Anonyme [1651], LES SERVICES QVE LA MAISON DE CONDÉ A RENDVS A LA FRANCE CONTRE LES CALOMNIES des Partisans du Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3666. Cote locale : C_11_30.
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LES SERVICES QVE LA MAISON DE
Condé a rendus à la France, contre les calomnies
du Mazarin.

BIEN que ma retraite & l’indifference que i’affecte pour
les euenemens du Siecle dont nos montagnes nous mettent
à couuert semblent exclure mes pensées d’vn retour sur ce
qui se passe à la Cour. I’estime pourtant que si les injures faites
mal à propos obligent tous les Gentilshommes à s’y opposer, le
zele que i’ay tousiours conserué pour toute la Maison Royale ne
me permettoient pas de demeurer dans le silence quand l’effroy
de nos Frõtieres & la consternation des Peuples voisins de nos ennemis
se plaignẽt de la detention de leur deffenseur. C’est lascheté
d’abandonner la plus belle vertu de ce Siecle opprimée & retenuë
sans raison dans l’obscurité d’vn cachot, mais c’est vne insigne
trahison au Sang de nos Roys de ne pas fermer la bouche à cette
licence populaire, qui doit estre d’autant plus reprimée en la capitale
Ville du Royaume qu’en la personne de Monsieur le Prince,
elle fait son apprentissage pour jetter son venin contre la tige dont
elle blesse si injurieusement les branches.

Ceux qui ont leu le Recueil d’inuectiues contre S. A. & Messieurs
ses frere & beau-frere qu’on a publié sous le nom de Lettre
du Roy, ont trouué bien estrange qu’on aye fait parler vn Souuerain
qui ne doit expliquer ses volontez que par des paroles graues
& aussi succintes qu’absoluës comme vn Orateur qui soustient vne
cause desesperée par vne declamation artificieuse, & qui veut persuader
des Iuges plustost que comme vn Maistre qui commande
indispensablement à ses Subjets, il y en a qui passent plus auant, &
ont obserué que les chefs d’accusation intentez contre Monsieur le
Prince sont si friuolles ou fondez sur des considerations si auantageuses
à sa reputation, & si contraires aux inductions qu’on en tire

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qu’ils conuainquent presque cét Escriuain passionné de preuarication
à son propre dessein, & qui ne remarquant sinon des actions
de courage, il a fait l’Eloge du Heros de ce Siecle en instruisant
son procez, puis qu’on ne le iuge coupable que d’ambition [d’auoir
pour la recompense de ces grands seruices la succession de
son beau frere tué pour le seruice du Roy dans le temps que le
Cardinal Mazarin demandoit à coups de canon vn chappeau
pour son frere] ou de generosité à proteger indifferemment tous
ceux pour qui il se declaroit, ou qui employoient son secours, sans
doute c’est de cette magnanimité obligeante & veritablement
Royale qu’on infere les pensées de souueraineté qu’on luy attribuë
& que ce rare don du Ciel qu’il possede au plus haut point jettoit
en luy des semences de ce desir comme il en imprimoit le
caracthere, mais sa conduite depuis le moment qu’il receut le commandement
des armées & commença à vaincre ses propres passions
comme les ennemis de l’Estat pour les assujettir irreuocablement
à la gloire de nostre jeune Monarque est la preuue visible de
la moderation de ses desseins rectifiez par vne fin si loüable, quand
mesme la haine de la Populace de Paris, dont l’attachement qu’il
a eu à maintenir l’authorité de la Regence, la charge ne seroit pas
vne manifeste conuiction qu’il prenoit le contre-pied de ceux qui
se laissent emporter à des presomptions aussi extrauagante que
criminelles, & qu’il n’eut pû conceuoir sans perdre la raison [1 mot ill.]
sa propre vertu.

 

Il y en a encore qui ne s’arrestent pas à ces seules [1 mot ill.]
qui treuuent vne imprudence sans esgale dans le [1 mot ill.]
Ministre qui se priue d’vn puissant amy pour [2 mots ill.]
irreconciliables, & a couppé vn bras a la Regence pour [1 mot ill.]
de l’autre la Fronde qu’il a tant persecutée, & dont [3 mots ill.] si
outrageusement offencé, & qu’il confesse peu d’adresse & moins
de probité ne se conseruant pas vn Protecteur si hautement declaré
& lié si estroitement aux interests de la Reyne pour s’appuyer
sur vne alliance que les exemples du Cardinal de Richelieu, aprenant
ceux qui s’y engagent à ne s’y pas fier, & n’oste pas à celuy qui
s’y pretend fonder les remors que les fourbes font tousiours naistre
dans les cœurs de ceux qui les pratiquent. Sans entrer plus auant
dans cette matiere, & sans examiner vne question d’Estat qui a
tousiours esté decidée en faueur de nos Princes, & n’est combattu

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d’aucune maxime cõtraire dans tous les Estats du monde que par la
barbarie des Othomans, c’est vne verité sans contredit que pour releuer
& soustenir le poix du gouuernement le plus grand soin des
Ministres doit consister à faire valloir les personnes de ce Rang que
la parenté & le sang qui ne peut iamais se desmentir, attache si
fortement à la Couronne & entretenir leur vnion & corespondance,
afin que ces pilliers inesbranlables soustenans dans vne fermeté
vniforme c’est edifice supreme il puisse resister à toutes les atteintes
des orages qui renuersent aisement les bastimens dont vn
des costez abbatu chancelle euidemmẽt sur l’autre. Qui ne iugera
que l’emprisonnement des Princes donne lieu à vne guerre ciuille
dans l’extreme desespoir des peuples, le mescontentement de la
pluspart des Grands & la mesfiance des autres, le mauuais traittement
qu’à receu la Noblesse & tous ceux qui ont esté dans le seruice,
le zele des Parlemens pour la liberté publique, & les souspirs
de tous les gens de bien pour la reformation du gouuernement,
n’est-ce pas l’effect de la plus malheureuse & inconsiderée politique
qui fut iamais, de donner les frontieres des trouppes destinées
à leur deffence & occuper les forces de la France à ruyner leur propre
mere sans autre fruict, qu empescher vne vapeur de soupçon, la
frayeur d’vn songe que Monsieur le Prince peut se cantonner & se
faire ce prejudice d’aymer mieux estre petit Souuerain d’vne
Prouince exposée à tous les perils d’vn establissement nouueau &
subjet à tous les diuers caprices des Princes voisins, & comme disoit
vn Espagnol des Ducs de Sauoye & de Loraine estre comme
vn Porc entre deux Singes, que d’estre la quatriesme personne de
la plus noble & plus puissante Monarchie que pourroit estre la nostre,
qui en vn temps de Iustice luy donne vn rang au dessus de tous
les Souuerains qui ne portent pas la Couronne Imperiale, en vn
mot il ny à point d’apparence qu’il voulut ruyner la France & en
racourcir les limites pour se rendre luy mesme moins puissant : &
quand il auroit eu l’ambition pour des Couronnes estrangeres,
n’est-ce pas la gloire de nos Roys & l’appuy de leur Estat d’auoir
plusieurs Souuerains dans leur dependance, & à moins que d’estre
jaloux de l’honneur de nostre Nation, on ne peut que souhaiter
que des Subjets du Roy deuiennent les maistres des autres peuples
& que le Sang de France brille encore dans le throsne des Royaumes
de Naples, de Sicile, de Ierusalem, & dans celuy de l’Empire

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d’Orient, comme il a fait autresfois dans la Maison d’Anjou, de
Courtenay & de Vallois, Monsieur le Prince a bien fait connoistre
qu’il renonçoit à toutes ses pretentions, qui n’estoit pas indignes
de son courage, & toutes les chimeriques visions qu’on debite
comme vne preuue concluante, s’euanouissent tellement quand
on regarde l’establissemẽt florissant & glorieux de S. A. & ont esté
de sorte refutées, que ce seroit marquer ou temerité, ou deffiance
de trauailler à de nouuelles Apologies. Mais comme les plus noires
calomnies choquent d’auantage les gens d’honneur, & que
tout homme qui en fait profession doit estre Orateur pour vne si
bonne cause, comme on deuient Soldat pour maintenir l’innocence
& la liberté opprimée, ie n’ay pû lire sans indignation, ny laisser
eschapper sans responce vn libelle intitulé la Genealogie de
Monsieur le Prince. I’ay long-temps hesité dans ce dessein craignant
de donner lieu à croire que ce soit des moyens apparens &
de legitimes accusations, & parce que ie iugeois qu’il estoit superflu
de combatre par des paroles vn fantosme dont l’ouurage fabuleux
se destruit luy-mesme, n’estant fondé que sur des erreurs grossieres
& des ignorances manifestes. Ce ligueur incognu & plus
impudent sous le masque qui n’oseroit se declarer sans ruyner toute
son authorité manque en toutes façons de sincerité, de memoire
ou d’intelligence, bien qu’il deust exiter par l’atrocité de ses impostures
& la corruption de l’Histoire des derniers temps, plus de
pitié pour nos Princes outragez que de haine, a neantmoins
trouué tant de complaisance en quelques lieux dans l’esprit de
plusieurs qui ne prenant pas la peine d’examiner ce qu’en leur
propose, & qui ne les touche point, trouuent coupables tous ceux
qui sont accusez que pour empescher que ce venin respandu ne
laissast quelque impression maligne à ceux qui en seroient abreuuez,
I’ay mieux aymé faire tort à l’euidence des choses que souffrir
sans responce tant d’extrauagance & de fausseté. Les gens de
bien ont tousiours condamné la lascheté de ceux qui insultent aux
malheureux, l’Escriture prononce des maledictions sur ceux
qui exercent cette barbare & inhumaine vengeance, & les Princes
infortunez sont mesme si chers au Ciel quand il les humilie que
les imprecations de Semei sur Dauid en disgrace, furent suiuis
d’vne punition remarquable, & Ioab mesme pour auoir trempé sa
main dans le sang des Princes persecutez, quoy que General d’armée

