Anonyme [1649], LES SOVPIRS DES PARISIENS SVR L’ABSENCE DV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_3707. Cote locale : C_10_21.
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LES SOVPIRS DES
Parisiens sur l’absence
du Roy.

SIRE,

Cet excellent Autheur de la Nature
a si iustement formé toutes
les parties du corps humain, que bien qu’il semble
qu’elles soient en quelque façon separées dans
leurs fonctions, neantmoins elles sont tellement
liées les vnes auec les autres, quelles dependent
immediatement de l’esprit qui les anime, & qui les
fait toutes agir suiuant la necessité qui se rencontre !
Mais estant du tout impossible qu’vne machine
puisse mouuoir sans le principal ressort, qui semble
animer toutes les pieces qui la composent, aussi ce
corps estant priué de son chef, qui est le siege A la
demeure principale de l’ame, demeure immobile,
& cette miraculeuse armonie qui se forme par
ses operations, cesse incontinent que cette noble
partie en est separée.

L’estat est ce corps, & les peuples sont les veritables
parties qui la composent, lesquels abandonnez
de leur souuerain, qui en est le chef, ne
peuuent produire aucune chose dignes de ces admirables
fonctions que l’on remarque, alors qu’il
est ioint auec eux, & que la Loy qui l’ame qui les

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maintient ne leur est point distribuée par ce puissant
œconome, affin de les faire mouuoir suiuant
l’occurrence des affaires, & les tenir dans cette
égalle vnion qui les fait admirer & de Dieu & des
hommes.

 

Entre beaucoup d’esprits, dont le monde est
composé, la France a tousiours esté estimée celle
qui a le plus regulierement obserué les loix qui
luy ont esté prescrites, & qui a secondé par vne
obeissance respectueuse, les plus iustes intentions
des Roys qui l’ont gouuernée depuis tãt de siecles.
L’amour qu’ils ont temoigné en plusieurs rencontres,
ou il s’agissoit de leur conseruation & de celle
de la Patrie, & le courage qu’ils ont fait paroistrea
vanger les outrages faits à l’authorité Royalle,
leur a attiré la raputation de fidelles & de magnanimes
parmy les plus censez, & rendu redoutables
aupres de leurs ennemis. Cette verité est
assez iustifiée par les triomphes qui ont esté decernez
a vn nombre infiny de Heros, qui sont sortis de
cette Monarchie, & par les combats & victoires
remportées, tant contre leurs voisins, que contre
les infidelles, qui ont si souuent signalé leur extraordinaire
valeur : Le grand nombre qu’elle produit
encores à present, de si vaillans & de si redoutables
Princes & capitaines, confirment cette reputation
& la conseruent dans cette veritable
splẽdeur ou elle a tousiours éclaté ; qui fait auouer
a tous les peuples que les François sont nez pour
vaincre, & que les Palmes & les Lauriers ne doiuent
estre cueillis que par eux seuls.

Mais comme les prosperitez ne sont pas tousjours
egales, & qu’il semble pres qu’impossible
que le corps puisse viure dans vne mesme disposition,
sans souffrir quelqu’alteration en sa santé ;

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Aussi cette Monarchie a senty quelquefois de violentes
secousses de l’inegalité de la fortune ; tant
au changement de Religion, rebellion de sujets
que partis formez par des particuliers interessez,
Elle n’en a toutesfois point esprouué de plus violentes
& de plus sensibles que lors que leur souuerain,
incité par quelque genie fatal à leur bonheur,
les a priuez de son agreable presence.

 

L’absence de vostre Maiesté hors de sa ville capitale
depuis trois mois & plus, nous en fournit
vn exemple assez recent puisque depuis que quelques
personnes poussez par vn interest particulier
inciterent la Reyne Regente vostre Auguste Mere
de vous retirer de cette ville, qui a tousiours témoigné
de si veritables sentimens pour la prosperité
de vostre Maiesté, & vne ioye si parfaite de
l’heureux succés de vos armes victorieuses, sous la
conduite de tant d’excellens Princes, & de si genereux
chefs de guerre. Les malheurs (comme à
foule) sont tombez sur leurs testes infortunées ;
& les ont opprimez auec tant d’effort, qu’il a semblé
que toute la nature auoit conspiré leur perte,
& se ioignoit auec leurs ennemis pour les detruire.

