Anonyme [1652 [?]], LES PVRES VERITEZ Qui ne sont point connuës. , françaisRéférence RIM : M0_2929. Cote locale : B_9_29.
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LES PVRES VERITEZ QVI NE
sont point connuës.

MONSIEVR,

La douleur que i’ay ressentie de la perte de Monsieur
le Duc de Nemours est de telle qualité, que si ie ne
me trouuois necessité par la deference que ie vous dois,
il me seroit impossible de pouuoir obeïr au commandement
que vous m’auez fait. Ie sçay (Monsieur) l’atachement
que vous auiez à ce Prince si fort accomply,
& si generalement aimé & estimé ; mais peut-estre ne
sçauez-vous pas, non plus que beaucoup de personnes,
comme les choses se sont passées, & les causes d’vn si
grand & si funeste malheur, qu’il est veritable (Monsieur)
que souuent il est mal-aisé de croire ce que nous
voyons, & particulierement dans ce Siecle corrompu
où les choses mesmes les plus iustes sont disputées, &
les iniustes tolerées, puisque Monsieur de Beaufort cadet
de sa Maison, a disputé le rang à Monsieur le Duc
de Nemours aisné de la sienne, que l’on sçait estre venu
de la Maison de Sauoye, la plus Illustre qui soit au
monde. Et c’est (Monsieur) la veritable cause du malheur
qui nous est commun auec toute la France, & ce
qui a mis vne telle diuision entre ces deux Princes, que
le grand cœur de Monsieur le Duc de Nemours n’estant

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point capable de supporter que l’on luy fist ce tort, ny
d’atendre vn moment à témoigner son ressentiment
iusqu’à ce qu’il fust guery de tant de blessures, le porta
à faire quelques discours, dont Monsieur de Beaufort se
voulut ressentir sur le champ, quoy qu’il eust bien pû
s’en empescher, ou du moins attendre que Monsieur
de Nemours fust en estat de se defendre. Aussi est-ce
vne action dont il aura peine de se lauer, de n’auoir
pas donné à Monsieur son beau-frere le loisir de restablir
ses forces fort diminuées, & de se guerir d’vne
blessure qu’il auoit à la main droite, comme il est assez
connu de tout le monde, que Monsieur de Nemours
receut à la porte S. Anthoine vn coup de pistolet aux
deux principaux doigts de la main, dont il l’auoit tellement
affoiblie, qu’il n’en pouuoit pas mesme couper
du pain, & n’auoit quitté l’écharpe qui la luy soustenoit
que deux iours auant le funeste malheur qui est arriué ;
ce qui se iustifie assez par l’action que ce genereux Prince
fist ayant esté contraint de prendre son épée auec les
deux mains, ne l’ayant pû soustenir auec la droite seule ;
& Monsieur de Beaufort autrefois si genereux, ayant
pistollet & épée s’en seruit auec tant d’auantage en ce
rencontre contre Monsieur son beau frere, qu’il luy
donna le coup de la mort sans aucune crainte de la pouuoir
receuoir. Qu’il n’allegue point pour sa iustification
qu’il y auoit des personnes auec Monsieur de Nemours
qui le pouuoient tuer. S’ils eussent esté capables
d’vn si lasche dessein, ils l’eussent bien plutost executé
voyant leur Maistre mort qu’ils n’auroient fait, Monsieur
de Beaufort ayant vsé de son aduantage comme
il deuoit. Voila (Monsieur) le veritable portrait de la

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plus tragique auenture qui se lira iamais, & l’action la
moins genereuse qu’homme faisant profession de porter
vne espée aye faite iusques icy, particulierement en
vn rencontre où il se peut dire auec verité que l’on la
pouuoit faire tres-glorieuse & sans aucun peril. Mais,
(Monsieur) y eut-il iamais de malheur comparable à
celuy de Madame la Duchesse de Nemours ? que l’on
peut dire auec raison, la sœur la plus malheureuse, & la
femme la plus infortunée qui soit au monde, puisque
ce frere qu’elle a si fort aimé & si genereusement serui,
s’est rendu indigne de ce nom, en ostant à vne Princesse
de si éminente vertu, la moitié de sa vie, par le coup
fatal qui a percé le cœur de Monsieur son mary, Prince
le plus aimable, & le plus aimé qui fut iamais ! Ie vous
auouë (Monsieur) que ie fremis d’horreur en vous escriuant
ces funestes veritez, & que ie ne croy pas qu’on
puisse voir l’Autheur de tant de malheurs, qu’auec de
pareils sentimens, particulierement quand l’on considerera
que cet Illustre mort auoit fait à vingt-sept ans
par sa valeur dans la guerre, & par son esprit dans la
Cour, tout ce que nous lisons de beau des plus grands
Hommes des Siecles passez. Aussi le peut-on nommer
à iuste tiltre, le Duc de Nemours sans peur, n’ayant iamais
enuisagé aucun peril, pour grand qu’il pûst estre,
qu’auec vne fermeté d’esprit & de cœur si extraordinaire,
qu’elle a souuent obligé Monsieur le Prince, ce
Heros de nos iours, de dire d’vne maniere tres-obligeante,
qu’il n’auoit iamais connu d’homme si vaillant,
ny qui eust vn cœur à toute épreuue comme
Monsieur de Nemours. Aussi ce frere sans tendresse &
sans naturel, n’en eust pas vray-semblablement manqué

