Anonyme [1652 [?]], FABLE DV LION, DV LOVP ET DE L’ASNE. , françaisRéférence RIM : M0_1358. Cote locale : B_8_8.
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FABLE
DV LION,
DV LOVP
ET DE L’ASNE.

Sur le sujet de la Paille,
du Temps present.

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Fable du Lion, du Loup & de l’Asne, sur le sujet de
la Paille du temps present.

LE Lion, le Loup & l’Asne, pour demander pardon
à Dieu de leurs pechez, s’accorderent ensemble de
faire vne Confession generale, se soumettant l’vn à l’autre
du benefice de l’absolution, auec penitence conforme à
leurs demerites.

Le Lion commença le premier par vn grand discours, à
raconter les oppressions, esgorgements, carnages, boucheries,
estouffements & vne infinité d’autres telle sorte
de dommages qu’il auoit commis, tant à l’endroit des
hommes, que toutes sortes d’animaux priués ou sauuages ;
mais au reste tous innocens, que si luy en falloit faire le
detail par le menu ; le iour seroit trop court, & luy manqueroit
plûtost que la memoire, & le desir qu’il à de tout
dire & declarer, sans rien cacher à son escient ; mais resolu
de propos deliberé, & d’vne ferme volonté se deporter de
ces excés, & d’employer à l’aduenir le reste de ses iours à
mieux faire & mieux viure, il demandoit pardon auec
priere bien humble d’oublier le passé.

Le Loup, sa Confession ainsi faite, luy parla de la sorte ;
Braue Lion, le plus genereux des animaux qui marchent
sur la terre ; ie suis dans le sentiment, que tout ce que
vous aués dit, vous est deu, & vous appartient par le droit
d’empire, & de souueraineté, que vous aués sur tous autant
que nous sommes : car comment pouriez vous combatre
& vous deffendre de la faim, (chose la plus dure à

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souffrir, & la plus contraire à la vie) si vous ne cherchiez
vostre proye, & n’alliez à la chasse pour satisfaire vostre
appetit, & apprester vostre disner vous-mesmes du sang
& de la graisse de quelque animal delicat, qui viendra
mieux à vostre goust. Ie ne croy pas que Dieu soit offensé
en vos actions, ayant pris tant de plaisir autrefois au sang
des victimes esgorgées, & à l’odeur & la fumée des holocaustes
de l’ancienne Loy, autrement sous ce pretexte
faudroit rendre tous les hommes coupables & generalement
criminels, qui n’espargnent ny le sang ny la vie des
animaux pour leur vsage & seruice, joint aussi que la nature
nous fait voir, qu’il y en à, que par vne prouidence
de Dieu toute particuliere multiplient tellement, que ce
seroit peché de ne les pas tuer & manger, comme cochons,
pigeons, lapins, moutons & autres telles especes ;
partant si vous croyez auoir failly, i’estime vostre condition
toute royalle digne de pardon, ainsi que telle en est
l’vsage, & la pratique ordinaire à l’esgard d’vn grand Roy
comme vous estes.

 

Le Lion ainsi absout, le Loup se met en deuoir de dire
aussi-tost sa coulpe, racontant comme bien souuent rodant
autour des maisons & des mestairies, il auoit pris les
oisons au collet, mangé les poulets & les poules, estranglé
les brebis : quoy plus ? qu’il n’auoit pas mesme esparné
les vaches, les asnes & les cheuaux aussi bien que les
hommes dans la rigueur de l’hyuer. Mais le Lion connoissant
le Loup d’vn estomach aussi chaud que le feu, luy
pardonna de mesme sa faute, qu’il iugea auoir digeré fort
aisément les bestes qu’il auoit deuorés.

Il ne restoit plus que la Confession de l’Asne, qui apres

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vne longue recherche de sa vie, s’accusa en cette façon.
Ce n’est pas, mes freres, que ie me veille dire sans peché,
& de n’auoir iamais failly, ou que i’estime mes fautes
moindres que les meurtres, & les dommages que vous
dites auoir commis, & que vous venez de confesser ; i’ay
ie ne scay quoy sur le cœur, que la conscience me reproche ;
ie croy qu’aprés vous l’auoir declaré, vous me iugerez
fauorablement auec equité sans chaleur ny passion.

