Anonyme [1649], LES MOTIFS DE L’VNION DV BOVRGEOIS DE PARIS, AVEC LE PARLEMENT, REPRESENTEZ A LA REYNE, Seruans de response aux Libelles jettez dans Paris. Où est descouuerte la fausse Politique des deux Ministres Cardinaux. , françaisRéférence RIM : M0_2500. Cote locale : C_6_26.
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LES MOTIFS
DE L’VNION
DV BOVRGEOIS
DE PARIS,
AVEC LE PARLEMENT,
REPRESENTEZ A LA REYNE,
Seruans de response aux Libelles jettez dans Paris.

Où est descouuerte la fausse Politique des deux
Ministres Cardinaux.

MADAME,

Nous nous estions d’abord persuadez que la voye des remonstrances estoit fort inutile
en vostre endroit, puis qu’il semble que vous n’auez mesprisé celles que cet Auguste
Parlement de Paris vous a faites, au nom de toute la France ; sinon pour tesmoigner, que
vous ne voulez plus rien entendre que les sinistres conseils que l’on vous donne, d’exterminer
la meilleure partie de vos subjets, pour faire que nostre Roy puisse regner sur les
fondemens, que deux Ministres affectionnez disciples de Machiauel ont commencé d’establir
si iniustement, & par des moyens si extraordinaires, desquels ils ont tasché d’appuyer
leurs mauuaises intentions.

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Mais ayant veu, Madame, que ce mesme conseil prenoit aduantage de nostre silence,
pour nous persuader à nous mesme, & au reste de la France, que gemissans sous la domination
du Parlement, la liberté d’expliquer nos pensées nous estoit absolument interdite ;
veu que tant de particuliers vous ayans expliqué leurs plaintes sous les noms
de Gentils hommes, Cheualiers, Religieux deuots, & autres, qui ont tous trauaillé à
mesme fin, & pour faire voit que cet Auguste Senat auoit autant d’approbateurs qu’il
y a de bons citoyens en France, il ne restoit que le bon Bourgeois de Paris, qui n’osoit
mettre auiour ses sentimens, parce que, vous disoit-on, ils sont contraires aux desseins
de ceux qui abusans de leur authorité, gouuernent cette bonne ville, en opprimant
leur liberté.

Nous auons resolu de vous desabuser, Madame, & vous professer hautement, que
nous n’auons depuis long-temps si bien gousté la liberté auec laquelle nous sommes nez,
estans naturels François, que depuis que ce Cardinal Estranger a tasché de nous l’oster
entierement, en nous enuironnant de gens de guerre : ausquels il a donné charge d’acheuer
le pillage de la France, qu’en son particulier il a si bien commencé, parce que
nous voyons bien qu’il representera le principal personnage de cette sanglante tragedie
qu’il a luy-mesme preparée : Et recognoissant, Madame, aussi bien que tous ceux qui ont
quelque inclination pour la France, que ce pretendu Ministre n’a iamais trauaillé que
pour ses propres interests, au preiudice de ceux du Royaume, dont il semble auoir embrassé
la protection, vous serez la premiere qui en pour suiurez la vengeance, & qui vous
ressentirez iustement de l’injure qu’il a faite au bon gouuernement que tous les François
esperoient de vostre Regence.

C’est de cette sorte que nous attendons que vous rendrez le repos à la France, &
qu’oubliant les fausses maximes, dans les quelles on a tasché de vous entretenir depuis
quelques années, vous continuërez le reste du tẽps de vostre administration, auec la bonté
& les sentimens dans lesquels nous vous auons tousiours admirée, & que detestant, comme
vous auez fait autrefois la dangereuse Politique des deux derniers Ministres, vous
enseignerez à vostre Fils, nostre Roy & le vostre, que les François estiment plus que toute
autre chose la bonté de leur Roy.

Car il faut que vostre conseil, Madame, cesse de croire que sous de vaines apparences
il nous souleuera les vns contre les autres, & que nous serons les instrumens par lesquels
nous leur appresterons à triompher de nous mesmes, en abandonnans ce Corps illustre
de Parlement, que nous recognoissons tres-bien ne trauailler, que pour les interests du
Roy, & de ses fideles subiets.