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souffrit vn chastiment exemplaire par l’ordre du plus iuste des
Monarques, aussi bien que les meurtriers de Saul & de ses enfans.
L’attentat de cet Escriuain n’est pas moins intolerable qui en deux
feüilles a recueilly tout le venin de la ligue & toutes les laschetez
de ce Siecle corrompu, les medisances de la Cour & celle de la
plus basse lie des badauts. Cette main sacrilege est allee plus
auant, elle a foüille iusques dans les tombeaux, cette vipere se glisse
sur leurs marbres pour les mordre, & y rompant ses dents, elle
sallit des Autels qui excitent des iustes venerations des Nations
estrangeres & vne plus legitime submission de celles où la posterité
de ces Princes morts peut commander. Quand mesme la foudre
a ruyné des Temples, leurs mazures conseruent outre leur premiere
Religion ce priuilege de leur cheute qu’elle les rend inuiolables
au lieu d’estre subiets au mespris & la profanation, ils attirent la
commiseration & l’estonnement au lieu de les maudire, on est obligé
à les plaindre, & adorer cette main toute-puissante qui mortifie
quelques fois ses fauoris, & leur fait cõnoistre apres les releuant que
c’est à sa seule misericorde qu’ils sont redeuables de leur restablissement.
Si la foiblesse d’vne minorité que Monsieur le Prince auoit
renduë si redoutable par ses victoires, requeroit qu’on s’asseurast de
sa personne si les frayeurs d’vn Ministre qui aprehendoit vne puissance
esleuée sur des trophees & soustenüe par tant de belles qualitez
acquises & naturelles (parce que les secours & bien-faicts
excessifs qu’il en auoit receu le mettoit en impuissance de les reconnoistre)
ont reduit cet esprit timide & ambigu à cette extremité
forcenée & inouye depuis l’origine de cette Monarchie
il n’est pourtant pas permis au peuple de toucher les Diuinitez,
quoy que captiues, & d’assasiner des portraits dont on supprime
les originaux. Les Parlemẽs qui punissent seueremẽt les diffamatiõs
des personnes priuées ne peuuent s’empescher d’exercer la mesme
animaduersion contre ceux qui les debitent, & l’authorité du
Roy mesme requiert vne censure publique d’vn scandale si horrible.
L’injure faite à la maison de Bourbon reiallit sur celuy-là
mesme qui n’est nostre Souuerain, que parce qu’il est le premier de
cette race sacrée, & les Princes du Sang que le degré de proximité
appelle en leur rang à la succession du Royaume sont censez y
auoir a mesme part que les enfãs ont à l’heritage de leur pere durãt
sa vie, ainsi sa Majesté est la plus interessee à reprimer le libertinage

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audacieux de ceux qui ne demandent que nouueautez & changement
d’Estat, & qui s’accoustument en mesprisant le sang à effacer
ce respect naturel que nous deuons tous au throsne qui la consacré,
que si l’interest d’vn Ministre est assez cher à la Reyne pour
reduire trois Princes à vne detention si rigoureuse sur des soupçons
à qui nulle action precedente ne donnoit pas mesmes les aparences
dont les pensées les plus innocentes souffrent souuent le blasme,
elle doit ce semble cette consideration à vn Sang qui a l’honneur
de son alliance de le garentir des outrages d’vne calomnie
d’autant plus cruelle & injuste que la tolerance & l’approbation
dont elle est fauorïsée fortifie cette passion aueuglée qui la produit.

 

Monssieur le Prince ne trouue pas estrãge qu’vn maistre pantalon
ait estudié tous ses mouuemens & ses gestes que cette noble magnanimité
qui reluit en ses actions & en ses paroles soit imputée aux
transports d’vne ambition immoderee, ou aux emportemens d’vn
Genie impetueux, que sa conduite ou ils ne peuuent rien marquer
de bas ny de lasche, passe pour suspecte quand elle a eu plus de
franchise pour ceux qui tiennent controlle des œillades qu’il iettoit
plus à l’aduanture, qu’on cherche mesme des suiets d’inuectiue
dans ses plus heroiques exploicts qui ont conserué la France,
c’est le ressentiment d’vn Sicilien qui vomit ces reproches,
Mais qu’on aille deterrer les ossemens de ses parens magnanimes,
qu’on renuerse leur sepulchres que des demy Dieux de la France
& de leur Siecle soient l’opprobre de la plus vile canaille, ce sont
des iniures que son courage ne peut dissimuler que les François ne
peuuent lire sans fremissement, non plus que les Estrangers sans
indignation, la pluspart d’entr’eux qui nous sont alliez s’y trouuant
blessez par la proximité de leurs Souuerains à nos Princes
par le credit que leur vertu leur auoit acquis chez eux par les Eloges
glorieux qu’ils leur ont donné & reueré comme les Genies tutelaires
de la France des Protecteurs de la liberté Germanique &
les piliers de leur Religion, ceux qu’on veut à present faire passer
pour des monstres & des harpies. Si Monsieur le Prince souffrant
la rigueur extra ordinaire d’vn cachot auec vne humilité vrayement
Chrestienne ne regrette pas le sang qu’il a versé pour la
gloire de cet Estat, & la manutention de la Couronne, ny les perils
où il a tant de fois presenté sa vie au hazard d’estre assommé par le
moindre Goujat pour encourager par son exemple, ou auancer

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l’execution des ordres que [illisible] Officiers ne portoient pas si
deliberement, il estime au moins que la mort deuroit auoir mis son
pere & ses illustres ayeuls à l’abry de ces injures attachees seulement
à la mortalité, & quand les grands seruices que nos Roys en
ont receu auec satisfaction & loüange, qui ont sauué cet Estat des
entreprises des Estrangers, ne pourroient exempter leurs manes de
ces insolences, ceux au moins dont il s’est recemment signalé doiuent
mettre en seureté vn nom que nostre Monarque tient à honneur
de porter, puis qu’il le tient de Henry le Grand.

 

Et veritablement il ny à pas vn homme de sens qui ne iuge apres
auoir leu cette declamation extrauagante, que c’est la production
de quelqu’vn de ces Predicateurs enragez de la ligue contre ce
bon Monarque, sur lequel & son pere Antoine Roy de Nauarre les
mesmes reproches tombent bien plus directement, parce qu’ils
estoient les Autheurs & Chefs du party dont Messieurs les Princes
de Conde n’estoient que les Lieutenans, & si la memoire des
playes de la guerre ciuille laisse des sentimens d’aigreur contre les
cadets, les aisnez n’en sont pas exceptez, puis que leurs freres n’estoient
que les seconds & les vengeurs de leurs iustes querelles.
Louys Prince de Condé premier de ce rameau & le dernier des
enfans de Charles Duc de Vendosme, le premier objet de la rage
de ce malheureux escrit, esprouua en sa vie les diuers accidens de la
fortune & de l’inconstance de la Cour, tant que la France fut regie
par vn bon & magnanime Roy, tel qu’estoit Henry II. il demeura
inseparablement attaché à son seruice, le suiuit en toutes
ses expeditions militaires, & seruit mesme en qualité de volontaire
en ce fameux Siege de Mets contre l’Empereur Charles V. &
fut vn de ces braues qui donnerent des bornes à vne armée de cent
mil hommes, dont le Formidable appareil n’en trouuoit pas en
celles du monde, força ce grand homme à se retirer de despit de
ny auoir pas reüssi. Apres la prise de Therouenne, ce Prince mit en
deroute celuy de piedmont General de l’armée Imperiale, & en ramena
les Chefs prisonniers, & non moins vaillant Soldat que prudent
Capitaine, montoit le premier aux breches, au Siege d’Vlpien
& autres telles que son frere le Comte d’Anguien prit dans le Piedmont,
ce fut luy qui apres auoir fatigue l’armée Espagnole deuant
S. Quentin & cette memorable Bataille perduë, r’asseura Laon,
la Fere & toute cette frontiere, & se jetta dans Compiegne pour

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arrester les progrez & l’effroy que donnoit à Paris l’approche d’vne
armée de quarante mil hommes victorieuse de celle de France,
il n’aida pas moins à prendre Calais & Thionuille, & apres auoir
bien seruy durant la guerre, eut l’honneur d’estre depositaire du
serment que Philippes II. fit pour l’obseruation de la paix du Chasteau
Cambresis ayant esté enuoyé par François II. aux Pays-bas
pour cette celebre ceremonie.

