Anonyme [1649], LES RAISONS OV LES MOTIFS VERITABLES DE LA DEFFENSE DV PARLEMENT & des Habitans de Paris. Contre les Perturbateurs du repos public, & les Ennemis du Roy & de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2967. Cote locale : A_8_19.
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LES
RAISONS
OV LES
MOTIFS VERITABLES
DE LA DEFFENSE DV PARLEMENT
& des Habitans de Paris.

Contre les Perturbateurs du repos public, & les
Ennemis du Roy & de l’Estat.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LES RAISONS OV LES MOTIFS
veritables de la deffense du Parlement, & des
Habitans de Paris : Contre les Perturbateurs
du repos public, & les Ennemis du Roy & de
l’Estat.

LA grandeur des Estats ne s’estant iamais maintenuë que
par la Iustice, à cause de la proportion qu’elle donne à
chasque chose selon son rang & sa dignité, qui est le seul
poinct du gouuernement. Le Parlement de Paris a aussi esté
estably par les trois Estats du Royaume pour trouuer ce temperament
à nostre Monarchie, qui sans cela n’eust pas pû conseruer
iusques à present son esclat & sa splendeur.

Mais comme dans vn grand corps le sang qui est le principe
de la vie ne se répand pas également par tout, il a fallu aussi
par la suite des temps multiplier ce remede, & faire d’autres
Parlemens en plusieurs endroits du Royaume, afin que toutes
les parties se trouuans fortifiées de cette authorité legitime,
elle seruist de rempart à l’authorité Royale, & à la manutention
de l’Estat. Les Roys eux mesmes n’ont pas creu mieux asseurer
leurs conquestes qu’en y establissans ces grandes Compagnies,
comme les ostages de leurs affections, & les sacrés depositaires
de leur repos & de leur salut.

Tant que cét ordre a dure, & qu’il a esté inuiolable, l’on
n’a iamais veu que d’heureux succés, c’estoient autant de lumieres
qui se reflechissoient sur la Majesté Royale, comme les
rayons sur le corps du Soleil, & qui la faisoient paroistre auec
plus d’esclat. Mais depuis qu’on s’est dispensé de cette belle
police, & que par vne illusion dans la politique l’on a voulu
faire tout passer de puissance absoluë, c’est pour lors que les
Roys se sont ruinés eux-mesmes, parce qu’ils ont osté ce temperament
& cette chaisne, qui les vnissoit auec leurs peuples,

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& qui conseruoit l’amour des vns & la soumission des autres.

 

Ce desordre public n’a point eu d’autre principe que l’ambition
des Ministres & des Fauoris, ausquels nos Princes ayant
abandonné la conduite de leurs Estats & toute leur authorité,
Ils ont tres-mal vsé d’vn pouuoir qui ne leur appartenoit pas,
& changé entierement la face de nostre Empire, afin que nous
faisans perdre les loix de nos Peres, ils peussent faire vne domination
d’esclaues, & destruire tout ce qui s’opposeroit à
l’insolence de leurs desseins & de leurs entreprises criminelles.

Il seroit inutile de rechercher des exemples de cette verité
dans les siecles passez, il ne faut que faire vn petit retour sur
nous mesmes, pour découurir le couronnement de la tyrannie,
& comme l’on a rauagé tout le Royaume, & fait changer
de nom & de titre aux François, tant jaloux de leur liberté.

Tout le monde sçait que le Ministere du Cardinal de Richelieu
n’a esté celebre que par le bouleuersement de toute
l’Europe, où il a mis le feu de tous les costés, & qu’il ne s’est
cimenté que par le sang, & le meurtre d’vne infinité de personnes
Illustres qu’il a sacrifiées à sa vengeance, & à l’iniustice
de ses passions. Les Princes mesmes & tous les Grands du
Royaume ont esté les premiers objets de sa fureur ; Il n’y a
point de juste dans l’Estat qu’il n’ait cruellement persecuté ;
les vns par des prisons perpetuelles où ils ont finy malheureusement
leurs jours, les autres par le poison & des morts precipitées ;
plusieurs par des supplices honteux, & de fausses accusations.
Enfin il a consommé pendant son Ministere tout ce
que l’enfer peut inspirer pour affliger l’innocence, & la rendre
malheureuse.

Il estoit monté à vn si haut poinct d’insolence, qu’apres s’estre
saisi des meilleures places du Royaume & des ports les
plus fameux & les plus considerables, il traittoit le Roy comme
s’il en eust esté le maistre & le souuerain. Ses gardes entroient
iusques dans le cabinet du Prince, qui n’estoit pas
mesme en seureté au milieu de sa Cour, ayant corrompu tous
ses Officiers, & gaigné tous ceux qui approchoiẽt sa personne.

Sa mort tant desirée auoit leué l’enseigne de l’esperance,

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mais comme son gouuernement & sa conduite auoient formé
des monstres dans l’Estat, l’on ne laissa pas de voir encore
son genie & sa fureur regner. En mourant il confirma dans
l’esprit du Prince tous ceux qui auoient esté les principaux
chefs de sa tyrannie, s’imaginant de rendre sa memoire moins
odieuse par les vices de ses successeurs.

 

Le Roy estant mort cinq mois apres, il commença à paroistre
encore vn petit rayon de liberté, parce que la Reyne qu’il
laissoit Regente ayant esté persecutée pendant la pesanteur
de ce Ministere, l’on se persuada aussi-tost que ses propres
malheurs pouuoient estre de puissans ostages de son affection
enuers les peuples affligez.

Dans cette asseurance le Parlement abandonna la Regence
à sa bonne Foy. Car quoy que le Roy par son testament
luy eust donné cinq Conseillers, par l’aduis desquels toutes
les affaires deuoient estre terminées ; Il la fit absoluë par son
Arrest, pour le moins il ne luy imposa point d’autre necessité,
que l’execution des Loix fondamentales de l’Estat.

Mais soit que l’on n’eust iamais connu que le dehors & l’exterieur
de cette Princesse, ou que dans ce changement de
fortune elle eust incontinent corrompu ses bonnes inclinations,
le Parlement n’eut pas si-tost rompu ses chaisnes qu’on
voit incontinent esloigner de la Cour les gens de bien, elle
tesmoigne publiquement, & au milieu de son cercle, que
pour bien regner, il faloit regner auec la force & la violence,
que les maximes du Cardinal de Richelieu estoient les plus
seures, & que c’estoit en cela seul que consistoit le Gouuernement.

Le Cardinal Mazarin qui luy auoit inspiré cette malheureuse
politique, s’estant donc rendu maistre absolu de son
esprit, il commence à exercer sa cruauté & sa tyrannie sur les
personnes qui estoient auparauant les plus cheres à cette Princesse,
& les plus affectiõnées à son seruice & au bien de l’Estat.