Toutesfois l’esperance qu’ils ont euë que leur innocence
seroit auerée quelque iour, & que l’esprit
de cette prudente Reine seroit desabusé de beaucoup
d’impostures qu’on leur met en auant, les a
tousiours fortifiez & fait souhaiter le veritable esclaircissement
de la cincerité de leurs actions, par
lesquelles V. M. pourra connoistre, que leurs pretentions
estoient bien esloignées de ce qu’on luy
persuadoit, estant tres certain que s’ils ont entrepris
quelque chose ça esté plutost pour repousser
l’effort de quelques estrangers qui les vouloient

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oppresser, que de produire la moindre action qui
peut donner lieu de croire qu’ils eussent eu dessein
d’entreprendre contre l’authorité Royalle & le
respect qu’ils doiuent à vostre Maiesté.

 

Les effects ont suiuy cette verité, & les violences
que l’on a exercées contre eux, n ont point esté
capables de leur faire fausser le respect qu’ils vous
doiuent, au contraire leurs submissions & la
prompte obeissance qu’ils ont temoigné à vos
commandemens sont des témoins irreprochables
de leur amour & de leur fidelité & ferment la bouche
a ceux qui voudroient persuader le contraire
à vostre Maiesté.

La ioye de leur cœur paroist toute euidente lors
qu’ils entendent dire qu’ils seront honnorez de vostre
Royalle presence ; Les Eglises sont remplies de
vœux, les rues sont pleines d’acclamations, personnes
n’a d’autre entretien que du retour tant
souhaité de V. M. dans sa ville Capitale, les plus
obstinez mesme font tréue à la violence de leur
humeur, & confessent hautement qu’ils ne desirent
autre chose que cette heureuse entrée, sçachans
bien que l’affection de vos fideles subiets ne
pourroit souffrir aucun, qui eust d’autres sentimens
que l’obeissance & le respect.

Les Roys sont les images viuantes du Grand
Dieu : qui luy mesme les à nommées ses Christs,
qui vent dire en François ses Oincts ; tiltre si puissant
& si releué qu’il impose vne loy infaillible a
tous subiets de leur rendre des deuoirs & des submissions
toutes extraordinaires, comme estans les
veritables Lieutenant de la Diuine Maiesté, mais
que disie Lieutenant il faut dire plutost semblable
à luy, par la diuine Onction que luy mesme a enuoyée
pour les sacrer particulïerement les Roys

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de France, ainsi qu’il paroist par cette saincte Ampoule
qui est si songneusemẽt conseruée à Rheims,
& qui a esté si religieusement reuerée par les Roys
vos predecesseurs, qui en ont senty les douces
influences, & les graces particulieres quelle confere
à ceux qui en ont esté touchez.

 

Ecoutez (SIRE) les soupirs d’vn peuple fidele
& humilié, voyez Paris vous tendre les bras &
sans craindre la seruitude ou quelques malueillans
veulent essuietir ses habitans ils courent l’embrasser
hardiment, s’il est necessaire, & quelle vous
soit agreable, rendez la vie a tant de pauures languissans,
& dissipez par vostre agreable presence
les nuages odieux qui les enuironnent, & qui sont
prest de les accabler. Ne differez plus ce retour
attendu auec tant d’impatience, & comme ils ont
conceu de fauorables esperances de voir renaistre
en vous la gloire de tant de Roys vos predecesseurs
& les amoureux sentimens qu’ils ont tousiours
eus de leur fidelité ; faites que des souhaits
si legitimes s’accomplissent au grand contentement
de toute la France, à la satisfaction de la
plus noble partie de vos Estats, & pour la gloire
entiere de vostre Couronne.

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