 

La fin des guerres Estrangeres fut le commencement des Ciuilles,
pendant lesquelles ie ne pretend pas excuser tout à fait la conduite
du Prince de Condé, mais seulement montrer qu’il n’auoit
pas de si mauuais sentimens pour l’Estat, qu’on l’accuse d’en auoir
eu pour la Religion, la conduite des plus grands Ministres d’Estat
qui ont depuis sa mort suiuy ses memoires, & executé partie des
desseins, & fait les confederations & alliances qu’il proposoit
pour releuer ce Royaume & s’opposer aux progrez des Maisons
d’Austriche & de Lorraine, iustifient assez qu’il n’estoit pas si mauuais
François que Chrestien, & encor il y a quelques-vns de sa plus
estroite confidence qui ont laissé par escrit que c’estoit des lévres
seulement, & non du cœur qu’il auoit abjuré la veritable doctrine.
Le Prince genereux voulant aussi bien que son frere le Roy de
Nauare conseruer les droits de sa naissance, trouua d’abord en teste
la Maison de Guyse & ce Cardinal de Lorraine qui faisoit vn degré
de l’affinité du Roy François II. pour porter son ambition au
point que les tumultes de la ligue ont depuis esclaircy, le Roy
estoit non seulement obsedé, mais totalement possedé par ces Fauoris
imperieux, qui pour enuahir ce grand heritage taschoit à
suplanter tous les presomptifs successeurs, & chasser ou faire perir
tous les enfans de la Maison, afin que couppant les branches ils
peussent plus facilement enter vn Rameau Estranger sur la tige de
nos lys, la Maison de Bourbon persecutée & ne pouuant consentir
à suiure l’exemple de ses ennemis, & adherer aux liaisons Estangeres
dont elle estoit sollicitée pour resister aux violences de ses
aduersaires impitoyables, r’allioit ses amis & se fortifioit dans les
cœurs de la Noblesse. Les preparatifs du sanglant sacrifie qu’on
meditoit sur tout contre le Prince de Condé le plus agissant d’entr’eux
parut au tumulte d’Amboise, où sur la deposition d’vn vil
denonciateur des Auenelles, on arresta ou meurtrit en diuers
lieux plusieurs personnes de qualité que la Cour appelloit auant

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qu’ils fussent appellez sans autre accusation que la haine ou soupçon
du Cardinal de Lorraine qui verifia par ce massacre les bruits
du peuple qui publioit que François II. pour la guerison d’vne
sale maladie, cherchoit par tout des innocens pour se preparer le
baing de sang qui soüilla en plusieurs endroits la riuiere de Loire.

 

La prison du Prince fut la derniere scene de la tragedie, la parole
du Roy & la seureté des Estats furent violées, on fit venir des
Commissaires & la procedure fut commẽcée si fort extraordinaire,
irreguliere, & contre les formes que les Iuges mesmes en ayant
honte, & ne pouuant obtenir que M. le Prince eut vn Aduocat à
son choix pour conferer (qui n’est pas vne grace au moindre criminel)
n’eurent repos de conscience que par l’interruption que la
mort precipitée du Roy leur donna. L’instruction de ce procez fut
apres trouuë si peu iuridique qu’en plein Parlement à huis ouuert
en robbes rouges, le Prince fut declaré innocent sur la nullité des
formes, & illusion des preuues qui en resultoient, auec permission
de poursuiure les calomniateurs, comme nous esperons que Monsieur
le Prince son petit fils obtiendra de la Iustice du Parlement
quelque iour.

Il se treuua depuis engagé sous la minorité de Charles IX. à
prendre les armes contre la mauuaise foy des Ministres qui n’obseruoient
aucun des Edicts accordez pour la cessation des troubles
& seureté des Religionnaires. C’estoient les Frondeurs de
ce temps là. Ils demandoient la reformation de l’Estat, & qu’on
renuoyast les Ministres estrangers, aussi bien que ceux de ce Siecle,
on les duppoit souuent comme les nostres, & l’on en fit enfin la
S. Barthelemy, on accuse à present ce Prince d’auoir toleré à ses
trouppes des desordres dans les Eglises dont il ne fut iamais l’autheur
ny le spectateur, quoy qu’il soit difficile de les euiter en vne
armée mal payée, & quand ceux qui la composent sont d’vne
creance differente à leurs ennemis, mais ce qui iustifiera plainement
ce Prince de cette calomnie que les Predicateurs de la ligue
ont exagerée, c’est qu’on trouuera encor viuans des bourgeois qui
se treuuerent a la prise de S. Denis, où il y eut vn tel ordre, que le tresor
qui est assez considerable ne tenta pas seulement ses Huguenots
qu’il y contint auec plus de discipline & de discretion que la
presence d’vn Roy ne peut autresfois sur les Anglois encor Catholiques,
qui s’estans rendus maistres de Paris, despoüillerent les Reiquaires

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de leurs joyaux, & soüillerent les monuments de nos
Roys & des Saincts Martyrs, & qu’à present tous les iours les Prouinces
ne se plaignent d’excez plus estranges. Mais s’il y a lieu de
s’estonner que la malice de cet impudent calomniateur pour noircir
de si belles vies, renouuelle la memoire des guerres ciuilles dont
nous deurions plustost couurir les cicatrices que les rafraichir pour
ne detester plus l’ambition des Chefs de la ligue qui s’establissoient
par les infidelitez du Conseil fous la Regence d’vne italienne,
& les aduersions qu’ils fomentoient contre les Princes du
Sang, que toutes les pratiques de cette puissante cabale tendoient
à supplanter. Il faut aussi confesser que Dieu permet qu’elle se
confonde en faueur de Monsieur Prince, puis qu’on ne peut parler
des Batailles que Louys Prince de Condé a données contre les
trouppes du Roy, bien que souuent excite & fauorise en secret mesme
par la Reyne sa mere qu’on ne se souuienne aussi des importants
& memorables seruices d’vn autre ayeul de Monsieur le Prince,
le grand Anne de Montmorency Connestable de France qui
marcha tousiours dedans le mesme chemin qu’à tenu son petit fils.
Comme luy pour maintenir l’authorité Royale, & conseruer les
Ministres, il abandonna les propres interests de sa Maison, se joignit
aux ennemis qui le supplantoient, & tesmoigna iusqu’au dernier
souspir, cette ferme, ardente & immuable fidelité qui viura
eternellement dans le cœur de tous les bons François, & dont la
flame brille encore sous le monument ou son cœur repose dans le
sein de celuy de Henry II. Son bon maistre.

 

C’est ce grand Connestable qui apres auoir seruy quatre Roys
en la charge de premier Officier du Royaume eut l’honneur de
mourir en presence de Charles IX. de toute sa Cour & de la ville
capitale, quasi aux yeux de toute la France pour deffendre la religion
de nos peres, & cette mesme puissance qui persecuttoit tous
ces proches, & versa par huict playes en l’aage de quatre-vingt ans
vn sang que la vieillesse n’auoit pas tant glacé que son courage ne
le r’enflamast.

Si Louys Prince de Condé n’eut pas vne si heureuse fin, il n’auoit
pas vne moindre valleur qui fut tellement accompagnée des
autres parties d’vn grand Prince, qu’on dit de luy qu’il n’a iamais
cedé à personne en hardiesse ny en courtoisie, esgalement iudicieux,
vigoureux, liberal & modeste.