C’est toutefois ce que vostre Ministre se promettoit de tant d’artifices, dont il s’est
seruy, pour nous faire croire qu’en pratiquant la perte de ce grand Senat, il cherchoit
nostre repos, & le soulagement de toute la France : afin qu’en nous separans d’auec luy,
il pût tirer aduantageusement la vengeance aussi bien de nous, que de ce Senat illustre :
puis que nous auons esté les premiers à nous plaindre de sa conduite, & de son ministeriat ;
& que iamais le Parlement n’a prononcé sa condemnation, qu’apres qu’elle a esté
tant de fois reïterée par le peuple. Mais ces moyens si grossiers & cette foible Politique
n’ont seruy qu’à nous faire voir la bassesse de son genie, & que bien loin que la France
aie besoin de chercher des Ministres chez les Estrangers, que les enfans de ce Royaume
seroient capables de faire leçon aux plus subtils de ceux de sa Nation, puis que nous leur
apprenons en sucçans la mammelle, qu’autrefois les brebis furent deuorées par les loups,
pour leur auoir premierement abandonné les matins qui les gardoient, sous pretexte de
former vne nouuelle amitié & vnion de ceux entre lesquels la Nature a mis vne absoluë
repugnancé.

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Aussi, Madame, nous sommes-nous gardez de ces appas : Premierement, parce que
l’auersion naturelle, que nous auons pour la conduite Estrangere, fait que nous tenons
pour suspect tout ce qui vient de la part de cet Espagnol Italianizé, & que nous ne pouuons
plus souffrir les maximes de son ministere, & cette repugnance sans doute doit estre
cherie de nos Rois, puis qu’elle ne procede que de l’affection inuiolable que nous conseruons
pour eux, de la quelle la France à tousiours esté si religieuse, qu’en establissant
ses Loix dés le commencement de la Monarchie, elle a cherché toutes sortes de precautions
pour faire en sorte que le gouuernement demeurast perpetuellement entre ceux
de sa Nation : & cette regle n’a iamais souffert d’exception qu’és personnes des Reines,
comme vous, qui pendant la minorité des Rois qu’elles auoient donné à la France, ont
tenu les rennes du Royaume sous le nom de Regence : parce que nous auons creu que l’amitié
naturelle qu’elles doiuent à leurs Fils, & l’alliance si estroite qu’elles ont contractée
auec le Royaume, seroient plus fortes & préuaudroient à l’affection de leur païs, ce qui
n’a iamais souffert d’autre alteration : d’où vient que nos Rois n’ont iamais refusé de nous
rendre Iustice toutefois & quantes qu’il s’est trouué que des Estrangers par leurs artifices
s’estoient de trop prés approchez de leurs personnes, & obtenu les premieres places du
Royaume.

D’ailleurs, Madame, nous ne nous sommes iamais pû persuader que tant de signalez
personnages qui remplissent les places de cet illustre Parlement, ausquels nos Rois
ont confié tant d’authorité, de laquelle ce Senat a tousiours si bien vsé, & que vous auez
vous mesmes recogneuë, puis que vous tenez d’eux ce que vous estes, & que le titre de
Tuteurs du Roy leur demeurera autant de temps qu’à vous vostre qualité de Regente,
fussent capables de tant de laschetez, dont on nous les a voulu faire paroistre coupables
enuers leur Prince & leur Seigneur.

