Anonyme [1649], LETTRE D’VN BON PAVVRE ESCRITE A Madame la Princesse doüairiere, sur les affaires du temps present. , françaisRéférence RIM : M0_1851. Cote locale : A_5_44.
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LETTRE
D’VN BON PAVVRE
ESCRITE
A Madame la Princesse doüairiere, sur
les affaires du temps present.

A PARIS,
Chez GVILLAVME LOYSON.
au Palais.



M. DC. XXXXIX.

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LETTRE
D’VN BON PAVVRE,
A Madame la Princesse doüairiere, sur les
affaires du temps present.

MADAME,

Ie ne veux pas icy excuser mon audace, puis
que nous auons la permission de dire à Dieu nos
desirs legitimes & nos besoins, quelque puissance
que ce puisse estre, estant tousiours au dessous &
dans la dependance de la sienne ; Nous pouuons
parler auec asseurance, & lors que son amour nous
fait agir, il faut tout oser pour luy témoigner nos
fidelitez. M. ie m’adresse à vne Princesse deuote
& iudicieuse, & c’est par ces deux qualitez
que vostre Altesse doit penser aux malheurs de
la France, & à la part qu’elle a dans sa desolation.
M. le Prince ne combat plus pour sa gloire,

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puis qu’il l’a flestrit en s’obstinant à la durée d’vne
guerre pitoyable ; Il est vray que comme homme
nous sommes sujets à nous abuser, mais la
misericorde du Seigneur iettant ses amoureux regards
sur nos foiblesses, nous quittons la volonté
par sa grace de persister dans nos crimes. Y at’il
pas assez de sang répandu, de pauures familles
ruinées de biens, de santé & de vie pour finir
vn mal qui se rend à tous momens moins supportable ?
M. quel conte rendrez vous à Dieu de
vous auoir fait naistre des premiers Chrestiens &
premiers nobles du monde, d’estre la premiere
Princesse de ce Royaume, si vous souffrez auec
vne criminelle complaisance que tous ces aduantages
se ruinent dans la fougue du premier fruit
que Dieu a donné à vostre mariage ? M ce cœur
de Montmorency ne doit auoir rien de bas, Vostre
Altesse a des authoritez qui vous rendront
coupable si vous n’en vsez Chrestiennemẽt Qu’est-ce
que i’ay fait à sa Majesté, & plusieurs autres
de ma classe, pour estre traitez de cette rigueur ?
Dequoy accuse-t’on ceux qui meurent mille fois
le iour sans pouuoir apprendre le suiet de leurs
souffrances ? Grand Dieu que cette crainte a peu
d’exercice dans cette lamentable saison ! Mais il
semble, M. que personne ne peut obtenir humainement
la fin de ces desordres que cette pieuse
Princesse qui court risque de la perte de son ame

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& de celles de ses illustres enfans. Quelle victoire
vous peut estre douce, si vous y trouuez tousiours
des blessures ineuitables ? L’Histoire du
temps ne peut estre leuë ny racontée sans attacher
des soupirs de vostre cœur, vos douleurs
n’ont point de relâche dans cette affliction, & les
offrir à Dieu ie pense que le sacrifice ne luy en sçauroit
estre agreable. Il faut remedier à ce qui n’est
pas incurable, vostre Altesse en ce poinct ne doit
pas s’en remettre au temps, puisque c’est vn trop
dangereux medecin pour des maladies pressantes ;
Nous sommes en estat de voir des fleuues de sang,
si la rosee de la grace ne change point les émotions
& remuëmens funestes qui nous menassent.
Il y en a desia beaucoup de répandu, plaise à la diuine
bonté que ces pauures ames ne soient pas
dans les tourmens eternels apres des carnages si
horribles. M. ce n’est pas icy vne retraite de Carmelite
que le Seigneur exige de vous, c’est vn
effort de Princesse, mere d’vn Conquerant iniustement
irrité ; d’vne Princesse, dis-je, qui a droict de
deliberation dans les dispositions d’vne Reyne Regente,
doüée d’vn naturel qui ne se porte contre
ses subiets que par erreur inuolontaire. Et c’est à
cette pieuse Reyne que vostre Altesse doit faire entendre
les cruautez de son regne, & que peu de
combats luy feront perdre ses subiets & le repos de
sa conscience, si toutes les meres qui ont perdu