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Henry Prince de Condé premier du nom son sils aisné, rëcueillit
apres sa mort le debris de sa fortune, & apres auoir veu deux
fois son pere prisonnier, & sa mort auancée par la fureur des armes
ciuilles ou ses oncles le Roy de Nauarre & le Comte d’Anguien
auoient succombé tous deux seruant le Roy il fut contraint
pour euiter les conspirations des ennemis de sa maison de se retirer
auec les Religionnaires, & suiure la fortune de son cousin
Henry de Nauarre depuis nostre roy tres clement & pere de son
peuple, c’est le seul crime qu’on puisse imputer à ce grand Prince
à qui les calamitez publiques & particulieres dont sa vie fut trauersée,
ses perils, ses voyages & negociations auec diuers peuples,
auoient acquis autant de prudence que la naissance luy inspiroit
de courage, il n’auoit pas vingt ans quand il rachepta sa vie par sa
captiuité, & depuis par vn exil volontaire pour ne pas manquer à
la creance qu’il professoit, ayant par son credit amassé vne grande
armée d’Allemans, & mena le Prince Palatin, Iean Cazimir, il
quitta pour le bien de l’Estat, tout l’aduantage qu’il pouuoit prendre
pour son party, par le moyen d’vne paix qu’il consentit en laquelle
il fut trompé de tout ce qu’on luy auoit promis, qui estoit le
gouuernement de Picardie & celuy de Peronne, le desespoir ne
luy fit pas tant prendre les armes auec Henry le Grand, que les
commandemens secrets du Roy Henry III. qui sentant trop tard
le trait qui le blessoit, reconnut la fidelité de son sang & des veritables
appuys de la maison sacrée que ce Monarque malheureux
faillit à voir esteindre en sa personne par les attentats des fameux
autheurs des Baricades, dont les nourriçõs & les enfans declament
auiourd’huy si licentieusement contre des Princes dont la race a
genereusement resisté a tous leurs efforts, & demeurera enfin auec
la grace de Dieu victorieuse des tyrannies qu’elle souffre de ceux
qui peuuent estre ses Subjets. La Bataille de Courtray fut la derniere
actiõ où il sigala sa generosité dõnãt la vie au braue S. Luc son
ennemy capital qu’il arresta prisonnier apres que l’autre l’eut porté
par terre d’vn coup de lance au costé, dont la blessure & l’effort
qu’il fit à se desgager dessous son cheual tué sous luy l’obligerent
à se retirer iusqu’à sa mort qui causa beaucoup de regret à tous
ceux qui cognoissoient ces rares qualitez, & ressentoit cette gracieuse
affabilité, cette obligeante courtoisie & cette fermeté pour
ses amis, qui semble estre vn appanage de la Maison de Condé

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sur tous Henry IV, encore pour lors Roy de Nauarre s’estima priué
de son plus confident amy d’vn appuy immanquable, & de son
bras droit comme il l’appelloit dont il se fut seruy merueilleusement
pour auancer le restablissement de la France chancelante, le
Genealogiste insolent cherche en cette mort la matiere de son
plus pernicieux venin comme les Sorciers employent les despoüilles
& les ossements des inocens pour en perdre d’autres, il pretend
d’vn seul coup etoufer toute la race & par les atteintes qu’il donne
aussi grossierement qu’impudemment à la reputation d’vne
Princesse perir tous ses decendans & vne posterité qui fait trop
d’honneur au nom de Bourbon pour estre desaduoüée, mais sa
propre contradiction conuaincq sa malice, le scelerat louë vne
Dame vertueuse d’auoir trempé dans la mort de son mary, il l’appelle
Iudith, luy imputant la plus noire trahison dont on pourroit
tacher sa memoire, comme si tous les crimes deuenoient des actiõs
heroiques dans l’esprit des insensez qui voudroient opprimer la
Maison de Condé ce seroit vn rare bon heur à cette Princesse
si elle auoit esté lunique des belles de son temps, de sa condition
exceptée ces fureurs ordinaires de l’enuie & de la medisance
qui naist ordinaïrement du desespoir de ces lasches amans
qui ne pouuant esperer ce qu’ils n’oseroient demander, imputent à
des Deesses des vices qu’ils n’ont pû leur persuader. Ces abominables
impostures, n’ont pas mesme espargné nos Souuerains & le
lict sacré des Monarques, & par leur enormité incroyable iustifient
parmy les personnes raisonnables, cet honneur qui s’est conserué
si pur dans la maison Royale depuis S. Louys le faiseur de libelles
ne se contente pas d’inuenter vn paricide, il y adjouste la fable ridicule
d’vne supposition de part, & rend vne mere plagiere de son
fils les iours de la mort du pere & de la naissance de Monsieur le
Prince dernier mort sont assez remarquables en nostre Histoire
pour donner lieu à vne erreur si absurde qui n’en peut pas mesme
auoir aux naissãces des perõnes de la plus basse lie du peuple, nos
iours qui sont comptez deuant Dieu le sont aussi deuant les hommes
par le benefice d’vne sage institution de police qui tient registre
des natiuitez & des mortuaires, & les Princes qui paroissent
sur la terre comme les astres dans les Cieux, ne s’eclipsent pas sans
qu’on y prenne garde, & si ce sont des Commettes comme ce calomniateur
appelle les nostres, ils sont si beaux que leur naissance

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& leur fin attirent les yeux & l’attention de tout l’Vniuers, il est
bien difficile de falsifier la mort de henry I. Prince de Condé qui
apres auoir passé tout l’Hiuer 1587. & 1588. prés de sa femme à S.
Iean d’Angeli, mourut le 5. Mars 1588. & son fils Henry I. du
nom nasquit le premier Septembre suiuant 1588. & par consequent
il est posthume de moins de six mois, l’alegation de ces dates
seules fait voir que les mensonges des ennemys de la Maison de
Bourbon ont plus d’impudence que de force, que leur fausse lumiere
disparoit d’elle-mesme & se perd dans les tenebres qui l’ont
produite, la verité descouure sa honte & la raison sa foiblesse &
dissipe la fumée du nuage qui s’esleue pour obscurcir & troubler la
pureté de la source d’vne naissance si auguste & si parfaictement legitime
sous le sceau d’vn saint mariage, que toutes les defiances
contraires paroissent incontinent aussi ridicules que meschantes,
les Cendres de saint Louys s’esmeuuent asseurement en leur chasse
contre ces infames calomniateurs pour l’interest de sa race, dont
apres trois Princes heritiers de Henry le Grand, il ne reste que ce
rejetton, & pour la conseruation d’vn honneur pour la deffence
duquel Dieu forme la voix & donne de l’eloquence aux choses les
plus insensibles, i’ay peine de prendre le soin d’expliquer vne verité
si claire, puis qu’il ny a point d’homme raisonnable qui puisse se
persuader qu’on ayt fait naistre par illusion le meilleur & plus sage
Prince de ce temps comme vne Minerue du cerueau de sa mere par
vne generation sans pere à la face de toute la France de Henry IV.
le plus clairuoyant Monarque de nos iours de tous les Parlemens &
des autres Princes interessez qui n’eussent iamais dissimulé la perte
de leur droit assez considerable, pour n’en ceder pas le degré s’il y
en eut la moindre apparence de contradiction. Les belles esperances
que feu Monsieur le Prince donna en sa jeunesse charmerent
d’abord les affections de Henry le Grand qui le regardant auec des
tendresses tres iustes, fit declarer son successeur par vne formalité
que les seules broüilleries de la ligue rendoient necessaires comme
au commencement de la troisiesme Race, nos Roys couronnoient
de leur viuant leurs enfans. Il le fit receuoir dés l’aage de
sept ans en ce grade qui sembloit encore releuer sa condition de
premier Prince de Sang en tous les Parlemens & grandes Villes du
Royaume, & l’ayant fait instituer dans toutes les belles connoissances
& dans la Profession de la Religion Catholique pour laquelle

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ce bon Prince conserua iusqu’au dernier souspir vn zele tres feruent
& public, il choisit pour continuer vne si noble lignée la fille
du Royaume la mieux faite & de la meilleure maison dont les merites
vniuersellement cõnuës deuoient luy faire auoir vn meilleur traictement
que celuy qu’elle vient de receuoir dans la Ville Capitale
du Royaume sous l’authorité de la Reyne qu’elle a tousiours reuerée
auec des respects si tendres & dont elle a eu l’honneur de posseder
si iustement la confidence. Feu Monsieur le Prince ne pûst longuement
iouyr sans inquietude de son repos, ses ennemis luy rendoient
pres de Henry le Grand de si mauuais offices qu’il fust contraint
de sortir auec sa femme du Royaume d’vne façon aussi modeste
que genereuse & se retira pres de l’Infante Archiduchessé
dont la solide pieté a fait voir de nostre temps que la souueraineté
n’est pas incompatible auec la Saincteté & que la flaterie se reconcilie
auec la verité en faueur de quelque Princesse, de là il voyagea
par l’Allemagne & ayant appris la mort de son bon Roy & second
Pere, il reuint soudain en France pour rendre à la feu Reyne Mere
tous les deuoirs qu’elle pouuoit attendre du plus proche plus considerable
& plus habille sujet de son fils-Louys treiziesme, au Sacre
duquel il tint lieu de Doyen des Pairs assista à la declaration de sa
Majorité & aux Estats generaux. Les poursuittes vehementes qu’il
fit pour la recherche des meurtriers de henry IV. & les deffiances
& malignité d’vn Italien le brouillerent auec la Reyne. Il ne
peut souffrir non plus que presque tous les autres Princes qui se joignoient
à luy qu’vn coyon Florentin fut l’absolu dispensateur des
Finances du Roy & de la faueur de la Cour, il esclata voyant ses
conseils mesprisez & les intentions de Henry le Grand mal executées,
& apres auoir ressenty les perfidies de Concini, dont le nom
est encor l’horreur de tous les François, il fut laschement surpris &
conduit en cette prison fatale à son nom dont Henry le Grand a
esprouué le premier les rigueurs sous la fin du regne de Charles
IX auec le Duc d’Allencon. Feu Monsieur le Prince tira cette vtilité
de sa prison qu’il acquit la connoissance plus exacte & parfaite
des sciences dont il auoit pris la teinture & pendant son sejour l’ombre
de ce triste Manoir fut esclairée des premiers rayons de la beauté
de Madame de Longueuille, mais il n’est pas vray que nostre
Prince né à Paris huictiesme Septembre 1621. y ayt receu le iour
pour l’y perdre ainsi que ce cruel declamateur le menace inhumainement,