Ce fut pourquoy nous ne pûsmes adiouster aucune creance à la lettre que ce Ministre,
abusant du nom & de l’authorité du Roy, enuoya en cette triste iournée qui nous separa
de nostre Prince, pour nous persuader qu’vne partie de ce grand Corps estoit coupable
du plus grand crime dont on l’a pû accuser : recognoissans fort bien que c’estoit vne suite
de ses artifices pour nous exciter à perdre auec luy ce Parlement, qui s’estoit monstré seul
capable d’arrester le cours des brigandages, qu’il exerçoit dans les Finances & les affaires
d’Estat, sous pretexte de les administrer vtilement : Et de faict, ce sage Senat nous
en sceut faire paroistre la verité quand il enuoya vers vous Messieurs les Gens du Roy,
pour sçauoir les noms de ceux qui d’entre eux on accusoit d’vn si detestable crime, pour
en tirer eux-mesmes la vengeance que meriteroit vne entreprise de cette qualité, en cas
qu’elle se trouuast veritable : Mais ce Ministre, dont la Politique ne s’estend pas bien
loin, se trouuant court en ce rencontre, aussi bien qu’en beaucoup d’autres, fut contraint
d’aduoüer par son silence, la supposition de cette calomnie, & qu’il ne pouuoit oster
à ce Parlement l’honneur dont il s’est tousiours monstré jaloux, d’estre inuiolablement
fidele à son Prince.

Si du depuis par des declarations & des manifestes de ses pretenduës intentions qu’il a
fait courir en cette ville, il a tasché de nous faire voir son merite, & l’obligation que nous
auions à sa conduite, d’auoir depuis qu’il s’est entremis dans les affaires d’Estat obtenu par
son moyen & son bon conseil tant de signalées victoires, forcé vn si grand nombre de
villes, & reduit les Espagnols à desirer vne paix desaduantageuse pour eux, qui seroit en
estat d’estre concluë, n’estoit les empeschemens que Messieurs du Parlement out apporté
par leurs frequentes Assemblées, auec aduancement des affaires d’Estat.

Ce discours, Madame, ne nous a point esté moins importun que le premier, & auons

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appris de là que cet esprit, qui n’est remply que d’ambition, tasche de soustraire aux
François l’honneur qu’ils se sont acquis par l’heureux succez de leurs armes : afin de nous
persuader qu’en desirant son exil, nous souhaitons nostre perte, & souffrant qu’il sorte
hors du Royaume, c’est laisser eschapper sa principalle force & son apuy : Mais cette entreprise
insuportable ne nous sçauroit faire assez admirer la deferẽce que luy rend Monsieur
le Prince, de souffrir qu’il luy oste la gloire qu’il s’estoit acquise, en obtenant vne partie de
ces victoires auec l’aide de nos genereux guerriers, & nous fait croire qu’il a charmé ce
Prince pour luy faire employer tout son courage contre ceux de sa Nation, n’en tesmoignant
aucun pour venger l’iniure que luy fait ce discours & à toute la France, qui
fait pour nous dans nos esprits vn effet tout contraire à ce que ce Ministre l’auoit preparé,
puis que la bonne conduite de nos Chefs, & le courage de nos soldats nous sont trop cogneus
pour nous pouuoir persuader que les victoires que nous auons obtenuës soient
deuës à autre, apres Dieu, qu’à leurs merites. Aussi faudroit-il ignorer, pour en croire autrement,
ce dont nous sommes trop bien instruits, que toutes les entreprises que ce Cardinal
Estranger a proposees dans le Conseil, ont esté ruineuses à la France, & n’ont seruy
qu’à diminuër sa gloire ; Recours à celle qu’il a tesmoignée desirer si ardemment pour
l’Italie & tant d’autres, dont nous ne pouuons nous ressouuenir sans conceuoir vn deuil
extréme d’auoir veu par tant de temps la France si mal administrée.

 

C’est pourquoy nous ne pouuons souffrir qu’il vienne maintenant nous dire que Messieurs
du Parlement ont empesché l’effet de la paix qu’il nous auoit preparée par ses belles
actions ; car tant s’en faut que cet artifice puisse faire quelque impression sur nos
esprits, qu’il nous fait augmenter l’indignation que nous auons iustement conceuë contre
luy, parce qu’il nous remet en memoire le discours qu’il tint autrefois si hautement,
& que tant de gens de bien ont remarqué, comme vn des chefs de son procez, qu’il tenoit
la paix entre ses mains, & qu’il la concluroit quand bon luy sembleroit.