Monsieur le Duc de Beaufort fut la premiere victime qui fut
immolée à ce Ministre insolent, parce qu’il trauersoit ses desseins,
& que le Roy en mourant luy auoit donné comme en
dépost ses enfans, c'est à dire la seureté de l’Estat & toute sa
bonne fortune.

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Il n’eut pas si-tost attenté à la personne de ce Prince genereux
par. des accusations malicieusement inuentées, & par
vne prison de cinq ans, qu’il trouua aussi moyen de chasser
de la Cour Monsieur l’Euesque de Beauuais Comte &
Pair de France, qui auoit receu tant de fois les larmes de la
Reyne lors qu’elle auoit esté persecutée, à cause que la bonté
des mœurs & l’eminente vertu de ce Prelat luy faisoient ombrage,
& qu’il auoit déja jetté quelques fondemens de la Paix
vniuerselle, qui eust ruïné sans doute tous les projects qu’il
auoit faits de sa grandeur & de sa fortune.

Ces premieres demarches ayant heureusement reüssy au
Cardinal Mazarin, il n’y a rien qu’il ne tente sur l’esprit de
cette Princesse, & comme les Finances du Royaume estoient
son principal object, qui est le vice ordinaire d’vne basse & vile
le naissance, & de tous ceux de sa nation, il songe à s’en rendre
le maistre absolu, en y mettant des hommes de sac & de corde,
& qui s’estoient déja rendus infames par les vols & les brigandages.

Pour paruenir à son dessein il esleua le sieur d’Emery, dont
les mœurs estoient entierement conformes aux siennes, &
qu’il sçauoit estre capable de tout entre prendre pour luy complaire,
& pour assouuir son auarice & son ambition.

Et de fait, il ne fut pas si tost entré dans la direction des Finances,
que violant les anciennes Loix de l’Estat, il n’y auoit
sortes d’aduis & d’inuentions qu’il ne recherchast pour opprimer
le peuple, & le sur charger d’impositions & de taxes si nouuelles
& si extraordinaires, qu’il sembloit estre inspiré des
Demons, & qu’il n’estoit né que pour la destruction de cette
grande Monarchie.

Le Parlement ayant voulu dés le commencement arrester
le cours de ce desordre, & empescher l’establissement de
toutes ces nouueautés, il se fit vn grand conflit, qui eut vn
succez tres-funeste & tres-malheureux pour cette Illustre
Compagnie.

Car bien qu’elle ne trauaillast que pour le bien public, &
que la Reyne luy eut l’obligation toute entiere de sa Regence,
neantmoins elle souffrit que ces deux Tyrans qui s’estoient
éleués au prejudice de tant de gens d’honneur & de suffisance,

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se seruissent de l’authorité que le Parlement luy auoit
donnée, pour enleuer le President Barillon au milieu de Paris
& à la face de tous les peuples, dont il auoit esté le Pere & le
veritable conseruateur.

 

Ce sacrifice n’eut pas esté parfait s’il n’eut esté sanglant, &
si la victime n’eut esté entierement consommée. Apres auoir
donc fait conduire cét illustre Heros dans le Chasteau de Pignerole
sans aucune formalité de Iustice, & contre les Loix
les plus generales du Royaume, qui deffendent ces emprisonnemens
violens, & que l’on mene les prisonniers en des
Prouinces estrangeres, & pendant qu’on entretenoit le Parlement
& la famille de ce President, d’vne prompte liberté,
l’on reçeut incontinent la nouuelle de sa mort precipitée, &
de quelques-vns de ses domestiques, qui pour leur fidelité receurent
le mesme sort, & vne fin aussi cruelle & aussi malheureuse.

La vieillesse de Monsieur Gayan President aux Enquestes,
& les incommoditez qu’il souffroit pour lors dans sa santé ne
fleschirent point aussi ces deux Perturbateurs du repos public,
& ces deux ennemis de l’Estat. On le fit sortir de paris au milieu
de la nuict sans luy donner le temps de prendre seulement
aucun équipage, & on le conduisit à Chasteau-gontier, qui
estoit le lieu de sa retraite & de son bannissement.

Plusieurs de Messieurs ne reçeurent pas aussi de traictemens
plus doux, ayant esté relegués en d’autres endroits du Royaume,
pour s’estre opposez courageusement à la violence du Ministere,
& deffendu la cause publique.

Toutes ces submissions volontaires du Parlement, qui eut
pû dés lors reclamer la Iustice & l’authorité des Loix, qui ne
veulent pas qu’on puisse troubler le seruice des Officiers ny
la fonction de leurs charges, qu’en leur faisant faire leur procez
par les voyes ordinaires, enflerent encore le cœur & la
superbe de ces deux ennemis du genre humain & de la societé
ciuile, car ayant perdu la memoire de leur naissance, & du
neant dont ils auoient esté tirés, ils rendent toutes les puissances
de l’Estat captiues, il n’y a rien qui puisse resister à
leur violence & à leur fureur.

Le Parlement, quoy qu’engagé dans l’oppression publique,

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ne laisse pourtant pas de continuer ses efforts, il s’assemble
dans les rencontres les plus importantes, il rend des Arrests,
il fait des remonstrances, il aduertit tous les iours la Reyne de
la cheute & du precipice. Que ceux qui gouuernoient & qui
luy donnoient de si pernicieux conseils faisoient sans doute
les funerailles de l’Estat, que nous perdions par nostre mallieureuse
police & par la suite de nos desordres, tout le credit
& la reputation chez les Estrangers Bref que tout estoit corrompu,
& reduit dans le dernier malheur, & que l’on ne
voyoit plus du tout la face de nostre Monarchie.

 

Mais tous ces sages conseils sont tousiours inutiles & mesprisez,
il n’y a rien d’inuiolable à ces deux Geans qui s’estoient
emparez du trosne des Dieux, & qui assiegeoient l’esprit de
cette Princesse. Vn Arrest du Conseil rendu sur vne simple
Requeste, renuerse les plus iustes deliberations des Compagnies
Souueraines, les Loix les plus sacrées de l’Estat sont le
joüet & la derision de ces deux Ministres ignorans & sacrileges,
qui n’ont point d’autre politique que le pillage des peuples,
& de se repaistre de leur propre sang.

Pour faciliter tous leurs pernicieux desseins, & leurs entreprises
punissables, ils engagent dans leur complot le Chancelier
de France, qui auoit esté esleué à cette charge par ses
laschetez & ses infamies, & qui s’y estoit maintenu par les mesmes
crimes. Ce Chef de la Iustice abuse en toutes rencontres
du sceau & du caractere du Prince, on l’applique à toutes sortes
de nouueautez & de tyrannies, il sert à opprimer les innocens,
& à sauuer les coupables, s’imaginant faire le Roy complice
de tant de crimes, parce qu’il prostituoit ainsi sa figure
& son image.