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sa captiuité ayant exercé sa patience, ne fit aucun prejudice
aux bons mouuemens que le feu Roy a tousiours eu pour reconnoistre
sa fidelité, qui l’ayant fauorisé de l’honneur de sa confidence
en reçeut des preuues notables & de sa vigueur constante
& inuiolable à son seruice en toutes les guerres ciuilles des Religionnaires
en la reduction de Sancerre & des autres Villes qui furent
les conquestes premieres de cét absolu Monarque, qu’il fut tesmoin
de ce qu’il executa en la deffaite de l’Isle de Ré, & ce Prince
continua à seruir si vtilement le Roy & secourir l’Estat, quand les
Anglois descendirent en France qu’il fust enuoyé Lieutenant General
en ses armées de Guyenne, Languedoc, Dauphine & Lyonnois,
ou il arresta les progrez du party qui auoit prins de si longues
& puissantes racines en ces Prouinces toutes frontieres, il ne rendit
pas des seruices moins signales quand apres que l’entrée des Espagnols
en Picardie eut obligé à rappeller toute l’armée qu’il auoit
menée dans la Franche-Comté, il resista à cette formidable armée
de quatre-vingts mil hommes sous la conduite de Galas, que les
soins qu’il prit de munir saint Iean de Losne & sa presence dans
Dijon firent perir qua si deuant ses yeux. On sçait bien que c’est a
son adresse qu’on doit l’aquisition de la Catalogne, pour laquelle
il a paru qu’on auoit les mesmes intentions depuis quatre ou cinq
ans que pour Naples qu’on a abandonné. Les diuers changemẽs de
Ministres n’altererent iamais cette ame ferme en son deuoir, mais
s’il eut toute la complaisance imaginable pour la Cour, il n’auoit
pas de moins solides & sinceres intentions pour la liberté des Peuples,
dont il voyoit les miseres auec compassion, & demandoit
tousiours le soulagement auec chaleur. Le deffunct Roy connust si
bien sa candeur & malgré les mauuais offices qu’on luy rendoit en
Cour & les mauuais tours qu’on luy joüoit pour le decrediter, estimoit
tellement sa vertu & sa conduite, que depuis la mort du Cardinal
de Richelieu, il luy offrit pendant sa maladie par deux diuerses
fois le plus cher depost, qu’il eut la Tutelle de ses enfans & l’administration
de l’Estat, comme Louys XI. ce sage Politique auoit
laissé le gouuernement de son fils Charles VIII. & la Regence à
Pierre de Bourbon, la Reyne sçait que feu Monsieur le Prince refusa
ce titre & se départit des autres aduantages que Louys XIII.
luy donnoit par sa Declaration, auec vne modestie qui merite d’autres
sentimens, que ces injustes reproches qu’on fonde sur des

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biens-faits qui luy tiennent lieu de recompense & qui ne peuuent
estre excessifs à ceux de sa condition ; sa prudence consommée en
toutes sortes d’affaires, son ardeur au seruice de la Reyne & au
bien de l’Estat, sa franchise, sa probité, son integrité en la iustice,
son assiduité à la rendre, sa pieté viue & ferme qui le faisoit opposer
à toutes les nouuelles doctrines, & cette vigueur agissante à la
penetration de la quelle rien ne pouuoit eschaper, ont laissé autant
d’admirateurs que de tesmoins, & tous les gens d’honneur confessent
auec larmes, que la bonne fortune & le repos de la France &
l’appuy de l’authorité Royalle, sont enseuelis dans son tombeau,
& que s’il eut vescu encor quelque temps, il auoit assez d’adresse,
de genie & de credit pour preuenir ces troubles intestins qui ont
failly à bouleuerser l’Estat & qui l’exposent tous les iours au dernier
peril de sa decadence, comme aussi on esperoit que les frequentes
exhortations qu’il faisoit pour la Paix generale, auroit enfin vn
effet tant souhaité de toutes les Nations.

 

Qu’a fait Monsieur le Prince son fils, qui d’eut allumer contre
luy vne haine si brutalle & si barbare, s’il a donné des soubçons au
Cardinal qu’il n’estoit pas son amy, est-il iuste que contre les formes
& les loix, Paris pouruoye a la seureté du Tyran, dont tous les
ordres tesmoignoient tant d’horreur, par vn visible desny de iustice,
mesmes à deux Princes qui ont fortiffié son party de leur nom, de
leur presence, & des efforts si considerables qu’ils luy ont acquis
vn repos qu’on va laisser corrompre en seruitude ou perir dans la
confusion d’vne guerre ciuille & d’vne inuasion des estrangers.
Mais est-il possible que la Reyne impose à Monsieur le Prince vne si
longue & dure peine, apres qu’il a tout quité pour seruir ses interests
& ses passions qu’elle seul le peut iustiffier, & dont comme
sujet tres zelé, il ne pouuoit se deffendre d’entreprendre l’execution,
s’il a esté aueugle à suiure les mouuemens de sa Souueraine,
s’il a refusé la Regence que Paris luy offroit dans le despit vniuersel
que le gouuernement faisoit naistre, & pour rompre les chaisnes
d’vne seruitude estrangere, si pour estouffer les moindres presomptions
que son grand credit fondé sur son genie, ses exploits, ses
courtoisies, ses bienfaits, le nombre de ses seruiteurs, le zele de ses
amys, la puissance de ses proches, les gouuernemens, les places
& les charges hereditaires en sa maison, ou tombées dans les mains
des personnes qui luy estoit acquises, pouuoient faire naistre a vn

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esprit timide, il a tenu des maximes contraires à ceux qui veulent
s’esleuer au dessus de leur naissance ou interuertir celuy de la nature
n’employant tous ces aduantages particuliers qu’au bien & tranquillité
de l’Estat, si mesmes outre le relaschement reel de ces plus
legitimes pretentions, pour lesquelles il a tousiours acquiescé auec
submission plus notable que l’iniustice qu’il ressentoit. Il s’est reduit
à quitter le commandement de l’armée, c’est à dire la gloire & la
victoire, & regler toutes ses actions par vne assiduité à la Cour, qui
sembloit raualler cette noble fierté si bien seante aux grands guerriers,
s’il a procuré la Paix à deux grandes Prouinces & tasché à
ménager dans vn juste temperament la force de l’authorité Royalle
& la consolation des peuples en des articles, sur lesquels depuis le
Conseil a relasché. Faut-il qu’à present on le fasse passer pour l’autheur
des troubles de la France, qu’on luy attribuë le desespoir des
Peuples & les ressentimens de ses amis & la subuersion de l’Estat,
dont sa seule detention auec la hayne du Ministre sont les veritables
causes, peut-on s’imaginer qu’il l’a voulu partager apres auoit
versé son sang & hazardé cent fois sa vie pour le deffendre ou l’agrandir
au dehors, & qu’il a mesme entrepris pour rendre la Regence
plus absoluë auec vne poignée de soldats mal payez à dompter
la plus grande Ville du monde, non pas pour sa destruction,
mais pour son salut, y restablissant l’vnion qui est necessaire entre
le Souuerain & ses Peuples. Infortunée vertu qui passe pour la conuiction
d’vn crime, Funeste éclat qui brusle celuy qui en est reuestu,
Triste condition d’vn Heros d’estre sujet aux sinistres interpretations
de tous ceux qui pensent signaler leur temerité, quand on luy
oste le moyen de se deffendre & effacer les cicatrices des coups
qu’ils ont portez contre la Regence en les lauant du sang d’vne si
auguste victime. Il s’est declaré contre les Frondeurs de Paris, que
la Reyne auoit declaré rebelles, mais aussi c’est à ces soings & à son
adresse qu’on doit cette importante reconciliation qui se fit à Ruël,
il est garand de l’execution, il l’auança par ses entremises, & sur
les asseurances reciproques qu’il donna, il ramena le Roy dans
Paris, si sa conduite durant ces troubles luy laissa quelque blasme,
il ne doit passer pour criminel parmy ceux qu’il a soustenus, ou la
Reyne & Monsieur le Duc d’Orleans ne pouuoient s’excuser qui
luy ont donné tous les ordres qu’il executoit auec tant de vigilance,
& le Cardinal l’vnique sujet de cette guerre est le veritable criminel