Il ne peut pas dire que pour lors le Parlement luy seruist d’obstacle pour accomplir ses
volontez : car cet illustre Senat estoit encores dans le sommeil, & n’auoit commencé à
luy tesmoigner sa puissance ; & toutefois nous auons veu, qu’il n’a voulu ouurir sa main
pour nous donner cette paix tant desirée d’vn chacun, parce qu’elle l’eût empesché de la
fermer, pour transporter nos Finances en Italie. C’est pourquoy au contraire de la fauoriser,
il n’est que trop conuaincu d’auoir arresté le cours de nos victoires & de nos prosperitez,
lors qu’il a preueu que de les pousser plus auant, c’estoit mettre fin à la guerre,
& donner l’accomplissement à nos desseins : C’est par cette raison qu’il a laissé perir de si
belles armées au milieu d’vne campagne, apres auoir emporté des aduantages que les ennemis
iugeoient eux mesmes estre capables de leur faire perdre des Prouinces entieres.
Ce n’est pas tout, Madame, & nous sommes fort bien instruits ; que n’ayant peu si fort
empescher nostre bonheur que l’Espagnol ne se soit resolu plusieurs fois de nous accorder
la paix aux conditions les plus aduantageuses que nous ayons peu souhaiter, & que nous
leur auions nous mesmes proposées, il s’est seruy du ministere d’vn Plenipotentiaire affidé
pour interrompre cette paix, & empescher que Monsieur le Duc de Longueuille & Monsieur
d’Auault n’accomplissent leur pouuoir toutefois & quantes qu’ils en ont eu l’occasion,
se trouuant tousiours chargé de quelque pacquet secret & sans datte, qui contenoit
des propositions ridicules & sans apparence, que ce Confident auoit charge de
propose : Et ainsi c’est auec raison que nous n’auons peu nous persuader que la paix nous
peust estre donnée par celuy qui a creu ne pouuoir conseruer le rang qu’il s’est iniustement
acquis que dans la confusion & dans la guerre, & qui abusant de ce doux nom de paix,
voyant que ses artifices ne pouuoient auoir aucun effet, nous en a fait menacer secretement

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en faisant courir ce bruit qu’il alloit la signer, pour en suite employer les Espagnol
au chastiment de ce Royaume.

 

Mais voyant que les remonstrances, & les menaces auoient eu vn mesme effet, &
qu’elles n’estoient capables d’ébranler la iustice de nos intentions, nous auons veu nos
ruës bordées de placarts & de libelles, & les places publiques remplies de ses Partisans,
qui jadis les furent des Finances, pour pratiquer la discorde entre nous, & tantost nous
persuader que ceux ausquels nous mettions nostre confiance estoient ses affidez, & ne
cherchoient que les occasions de nous liurer à sa iustice : vne autrefois que nous estions
abusez sous de vaines apparences, nous representans que nous employons nos vies, nos
biens, & nos fortunes pour fauoriser la querelle particuliere de quelques mescontens, qui
estoient quelques vns les autheurs du mal qui nous menace, & les autres s’estoient rendus
les Chefs des armées que nous leur fournissons pour faire la guerre à nostre Roy, &
ne trauailler que pour la ruine du Royaume, en nous rendans mescognoissans des graces
singulieres qu’il nous a pratiquées par la derniere Declaration, l’innocence de son
procedé, & la sincerité de ses intentions paroissans assez, en ce qu’il n’a autre but que le
soulagement du peuple, mesprisant ses propres aduantages, Veu, ce fait-il dire, qu’il
n’a encores dans le Royaume aucune forte place, ny mesme aucune seigneurie de consideration.