Le combat du Parlement & du Conseil pour tous ces desordres
ayant duré plus de cinq ans entiers de la Regence, sans
produire tout l’effet qu’il eust bien desiré pour le soulagement
du public, dautant que le Parlement auoit tousiours deux visages,
l’vn desquels regardoit la misere du peuple, & l’autre
sa fureur ; Il resolut enfin au mois de May dernier d’arrester
ce torrent de maux qui auoit desia rauagé tout le Royaume,
& qui dans peu de temps eut acheué son naufrage, & renuersé
tous ses fondemens.

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Pour cela il accepte l’vnion de toutes les Compagnies Souueraines
de la Ville de Paris, afin que tout le monde conneust
la Iustice & la raison de son entreprise, & que ce qu’il y auoit
aussi de puissance legitime, eust part à la gloire de l’euencement.

Le Cardinal Mazarin & tous ses adherans, troublés par
l’image de leurs crimes, & par le remors de leurs consciences,
preuoyans bien par là leur deffaite, tentent toutes sortes
de moyens pour rompre l’vnion des Compagnies, ils en arrestent
plusieurs prisonniers, ils menacent les autres de la derniere
violence, & de supplices honteux, il n’y a rien qu’ils
ne promettent pour rompre cette genereuse attaque, & pour
dissiper l’orage & la foudre que l’on formoit pour leurs testes
criminelles.

Mais ayant veu par la suite que leur fureur, & toutes les machines
qu’ils auoient dressées contre le Parlement, n’auoient
point retardé son glorieux dessein, & que cette Compagnie
auoit resolu de garentir le peuple de tant d’oppressions
qu’il auoit souffertes, ou d’estre enseuelie auec luy dans le
mesme tombeau, ils commencerent à plier auec vne resolution
secrette de perdre le Parlement, lors que les armées ne
seroient plus occupées contre les ennemis, & qu’ils auroient
aupres d’eux toutes les forces, en deust-il couster l’Estat
tout entier.

La Reyne enuoya donc querir sur la fin du mois de Iuin
les gens du Roy, ausquels elle donna charge de dire au Parlement
qu’elle agreoit leurs assemblées, & qu’ils pouuoient
executer leurs Arrests d’vnion.

Ainsi le Parlement agissant par sa propre authorité, & par
l’agréement de la Reyne, il y auoit lieu de croire apres cela
qu’il n’y auroit plus de resistance, & que tout ce passeroit de
bonne foy.

Mais dés que les Ministres virent que le Parlement auoit
commencé par la reuocation des Intendans des Prouinces,
qui estoient les principaux instrumens de leurs tyrannies, &
qu’on auoit ordonné qu’il seroit informé de la mauuaise administration
des Finances, ils prennent l’alarme aussi-tost, parce
que c’estoit là le couronnement de tous leurs crimes, &

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que par ce moyen leur brigandage paroistroit publiquement.

 

Pour eluder l’execution de l’Arrest & retarder leur supplice,
ils obligent Monsieur le Duc d’Orleans d’en venir demander
au Parlement la surceance pour quelques iours, & de
proposer des conferences en sa maison par deputés pour terminer
les affaires, & donner toute la satisfaction qu’il seroit
possible au public, & au particulier ; les asseurant encore
derechef des bonnes volontés de la Reyne, en foy & parole
de Prince, & que pour luy il n’estoit point ministre de tromperie,
mais qu’ils pouuoient se reposer sur les protestations
qu’il leur faisoit.

Le Parlement ayant accepté la conference dans l’Hostel
d’Orleans, quoy qu’extraordinaire, pour ne pas desobliger
ce Prince, & pour voir s’il y auroit aussi quelque ouuerture
d’accommodement.

Monsieur le Chancelier proposa dés la premiere Assemblée,
de faire vne Declaration entierement conforme à l’Arrest
qui auoit esté rendu. A quoy le Parlement consentit, n’estant
point jaloux de faire paroistre sous son authorité le bien
qu’il vouloit procurer au peuple, au contraire il souffrit que
cette gloire passast pour vn ouurage de ses propres ennemis
& de ses tyrans.

Mais au lieu de garder la parole qui auoit esté donnée, l’on
fait apporter au premier iour par Monsieur le Duc d’Orleans
vne Declaration bien differente de ce qui auoit esté arresté.
Car on n’y parloit point du tout d’informer de la mauuaise
administration des Finances, comme il auoit esté ordonné
par l’Arrest. Et à l’esgard de la quatriéme partie des tailles
qu’on auoit promis de remettre, l’on n’en diminuoit que la
huictiéme partie, & encore auec des conditions qui rendoient
cette descharge inutile & sans aucun fruict.

Le Parlement ne reconnoissant plus son ouurage, depuis
qu’il auoit passé par les mains des Ministres qui auoient accoustumé
de corrompre toutes choses, & de les deffigurer,
il ne voulut point du tout verifier cette Declaration. Mais
deux iours apres l’on s’aduisa d’vne artifice & d’vne fourbe
qui estoit tout le secret du ministere ; Sçauoir d’establir vne
Chambre de Iustice par vne seconde Declaration que l’on fit

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encore apporter par Monsieur le Duc d’Orleans, le Conseil
pretendant auoir satisfait par là à tous les articles de l’Arrest,
puis que dans la Chambre de Iustice l’on informeroit de la
dissipation des Finances contre toutes sortes de personnes, &
sans exception.

 

Bien que le Parlement reconneust dés lors que ce n’estoit
qu’vne inuention pour éloigner le chastiment de ceux
qui auoient volé les deniers publics, parce que la commission
de la Chambre de Iustice demeuroit en la main des Ministres,
qui seroient les maistres de la pluspart des Officiers, & de
leurs consciences ; Neantmoins il aima mieux encore se laisser
tromper cette fois pour auoir plus de liberté de soulager
le peuple dans la suite de ses deliberations, lesquelles il continuoit
tousiours sur les propositions faites dans la Chambre
de sainct Loüis par toutes les Compagnies Souueraines.

Mais encore que les Arrests que le Parlement rendoit ne
fussent que de simples executions des Ordonnances de Blois,
d’Orleans & des Loix fondamentales de l’Estat, que la violence
des temps auoit comme estouffées, les Ministres s’opserent
incontinent à vne si belle Police, & à la reformation si
necessaire dans le Royaume.

Pour cet effet l’on fait vne Declaration, que le Roy porte
luy mesme au Parlement le dernier Iuillet, dans laquelle il
n’y auoit point d’article qui ne fist connoistre l’esprit de ceux
qui l’auoient composée. Car ce n’estoit qu’vne illusion, vne
fourbe, & vne tromperie continuelle.

Il y auoit vn article entre-autres qui estouffoit la liberté publique,
& le secours ordinaire des peuples, parce qu’il estoit
deffendu de faire plus aucunes assemblées des Compagnies
que par l’authorité du Roy, c'est à dire par la permission des
Ministres, qui ne craignent rien tant que l’vnion de la Iustice,
qui a le droit d’examiner leurs actions & de les punir.