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de la faute qu’on luy impute quand il y auoit quelque ressentiment
particulier, il ny a pas d’apparence qu’il puisse monter auec
les luges sur le Tribunal, où ils donneroit lieu de croire à toute la
France que le salue du Peuples & le maintien de la Iustice, n’ont
pas esté le motif de ce zele si loüable, & dont Monsieur le Prince
n’a iamais condamné que la forme. Est-ce luy en effect qui est l’autheur
des Tailles qui accablent les Peuples ? est-ce luy qui a fait
proscrire tant de testes innocentes pour vanger vn mot, vn souspir,
vne pensée libres, & souuent pour proffiter de leurs dépoüilles ?
est ce luy qui a fait mourir le President Barillon, emprisonné les
Mareschaux de la Mothe & de Rantzau, fait arrester Messieurs du
grand Conseil & Cour des Aydes, & les sieurs de Chauigny, de
Broussel & de Blanc-Mesnil, cette entreprise derniere qui acheua
de mettre le desespoir aux Compagnies Souueraines & au Peuple
qui voioit ses Protecteurs oprimez, ternissoit presque l’honneur de
la victoire de Lens & rendoit la pompe de son triomphe odieuse &
funeste. Pauure France, ce Prince t’enuoyoit des Lauriers & des
Couronnes & on les vouloit conuertir en des seps & des chaisnes
contré ta liberté ? quels ennemis de l’Estat ou de la Regence Monsieur
le Prince a-t’il protegez, si ce sont les miserables qui auoient
recours à la Iustice du Roy par son intercession, sa charité ne peut
estre coupable & la submission des autres le décharge, le Cardinal
appelle peut-estre ennemis de l’Estat les siens particuliers, enuers
lesquels son Altesse a serui de caution en leurs iustes deffiances &
que le Cardinal cajole à present pour les ietter quand ils y penseront
le moins dans le precipice. S. A. conjuroit-elle auec l’estranger,
quand en deux campaignes il a conquis des Prouinces entieres
le long du Rhein & du Danube & presque toute la Flandre entiere,
& si on vouloit tirer des preuues contre lui par ses protestations captieuses
qu’on lui a faites dans le Bois de Vincennes pour excroquer
ces places, le peu de resistance qu’on a trouué quand le Roy
s’y est presenté & l’estat ou il est renfermé hors de pouuoir d’exercer
aucun acte vallable & beaucoup moins d’auoir des intelligences,
font iuger à tout homme de bon sens que la rage de ses ennemis
leur oste mesme l’vsage de la lumïere naturelle, Monsieur le Prince
pouuoit-il mépriser l’authorité Souueraine qui est pendant la Regence
administree par le Conseil, dont sa naissance l’establit vn des
chefs, le tort qu’il se fut fait rend cette imposture incomprehensible.

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Ses biens qu’il dépençoit si librement dans les armées pour couurir
les larcins d’où procede le manquement des finances & retenir
les trouppes au seruice, peuuent-ils donner de la jalousie en vn
temps ou c’est vn crime de murmurer de ceux qu’vn estranger enuoye
hors du Royaume, il a eu tous ces grands biens par heritage &
non pas des bienfaits qui ne seroient pas tels s’il les auoit extorquez
ou pouuoit il les acquerir puis qu’il a tousiours quité la conduite
des trouppes auant le quartier d’hiuer, que la cessation des despenses
& le maniement des subsistances sont le seul proffit qu’en retirent
les Generaux, & que Monsieur le Prince a tousiours negligé &
laissé aux Officiers inferieurs.

 

L’an 1643. que le feu Roy mourant, lui laissa la conduite de l’armée
& sa bonne fortune, dont il eut la consolation de voir prophetiquement
l’effect en cette memorable victoire qui a asseuré le
Royaume à son fils, le siege de Thionville ou recemment des trouppes
plus fortes & moins fatiguées auoient succombé, & toute cette
campagne admirable n’ont pas tant cousté au Roy qu’on le puisse
appeller dissipateur de ses finances, en vn temps que les Ministres
payoient tous ceux qui auoient serui de cete excuse, que les liberalitez
de la Reyne auoient épuizé l’Espargne, par ce qu’alors il ne falloit
que demander pour auoir.

L’an 1644. on verifiera que le siege de Philisbourg ne cousta
que dix-sept mil liures au Roy, il seroit à souhaiter que ceux qui
commanderont ses armées fissent de semblables conquestes à si bon
marché, cette mesme campagne la plus part des Lettres de Change
que Monsieur le Prince tira de Strasbourg & de Basle furent payées
par feu Monsieur son Pere sur l’excuze du manquement de fonds
pour n’auoir peu establir le toisement des maisons dont ce bon
Prince arresta l’injustice & appaisa par sa prudence presque d’vne
parole la sedition qui estoit desia toute formée.

L’an 1645. que Monsieur le Prince gaigna la bataille de Norlingue
& subjugua presque la moitié de la course du Danube & arbora
les enseignes de France en des lieux ou depuis Charlemagne
elles n’auoient point esté portées, Cantarini qui luy fournissoit
l’argent dépend d’vn trop bon ménager pour luy en auoir enuoyé
au de la du necessaire, on ne l’accusera pas ie pense d’auoir pû
thezauriser. En 1646. qu’il n’affectoit que la gloire de simple Officier
ou plustost de soldat, executant si bien & si promptement les

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grands desseins de son A. R. qu’il couronna par la prise de Dunquerque.
En 1647. on laisse à iuger s’il a peu faire proffit en Catalogne
ou l’on ne lui enuoya ny hommes, ny viures, ny argent.
Et l’an 1648. aussi memorable par la bataille de Lens, que remarquable
par l’vnion des Compagnies Souueraines pour regler les
desordres de l’Estat & la puissance du Mazarin apres vne exacte recherche
qui fut faite de l’employ des finances, on ne trouua pas
asseurement qu’aucun de ces comptans prodigieux qui absorbent
les trente millions à la fois, soit reuenu à son proffit non plus que
l’année derniere deuant le siege de Paris, on ne peut dire qu’il ayt
tiré autre aduantage de cet employ fatal, que la gloire d’auoir bien
serui la Reyne l’Espargne estant si racourcie qu’on estoit contraint
de prendre les Tailles des mains des Cotisateurs, sans attendre que
les deniers passassent dans l’ordre des receptes.

 

Les gratifications qu’on luy reproche si souuent, & qu’on auroit
honte de mettre en ligne de compte à vn autre particulier moins
meritant & moins considerable sans les comparer aux immenses
Thresors que l’Italie voit rouler qui remplissent toutes les banques
des Genes de Rome, de Florence & de Luques, de Louys d’or, &
dont la profusion inutile n’a peu encore preualoir en ces quartiers
là aux pistoles d’Espagne, bien que moins largement distribuées
& auec plus d’effect, sçauroient elles en conscience esgaler
les dons exorbitans dont des Officiers aux gardes des femmes de
chambre & des valets de garderobe ont fait estonner la froideur de
Monsieur le Chancellier, & émeu la bile de feu Hemery. Cette pretenduë
insatiabilité dont on veut le rendre odieux à bien examiner
les choses au lieu de le conuaincre d’vn mauuais dessein, marque
euidemment ou la foiblesse ou l’injustice ou le peu d’adresse du
Ministre. Si les demandes passoient les bornes, n’auoit on pas
assez d’authorité pour refuser ou assez de dexterité pour eluder des
propositions extraordinaires. L’admirauté qu’il auoit quelque raison
de pretendre apres la mort d’vn beaufrere mort dans le champ
[1 mot ill.] & parce qu’on l’auoit promis à feu Monsieur son pere
[2 mots ill.] seul s’estant vanté d’auoir arresté l’expedition du breuet
[2 mots ill.] sans auoir aucun esgard ny aux protestations du
[2 mots ill.] à la parole de la Reyne) est le sujet de ce grand [1 mot ill.]
[2 mots ill.] qu’on ne la deuoit pas si opiniastrement refuser

