Anonyme [1649], LETTRE DV COMTE DVC D’OLIVAREZ MINISTRE D’ESTAT DV ROY D’ESPAGNE : A IVLES MAZARIN CARDINAL, ET N’AGVERES MINISTRE D’ESTAT, DV ROY DE FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_2101. Cote locale : C_3_37.
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LETTRE
DV
COMTE DVC
D’OLIVAREZ
MINISTRE D’ESTAT
DV ROY D’ESPAGNE :

A
IVLES MAZARIN
CARDINAL,
ET N’AGVERES MINISTRE D’ESTAT,
DV ROY
DE FRANCE.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques,
aux Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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LETTRE DV COMTE DVC
d’Oliuarez Ministre d’Estat du Roy
d’Espagne.

A IVLES MAZARIN CARDINAL, & n’agueres Ministre d’Estat du Roy de France.

Monsievr,

Quoy que la consolation des miserables soit
d’auoir des pareils : Ie veux vous asseurer pourtant par cette
Lettre, que mon malheur ne se sent point nullement soulagé,
par la nouuelle que ie viens d’apprendre de vostre disgrace.
L’abysme où vous estes tombe, ne me sert d’autre
chose, qu’à me representer plus sensiblement l’horreur de
mon precipice, & le bruit de vostre Cheute n’a frappé mes
oreilles en ma captiuité, que pour renouueller mes douleurs
en me ressouuenant de ma misere. Nous sommes de mesme
complexion, & de semblable temperamment, n’est il pas
iuste que nous soyons aussi compagnons de mesme aduanture ?
Mon orgueil m’a fait aspirer plus haut que ie ne deuois
pas pretendre, & vostre infame auarice vous en fait descendre
plus bas que vous ne l’auiez iamais esperé ? Vous ny moy
ne nous sommes perdus, que par nous mesmes. Ne blâmons
donc personne que nous seuls de nos infortunes. Ie trouue
raisonnable, seigneur Mazarin, qu’ay ans tous deux commis
de mesmes crimes, nous en ressentions de pareils chastimens,
Il y a cecy à redire en nos malheurs, c’est que les chaisnes
qui me captiuent, m’ostent le pouuoir de me sauuer : & i’apprens,
que comme vn illustre malheureux, il se trouue encores

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des armes dans les mains de quelques François pour
vous conseruer. I’aurois sujet d’estre ialoux de vous voir ioüir
d’vn priuilege dont ie ne ioüy pas, si ie ne sçauois bien que
cette apparence de bon-heur est fausse, & qu’au lieu de vous
en rendre plus heureux, elle ne paroist qu’à dessein de vous
faire plus miserable.

 

Voilà ce que c’est, que de se faire les compagnons des
Roys, les indignes administrateurs de leurs Royaumes, &
les infames Tyrans de leurs sujets ! Les hautes entreprises
estant iniques, ne reüssissent iamais qu’à la confusion de ceux
qui les forment ; ainsi de leurs biens ils en font leurs maux ;
& de la fortune où ils pensent s’éleuer, ils sont tous estonnez,
quand ils se voyent precipitez par vne cheute qu’ils n’auoient
pas preueuë. Voilà ce qui m’est arriué, & ce que vous ne
pouuez euiter en la mauuaise posture où ie vous voy, & parmy
tout le Royaume de France, & parmy tous ses peuples.
Il faut aduoüer que l’ambition de s’agrandir plus qu’on ne
doit, est vne dangereuse conuoitise, qui faut souffrir plus qu’on
ne peut : Et ie m’estonne maintenant, comme ceux qui sont
en ce danger, ne se representent pas tousiours deuant leurs
yeux, la cheute des Phaetons, & des Icares. L’orgueil nous
aueugle insensiblement, & l’auarice & les autres vices nous
ostans la connoissance de nos malheurs prochains, font que
sous la pillule dorée, nous ne voyons pas le poison qu’elle cache.
Que nos desseins ont esté pernicieux ; & qu’il ne faut
pas s’estonner, si nous en ressentons de rudes supplices !
Quoy ! tramer la ruine des Princes qui nous partagent leur
grandeur, leur pouuoir, & leur gloire ? Vouloir dépoüiller
de leur biens ceux qui nous en enrichissent, oster le Sceptre
de la main à ceux qui font plus d’estat de nostre amitié que
de leur couronnes : & pour tout dire, trahir si laschement vn
Estat qui ne pense florir que par les legitimes soins qu’il croit
que nous ayons de sa conseruation ? Voilà vne partie de nos
crimes, mon compagnon de misere, iugeons sainement vous
& moy, si tant d’enormes pechez meritent vne indulgence ?
Ie trouue ma prison trop douce, pour mon delict ; & vous,
à mon exemple ne trouuerez-vous pas vostre bannissement

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trop fauorable pour vostre crime ?

