de
Particelle estoit odieux à sa Maiesté : Et comme ie me voyois
fermement estably, ie craignois le Duc de Beaufort, à cause de
sa naissance, de son courage, & de son esprit. Ie le fis arrester
iniustement, & par l’entremise de l’Abbé de la Riuiere homme
de neant & d’argent, i’eus pour moy la faueur du sieur Duc
d’Orleans, pour ne me point nuire en Cour. Ie donnay de
l’employ au Prince de Condé aux armées, afin de l’occuper,
pour ne luy pas donner loisir de me mettre mal aupres de la
Reyne. I’estois au supréme degré de domination en France,

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sans estre contrarié de personne ; i’auois fait venir mon frere
que ie fis promouuoir au Cardinalat, moyennant douze millions,
& l’auois rendu Titulaire de l’Archeuesché d’Aix, &
fait Vice-roy dé Catalogne, Comme aussi i’auois fait venir
mon Nepueu & mes trois Niepces que ie faisois traitter de
Princes & Princesses, quoy qu’enfans d’artisans mechaniques,
afin d’en faire des alliances dans les plus grandes familles du
Royaume, pour soustenir & continuer ma tyrannie sous l’auctorité
Royale que i’ay vsurpée à la barbe de tous les François,
& fait passer plus de cent soixante millions en especes delà les
monts : Mais comme toutes choses sont subietres à varieté, &
qu’il n’y a rien de permanent, pendant que ie me diuertissois
aux bouffonneries de quantité de faquins de mon pays, que
i’entretenois icy à graisse d’or, pour amuser la bonté de la Reyne
à voir des Ballets & Comedies, pour luy empescher d’ouyr
les clameurs des Peuples qui gemissoient en langueur sous la
pesanteur d’vne tyrannie insupportable, & pour lesquels i’auois
des yeux de marbre, & des oreilles d’airain : Dieu suscita
l’Auguste Parlement de Paris, qui par des assemblées, où vraysemblablement
le Sainct Esprit presidoit, descouurit la cause
des maux de la Monarchie, & en mesme temps y trouua le remede :
d’où vint que mon aueuglement fut tel, que ie fis arrester
aucuns d’eux, proscrire les autres, & les heurtay si hardiment,
que tout Paris fut esmeu, se mit soubs les armes, me
contraignit honteusement de rendre & rappeller ceux que i’auois
mal traictez. Et comme ce Parlement ne faict rien que
par meure deliberation & bien à propos, il ne voulut rien ordonner
contre moy sur l’Arrest de 1617. dans la creance qu’on
auoit dãs mes promesses, que ie ne me meslerois plus de l’Estat.
Quelque temps se passa que tout estoit calme sous la bonne
foy d’vne Declaration faicte sur la reformation des desordres
que i’auois continuez, laquelle estoit verifiée és Cours Souueraines,
chacun croyoit viure en repos, en attendant la conclusion
de la Paix generale que ie promettois dans peu de temps,
& en moy-mesme ie premeditois vne vengeance contre le Parlement
& le Peuple, ie fis approcher des trouppes de diuers

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lieux aux enuirons de Paris, & par vne surprise digne de moy,
pendant que les Parisiens prenoient quelque repos, la veille
des Roys, à deux heures apres minuict, i’enleue la personne du
Roy, & toute la maison Royale, Princes & Princesses, se rendirent
auec moy dans Sainct Germain en Laye, & en mesme
temps ie fis bloquer Paris. Ce qu’estant faict, le Parlement députa
les gens du Roy pour venir en Cour, ie leur fis desnier
l’audience, & les fis renuoyer nuittamment, dont ie me repens
bien fort, cela ayant donné sujet au Parlement de faire iustice
contre moy, & de me declarer Perturbateur de repos public,
ennemy du Roy & de son Estat, de faire leuer les armes contre
moy. Ce qui me reduit au desespoir, parce que ie voy l’vnion
des Parlements de France auec celuy de Paris, la conformité de
toutes les Villes auec celle de Paris, & que le ressort que i’attendois
par vne sedition que ie faisois exciter dans la mesme
Ville à faute de pain, m’a mãqué par la prudence du Parlemẽt,
qui y a si bien & adroittement pourueu, que les viures n’y ont
point manqué : Il ne me reste autre appuy que celuy du Prince
de Condé, qui me tesmoigne grande affection, ayant pour mon
subiet pris les armes contre son pays natal, & la plus florissante
Ville de l’Vniuers, & à son desauantage mesme, enquoy ie luy
suis fort obligé : & si Dieu l’illumine pour considerer ce qu’il
faict, & qu’il me tourne le dos, comme i’en ay grande crainte,
ie suis perdu.
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