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cete charge à M. le Prince qui n’en enuioit pas la possessiõ à la Reyne
la laisser arracher à la crainte des menaces de la Fronde, on sçait
bien qu’apres la prise de Dunquerque la modestie auec laquelle
Monsieur le Prince s’en expliqua embarassoit des gens à qui si l’on
demande on est importun, si on ne dit mot, on a de mauuais desseins,
combien de differentes propositions luy a t’on fait pour le
recompenser en places ou domaines en charges, mesme celle de
Connestable qui a esté presque hereditaire à la maison de Montmorency,
dont il y en a eu vn Regent en France, a esté mis sur le
tapis en reseruant l’Admirauté à Mancini. Quand Monsieur le
Prince en a ouy parler, il n’a iamais crut que Monsieur le Duc d’Orleans
s’en peut formaliser, la defference qu’il a pour son Altesse
Royale a esté tousiours trop respectueuse, & tant s’en faut qu’il
eut pensee de le choquer en sa qualité de Lieutenant general des armées
du Roy, qui fait partie de la Regence, que luy mesme comme
Chef du Conseil & premier Prince du Sang, pretendroit commander
durant la Regence à vn Connestable qui peut n’estre
qu’vn simple Gentilhomme, au merite duquel on ne la iamais enuié,
le torrent d’injures du Genealogiste va plus auant, il blasme
insolemment d’orgueil vn Prince en qui iamais particulier n’a
trouué ny refus ny froideur quand on la reclame, la lettre du Roy
repete assez souuent dans vn sens contraire, l’application que son
inclination bien-faisante prenoit à se faire des creatures & leur
procurer du bien ou des graces si dans le Conseil on ne pouuoir resister
ne luy contredire, ce n’estoit pas l’impetuosité de son genie
assez retenu par la presence de leurs Majestez, mais la force de son
raisonnement, sa penetration dans les affaires, la solidité de ses
aduis fondez sur vne cognoissance vniuerselle & vne experience
acheuée qui entraisnoient par sa persuasion, ceux qui ne pouuoit
luy opposer que fourbes que trahisons secrettes & vne basse & foible
subtilité ! Helas le precipice où il est tombé n’est pas l’effet de
son orgueil ny de son ambition, c’est plustost de sa bonté & tendresse
enuers les peuples, on a veu qu’il protegeoit vne grande ville
contre laquelle les Ministres estoient acharnez moins pour les fautes
qu’on luy imputoit & qu’on a monstré depuis qu’on dissimuloit
que par vne plus forte passion d’en faire vn exemple pour Paris, &
auoir [1 mot ill.] d’en tirer vne consequence fatale & funeste aux autres
Parlemens, ce n’est pas vn des moindres motifs de sa captiuité, c’est

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ou consiste son orgueil comme son auarice est seulement remarquable
lors qu’en vn temps ou les armées mal payées se dissipoient,
que les frontieres desarmées & les places degarnies d’hommes &
de munitions, donnoient ouuerture à l’ennemy que les gages &
pensions mal acquitées causoient des mescontentemens a tous les
Grands & autres qu’õ retient par ce frain doré, & que d’ailleurs les
Prouinces gemissoient sous le faix excessifs des impositions & la
foule des gens de guerre, on espuisoit l’Espargne pour achepter
l’alliance de Monsieur de Vandosme, qui en sacrifiant son fils ne
laisse pas peut estre de chercher encore dans quelque forest des
Hermites pour consulter le succez de ce mariage, cette auarice
pretenduë de Monsieur le Prince est signalée quand il a quitté cent
mil liures tout les ans du present des Estats de Bourgongne où il a
souffert vn quartier d’Hyuer pour donner l’exemple aux autres
Gouuerneurs qui ne seroient pas peut estre tous si odieux dans les
Prouinces s’ils y auoient obserué les mesmes ordres & la discipline
comme il l’auoit establie. L’intelligence auec les estrangers merite
qu’on y fasse reflexion, il a demãdé qu’on secourut les Liegeois
anciens & fidelles amis de la France pour les oster de la depeneance
de la Maison d’Austriche ou la maison de Bauiere les assujettit
pendant qu’vne puissante armée se promenoit si inutilement
sur la frontiere de Flandre que les Soldats disoient par raillerie
qu’on les auoit enuoyez là pour traitter la paix, dont Pignerenda
n’auoit pas estimé pouuoit prendre les seuretez necessaires auec
le Cardinal. Son importunité n’est pas à desaduouer quand il pressoit
de recompenser les gens de merite & de valleur pour les retenir
ou appeller dans le seruice, dont les chicanes, les mespris ou les
longueurs de la Cour les rebutent ordinairement ; Monsieur le
Prince croit que la mesme hardiesse dont il a soustenu tous ceux
qui ont recherché sa protection ne peut passer pour crime que
dans l’esprit de celuy qui a laschement abandonné tous ceux qui
ont seruy la Reyne dans les derniers mouuemens pour les sacrifier
aux Frondeurs comme il a sait toute la Noblesse de Guyenne & de
Prouence pour les entretenir s’ils ne s’estoient aperçeus de ses artifices
dans vne diuision perpetuelle en la quelle les vns & les autres
ayent besoin de l’entremise du Zany. Sa violence est
veritablement blasmable, mais c’est celle-la seulement qu’il a tesmoigné
pour les interests de celuy qui la fait arrester, son ambition

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qui n’auoit autre obiet que la gloire de cet estat & la dignité du
nom François, qu’il a puissamment establies parmy les Estrangers
par ses victoires en vne saison que la foiblesse du gouuernement
perdoit le credit, si elle est digne de punition, pourquoy tant de
braues gens seruent ils le Roy, ils ne doiuent plus esperer que des
prisons, des exils & des supplices pour recompense, puis que gagner
des batailles est vn suiet suffisant pour soupconner leur fidelité, enfin
cette enuie de regner n’est elle pas manifeste dans le desgout
que le peuples de Paris ont conceu de sa conduite quand il a pris
toutes les volontez de la Reyne pour des loix quand il s’est tenu
desarmé dans le temps que par des trahisons secretes on machinoit
ou sa mort ou sa detention en vne ville & vne Cour si pleine de
cabales, où enfin seize hommes l’ont arresté par l’ordre de celuy
qu’il a deliuré du supplice, il est traitté comme vn condamné fans
qu’il subisse vn iugement auquel il s’expose d’autant plus franchement
que ce seroit le couronnement de sa gloire & la confusion de
ses calomniateurs. Il n’est point besoin d’aute iustification de ses
actions que nostre Histoire, ses crimes sont sa vertu, & cette illustre
puissance que ses merites luy donnoient autant que sa naissance ;
vne prison de six mois la humiliée, par ce qu’il recoit de la
main de Dieu cette espreuue de sa constance & patience heroique
mais ce qui le touche sensiblement c’est cette iniuste proscription
de ses amis, c’est l’exil de sa sœur qu’on contraint à se refugier chez
les Estrangers, cete inhumanite dont on a vsé enuers Madame sa
Mere pour l’empescher de demander iustice, c’est la poursuite violente
qu’on a fait contre Madame sa femme, laquelle apres luy
auoir desnié la consolation de demeurer pres luy au Bois de Vincennes,
ce que Concini ne refusa pas à sa belle mere plus soigneux
qu’on est à present de ne pas laisser perdre la race Royalle, on a
voulu arracher ce cher & vnique gage de leur amour mort où vif par
des gens de guerre qui l’ont enfin par vne singuliere assistance du
Ciel & l’aide de ces genereux amis obligée à se retirer en vne des
plus grandes villes du Royaume ou les acclamations auec lesquelles
les plus zelez à la liberté des peuples l’ont reçeuë, font connoistre
que le charme se dissipe visiblement, & que les pauures Peuples
abusez par ses ennemis dessillent enfin les yeux & reconnoissent
que ce Frondeur a la mode, ce persecuteur de Monsieur le Prince

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est le mesme Mazarin qu’on a declaré perturbateur du repos public
qui sous de fausses apparences d’humanité & de caresses feintes
tend des pieges & des embusches pour seduire la credulité des simples
& fauoriser les rapines & les trahisons des meschans, il est encore
vestu de sa peau de Renard, sous laquelle il cache le Tygre alteré
du sang François, dont ses compatriotes ont si malheureusement
arrouzé autresfois la Sicile comme il est insatiable de nostre
or. Il flatte les Frondeurs, il abandonne ceux à qui le seruice de la
Reyne l’année derniere, n’a laisse pour recompense que le nom de
Mazarins pour entretenir les premiers dans des pensées de vangeance
qu’il veut rendre insupportable & odieuse dans les injustices
ou il les engage, & les autres dans la rage de se voir mal traitez
de ceux qu’ils ont tenus pour ennemis, par ce que toute la maison
Royalle leur estoit contraire, qu’on declaroit pour les criminels &
rebelles, & que le Cardinal à encor à present plus de volonté &
plus de pretexte de prendre que Monsieur le Prince son protecteur.
Semblable à ce Medecin vollant, que ces Comediens representoient
si facesieusement & par vne souplesse digne de sa nation sur
vne mesme Scene il contrefait le Charlatan qui promet au peuple
guerison de ses maux, il fait semblant d’y compatir & de les
plaindre, mais il reparoit aussi-tost le fourbe, le perfide, le voleur
qui ioüe tout le mondé, qui ruine tout, qui emporte tout, il cajole
Monsieur de Beaufort qu’il a voulu perdre sous l’infame accusation
d’vn assassinat, il luy fait croire que l’Admirauté met sa fortune à
l’Ancre bien que ce soit vne charge sur laquelle il a trop d’expectatiues
pour son Mancini, pour ne s’estre pas reserué de l’auoir vn
iour par la ruine qu’il medite à toute la maison de Vandosme, il a
encore des inuentions plus noires pour les attrapper tous que les
Garces qu’il enuoya & les assassins qui ont si long-temps cherché
son ennemy iusques dans les retraites les plus esloignées, il a beau
flater le Pere de la possession de ce gouuernement de Bourgongne,
comme s’il luy deuoit estre hereditaire. Ie ne sçay pas mesmes s’il
ne luy veut pas faire pretendre Belle-garde au mesme titre, bien
que Monsieur le Prince l’ait bien payée, il est Italien & se souuient
les auoir offencez, & l’alliance de sa Niepce ne l’empeschera pas de
dire encor comme il fit en voyant le Portrait d’vne celebre victime
du dernier Ministere, qu’il luy falloit couper la teste quand il auroit

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la face de Iesus-Christ.