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leurs enfans, les femmes leurs maris, demandent
vengeance à Dieu. Ne vous imaginez-vous point
que les punitions pourroient bien aller sur le plus
haut des trosnes pour y faire luire les effects de son
pouuoir & de sa iustice. M. il n’est point de grandeur
exceptee, Dauid a esté puni & plusieurs autres,
& vn Prince n’a point de troupes, quelque redoutable
qu’il soit, qui le puissent garantir de la main de
celuy qui tient toutes les grandeurs sous sa domination,
& qui n’a ordonné des Rois que pour donner
des peres aux peuples. M. cette vie est si peu
de chose, & les passions des hommes si dangereuses,
que les sages qui en considerent le debordement
sont obligez de voüer tous leurs soins pour
en faire cognoistre l’infirmité, l’ambition, la colere
& la vengeance sont les bourreaux de la societé,
ceux qui en sont atteints agissent en frenetiques ;
mais il faut traiter le torrent qui les entraisne par
raison, appuyee sur l’exemple d’vn Dieu, de qui la
vie n’a esté qu’humilité & douceur. Le premier orgueilleux
a esté precipité au fond des abismes, &
continuellement nous voyons les cruels & les sanguinaires
perir par vne fin desastree. Ie loüe Dieu,
M. que Vostre Altesse est libre de ces horreurs.
Mais ce n’est pas assez si vous n’imprimez le caractere
de vos vertus sur tout ce qui est soubmis à
vos sainctes remonstrances, que la douceur de
Montmorency meslee auec le sang Royal des

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Bourbons, fassent paroistre à l’aduenir sur le theatre
du monde la paix & la ioye à vn peuple Chrestien
& fidele. L’Eglise de Dieu est si affligée, que
ces Autels parez de noir sont autant les témoins
de sa tristesse que la marque des ieusnes & des
souffrances de son Espoux. Voicy cette saincte
Quarantaine où vostre Altesse a accoustumé de renouueller
& redoubler ces deuotions, qui vous
coniure par les misteres de vostre salut, de le procurer
à l’vn & l’autre parti, le gemissement des
pauures auec celuy des Prophetes, penetrera t’il
point dans vostre ame si Chrestiennement instruite,
& persuadée du mal public ? n’en guerirez-vous
pas la playe pour l’amour & à l’honneur de celles
du Sauueur mon cher Maistre ? que les Predicateurs
de nostre Euangile qui preschent le pardon & la
charité sont mal écoutez, puis qu’on n’entend que
cruautez & canons. C’est sans doute que les pechez
de ce miserable pecheur auec ses semblables
sont cause de ces funestes malheurs. Mais, mon
Dieu ! ne nous chastiez pas, s’il vous plaist dans
vostre fureur. M. il n’y a point d’œuure si meritoire
pour vostre Altesse, que celle de procurer la
paix à nos dissentions, vous y sauuerez l’ame & la
vie à beaucoup de personnes desesperées, & donnerez
suiet aux Anges de chanter le merite de vos
dignes effets. Venez visiter les chers tresors de
nos seuretez, ce Prince de Conti, de qui la genereuse

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pieté est le fondement de nos vœux, & la seureté
de nos esperances. Cette grande Princesse de
Longueuille qui a donné vn nouueau protecteur à
la ville, & vne augmentation à la force d’vn Estat.
Venez voir cette sage Princesse reuerée comme la
Maistresse de tous les cœurs, & la digne fille d’vne
mere craignant Dieu. M. c’est le portrait viuant
de vos bontez qui vous demande par moy vne
paix qui reunisse vos personnes separées Mais au
dessus de tout cela, M. le sang innocent des pauures
habitans de ce Royal sejour veulent auoir
l’aduantage de vous persuader la resolution de
terminer nos alarmes. M. pressez, & emportez
l’honneur d’vne deliurance commune. Nous
auons dequoy vous attirer icy, rendez-vous aux
charmes de la nature & aux efforts de la grace.
Et tous prosternez deuant nostre Createur, nous
demanderons les recompenses de vos actions,
la conseruation de vostre Altesse, celle de nos
Princes & Princesses, & toute sorte de benedictions
sur toutes les choses qui vous sont cheres,
comme elles nous sont necessaires en Dieu, &
pour terminer les barbaries qui l’offencent.

 

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