Anonyme [1652], LES REGRETS DV CARDINAL MAZARIN, Sur la mort de son Neueu Manchiny. Ses dernieres paroles & son Epitaphe. , françaisRéférence RIM : M0_3084. Cote locale : B_12_28.
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LES
REGRETS
DV CARDINAL
MAZARIN,
Sur la mort de son Neueu
Manchiny.

Ses dernieres paroles & son Epitaphe.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë Sainte Anne.

M. DC. LII.

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Les Regrets du C. Mazarin,
sur la mort de son neueu
Manchiny.

VOVS auez sceu comme le sieur
Manchiny fut blessé au combat
du faux-bourg Sainct Antoine,
quoy que le Cardinal Mazarin
son Oncle, l’ayt fait traitter par
les plus habiles Chirurgiens de France. Neantmoins
il est mort de ses blesseures, la gangrene
s’estant mise dans vne de ses playes qui estoit à la
cuisse. Dans sa maladie, le Roy, la Reine, & les
plus grands Seigneurs de la Cour l’ont visite, &
son Oncle a fait tout ce qu’il a peu pour le sauuer
du danger de la mort ; Mais son impatience dans
le mal, luy fit redoubler la fievre, qui l’emporta la
nuit du Dimanche. Ce ieune Courtisan, qui estoit
venu cõme vn Champignon, est vn exemple present
de l’instabilité de la Fortune, il auoit veritablement
des qualitez assez recommendables, parce
qu’il auoit esté nourry dans vne Cour, dont l’air
dissipe les mauuaises humeurs d’Italie. Il auoit
l’esprit subtil, & auoit acquis beaucoup de courage,
parmy ceux qui en ont assez de naissance, il
il estoit beau & bien-fait : Mais parmy cela, il auoit

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encore reserué quelque chose de la Nation, ainsi
que les loups priuez retiennent tousiours du feroce,
& puis il suiuoit les leçons de son Oncle, auec
lesquelles il auoit desia sceu pratiquer l’esprit du
Roy, qui a tesmoigné beaucoup de regret de ses
blessures, & encore dauantage de sa mort. Il sçauoit
obseruer ce que son Oncle, comme son Pedagogue,
luy enseignoit, pour maintenir sa faueur.
Il ne parloit au Roy que de guerre, que de vanger
les rebellions, & que c’estoit dans ce point que
Sa Majesté deuoit faire voir son courage, que du
zele & de l’affection de son. Oncle, qui estoit venu
exposer sa vie pour la conseruation de sa Couronne.
Enfin dans les heures de recreation, il auoit les
mots pour rire, & parloit quelque fois trop licencieusement
des choses que le respect fait taire aux
oreilles de nos Monarques, de crainte d’offenser
leur Vertu : Mais comme il auoit pratiqué insensiblement
cette liberté, tout luy estoit permis, &
c’est ce qui le faisoit aymer de son Oncle, qui tesmoigna
les sensibles regrets de sa mort, par ces
vers.

 

 


Neveu que j’aymois comme vn fils,
Neveu que peut estre ie sis,
Pour le support de ma fortune,
Faut-il que la parque importune
Te rauisse dans mon besoin,
Lors que ie prenois vne grand soin
De t’aprendre dans t’a jeunesse,
Tous mes plus beaux tours de souplesse.

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Desia le Roy se delectoit,
Quand mon cher Neveu caquetoit,
Tout ainsi qu’vne pie borgne ;
Mais Atropos qui tousiours lorgne,
Auecque son petit daquet,
Luy a fait perdre son caquet :
Il sçauoit desia la maniere
De joüer de la gibesiere,
Et mieux encor des gobelets,
Sçauoit farcer, dancer balets,
Mesme voltiger sur la corde,
Dieu luy fasse misericorde,
Et pour la ; scola d amore,
Doctor in vtroque iure :
Parloit par experience,
C’est pourquoy dans cette science,
Il disoit, iure merito,
Experto crede Roberto,
Car c’eust esté grande folie
Contre luy natif d’Italie,
De vouloir disputer l’art
Qui rendit Iupiter paillart,
Dans ce pays ou paillardise
Est comme dans son trosne assise,
Car ce petit diminutif
Coniugoit lactif & passif,
Du verbe aymer en deux manieres,
Mais la mort a clos ses paupieres.
Cher Manchiny respondez-moy,
I’auois encor ie ne sçay quoy