Le Parlement voulant donc pouruoir à ce desordre, & faire
voir que le remede dont les Ministres auoient fait tant de parade,
estoit beaucoup pire que le mal, Il continua de s’assembler
pour reuoir la Declaration dans la liberté des suffrages,
& pour l’expliquer.

Comme les Ministres voyent que leurs fourbes sont découuertes,

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& que ce qu’ils auoient voulu faire passer pour la descharge
& le soulagement du peuple estoit vn nouueau crime,
Ils prennent la resolution de maintenir encore leur tyrannie
par la force & la violence, & d’enleuer du Parlement ceux
qui leur faisoient ombrage, & qui en conseruoient la dignité.

 

Ayant gaigné heureusement vne bataille, qu’ils auoient
dessein de perdre, pour rejetter sur les Assemblées du Parlement
la cause de la deffaite, ils ne laissent pas de s’imaginer
par apres qu’ils se pourront aussi bien seruir de la Victoire, &
que dans leur succés il n’y aura rien qu’ils ne puissent entreprendre
sur la seureté publique. Tellement qu’à l’issuë d’vn
Te Deum glorieux, & pendant les acclamations des peuples,
l’on arreste prisonnier Monsieur de Broussel, Monsieur de
Blasmenie President aux Enquestes, l’on enuoye des lettres
de Cachet à Monsieur Laisné, à Monsieur Loysel, à Monsieur
Benoise, & à plusieurs autres Conseillers. L’on va encore
à main armée au logis de Monsieur Charton President des
Requestes du Palais pour se saisir de sa personne, il y a encore
beaucoup d’autres que l’on prepare pour vn sanglant sacrifice,
& pour immoler à la passion & à la vengeance du Cardinal
Mazarin & de ses complices, qui comme ces oyseaux
de proye, ou ces bestes de carnage, ne se repaissoient que de
sang, & encore du plus innocent & du plus pur.

Les Habitans de Paris ayant donc consideré cette action
auec horreur, & que l’oppression du Parlement estoit vne asseurance
infaillible de leur ruïne, & de tous les subjets du
Roy ; Ils prennent les armes pour redemander leurs Peres &
leurs veritables Protecteurs, parce qu’ils sçauoient bien que
la porte de la Iustice estoit fermée il y auoit long-temps, &
qu’il n’y auoit que la force & l’espouuante qui peust obliger
les Ministres de les rendre, & empescher les conspirations
qu’ils auoient faites sur des testes si Illustres & si precieuses à
l’Estat.

Le Parlement neantmoins se contente de la liberté de ses
prisonniers, & des relegués dans les Prouinces, quoy que dans
cét estat il peust perdre facilement ses ennemis, qui estoient
à la mercy de deux cent mil hommes sous les armes, & qui
estoient maistres de leur vie & de leur salut.

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La Reyne mesme qui auoit veu le peril deuant les yeux,
aussi bien que le Cardinal Mazarin, qui fut prest trois ou
quatre fois de se retirer, se sentit tellement obligée de la fidelité
du Parlement, qui par l’authorité seule de son Arrest
auoit fait baisser les armes, qu’elle en tesmoigna publiquement
sa gratitude, ayant mesme enuoyé querir le Preuost
des Marchands & les Escheuins, pour l’assurer que la prudence
& la bonté des Parisiens dans cette rencontre ne s’effaceroient
iamais de son esprit & de sa memoire, & qu’elle
s’en resouuiendroit eternellement. Qu’elle sçauoit bien qu’il
y auoit de mauuais François, qui vouloient persuader qu’elle
auoit dessein d’emmener le Roy hors de Paris, & de se ressentir
des Habitans & du Parlement tout ensemble, mais qu’elle
leur protestoit au contraire, que son cœur & son affection
estoient entierement pour eux, & qu’elle trouuoit la personne
du Roy en si grande seureté dans Paris, que s’il y arriuoit
quelque desordre dans son absence, elle ne croiroit pas
le pouuoir mieux arrester que par sa presence, & par l’amour
que le peuple auoit pour luy. Que c’estoit donc vn faux bruit
& de malheureux soupçons des ennemis de l’Estat, & de sa
felicité, afin de causer quelque desordre, & d’arrester le cours
de nos victoires, qui seroient bien-tost cimentées par vne
Paix generale & vniuerselle, qu’on preparoit auec soin pour
la gloire du Royaume, & la grandeur de nos Alliés.

Toutes ces paroles prononcées par la bouche d’vne Reyne,
qui estoit particulierement obligée au Parlement, deuoient
seruir de puissans ostages de la bonne volonté & de la bien-vueillance
de cette Princesse. Mais quelques iours apres l’on
fut bien estonné d’apprendre, que le Roy estoit sorty de grand
matin de Paris, sans tambour & sans trompette, comme vn
larcin que l’on faisoit au peuple, à qui l’on déroboit son Maistre
& son Souuerain.

Cette sortie honteuse sans la marque de la Majesté du Prince,
& qui n’auoit pû estre conseillée que par le Cardinal Mazarin,
qui ne cherchoit que les moyens de mettre le trouble
dans l’Estat, pour obliger le Roy d’Espagne, dont il est pensionnaire
& originairement subiect, mit quelque consternation
dans les esprits ; Mais ce qui acheua de faire croire qu’il y

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auoit de l’entreprise, & quelque project tres-mauuais, fut lors
qu’on apprit qu’on faisoit aduancer l’Armée, laquelle au lieu
de suiure le gain de la Victoire, comme il luy estoit facile, fut
incontinent destinée pour le pillage de Paris, & pour asseurer
la perte du Parlement, parce qu’il faisoit Iustice, & qu’il demandoit
l’execution des bonnes Loix.

 

Cét aduis ayant causé du murmure parmi le peuple, le Parlement
deputa vers la Reyne, qui estoit encore à Ruel, pour
la supplier de reuenir à Paris, & d’y r’amener le Roy, pour arster
les desordres & leuer les soupçons.

Au lieu de receuoir ce compliment auec la douceur dont
on a tousiours traicté la premiere Compagnie du Royaume,
ce ne sont qu’iniures & de mauuaises paroles, l’on assemble
tous les Princes & tous les grands de la Cour, afin que l’affront
& le mépris paroissent dauantage.

Le Parlement voyant la suite des violences, & que le Cardinal,
auquel il auoit sauué la vie, lors que Monsieur de Broussel
& les autres prisonniers furent rendus, auoit bien-tost perdu
la memoire du bien-faict, Ils prennent la resolution de
coupper la racine & d’aller à la cause du mal.

Aussi-tost le Duc d’Orleans & le Prince de Condé, que le
Cardinal auoit desia charmez, se rendent publiquement ses
Protecteurs Ils escriuent au Parlement, & le prient de surceoir
leur deliberation, iusques à ce qu’ils eussent conferé
ensemble par Deputés à sainct Germain, où la Reyne estoit
allée de Ruel.