 

I’ay seruy autrefois vn maistre si paresseux & si mauuais
mesnager, qu’il n’auoit autre soin que de son corps & de
sa peau, sans se soucier de la mienne, ny des autres bestes
de sa maison ; bien souuent vn affaire suruenant, falloit
aller auant le iour à la Ville ou au marcher, & sans auoir
repeuny mangé, on me iestoit le bats sur le dos auec ma
charge, force m’estoit de faire ainsi vne longue traite de
chemin par montagnes & vallées ; à la fin ie commençay
à m’ennuyer autant & plus de ma vie, que de la peine que
i’endurois ; vne pensée me vint vn iour en l’esprit de soulager
ma misere, & donner quelque peu de vigeur à mon
cœur abbatu, & mes forces languisantes ; ce fut, qu’en faisant
semblant de baisser la teste, tascher d’attraper quelque
brins de paille des soulliers de mon maistre, qu’il portoit
pour empescher de se fouller les pieds : ie ne tarday
pas long temps sans accomplir mon souhait, que voyant
quelque festu sortir, ie les pris vistement, & les mangeay
auec grand appetit ; si i’ay peché en cela, ie m’en confesse
& demande tres-humblement pardon.

A ces paroles le Lion jettant de trauers vn regard furieux,
& baaillant à gueule ouuerte, consulte le Loup & luy
demande son aduis, qu’il declara en vsant de ces termes,

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Si on appelle brigands, volleurs & guesteurs de chemins,
ceux qui sous ombre & couleur de gagner ou chercher à
viure, attaquent les passans, les pillent, les destrouissent
& les tuent, comment nommerons nous cettuy-cy,
qui sans crainte ny respect, s’est addressé de rage & de fureur
non à quelqu’vn de sa connoissance simplement,
mais à son propre Maistre & Seigneur ? son procedé monstre
assez ouuertement le mauuais dessein qu’il auoit,
quoy ? vn peu de Paille qu’il voit sortir des soulliers de son
maistre, il la mange à belles dent ? hé que fut-il arriué,
s’il luy eust mordu le pied, en apres mangé le gras des
iambes & les cuisses, il eust enfin incontinent deuoré son
maistre tout entier.

 

Le Lion par vn branslement de teste, approuuant le
dire du Loup, n’eut pas si tost iugé l’Asne digne de mort
que le voila mis en pieces & deschiré en mille & mille
morceaux.

Ainsi arriue-t’il bien souuent que l’Innocente Populace
paye aux despens de sa vie les petites fautes qu’elle fait,
tandis que les Grands ferme les yeux à leurs miseres, entretiennent
à leurs despens leurs factions & secrettes intelligences,
pour pescher plus hautement auec toute sorte
d’impunité.

Ex latmitate Ioannis Gastij Brisacensis. Tom. 1.
Sermon. Conuinalim. fol. 158. Et sequenti.

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ADVIS AV LECTEVR.

Appliqués la Fable au temps & aux personnes
comme il vous plaira, mais remarquez seulement
qu’appres auoir mangé le bled de nos greniers
& de nos campagnes, nous en faisant porter la Paille
à la teste & non pas dans nos soulliers, on ne nous
prenne quelque matin à la gorge, & qu’on nous
fasse payer bien cherement les fautes d’autry. Il est
temps d’ouurir les yeux aux mal-heurs qui dés
long-temps nous talonnent, & qui enfin nous accableront,
si tout d’vn accord on ne donne la chasse
si rude à ces volleurs & pillards, qu’en leur chaussant
la peur aux esperons on leur fasse faire quelque
belle cacade dans leur chausses, pour les obliger à
se torcher le cul du Papier qu’ils portent à leurs
Chappeaux ; Si ce n’est que changeant d’aduis & de
dessein, imitant ceux de la Seigneurie de Genes,
(LOVIS XII. regnant) ils fassent de ce Papier vn
Idole du Cardinal Mazarin, collé dans vne chaire
de mesme estoffe, nous leur baillerons à lors nostre
Paille pour luy mettre le feu au cul, & puis adieu la
Guerre, viue le Roy, viue la Paix, viue les Princes
s’ils sont fideles François.

A Roy de Papier, Prince de Paille, Sujets de Foin.

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