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Auant que partir à vous dire,
Mais la mort soudain vous attire,
Helas! j’auois dans les dangers,
Pour commander cheuaux legers,
Exposé trop tost vostre coine
Dedans le Faux-bourg S. Antoine,
Mais le Prince cét enrage
Vous en a bien-tost deslogé,
Et d’vn coup d’arquebuse à meche,
A ma fortune a fait grand breche.
Ah! Manchini, petit mignon,
De la Cour nouueau champignon,
Plus beau cent fois que Ganimede,
Ton malheur est donc sans remede :
Miroir des Dames de la Cour,
La Parque vient donc a son tour,
De ton beau visage amoureuse,
Te posseder, la mal-heureuse,
Et coucher dedans son tombeau
Auec vn Courtisan si beau.

 

Le Cardinal Mazarin, tesmoignoit ainsi ses regrets
pour la mort de son Neueu, qui luy faisoit
conceuoir de grandes esperances de sa fortune, s’il
fut eschappé. Quelque impatience qu’il tesmoigna
dans son mal, on dit qu’il eut tousiours fort
bon iugement, & que l’apresdinée du iour dont il
mourut, la nuit le Cardinal l’estant allé trouuer
pour le consoler, & l’encourager à se guerir, lors
qu’il luy representa l’amitié que le Roy luy portoit,
& le nouueau tesmoignage qu’il luy en venoit

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de donner, par la charge de Capitaine de ses
Cheuaux Legers, il respondit à son Oncle ; ie vois
bien que cette fortune ne sera pas de durée, car elle
est trop violente. Ie ne voy mesme rien d’asseuré
dans la vostre, car vous auez des ennemis de tous
costez, & plus la guerre dure, plus vous en faites :
C’est pourquoy, il n’eust pas esté mal à propos de
vous retirer pour quelque temps, vous eussiez par
vostre esloignement laissé reuenir les choses dans
leur premier estat. La paix auroit restablit toutes les
pertes que l’on dit que vous auez causées, & les
Seigneurs & Officiers de la Cour estant payez de
leurs gages & de leur reuenu, auroient cessé d’estre
vos ennemis, ainsi vous fussiez reuenu dans vn
calme asseuré, le Cardinal luy respondit, mon Neueu,
ne vous mettez pas en peine de cela, ayez
seulement soin de vous guerir, ie donneray ordre
pour vous & pour moy. Il le quitta là dessus, & sur
le minuit, il fut auerty qu’il se mouroit, & le trouuant
aux abois, fit les regrets que vous auez veu
cy-dessus, vn Poëte fit son Epitaphe que voicy.

 

Epitaphe du Sieur Manchiny.

 


CY gist le Sieur Manchiny
Du Cardinal Mazarini,
Neueu du moins comme ie pense,
Au diable soit la recompense,
Vn Dimanche il fut démanché,
Par la mort qui la cy-caché
Il fut aymé du Roy de France
Comme neueu de l’Eminence,

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Il estoit d’vn esprit gaillard
Et s’il estoit vn peu paillard,
Il suiuoit de l’Oncle la trace,
Car les bons chiens chassent de race :
Il estoit habile & des dispos
Et caquetoit à tous propos.
Si donc tu veux que ie te die
La veritable maladie,
Qui renuersa dans le tombeau
Ce beau petit Mazarineau,
A la guerre n’estant Idoine
Du feu de Monsieur S. Antoine,
Fut atteint auec que plusieurs
Autres Mazarins grands Seigneurs,
Ayant voulu reduire en cendre
Son faux-bourg qu’il sceut bien deffendre
Car peu apres il trespassa
Dont son Oncle se courroussa,
Passant dis vne Litanie
Pour que la race soit finie.

 

FIN.

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