 

Quoy que l’enuie aye naturellement l’oüye dure aux loüanges
d’autruy, si veux-ie pourtant qu’elle entende icy malgré
elle, l’honneur, & la gloire que ie veux donner à vn excellent
Ministre d’Estat, que vous & moy deuions nous proposer
pour exemple, si nous eussions esté bien sages ? Ce sont
des mouuemens, & des actions du feu Cardinal Duc de Richelieu,
que nous deuions composer toute la conduite de nostre
vie, que nous deuions composer toute la conduite de nostre
vie ; iamais fauory d’vn Roy, n’a mieux merité que celuy-là
l’amitié de son Maistre. Si son cœur estoit magnanime,
son ame estoit incorruptible, & il a tousiours fait que le
fer de son Prince a mieux agi, que n’a iamais fait tout l’or des
Indes du Roy Catholique. Il eust mieux valu que le Roy de
France eut eu perdu deux des meilleures, & plus importantes
villes de son Royaume, que d’auoir perdu par la mort cét incomparable
Ministre ; quand on luy auroit enleué Calais, &
surpris Amiens, il auroit de la peine à les arracher d’entre les
mains de ceux qui s’en seroient saisis : mais puis qu’autres-fois
on a bien fait lascher prise à ceux qui les tenoient, ie ne voy
rien qui pût empescher que ce Monarque n’en fit encore autant,
si ce n’est que pour vous y opposer, Mazarin, vous
fissiez le mesme que vous auez fait à Orbitello & à Naples,
que vous n’auez pas voulu qui sortist de la domination d’Espagne,
pour entrer en celle de France ? La Castille se rejoüit de
sa mort : mais elle pleure de vostre disgrace, parce que Richelieu
ne trauailloit que pour sa perte, & vous au contraire,
vous n’agissez qu’à son aduantage.

Il faut auoüer qu’il ne s’est iamais trouué vn homme d’Estat
comme luy, en qui se soient rencontrez ensemble toutes
les excellentes & rares qualitez, qui seulles à part, peuuent
mettre bien haut au dessus du commun, ceux qui s’en trouuent
pourueus. Ie ne parle point seulement de celles qui sont
en quelque façon de l’essence de la profession, qu’il a faite,
comme la pieté, la sagesse, la prudence, la moderation, l’eloquence,
l’erudition, & leurs pareilles, ie dis des autres mesmes,
qui semblent en estre entierement éloignées ; comme
celles qui composent la perfection d’vn chef de guerre. Car

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qu’ont de commun en apparence la Soutane, & le Camail
auec la cuirasse, & le baudrier ? la Xaintonge, le Viuarest, &
le Languedoc, la Sauoye, le Piedmont, & le Montferrat,
gardent encore neantmoins toutes fraisches, quoy qu’il y aye
assez long-temps, les traces des armées, qu’il a conduites,
sous les triomphantes enseignes de la France, auec tant d’ordre
& tant d’heur, qu’il est aisé à reconnoistre son inclination
aussi bien que sa naissance le portoit naturellement à cela. On
eut dit qu’il n’auoit iamais fait autre chose, & la moitie de
ceux qui ont passé toute leur vie dans l’exercice des armes,
n’en sçauent pas tant que luy, de qui le siege de la Rochelle
fut il y a vingt ans l’apprentissage, & le chef d’œuure tout ensemble.
C’estoit au reste vn ouurage merueilleux, qui n’auoit
rien de comparable à soy que le iugement qui le conduisoit.
Nulle sorte de dangers ne l’estonnoit, nulle sorte d’accidens
ne broüilloit sa constance, il estoit égal par tout, il trauailloit
quand les autres reposoient, & il veilloit quand les autres dormoient.
Le seruice de son Maistre ne le lassoit point ; l’Espagne
ne l’a pas seulement veu : mais elle l’a depuis cent fois
admiré dans toutes les factions de Capitaines, & de soldats.
Les paroles sont inutiles où les choses parlent, & qu’on regarde
ce qu’il a fait, les Espagnols, les Italiens, ny les autres
nations n’ont iamais eu d’hommes qui ayent fait de plus
belles choses. Son innocence a esté telle que la malice la plus
noire de ses malueillans n’a point trouué de prise sur elle,
qu’on la regarde, qu’on l’eclaire, & qu’on la sonde de toutes
façons & de tous costez elle ne craint rien, l’auarice & l’ambition
sont les maladies populaires de ce temps, nous en sommes
tous deux tachez, Seigneur Iules : mais ce digne homme
en a tousiours esté exempt. La façon dont il en a vse l’a monstré
visiblement, ce qu’il a eu, de plus qu’il ne luy falloit pour
soustenir la despence, ou le rang qu’il tenoit aupres du Roy,
l’engageoit & le distribuoit en aumosnes entre les pauures,
en pensions entre les honnestes gens, en dons entre ses amis,
en gages entre ses domestiques, comme s’il n’eut esté que depositaire ;
ou dispensateur de tout ce que son Maistre luy auoit
donné. Il n’a pas fait de ses tresors comme fit autrefois le