 

Peuples qui gemissez il y a si long-temps, sous lexes des maux
qui vous accablent, qui fremissez quand vous entendez prononcer
le nom de celuy qui en est la cause, & tremblez cependant dans les
frayeurs mortelles d’vne guerre ciuille, qui ouure toutes les frontieres
à l’Estranger & nous consomme au dedans. Genereuse Noblesse
que ce lasche a sacrifié si souuent à ses interests ou quand
vous y auez esté attachée ou contraire. Vigoureux Parlement qui
auez les premiers reconnu & descrié sa mauuaise conduite & auez
prudemment distingué les droits de l’authorité Royalle & du gouuernement
ou les Princes du Sang ont part durant les minoritez,
d’auec les interests du Sicilien qui les veut enuahir. Braues Officiers
& Soldats qui n’auez eu autre consolation en vos blesseures que les
assistances charitables de Monsieur le Prince & autre esperance
pour le fruict de vos trauaux que sa recommandation qui faisoit vostre
gloire & vous procuroit seule les biensfaits qu’on peut attendre
en vn siecle si ingrat & si corrompu, vnissez ensemble vos forces,
quittez ces funestes partialitez & ces noms odieux qui vous font
entretuer miserablement pour donner ce spectacle sanglant, mais
agreable a celuy qui vous regarde tous comme ses ennemis, par ce
qu’il vous oblige tous a le deuenir. Ioignez vos bras pour ouurir la
porte a trois Princes injustement detenus les deux derniers, par ce
qu’ils ont esté les Chefs des Parisiens. Ils ne pretendent pas aller à
la teste d’vne armée de leurs amis vanger leur querelles contre vne
maison qui estant si inferieure à la leur, ne sçauroit leur donner aucun
sujet de jalousie & de ressentiment, qu’ils ne donnent au bien
de l’Estat & à la moindre aduance qu’ils feront pour regaigner l’amitié
de Monsieur le Prince qui leur auoit si franchement & sincerement
offerte apres les troubles passez, il ne faut pas desesperer de
cette reconciliation, les grands hommes peuuent passer d’vne
haine capitalle à vne amitié fraternelle. L’inimitié & la jalousie de
Louys Prince de Condé & François Duc de Guyse, n’estoit pas
moins violente ny moins publique, neantmoins apres la bataille
de Dreux, ils coucherent ensemble & deuindrent amis, le bonheur
du dernier & la disgrace du Prince les reünirent à la confusion
de ceux qui les vouloient faire perir mutuellement, & cest exemple
memorable laisse indecis qui estoit plus louable, ou la moderation

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du vainqueur si ciuil, ou la generosité du vaincu qui se confia auec
telle franchise à son ennemy. Pauures Bourgeois de Paris, ne
croyez pas que les feux qu’on a fait de sa prison, luy fassent oublier
ceux qu’on a si souuent & plus vniuersellement fait éclater pour
ses victoires, vous croyez sans doute que c’estoit le commencement
de la ruine du Mazarin mais il reste encore, si vos presages
de sa fin n’ont vn effect qui ne tarde que trop & qui depend de
vous, les Princes ne demandent pas à reparer leurs pertes par aucune
demande, Monsieur le Prince limite toutes ces pretentions à
la seule grace d’estre traité comme le plus Scellerat des hommes
d’estre presenté deuant des Iuges & de respondre de ses actions
deuant le plus Auguste Tribunal de France les Pairs assemblez,
c’est pour estre condamné si les Loix du Royaume l’ordonnent, &
que ceux qui ont le plus veritable interest a sa conseruation le iugent
à propos, c’est contre l’exemple de tous les siecles precedents
en cette Monarchie, qui à mieux ménagé le Sang Royal, qui n’a
plus de resource qu’en la Maison de Bourbon, pour porter la teste
à ses Iuges sans languir dauantage dans les menaces du poison
& du poignard. Ouy cette teste pleine de si hautes & nobles pensées
de vertu & de generosité, sous la conduite de laquelle Paris a
esté si souuent rasseuré des irruptions des ennemis dans ces plus
grandes consternations, cette teste qui a esté les delices des yeux
de toute la France, quand il venoit d’estendre les frontieres du
Royaume au delà du Rhin & du Danube, est preste de s’immoler
non pas à la Iustice du Roy que son innocence n’apprehende pas
mais mesmes à la raison d’Estat, s’il y en auoit de si extrauagante
barbare & desnaturée pour vous rauir ce conquerant, ce preneur
de Villes, ce gaigneur de batailles, ce liberateur, ce restaurateur,
ce grand homme qui sera l’appuy de la vefue & de l’orphelin le plus
fidelle & plus esclairé Ministre du Roy, de la grandeur duquel
toute la scene est independante, le plus accessible & le plus courtois
des hommes & le plus iuste comme le plus intelligent de ceux
qui peuuent exercer des fonctions du Ministere, toute l’Europe
n’est pas assez riche pour tenter sa fidelité, & son a me pleine de
beaux sentimens d’honneur qui a refusé des Couronnes estrangers,
ayme mieux les conquerir pour son Roy, par ce que plus le cercle
de la Couronne Françoise sera esleué, les Fleurons de la sienne

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croisteront au dessus de toutes les autres, le Cardinal sçait qu’il
n’a tenu qu’à luy de prendre celle de Naples, ou les vœux de la
pluspart des Villes, le souleuement de la Capitale & les semonces
secretes de la Noblesse demandoient vn Roy du Sang de France,
y a-t’il apparence qu’il pûst conceuoir d’autres pensées, luy à qui
le Cardinal ayant mis la sacrée personne du Roy & toute la Regence
entre les mains à sainct Germain pour sauuer sa vie criminelle,
a tesmoigné lors plus de deference, de respect & de soumission
pour inuiter par son exemple comme il excitoit par sa valeur
les Compagnies Souueraines à relascher en faueur de la
Reyne, de leurs pretentions la constance inesbranlable, qu’il tesmoigna
dans ce dessein, apres tant de manquemens de parole du
Cardinal sur le sujet de l’Admirauté & l’indifference qu’il monstra
pour toutes les recompenses que cest ingrat prostituoit pour se cacher
sous sa grandeur, verifiant assez que son ambition n’est pas
desreglée, ny son ressentiment irreconciliable, & puis qu’il a eu
tant de confiance aux protestations d’vn Italien qui luy deuoient
estre si raisonnablement suspectes, il en prendra dauantage aux
sinceres & naïues declarations des cœurs François qui ne peuuent
se démantir pour le sang de leurs Maistres, qui apres auoir este extremes
en leur colere qu’ils ont inconsidérement transferée de son
objet veritable, deuiendront aussi constans en leur amour & rendront
à trois Princes la liberté qu’ils ne desirent que pour la nostre,
& deliurer cest Estat par vne bonne & ferme Paix de la seruitude
des Ministres qui se seruent du pretexte d’vne guerre estrangere,
artificieusement entretenuë pour suçer le plus pur sang de nos
veines. Grande Ville merueille du monde, aussi puissante en connoissance
& en vertu qu’en nombre de ses Habitans, laisseras-tu
eschapper tant d’occasions de signaler vne bonne fois sa generosité,
en arrachant des mains de l’Estranger les petits fils de sainct
Louys, vn genereux Conseiller t’a mis les armes a la main pour sa
liberté, on demande moins d’effort pour trois personnes si considerables ;
excite ce grand Parlement à maintenir & les priuileges
de leur naissance & ceux que la derniere Declaration du vingt-deuxiesme
Octobre 1648. t’ont acquis ; ou autrement, prens garde
en ton assoupissement que si par vne lasche preuarication tu te
laisses frustrer, tu cours risque de voir tes enfans enleuez chasque

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iour par l’impunité d’vn prejugé si considerable, il ny a plus de
caractere de charge d’exemption de Compagnie Souueraine ny
de raison particuliere qui les mette à l’abry de la tyrannie, puis
que les enfans de la Maison Royalle subissent les premiers, cette
rigueur intolerable & innoüye, & puis que toutes les ordonnances
& les Loix sont violées pour opprimer ceux que leur naissance, leur
rang dans le Conseil & leur probité en auoit rendus les conseruateurs
& les arbitres.

 

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Anonyme [1651], LES SERVICES QVE LA MAISON DE CONDÉ A RENDVS A LA FRANCE CONTRE LES CALOMNIES des Partisans du Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3666. Cote locale : C_11_30.