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en ce déplorable rencontre pour vn Prince si vniuersellement
honoré & aimé, & qui par vn ie ne sçay
quoy, qui ne se peut exprimer, gaignoit les cœurs de
tous ceux qui le voyoient, s’il n’eust esté possedé par
vne personne qui n’estant plus, ny ieune, ny belle, n’auoit
pas laissé de le détacher par ses artifices, & pour ses
propres interests, de ceux de sa Maison, & de ses proches,
& à qui il ne restoit plus qu’à détruire la tendresse
qu’il auoit euë toute sa vie pour vne sœur vnique, à
laquelle il auoit d’extrémes obligations, pour en pouuoir
disposer à sa mode, & luy faire perdre (ainsi qu’elle
a tousiours fait par ses conseils) le plus beau temps
de sa vie, & ses amis. L’on m’a asseuré (Monsieur)
qu’elle a non seulement effacé de son cœur les sentimens
de la nature, mais de plus qu’elle a pû empescher
ce funeste & deplorable coup. Mais il n’y auoit que ce
sinistre accident qui pust rompre pour iamais vne amitié
si estroite & si iuste, que celle d’vn frere & d’vne
sœur, mais d’vne sœur comme Madame la Duchesse de
Nemours, qui dans les diuers accidens dont la vie de
ce malheureux frere a esté trauersée, n’a iamais conneu
d’autres interests que les siens (aprés ceux de Monsieur
son mary.) Aussi vous puis-je dire auec sincerité (Monsieur)
que cette grande Princesse a des qualitez tres-particulieres,
& qui se rencontrent peu dans le Siecle
où nous sommes, ayant auec beaucoup de tendresse, vn
Esprit grand & genereux, & vne vertu qui s’est faite
assez paroistre dans les trauerses de sa vie presente &
passee. La prison de ce frere sans naturel en a donné des
marques assez essentielles, Monsieur & Madame de
Nemours ayans abandonné la Cour pour ne pas voir

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celuy qui luy auoit fait mettre ; ce Prince genereux ne
voulant aduantages ny establissemens que la seule liberté
de ce frere qu’il a poursuiuie & ménagee iusques
à ce qu’elle soit arriuee. Aprés des veritez si fortes & si
ingenuës, ie ne doute point (Monsieur) que vous ne
soyez de mon avis, & que vous ne iugiez auec tout le
monde, que Monsieur le Duc de Beaufort a plus perdu
de reputation en vn iour, par la malheureuse action
qu’il a faite, qu’il n’en peut acquerir de toute sa vie ;
que beaucoup de personnes estiment qu’il devroit passer
dans vn Cloistre, plutost qu’à triompher ainsi qu’il
fait, de la mort de Monsieur son beau-frere, & d’vn
Prince le lustre de nos iours, qui a tant de fois exposé
sa vie, son bien, & sa santé pour seruir la France, & qui
se trouue auiourd’huy dans le tombeau tout couuert
de blessures, pour auoir protegé l’interest du public, &
serui son Altesse Royale, & Mr le Prince. I’apprehende
(Monsieur) que le rapport que ie vous fais auec sincerité,
de ce dont vous m’auez ordonné de vous rendre
compte, ne vous donne de nouueaux sentimens de
douleur ; Et neantmoins ie ne puis finir sans me donner
l’honneur de vous dire, que nous deuons à ce grand
Prince des regrets eternels, & des larmes de sang, pour
mesler auec celles de Madame sa veufue, de deux petites
Princesses, si dignes de compassion, & auec ce
sang tres-illustre & tres-innocent sorti de tant de Rois
& d’Empereurs, demander incessamment à Dieu la iustice
que sa parole nous promet ; & il est d’autant plus
croyable que nous l’obtiendrons, que ce pauure Prince
malheureux a esté heureux à ce poinct, de faire dans les
derniers momens de sa vie, des actes de repentir de ses

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pechez, & de pardon à ses ennemis, auec des marques
d’vne contrition si grande & si parfaite, que le Prestre
qui lui donna l’absolution, assure d’en auoir esté sensiblement
touché. Ie me trouue obligé de vous dire encore
(Monsieur) que l’on remarque que les Princes de
la Maison de Sauoye, à cause du S. Suaire, ne sont iamais
morts sans absolution ; & moy ie croy que la belle
vie de ce Prince, & la deuotion qu’il auoit à la Vierge
ont fait le miracle de luy donner trois quarts-d’heure
de vie, ne deuant pas humainement viure vn instant
aprés le coup qu’il auoit receu ; & cela si veritable que
Mr l’Archeuesque de Sens, & Mrs les Euesques de Lizieux & de Geneve en ayans esté pleinement informez,
ont fait rendre à feu Monsieur de Nemours dans leurs
Dioceses tous les honneurs funebres qui sont deubs à
vne personne de sa qualité, & font continuer les marques
de leur pieté par des Messes & des prieres continuelles.
I’ose esperer (Monsieur) que personne ne luy
pourra dénier les siennes, aprés des exemples si considerables,
en attendant que l’on puisse transporter son
corps à Nemours, & de là à Anecy lieu de sa sepulture,
& de ses Ancestres, pour y faire des seruices tres-solennels,
& Oraisons funebres dignes de sa qualité, & de la
memoire eternelle qui luy est deuë. Cependant, Monsieur,
ie suis absolument persuadé que vous les auez
preuenuës par vos soins & par vos prieres, & que vous
me ferez tousiours l’honneur de me croire,

 

MONSIEVR,

Vostre tres humble seruiteur,
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