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Cardinal d’Amiens, qui les emporta hors du Royaume, ou
comme cet autre, qui les destinant au dessein qu’il descouurit
à François premier, quand il vit son temps, tesmoigna
comme il luy fut reproché, qu’il aimoit mieux son argent,
que son Maistre, quoy que ie sois Espagnol, ie ne laisse pas de
sçauoir l’Histoire de France. Qu’on me die tant que l’on
voudra, que le Duc de Richelieu ne faisoit que preter que ce
qu’il auoit receu, il ne m’importe pourueu que l’on m’auoüe
en mesme temps, que c’est ce que nous & dix mil autres,
que en auons eu dix fois plus que luy, n’auons pas fait. Nous
ne sommes pas de son humeur ; & nous deuons confesser, que
nous viuons dans l’air d’vn siecle, où nous, & la pluspart des
autres fauoris, mesurant nostre deuoir à nostre profit, nous
prendrions plustost des tresors pour perdre l’Estat de nos
Roys, que nous n’en donnerons pour le sauuer.

 

C’est assez parlé de ce grand homme, ie veux acheuer cette
lettre, & parlant de vous & de nos menées. N’auons nous
pas cent fois flattez nos Princes, & coniointement ne leur
auons nous pas fait croire qu’ils n’estoient point obligez à
contribuer rien du leur à l’amitié de leurs suiets ? ne leur auons
nous pas persuadé, qu’il falloit estimer vn gain, ce qu’ils tirent
d’eux, comme si à la façon d’vne balance, leur Eatat s’éleuoit
plus haut, quand le peuple est raualé plus bas, leur faisant
tirer cette mauuaise consequence, qu’ils ne sont iamais
plus haut montez, que lors que leurs suiets ont à peine loisir
de respirer sous le iour de leur bassesse. Nous auons fait de
puissans efforts pour faire passer dans leur esprit cette fausse
maxime pour vne iuste loy, & ces mauuais amis ont donné
lieu aux peuples d’Espagne, que i’ay fait si mal mené, d’auoir
fait naistre parmy eux des parricides, pour attenter à la vie de
leur Prince. Les François plus retenus, se sont contentez de
vouloir conseruer la franchise auec laquelle ils sont nez,
sans desormais vouloir plus tendre le col au sacrifice,
où vous les auiez fait plusieurs fois exposer. Si nos esprits
eussent esté vertueux, & excellens, ils eussent abhorrez
les artifices, & les meschancetez, & n’eussent aimé
que les choses raisonnables de fideles Ministres, doiuent tant

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auoir d’inclination à cherir le bon de leur Prince, que personne
ne puisse iamais mettre en doute leur affection inuiolable
en ce qui touche la conseruation de sa personne, de ses Peuples,
& de son Estat.

 

Pour n’auoir pas agy de cette sorte, nous n’en receuons que
de l’infamie au lieu de gloire, des punitions au lieu de recompense,
& nous sommes acquis la haine des peuples au
lieu de leur bien-veillance. Ainsi tournons-nous de quel
costé que nous voulions, nous experimenterons sans cesse
que nous sommes en l’indignation de Dieu, & en execration
mesme à toute la nature.

FIN.

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