Bien que le Parlement fut aduerty que ces conferences
n’estoient que des amusemens, afin de faire aduancer des
trouppes, & d’executer plus facilement le pernicieux dessein
que les Ministres couloient dans leur teste il y auoit desia
quelque temps, neantmoins ils ne refusent aucune ouuerture
d’accommodement, encore que la conference se deut
faire dans vn lieu, où ils pouuoient estre sacrifiez à la vengeance
& à la fureur de leurs ennemis. On les entretient
prés de six sepmaines sans rien conclure, afin que le peuple
dans son impatience ordinaire tournast ses armes contre luy
mesme, & contre sa propre liberté.

Mais comme l’on vit que la fourbe estoit descouuerte, &

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qu’on n’estoit plus en estat de la faire reüssir, l’on remet dans
vne autre occasion l’execution d’vne entreprise si pernicieuse
à l’Estat & à la Republique. L’on consent que l’on fasse vne
Declaration des propositions faites dans la Chambre de Saint
Louys par toutes les Compagnies Souueraines. Elle est dressée
par le Parlement, & portée à Saint Germain, où elle fut
trouuée si juste dans tous ses articles, qu’il n’y fut pas changé
vne syllabe par Monsieur le Chancelier, qui la renuoya le lendemain
tout de mesme qu’elle auoit esté concertée.

 

Cette Declaration ayant ainsi desarmé toute la France par
la conduite & la prudence du Parlement, Le Roy auec toute
sa Cour se rendit incontinent apres dans Paris, où il reçeut
tous les tesmoignages possibles de l’affection & de l’amour
de son Peuple, qui auec des acclamations publiques, fit paroistre
la joye qu’il auoit, de ce qu’on luy auoit rendu son
Prince & son Souuerain.

Mais les Ministres qui conseruoient dans le cœur vne vengeance
& vne trahison secrette, se preparent à changer cette
joye en tristesse, & ce glorieux triomphe dans vn carnage espouuentable,
& dans vn bouleuersement d’Estat.

Comme ils n’ont point de pretexte legitime ils en inuentent
malicieusement, ils publient par tout que la Declaration
auoit esté vne loy du temps, & vn ouurage de la force & de
la violence qu’on auoit exercée sur l’esprit la Reyne, ils y
contreuiennent ouuertement, ayant ordonné qu’il seroit leué
de nouueau seize ou dix-sept cens mil liures dans les Generalitez
du Royaume, où ils enuoyent les roolles & les departements.

L’on ne laisse pas aussi de faire des commissions extraordinaires,
de troubler l’ordre de la Iustice, bref de reduire les
choses dãs le malheureux & déplorable estat, où elles estoient
auparauant, que le Parlement eut restably par ses soins la Police
dans le Royaume.

Les cris & les plaintes des sujets qui reclamoient l’authorité
des Loix contre vne si insigne perfidie, obligerent le Parlement
de s’assembler, pour aduiser à ce murmure & à tous ces
desordres. Mais les Ministres pour retarder encore l’execution
de ce bon dessein, porterent Monsieur le Duc d’Orleans,

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& Monsieur le Prince de venir prendre leurs places, lesquels
dés l’entrée protesterent à la Compagnie, en foy de Princes,
que la Reyne n’auoit d’autre dessein, que d’executer la Declaration,
& qu’ils estoient venus sçauoir les contrauentions
qu’on y auoit faites.

 

Quelques vns de Messieurs ayans témoigné dans leurs aduis
les iustes deffiances & les soupçons que la Compagnie, &
tout le Peuple de Paris auoient, des Ministres & de leurs
ressentimens, que ce qui augmentoit mesme cette crainte,
estoit le nombre des trouppes qui paroissoient aux enuirons
de la ville, & qui s’aduançoient de tous costés, Le Prince de
Condé par vne entre prise toute ouuerte vsa de mauuaises paroles,
en menaçant quelques-vns de la Compagnie, & leur
ostant la liberté des suffrages.

Toute la France trouuera sans doute estrange, & tous nos
voisins, le procedé de ces deux Princes dans cette occasion.
Car deux ou trois iours apres les protestations qu’ils auoient
faites en plein Parlement, de faire executer ponctuellement
la Declaration, l’on en porte vne autre à la Chambre des
Comptes qui estoit le plus malheureux ouurage qui se pouuoit
iamais imaginer. Car au lieu que dans la violence du
temps & dans le brigandage des Finances, auquel on auoit
pourueu par la derniere Declaration, les interests des prests
que l’on faisoit au Roy, & les remises fussent des crimes couuerts,
& que l’on ne pouuoit voir à la Chambre des Comptes,
tout cela estant employé dans les comptans, l’on vouloit que
les Compagnies Souueraines authorisassent elles-mesmes
publiquement cette volerie, que l’on auoit dessein de continuer,
& pour la rendre encore plus celebre, l’on permettoit
indifferemment à toutes sortes de personnes de s’engager
dans ces prests, c'est-à-dire dans cette vsure infame, dans ce
peculat honteux, sans pouuoir estre recherchez, sans déroger
à Noblesse, & sans contreuenir aux Ordonnances.

Monsieur l’Archeuesque de Paris & la Sorbonne trouuerent
cette Declaration si contraire aux bonnes mœurs & à la
pureté de la Religion & du Christianisme, qu’ils tesmoignerent
publiquement qu’ils ne souffriroient point du tout cette
corruption dans les consciences, laquelle ne manqueroit

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pas de deuenir generale, la Loy du Prince en cela ne deuant
point estre differente de celle des particuliers, principalement
le Roy ayant tous les reuenus, & toutes les choses necessaires
pour la manutention de l’Estat.

 

A l’esgard du Parlement, il se remua pareillement d’vne
contrauention si manifeste à la derniere Declaration, qui
alloit acheuer la ruine de l’Estat, & absorber tous les reuenus
du Prince.

Les Ministres voyant donc que si l’on entretenoit la Police
du Royaume & les Loix dans leur vigueur, qu’ils ne seroient
plus les Souuerains, & qu’il y auoit à craindre que ces mesmes
Loix qu’ils auoient tant de fois violées, ne demandassent
Iustice de tous les crimes qu’ils auoient commis contre
le repos & la felicité des Peuples, ils prennent encore la
resolution de perdre l’Estat, ou de perdre ceux qui les auoient
ainsi rappellées, & qui les vouloient faire triompher de tant
de parricides & d’attentats qu’ils auoient faits à la seureté
publique, & à la Majesté du Souuerain.

Ils gaignent incontinent le Prince de Condé, lequel s’engage
facilement dans vn si malheureux party, sous pretexte
de recompenses imaginaires, & de luy donner des Places
Frontieres : sçauoir Stenay, Iamets & Clermont en droit de
Souueraineté, par le moyen desquelles ce ieune Prince pretendoit
se donner de la reputation, & entretenir son ambition
naturelle.

