Anonyme [1652], LETTRE DE MADAME LA DVCHESSE D’ORLEANS ENVOYEĖ AV DVC CHARLES SON FRERE. SVR LE SVIET DE SON insigne Trahison , françaisRéférence RIM : M0_1949. Cote locale : B_5_55.
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LETTRE
DE MADAME
LA DVCHESSE
D’ORLEANS
ENVOYEĖ
AV DVC CHARLES
SON FRERE.

SVR LE SVIET DE SON
insigne Trahison.

A PARIS,
Chez IEAN DV PRAT, ruë d’Escosse,
aux trois Cremilliere.

M. DC. LII.

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LETTRE DE MADAME
la Duchesse d’Orleans enuoyée au Duc
Charles son frere, sur le sujet de son
insigne trahison.

MONSIEVR,

I’ose vser de ce mot,
& croy que c’est à bon droict,
puis que ie ne vous reconnois plus
par celuy de frere. Ie n’eus iamais
pensé que la racine de Vaudémont
eut produit & ietté vn fruict empoisonné
qui ne sert qu’à destruire
& ruyner toute l’Europe. Ie ne

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m’estonne plus si mon Progeniteur
disoit souuent ces mots ; Que vous
estiez né pour brusler vostre païs
& consommer les autres : Cela,
depuis sa mort, c’est tousiours rencontré
veritable ; Vous estes guerrier,
mais traistre & remply de
coüardise : vous ne tenez rien du
rang de Prince, ny du sang dont
vous estes descendu : vous estes
vn homme d’argent ; vn scelerat
& vn faussaire : N’esperez plus que
ie parle autrement de vostre personne :
vous n’estes pas digne de
viure ; & peux bien m’asseurer que
le Ciel se vangera de vos dissimulations ;
N’estoit-ce point assez d’auoir
vne fois enflammé la France ;
la trahir en faussant la foy que vous
auiez iurée sur la saincte Euangile,

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sans, de gayeté de cœur, tomber en des
actions lesquelles vous porteront tousiours
prejudice : Quoy ! sera-t’il dit & couché
dans l’Histoire, qu’vn Prince, vn Duc, vn
Guidon de l’Empire, ait commis vne lascheté
pour milles pistolles seulement ? Où
auiez-vous les yeux ? Apres les paroles iurées
& protestées enuers Monseigneur &
cher espoux, de Messieurs de Condé & de
Beaufort, & autres personnes de remarques :
Que pouuez-vous esperer qu’vn blasme
general & perpetuel ? Ce coup de trahison
ne tombe pas seulement sur nous, mais
aussi sur le Roy d’Espagne, lequel vous a
donné le tiltre absolu de Plenipotentiaire,
pour traitter la Paix generale. Ne l’abusez-vous
pas ? Que ne dira-t’il point de vous ?
Il vous auoit confié ses forces & ses secrets :
& vous en vsez tout au contraire de sa volonté.
Homme de sang & de rapine : Il
veut la Paix, il l’a desire & vous ne demandez
qu’à entretenir la guerre. Qui est le
Prince dans l’Europe qui vous soit semblable ?
Il n’y en a point, aussi me trompez-ie
fort, lors que ie vous impose cette qualité.

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Ie ne sçay si vous l’auez, mais au moins
ie puis asseurer que vous ne la meritez pas.
N’auiez-vous point de honte de vous faire
accommoder des Ponts, afin de faire passer
vostre armée, de laquelle ie me mocque,
car vous n’auez pû emmener auez vous que
les Lorrains que vous bridez comme des
Oysons. Mais les Trouppes d’Espagnes,
qui connoissent fort bien vostre naturel,
ne vous ont pas suiuies : C’est pourquoy
i’estime que vous ne viendrez pas au but
de vos pretentions. Vous verrez la iuste
vangeance du Ciel tomber sur vostre teste
& dans peu de iours. Ie proteste deuant
Dieu & deuant les hommes, que ie vous
renie pour mon frere : & que ie ne vous tiendray
pas seulement au rang d’vn simple
Bastard. Ie iure qu’il ne se presentera aucune
occasion que ie ne fasse mes efforts pour
vous nuire : Ie vous promets de mander à
tous les Potentats de la Chrestienté, vostre
trahison & infidelité. Ie vous deffends
absolument, que vous ne m’appelliez
plus du nom de Sœur ; par ce que ie ne fus
iamais semblable en mœurs auec les vostres.

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Ie vous prie de faire du pis que vous
pourrez enuers moy ; car vous estes certain
que ie ne vous espargneray pas. Et sçachez
qu’autant de bien que ie vous ay procure ;
que ie feray tous mes efforts possibles pour le
destruire. La Lorraine vous eust esté renduë ;
mais croyez que vous ne l’aurez iamais & que ie
periray plustost. Allez, vous ne meritez pas de
voir les rayons du Soleil sçachez que vous rendiez
conte de vos pillages & volleries ; C’est celle
qui ne veut plus & vous deffend de l’appeller
Sœur, qui vous escrit ces choses ;

 

Du Palais d’Orleans ce
17. Iuin 1652.

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