Anonyme [1652], LES REGRETS DE MADAME LA DVCHESSE DE NEMOVRS, Sur la mort du Duc son Mary. , françaisRéférence RIM : M0_3082. Cote locale : B_9_26.
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LES
REGRETS
DE MADAME
LA DVCHESSE
DE
NEMOVRS,
Sur la mort du Duc son Mary.

A PARIS,
De l’Imprimerie de la Veufue I. GVILLEMOT, Imprimeuse
ordinaire de Son Altesse Royale, ruë des Marmouzets,
proche l’Eglise de la Magdeleine.

M. DC. LII.

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LES REGRETS DE MADAME
la Duchesse de Nemours sur la mort
du Duc son Mary.

 


QVAND Artemise apprit qu’vn coup prodigieux,
Auoit de son espoux tranché la destinée,
En deux sources de pleurs changez-vous
ô mes yeux !
Dit-elle, pour iamais ie m’y voy condamnée.

 

 


Son visage paslit à ce ressentiment,
La douleur tout à fait s’empara de son ame,
Et comme elle resta dans le saisissement,
On veid que sa froideur fut l’effect de sa flâme.

 

 


Mais quand de ce transport ses sens furent dépris,
Et qu’elle vint encor à rompre le silence,
Sans passer au murmure & sans pousser de cris,
Son courroux par ces mots monstra sa violence.

 

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STANCES.

 


CHER & cruel objet de mon ressentiment,
Faut-il que ma douleur en ce fatal moment,
Ait lieu de t’accuser d’vn meurtre inuolontaire ?
Que l’injuste rigueur du sort,
Me rende mon espoux dans les bras de la mort,
Et qu’en son meurtrier mon deuïl rencontre vn frere.

 

 


Quoy, faut-il que le fer de ce noble Vainqueur,
Dont i’ay loüé cent fois la prudence & le cœur,
Perce auioud’huy le mien en vn autre moy-mesme ?
Et qu’vn destin injurieux,
Qui rauit pour iamais mon espoux à mes yeux,
Me condamne à haïr ce cher frere que i’ayme ?

 

 


O Ciel qui confondez en ce funeste iour !
Ma crainte & mes douleurs, ma haine & mon amour,
De ce triste cahos desbroüillés le nüage,
Et m’osant à ce point trahir,
Supposez vn sujet que ie puisse haïr,
Pour tenir icy lieu de celuy qui m’outrage.

 

 


O destins à quel point me persecutez-vous ?
Vn frere m’assassine & ie perds vn espoux.

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Mon sang de mon amour s’est rendu l’homicide,
Et pour me priuer de soustien,
L’amour du genre humain ayant destruit le mien,
I’esprouue vn sort cruël, autant qu’il est perfide.

 

 


Ouy, cher frere, ie sçay que de tous les mortels,
T’on astre t’a rendu le plus digne d’autels,
Et que le genre humain te nomme ses delices :
Aussi mon plus grand desespoir,
Et toute ma douleur, naist auiourd’huy de voir,
Que tu sois le sujet de mes cruëls supplices.

 

 


Mais bien qu’en mon espoux ie sois morte à demy,
Quand ie te veux haïr ou traitter d’ennemy,
La nature s’oppose à ma foible vengeance,
La raison combat mon dessein,
Ie croy faire la guerre à tout le genre humain,
Et voir tout l’Vniuers s’armer pour ta deffence.

 

 


Ie croy voir contre moy tout Paris alarmé,
Témoigner en faueur d’vn objet tant aymé,
Ce que peut la fureur d’vn peuple qui s’emporte.
Ce penser me comble d’effroy,
Ma douleur qui se taist cherche vn plus doux employ,
Et s’impute à bon-heur de n’estre la plus forte.

 

 


Mais mon ressentiment se rendroit criminel,
Si ie le trahissois à l’amour fraternel,

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Mon cher espoux est mort & ie luy dois iustice,
Exigeons du sang pour du sang,
Mon frere est sõ vainqueur : quel que soit sõ haut rãg,
Ie croy qu’il peut tomber du faiste au precipice.

 

 


Ie sçay qu’il peut tomber : mais ie sçay qu’auec luy,
Tout vn peuple innocent dont il se rend l’appuy,
Me pourroit en tombant accabler de sa cheute
Et si mon ame dans les fers,
Ce dessein m’ouurira de plus cruels enfers
S’il faut que malgré moy mon deuoir l’execute.

 

 


Mais pour vanger vn sang qu’vn ennemy si cher
Par vn motif d’honneur fut forcé d’épancher,
Dois-je suiure les loix que cét honneur m’impose ?
Et faisant violence à ma propre douleur,
Acheuer par mes soins l’ouurage du mal heur,
Et meriter ma peine en m’en rendant la cause.

 

 


Non, non, dans cét abysme & ce gouffre d’ennuis,
Soûpirer & languir est tout ce que ie puis,
De cent contraires loix ce desordre me lie :
Ie resiste à mes propres vœux,
Et mon mal heur produit d’inexplicables nœuds,
Qui tiennent dans le deüil mon ame enseuelie.

 

 


O supplice cruel autant qu’il est nouueau !
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,

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Ie voy ce que i’aymois détruit par ce que i’ayme,
Mes iours restent d’ombres couuerts,
Vn espoux sans pareil est le bien que ie perds,
Et mon cœur est enfin separé de moy-mesme.

 

 


Ciel qui voyez ma perte & mon ressentiment,
Icy vostre fureur agit impuissamment.
D’epuiser tous ses traits ma foiblesse est indigne,
Ie succombe à de si grands coups,
Mais ie sçay comme il faut tromper vostre courroux,
Puis qu’à toutes vos loix mon ame se resigne.

 

 


Donc que feray-ie honneur, respect, amour, deuoir
Mais rendons grace au Ciel de manquer de pouuoir,
Sauuons de mon espoux la moitié qui nous reste,
Et nous abysmans dans le dueïl,
Enseuelissons nous dans vn mesme cercueil,
Et pleurons à iamais vn mal-heur si funeste.

 

 


Elle eust continüé ce lugubre discours :
Mais ses pleurs, de sa plainte interrompans le cours,
Et suffoquans sa voix dans sa bouche impuissante,
Firent qu’elle resta, plus morte que viuante,
Et que comme Niobe, on creut à l’approcher,
Qu’on la verroit bien-tost conuertie en rocher.
Enfin ayant vaincu sa foiblesse premiere,
Ce bel astre a repris tant soit peu de lumiere,
Comparable à ces feus que le Ciel reproduit,

 

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Quand d’vn affreux orage il dissippe la nuict,
Pourtant ce qui luy reste & de sang & de vie,
N’est que pour la tenir aux douleurs asseruie,
Et monstrer aux François qu’à force de souffrir,
Dans ses longs déplaisirs elle meurt sans mourir.
Celebrons donc sa gloire au milieu de ses larmes,
Disons qu’à ses douleurs elle mesle des charmes,
Et qu’estant en effect vne viuante mort,
Elle accroist ses honneurs par les rigueurs du sort.

 

FIN.

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