Ce n’estoit pas assez, il falloit aussi faire tremper dans cét
horrible attentat le Duc d’Orleans. Sa resistance fut grande
par la bonté & la douceur de ses mœurs, mais son esprit estant
assiegé depuis plusieurs années de l’Abbé de la Riuiere, qui
l’a trahy tant de fois, & dont les mœurs sont aussi corrompuës
& aussi basses que la naissance, le charme se respandit encore
sur cette premiere personne du Royaume, qui consentit à
ce pernicieux complot.

Le Cardinal Mazarin & ses complices ne donnerent pas le
temps à ce Prince de faire seulement reflexion sur vne entreprise
si perillieuse & si criminelle. Aussi-tost la resolution prise,
on l’enleue de son lict le iour des Roys à trois heures du

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matin, où il estoit detenu malade il y auoir des-ja quelques
iours.

 

L’on fait sortir le Roy de Paris vne heure apres, sans tambour
& sans trompette, l’on enuoye chez tous les Princes &
toutes les Princesses pour se rendre à Saint Germain, leur
faisant croire qu’il n’y auoit point de seureté pour eux dans
Paris.

Toute la Cour ayant suiui, non pas comme complice de cet
enleuement, car il y auoit peu de personnes qui en eussent le
secret, mais plustost pour sçauoir quelle en seroit la suite ; Les
Habitans de Paris furent fort surpris d’apprendre, qu’on leur
auoit dérobé leur Maistre & leur Roy.

Ils font reflexion sur le dessein qu’auoient fait paroistre les
Ministres il y auoit deux ou trois mois, de perdre la Ville, &
de l’assieger pour se vanger de ce qu’on les auoit obligez de
rendre d’Illustres prisonniers, qui auoient deffendu la cause
publique, & maintenu l’authorité Royale.

Ils sçauent aussi qu’il y a grand nombre de troupes qui
estoient proches de Paris & sur les aduenuës, qui en menaçoient
les passages, & qui en empeschoient le commerce.
Aussi-tost l’espouuente les prend, ils courent aux armes, &
se saisissent des portes. La Maison de Ville s’assemble pour
pouruoit à cét espouuentable desordre. Elle n’est pas si-tost
assemblée qu’on luy apporte trois lettres, l’vne du Roy,
& les deux autres du Duc d’Orleans & du Prince de Condé.
La lettre du Roy aduertit la Ville de sa sortie de Paris, & des
raisons qu’il auoit euës pour cela. Qu’il auoit creu n’y auoir
point de seureté pour sa personne, y ayant quelques-vns de
son Parlement qui auoient de mauuais desseins contre luy, &
des intelligences secretes auec les Ennemis de son Estat.

Cette accusation ridicule & meschamment inuentée par
le Cardinal & ses adherans, pour trouuer, vn pretexte à leur
crime, & à vn enleuement si horrible que celuy qu’ils auoient
fait de la sacrée personne du Prince, surprit tellement les Officiers
de Ville auec les deux autres lettres des Princes, qui
declaroient que c’estoit de leur aduis que le Roy estoit sorty,
qu’ils porterent tous ces beaux libelles diffamatoires au Parlement,

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qui s’estoit aussi assemblé pour pouruoir à la seureté
& à la subsistance de Paris.

 

Dans ce iuste ressentiment le Parlement pouuoit vser dés
lors, & auec grande raison, de son authorité legitime, mais
il se contenta ce premier iour de pouruoit à la seureté du dedans
de la Ville, & à sa subsistance, afin qu’en temporisant
les Ministres fissent reflexion sur leurs crimes, & que le Duc
d’Orleans & le Prince de Condé songeasseant aussi à ne plus
authoriser vne entreprise & vn attentat si horrible contre
l’Estat, & contre la seureté publique.

Mais la prudence & la sage conduite de la Cour ne seruit
qu’à enfler l’orgueil des Ministres, ils enuoyent dés le lendemain
des Letters patentes, lesquelles ne furent point ouuertes,
n’ayant pas esté presentées dans les formes ordinaires.
Mais l’on apprit par la lettre escrite au procureur General, &
au Preuost des Marchands & Escheuins, que c’estoit pour
transferer le Parlement à Montargris, qui est vne petite meschante
ville, où les Ministres estant les Maistres ils pretendoient
exercer en toute liberté leurs cruautez & leurs tyrannies,
& satisfaire à leur fureur.

Le Parlement qui deuoit estre sensiblement outré de tant
de conspirations que l’on faisoit pour sa ruïne, à cause qu’il
auoit voulu arrester le cours de l’oppression publique, & restablir
vn bon ordre dans l’Estat, ne parut point encore touché
de tant d’injures & de calomnies, il esperoit que la Iustice
de son procedé estant conneuë à tout le monde, desilleroit
les yeux de la Reyne, & que le charme ne dureroit pas aussi
tousiours sur les deux Princes qui s’estoient engagez auec elle
dans vn si malheureux dessein.

L’on trouue encore vne inuention de reconcilier les esprits,
& d’accommoder les affaires, en ordonnant que les Gens du
Roy se transporteroient à S. Germain, pour asseurer le Roy &
la Reyne Regente en France, du seruice & de la fidelité de la
Compagnie, bien estonnée de ce qu’elle auoit eu des sentimens
contraires, & la supplier pareillement de nommer ceux
qui auoient attenté à la sacrée Personne du Roy, & entrenu
des intelligences secrettes auec les ennemis de l’Estat,

-- 20 --

pour leur procez estre fait & parfait, & pour en faire vne
justice publique & exemplaire.

 

Les Gens du Roy estant allez à sainct Germain, ils trouuerent
à l’entrée du Bourg sur vne eminence qui en est proche,
le sieur Sanguin Maistre d’Hostel, qui leur dit qu’il les attendoit
il y auoit long-temps, pour les empescher de la part de la
Reyne d’aller plus auant, & qu’on ne leur pouuoit donner
d’audiance iusques à ce que le Parlement eut obey.

Les Gens du Roy ayant demandé de parler à Monsieur
le Chancelier, on les fit attendre long-temps sur cette montagne,
dans l’injure du temps & au milieu de la nuict, & apres
cela, pour toute responce, Monsieur le Chancelier leur fit
dire, qu’il auoit ordre tres-exprés de ne les point escouter,
bien que les Gens du Roy l’eussent fait assurer qu’ils auoient
de bonnes paroles, & qui pourroient sans doute arrester les
malheurs qui se formoient dans l’Estat.

Enfin ayant obtenu auec peine d’entrer dans le Bourg
pour se reposer le reste de la nuict, ils ne furent pas si-tost
descendus du carosse, qu’il vient vn nouuel ordre, & vn commandement
exprés de se retirer tout presentement sans conduite,
au milieu des tenebres, & à la mercy des Gens de guerre,
la plus part Allemands & sans misericorde, qui courroient
desia par la campagne, & qui exerçoient des actes d’hostilité.