Il est vray, Madame, que ces bruits ont d’abord trauaillé les plus foibles d’entre
nous, & que quelques esprits disposez à tout croire sont entrez en quelque soupçon de
ceux qui se sont volontairement offerts à nous, pour proteger nostre iuste deffence
contre les oppressions de ce Cardinal Estranger : Mais cette vaine terreur s’est bien-tost
abbatuë, quand on leur a fait voir que ce n’estoit qu’vne suite des artifices de leur
plus signalé Ennemy, & que ces propositions estoient si sort esloignées de toute apparence,
qu’elles faisoient voir l’impertinence de celuy qui les proposoit : Et de faict,
comment se pourroit-il faire que ceux qu’il dit se vouloir seruir de nous pour venger
contre luy leur querelle particuliere ; fussent ses confidens & disposez à nous trahir,
ainsi qu’il pretend nous faire croire ? & comment nous pourrions nous persuader que
des Princes, dont la foy est tousiours demeurée inuiolable, voulussent commencer à
trahir vn peuple, auec lequel ils doiuent finir leurs iours ? & qui n’ayans iamais esté
assez lasches pour plier sous le joug d’vn Ministre Pernicieux, se sont conseruez entiers,
& sans engagement, pour en deliurer la France, quand l’occasion s’en est offerte

Le pretexte de l’interest particulier n’a pas esté moins facile à destruire que le premier :
puis que pour les Princes, ils ont protesté hautement lors de leur ionction au
Parlement & au reste de la France, en vn temps où il estoit question de declarer leurs
intentions, qu’ils ne pretendoient autre chose que le seruice du Roy & le repos du
Royaume. Pour le regard des Magistrats, personne ne s’est iamais pû persuader que
les interests de quatre ou cinq particuliers, que l’on dit de la part de ce Ministre estre
la cause du desordre auquel la France se trouue auiourd’huy engagée, aye pû attirer
cette grande Compagnie à desirer des choses qui ne soient dans la justice : Ioint que ce
dont on les calomnie, & que l’on cotte pour cet interest particulier, auquel on pretend
qu’ils se monstrent trop attachez, meriteroient bien en tout cas d’en faire vne cause
publique, tant ce Ministre se tesmoigne peu adroit à forger des calomnies pour couurir
ses lasches intentions : Car que dit-il ? Que l’vn se ressent de ce que les charges
n’ont esté distribuées dans la justice ordinaire de la milice, & les autres de ce qu’il est la
cause de l’esloignemẽt d’vn bon Ministre, & d’vn Prelat, que vous cherissiez, Madame,
aussi bien que le peuple. Ces raisons sont-elles pas publiques ? & n’est-ce pas l’interest

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de la France que les charges soient distribuées à ceux qui le meritent, & de ne pas
souffrir qu’vn Ministre en dispose à sa volonté, pour entretenir les esprits de ceux qui
se monstrent assez lasches pour se rendre ses idolatres, & fauoriser ses iniustes desseins,
afin qu’il puisse s’asseurer que sa fortune ne dépend plus de la bonne volonté du
Roy, mais des creatures qu’il a faites qui se trouuent reuestuës des plus importantes
charges de l’Estat ? Quand à la disgrace de cet illustre Prelat, elle n’a pû encores estre
oubliée par tous les bons subjets du Royaume, qui ne doutent pas qu’elle vous paroistra,
Madame, aussi sensible qu’à eux, quand separée de cet audacieux Ministre vous
ferez reflexion qu’il n’a empesché que vous vous seruissiez des conseils de ce sage Prelat,
la sincerité du quel vous auiez si long temps esprouuée pendant vostre affliction,
& n’a procuré son esloignement, sinon parce qu’il auoit proposé de vous faire regner
heureusement, & de nous donner la paix, dont il vous descouurit les moyens trop ouuertement
à l’appetit de cet Estranger, qui ne cherchoit que la confusion & le desordre.