Les Gens du Roy ayant fait leur rapport d’vn si mauuais
traictement, & qui n’auoit point d’exemple, le Parlement
aduerti d’ailleurs que la Ville estoit blocquée, & tous les passages
fermés, qu’on auoit aussi fait publier vn Arrest du
Conseil d’enhaut au marché de Poissy, & dans tous les Bourgs
& Villages circonuoisins, par lequel il estoit deffendu à peine
de la vie à toutes sortes de personnes d’amener aucunes denrées
à Paris, & d’y faire aucun trafic, alors le Parlement vit
bien qu’on les vouloit sacrifier auec tous les Habitans de Paris
à la tyrannie, & à la vengeance d’vn Ministre Estranger.

Le Parlement creut donc qu’il seroit luy-mesme complice
de la perte & de la ruine de l’Estat, s’il pardonnoit dauantage
à ses ennemis, & s’il attendoit encore leur repentir. Tellement

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qu’il rend vn Arrest, par lequel le Cardinal Mazarin
est declaré Perturbateur du repos public, ennemy du Roy
& de l’Estat, enjoint à luy de vuider de la Cour dans le iour,
& du Royaume dans huictaine, autrement enjoint aux Subjets
de courre-sus, & deffenses à toutes personnes de le receuoir
à peine de la vie, & qu’aussi il seroit leué des trouppes en
nombre suffisant pour la seureté de la Ville, & pour faciliter
les passages & le commerce.

 

Le Parlement & tous ceux qui se sont joints auec luy dans
cette rencontre, n’estiment pas qu’il y ait de bons François qui
puissent condamner vne deffense si legitime, & si necessaire.
Car faisant reflexion sur tout ce qui s’est passé pendant la
Regence, il n’y a personne qui ne voye bien clairement que
le Cardinal Mazarin & ses complices, n’ont trauaillé iusques
à present qu’à perdre le Roy & son Royaume. Il n’y a personne
qui ne connoisse que le Roy d’Espagne & tous les autres
ennemis de l’Estat, ont presidé à ses conseils & à toutes
ses entreprises.

Il s’est rendu maistre absolu de l’esprit de la Reyne par des
artifices & des crimes punissables, il a corrompu celuy des
Princes qui sont les plus proches de la Couronne, & qui la
deuoient maintenir. Tellement qu’il n’y a que le Parlement
auiourd’huy qui puisse s’opposer à de si horribles attentats,
c’est luy qui pendant la minorité est le veritable Tuteur des
Roys, & le sacré Depositaire de la Couronne, il en est responsable
au Roy & au public. Ses armes n’ont donc point
d’autre deuise, ny d’autre mouuement que le salut du Prince,
il n’a leué l’enseigne que pour l’oster des mains des Estrangers
ses plus grands ennemis, qui l’ont dérobé à son peuple
& à son Estat.

La seconde raison de sa deffense a esté de conseruer Paris,
l’ornement de la France, la merueille du monde, l’admiration
des Estrangers, la force du Roy & de son Empire, qu’on
auoit resolu de mettre en cendres, [illisible] perdre entierement.

Il n’y auoit personne aussi qui ne deust cette protection à sa
femme & à ses enfans, à ses biens & à sa fortune, & partant

-- 22 --

tous les motifs de cette deffense estans fondez sur les premiers
principes de la nature, qui nous obligent à la conseruation de
nous mesme, le Parlement ne doute point que son action ne
reçoiue non seulement de l’approbation par tout, mais encore
de l’honneur & de la gloire.

 

Et de faict, son genereux dessein n’a pas si-tost paru, que les
Princes les plus affectionnez à l’Estat, & nombre de Seigneurs
des plus qualifiez du Royaume, se sont vnis à vn si juste
party.

Monsieur le Prince de Conty a voulu signaler les premieres
années de sa vie pour le salut de son Païs & de sa Patrie,
qui luy est incomparablement plus chere que l’interest d’vn
frere, qui s’est laissé surprendre par les artifices d’vn pernicieux
Ministre, qui l’a obligé d’armer contre sa propre grandeur,
& l’honneur de sa reputation.

Monsieur le Duc de Longueuille, qui est vn des plus sages
Prince de l’Europe, & qui a tousiours eu part à toutes les
belles actions qui se sont faites pendant sa vie, a creu qu’il ne
pourroit plus rien desirer pour sa gloire, s’il pouuoit rendre
ce seruice à l’Estat, & contribuer de ses forces & de son credit
pour en chasser les monstres, & tous les Geans qui se sont
assis sur le Trosne des Dieux, & emparés de l’authorité
Royale.

Monsieur le Duc de Beaufort s’y est aussi engagé, non pas
par ressentiment, puisque sa paix estoit faite, mais plustost
par son courage, & par sa propre generosité.

Monsieur le Duc d’Elbeuf auroit pensé degenerer de ses
ancestres, & de ses Illustres Predecesseurs, à qui les Peuples
doiuent leur Religion & leur salut, s’il ne leur auoit pas
donné sa prorection dans vne occasion si importante.

Monsieur de Boüillon, Illustre par tant d’actions memorables,
& de victoires signalées. Monsieur le Mareschal de la
Mothe qui a porté la reputation de l’Estat & de son courage
iusques au centre de l’Espagne, où il a gaigné vnze batailles,
& fait sentir la pesanteur de son bras. Monsieur de Vitry,
Monsieur le Prince, de Marsillac, Monsieur de Narmontier,
& tant d’autres. Seigneurs considerables par leur naissance,

-- 23 --

par leurs charges, par leurs emplois, & par leur propre
vertu, se sont aussi rangez de ce party pour y deffendre la
cause commune, & la liberté de leur paїs, ils ont protesté de
perir ou de rompre les chaisnes que la violence du ministere
auoit dõnées au peuple, comme à des forçats & à des esclaues.

 

Monsieur le Coadjuteur de Paris, l’Vniuersité & les principaux
Prelats du Royaume, ont aussi condamné publiquement
la tyrannie du Cardinal Mazarin, & confirmé tous les
Princes dans le bon dessein qu’ils auoient d’en tirer la vengeance
publique. Tellement que l’on peut dire que les trois
Estats sont vnis au Parlement pour maintenir l’authorité du
Roy, & chasser ceux qui s’en sont iniustement emparez.

Le Parlement est mesme bien asseuré, que la pluspart de
ceux qui sont demeurez en Cour n’y ont esté iusques à present,
que par des raisons de bien-seance, ou retenus par force,
& qu’ils voudroient auoir part à la gloire d’vne si belle
action, plustost que de trauailler à la destruire.

Monsieur le Duc d’Orleans mesme n’y est plus engagé d’inclination,
il n’y demeure parce qu’il n’en peut pas sortir. Madame
la Duchesse sa femme, & Mademoiselle sa fille & tous
ceux de sa Maison font tous les iours des imprecations contre
ceux qui luy ont donné de si pernicieux conseils, & qui
sont les autheurs d’vne si funeste & si malheureuse entreprise.

C’est donc la cause de Dieu, puis que c’est la cause publique.
Car de l’autre costé l’on n’y voit point d’autre raison
que la deffense d’vn tyran, qui a dissipé toutes les Finances
du Roy, ou qui les a transportées en des Prouinces Estrangeres,
s’estant trouué sur le Registre des Banquiers, qui ont
negotié ses affaires, plus de cent soixante & dix-huit millions
de liures, qui ont esté enuoyées de son ordre & sous son nom
en Italie. Qui a bien eu l’insolence d’emprisonner vn Prince
dés le commencement de son credit & de son regne, pour
luy proposer, & le faire consentir s’il pouuoit, à vn mariage
honteux & infame d’vne de ses niepces, fille de Bourgeois de
Rome, & de simples artisans, qui mesme à tant de fois
engagé l’honneur & la vie de Monsieur le Prince, qui est auiourd’huy

-- 24 --

son seul Protecteur, & qui a fait tout ce qu’il a pû
pour le faire perir en luy manquant de parole, d’hommes,
d’argent, & des autres choses necessaires pour sa deffense,
lors qu’il commandoit les Armées, & qui peut estre trauailleroit
vn iour à sa deffaite, comme font tous les Tyrans, si la
France estoit encore si malheureuse de le voir dans son premier
credit, & sur le Trosne du Prince. Tellement que le
Parlement ne peut pas s’imaginer qu’il y ayt de bons François,
qui considerant la Iustice de sa deffense, & de ses plaintes,
ne se ioigne auec luy pour destruire l’Ennemy commun.
Car c’est dans l’vnion de toutes les forces du Royaume, que
l’on peut sauuer l’Estat & le garentir de sa totalle ruine,
parce qu’estant diuisées, ce seroit vn combat perpetuel sans
victoire, qui destruiroit à la fin la Monarchie par ses propres
forces & par cette resistance reciproque.

 

Il n’y peut auoir de scrupule à s’engager dans cette occasion
glorieuse, sur l’alliance qui se rencontre dans les Chefs
qui commandent les deux Partis, parce qu’outre les mauuais
traictemens qu’à reçeus Monsieur le Prince de Conty
de la Cour, & de Monsieur le Prince son frere, il n’est pas
sans exemple de voit vn frere contre vn frere, quand il s’agist
de l’interest public, & du salut de la Patrie, puisque dans les
interests particuliers nous les voyons mesme tous les iours
diuisés, iusques à ne pardonner pas à leur vie, & à leur propre
reputation.

Flauius du temps de Tybere, ayant choisi le party des
Romains pour trauailler à la deffaitte & à la ruine de l’Allemagne
sous la conduite de Germanicus, Arminius son frere
s’en rendit le Liberateur. Tacite rapporte mesme les reproches
qu’il luy fit dans vne entreueuë auparauant le combat,
& comme il luy representa le deuoir enuers sa Patrie, ses
priuileges & son ancienne liberté qu’il deuoit maintenir,
plustost que d’encourir l’infamie d’auoir mesprisé les larmes
d’vne Mere, violé sa foy, abandonné ses Dieux,
& asseruy son païs. Les Histoires anciennes, & celles de
nos iours sont aussi remplies de semblables rencontres,
d’honneur & de generosité, & ainsi ce seroit estre mauuais

-- 25 --

François, que de rechercher ce pretexte pour ne pas
prester son secours à la cause commune, & à vne deffense si
necessaire.

 

Pour le Parlement, ce n’est pas d’aujourd’huy qu’il a maintenu
le seruice du Prince, & la grandeur de l’Estat, l’on sçait
combien de fois il a soustenu la Couronne chancelante, sans
en tirer d’autre auantage que la gloire de l’auoir faict. Et que
dans cette occasion mesme il n’y a eu que le seul interest public
qui l’a engagé, car c’est pour auoir demandé l’execution
des Ordonnances, qui est vn crime bien nouueau. Tellement
que soit que l’on considere la cause de la deffense, & ceux
qui l’ont si fortement embrassée, l’on ne trouue que de la
justice par tout, & vne authorité legitime au lieu que le party
contraire est la protection des tyrans, qui ont pillé tout le
Royaume, & deserté les Prouinces, comme s’ils eussent esté
en pays ennemy. Qui pour satisfaire à leur ambition, & entretenir
leurs malheureux credit, ont rompu tant de fois la
Paix que Monsieur le Duc de Longueuille auoit arrestée
pour la grandeur de l’Estat, & la reputation de nos Alliez,
qui par les ordres secrets qu’ils ont enuoyez au sieur Seruien,
cõplice de leurs laschetés, & de leurs infamies, ont joüé
iusques à present tous les Princes de l’Europe, & rendu leurs
bons desseins inutiles, qui ont fait perir deux armées en Catalogne
qui auoient fait trembler le Roy d’Espagne au milieu
de son Escurial, pour conuertir à leur profit particulier
ce qui estoit destiné pour leur subsistance, & pour leur entretenement.
Qui en l’années six cens quarante six, au lieu de faire
vne armée pour opposer à la puissance des ennemis, consumerent
tous leurs soins & toute leur politique à faire joüer des
machines, & les intermedes d’Orphée auec vne despense incroyable,
le Cardinal Mazarin ne pouuant oublier son premier
mestier. Qui au lieu de suiure nos glorieux progrés sur
les Frontieres du Royaume, & reprendre l’ancien Patrimoine
des François, ont entrepris des guerres en Italie contre
le Pape & ses Alliés, pour décrier nos armes dans toute
l’Europe, & pour forcer sa Saincteté de donner le Chapeau
à vn malheureux Iacobin, frere du Cardinal Mazarin, qui

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n’auoit suffisance ny merite. Qui voyans enfin que la bonne
fortune de la France l’emportoit tousiours sur leurs pernicieux
conseils, ont recherché toutes sortes de moyens &
d’artifices pour l’armer contre elle-mesme, & pour la détruire
par ses propres forces.

 

Toutes ces entreprises & tous ces attentats punissables de
tous les supplices qu’on sçauroit iamais inuenter, estant donc
visiblement cogneus à toute l’Europe.

Le Parlement s’asseure apres cela qu’il n’y aura point de
François qui veille faire la guerre à sa Patrie, à soy-mesme,
& à sa propre liberté, protestant à toute la France de
n’abandonner point vn si glorieux dessein qu’apres, auoir fait
la Paix vniuerselle au dedans & au dehors du Royaume,
restably toutes sortes de personnes dans leurs biens, dans leurs
honneurs & priuileges, & rappellé toutes les anciennes
Loix de l’Estat.

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Anonyme [1649], LES RAISONS OV LES MOTIFS VERITABLES DE LA DEFFENSE DV PARLEMENT & des Habitans de Paris. Contre les Perturbateurs du repos public, & les Ennemis du Roy & de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2967. Cote locale : A_8_19.