 

Mais quoy que ces raisons soient fort specieuses, nous ne croirons pourtant iamais
que ces nobles Magistrats ausquels ce Ministre Cardinal veut que nous ayons l’obligation
entiere de nostre liberation, & qui n’estiment rien moins que leurs propres interests :
puis qu’ils ont negligé les offres aduantageuses que ce Ministre leur a fait proposer
pour l’auancemẽt de leur fortune, ayent eu en tout leur procedé aucune consideratiõ
pour l’interest particulier de leurs familles. Et de faict, leurs discours n’ont iamais
paru animez que pour le public, lesquels il a luy-mesme trouué si equitables, qu’il
aduouë auoir procuré vne Declaration, que nous sçauons fort bien n’estre remplie
que des propositions que ces Magistrats, & tant d’autres illustres de cette noble Compagnie,
contre lesquels cet esprit artificieux n’a pû trouuer la moindre calomnie,
auoient fait auparauant ez Assemblées du Parlement, sur les memoires particuliers
qu’ils auoient des desordres de l’Estat : tant s’en faut qu’il puisse nous faire croire que
cette Declaration procede des effets de sa bonne volonté.

Apres quoy c’est en vain qu’il tasche de nous faire chercher ailleurs qu’en sa pernicieuse
conduite, la cause des troubles qui nous affligent, puis que nous sommes tesmoins
que la contrauention à la Declaration qu’il nous vante auiourd’huy, comme le
gage de son affectiõ enuers nous, a esté le suiet des dernieres Assemblées du Parlement,
& que ces Assemblées, parce qu’elles alloient au soulagement du peuple, auquel il
n’a iamais voulu entendre, a esté la cause de sa haine, & la raison pourquoy il a excité
vostre colere contre nous ; dont il ne se peut purger, puis qu’il n’a pû remarquer autre
subjet de l’émotion qu’il a allumée si legerement dans le Royaume, & qu’il ne peut
maintenant esteindre qu’auec son sang, que toute la France demande pour expier les
maluersations, dont il est si euidemment conuaincu. Et partant qu’il cesse de nous vanter
sa modestie & sa retenuë, en nous publiant qu’il ne possede en France aucune seigneurie
de remarque, puis que c’est ce dont nous nous plaignons, & qu’en diuertissant
nos Finances hors du Royaume, les subjets n’en peuuent plus profiter en quelque façon
que ce soit ; qu’il abandonne sa pretention de paroistre innocent deuant nous, puis
que ses fourbes nous sont trop notoires, & qu’il ne croye pas sous de vaines apparences
nous faire abandonner les veritables interests de nostre Roy & de nostre pays.

Ouy, Madame, nous vous declarons qu’en prenant les armes, ainsi que nous auons
fait, ce n’a esté à autre dessein que pour deffendre les interests de nostre Roy, qui sont
aussi les vostres, puis que vous deuez y prendre part contre les vsurpations & mauuais
conseils de ce faux Ministre : & nous esperons que Dieu fauorisera nos desseins, puis

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qu’ils sont si legitimes, & que desia ils ont esté secondez par toutes les Prouinces du
Royaume, qui courageusement ont negligé les faux appas que ce Ministre leur proposoit
en leur distribuant les aduantages de cette ville, pour embrasser auec nous l’interest
commun de la France, & que nous voyons d’ailleurs que le party de ce Ministre
n’est remply pour les armées que d’estrangers & de libertins qu’il a tiré de son costé
par les promesses qu’il leur a fait de leur abandonner la France au pillage, & l’esperance
qu’il ont conceuë de faire vn riche butin : Et pour la Cour, il ne s’y remarque
non plus que deux sortes de personnes, les vns qui y sont attachez pour la conseruation
de leurs charges, & les autres qui composent, la plus grande partie s’y sont refugiez
pour tascher d’éuiter la punition qu’ils cognoissent que leurs brigandages dans les Finances
ont iustement meritée.

 

Si vous prenez la peine de faire reflexion sur ces veritez, Madame, vous recognoitrez
que la vengeance que ce mauuais conseil vous a proposée pour tirer raison d’vne
desobeyssance imaginaire qu’il a formée malicieusement dans vostre esprit pour continuer
ses mauuais desseins, est impossible dans l’execution, ou du moins desauantageuse
au Royaume de vostre Fils, à la conseruation duquel vous estes particulierement obligée
Impossible, attendu l’vnion de tous les peuples, esquels reside toute la force du
Royaume ; puis que cette ville seule a veu sortir hors de l’enceinte de ses murailles en
moins de deux heures cinquante mille volontaires bien armez, sur la nouuelle qu’ils
eurent qu’vn de leurs Chefs estoit en danger de sa vie : ce qui fait voir que le Bourgeois
est capable d’autre chose que de garder ses murailles, & qu’il ne manque pas de courage
lots qu’il est questiõ de combattre pour vn subjet si fauorable, en quoy il se trouue
si bien secondé par la milice, & les gens d’ordonnance que nous auons esprouuez
en la mesme sepmaine que six cens hommes dans vn village ont resisté à vne armée que
l’on dit estre l’eslite des gens de guerre, & qu’ils ne se sont rendus qu’apres auoir mis
sur la place vne fois autant de monde, qu’il en est demeuré de leur costé, ne laissant à
ceux du party contraire que cette seule gloire d’auoir emporté vn village gardé par six
cens hommes auec vne armée entiere, qui ne pouuoit eschaper à qui que ce soit, pourueu
qu’il fust dans cette resolution d’hazarder le monde qui a esté perdu de la part
des assaillans pour vn chetif lieu qui ne peut estre gardé toutefois & quantes qu’il se
trouuera de si temeraires entrepreneurs.

Mais en tout cas, Madame, il ne faut pas estre beaucoup Politique, pour iuger que
cette entreprise du Cardinal, qu’il pretexte de l’affermissement de l’authorité Royalle,
est beaucoup plus desaduantageuse pour cette mesme authorité, qu’elle ne luy peut apporter
de gloire & de splendeur : car supposant la ruine de cette grande ville, la separation
de ses forces & de sa puissance, c’est amoindrir notablement, & diminuer les
forces du Royaume, & faire qu’il faudra vne année entiere à courir par toutes les villes
pour leuer vne armée qui se recueilloit en moins de huict iours dans cette nombreuse
ville, c’est supprimer l’admiration des Estrangers, & le subjet de leur abord en ce
Royaume ; c’est perdre en vn moment l’ouurage prodigieux de tant de siecles, & mettre
dans vn peril notable l’authorité Royalle que les subjets ont tousiours venerée tandis
qu’ils ont trouué la Cour en cette ville, dont l’humeur & courtoisie des habitans
se rencontre compatible auec tous les peuples de ce Royaume : ce qui ne se rencontre
point sans doute dans vne autre Prouince, en laquelle le Roy pourroit transferer
son Throsne, les autres subjets, ou leur enuians ce bonheur, ou ayans de l’auersion peut
lours mœurs tant y a que ces grands changemens sont perilleux, Madame, & par vn
de nos Rois ne l’a voulu hazarder, quoy que quelques-vns en ayent creu auoit plus
grand sujet que vous.

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Escoutez donc, Madame, les plaintes de vos subjets : esloignez de vostre personne
& du Royaume celuy qui nuit à tous les gens de bien, & oubliant les maximes par
lesquelles ces deux derniers Ministres ont semblé esleuer l’authorité Royalle par des
moyens qui ne peuuẽt subsister, puis qu’ils n’ont eu que leurs mauuaises intentions pour
fondement & l’establissement iniuste de leur fortune, rendez le repos à la Frãce, suiuez
les traces & l’affection de nos anciens Rois, & puisez dans la veritable Politique de
leur gouuernement le moyen d’asseurer le Royaume de vostre Fils, pour la gloire duquel
tous les subjets ont assez d’inclination d’eux-mesmes, & faites que nous puissions
benir le reste du temps de vostre Regence.

FIN.

A PARIS
Chez NICOLAS BESSIN, Imprimeur & Libraire, au Palais,
en l’allée S. Michel.

M. DC. XLIX.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], LES MOTIFS DE L’VNION DV BOVRGEOIS DE PARIS, AVEC LE PARLEMENT, REPRESENTEZ A LA REYNE, Seruans de response aux Libelles jettez dans Paris. Où est descouuerte la fausse Politique des deux Ministres Cardinaux. , françaisRéférence RIM : M0_2500. Cote locale : C_6_26.