Anonyme [1649 [?]], Lettre d’vn Bourgeois de Paris estant à la Cour, envoyée à Paris, à vn sien amy, le 26 Ianvier 1649: Sur le sujet des présens mouvemens. , françaisRéférence RIM : M0_1855. Cote locale : A_1_7.
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Lettre d’vn Bourgeois de Paris estant à la Cour, envoyée à
Paris, à vn sien amy, le 26 Ianvier 1649 :
Sur le sujet des présens mouvemens.

MONSIEVR, L’amitié que j’ay tousjours
euë avec vous m’oblige de vous faire
part des raisons que j’ay entẽduës dire
depuis que je suis arrivé à la Cour, sur le
sujet de la prise des armes par la Cour de
Parlement contre le Roy. Les plus sages,
apres avoir bien examiné cette affaire ;
demeurent estonnez, lors qu’ils voyent
que cette action est sans fondement, &
qu’il n’y a que la passion & la vangeance de quelques particuliers,
& le mécontantement qu’ils ont eu de n’avoir pû obtenir ce qu’ils
demandoyent injustement, qui a donné commancement à ce
soulévement. Ils trouvent estrange qu’vne Compagnie, qui est
juge d’vne grande partie des sujets du Royaume, ait eu si peu de
prudence, que de se laisser tromper par les aparences, & n’ait
pas consideré l’importance de l’action en laquelle on les engageoit.
Quelques-vns disent que ces Messieurs se sont laissez emporter
par la vanité de se voir employez au maniement des affaires
d’Estat, & d’estre recherchez par les peuples : Qu’ils ont
mieux aimé l’aplaudissement d’vne populace, que le jugement
honorable de leur Roy, & des plus sages du Royaume. Cependant
peu à peu ils ont jetté les pauvres bourgeois de Paris dans leur
parti, dans lequel ils ne peuvent trouver aucun avantage, mais
plustost leur perte asseurée. Ces pauvres gens ont suivi le mouvement
de ces Messieurs, qui leur avoyent fait croire, que
l’on ne devoit pas souffrir plus longuement l’administration présente,
qui alloit à la rüine de l’Estat. L’on s’estonne que ce discours
ait esté receu au mesme temps que la ville de Paris avoit
eu tant de graces du Roy, que l’on lui avoit remis jusques à deux
millions d’impositions. Car au contraire ils pouvoyent bien
connoistte par là l’amour que la Reine avoit pour eux, & que l’on
ne vouloit pas, comme ces factieux en faisoyent courre le bruit,
leur faire vn mauvais traitement, & se ressentir des mouvemens
qui estoyent arrivez peu auparavant. On dit ici que l’on avoit

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oublié tout cela, que l’on connoissoit bien qu’il n’y avoit eu
aucun mauvais dessein de la part des bourgeois de Paris, & que
les barricades qu’ils avoyẽt faites, estoyent plustost pour arrester
le mouvemẽt de la menuë populace, qu’vn dessein d’entreprendre
rien contre le Roy : & ce qui me fait croire ce discours, est
que je voy que l’on n’est point a présent irrité contr’eux, & que
la Reine dit tous les jours qu’elle est preste de retourner à Paris
avec le Roy, & d’aimer les bons bourgeois autãt qu’ils le peuvent
désirer d’vne bonne Reine, qui a tesmoigné depuis le commancement
de sa Régence jusques à présent, vne grande passion pour
le bien de l’Estat, & qui a travaillé avec ses bons conseils à donner
la paix aux sujets du Roy. Lors qu’elle a commancé sa Régence,
elle a trouvé vne guerre avec l’Espagne, qu’elle a esté
obligée de soustenir & de continüer. Les Espagnols, au cõmancement
de la minorité du Roy n’ont point voulu de paix, ils pensoyent
qu’il y auroit des troubles dans l’Estat, & qu’ils pourroyẽt
avec plus de facilité, regangner les villes qu’ils avoyent perduës,
& que nous ne serions pas assez forts pour leur résister : ils ont esté
trompez, car ils ont veu, que l’on a fait plus de conquestes sur
eux, & qu’ils ont esté plus souvent battus depuis la Régence qu’ils
n’avoyent esté auparavant sous le régne d’vn puissant Roy : Il estoit
bien difficile d’entretenir tant d’armées de tous costez sans
faire de grandes despences : & ces bonnes gens, ces bons bourgeois
de Paris ne sont pas entrez en ces considérations, & ont
creu ce que des gens plus fins qu’eux leur ont dit. Ils ne sçavent
pas que lors que la Reine est entrée dans le gouvernement du
Royaume il y avoit pres de deux années du revenu du Roy despencé
par avance, que tout son Domaine estoit engagé, & que
ce ne sont pas les derniéres dépences qui ont fait le mal ; que la
Reine avoit au commancement de sa Régence, encore qu’il y eust
beaucoup de nécessitez dans l’Estat, diminüé la taille de pres de
quinze millions tous les ans, elle avoit fait revoquer nombre
d’Edits qui alloyent à la foule des sujets du Roy, & encor à présent,
elle a bien fait connoistre combien elle les aime, & a pitié
de les voir souffrir, & combien elle désire leur soùlagement,
puis qu’elle a remis trente-quatre millions qui se levoyent tant
sur les Officiers que sur les peuples. Ce n’est pas que l’on n’en
reçoive de grandes incommoditez, & que ce qui reste soit
suffisant pour les despences de l’Estat : Mais elle a mieux
aimé retrancher d’autres despences que de continüer plus long-temps

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le mal des sujets du Roy. Ces bonnes gens avant que s’engager
à prendre les armes sous le commandement du Parlement,
devoyent considérer qu’ils donnoyent moyen à l’ennemy de la
France, de venir bien fort dans l’Estat, & d’y faire de grands desordres,
& que les forces que l’on pouvoit employer contr’eux,
seroyẽt détournées pour résister aux mauvais desseins de ces factieux
qui les ont trompez. Ie croy qu’ils cognoistront bien-tost,
qu’il y a plus d’avantage d’estre dans l’obeyssance d’vn bon Roy,
que de suivre le commandement de ceux qui se révoltent contre
luy. Auparavant tous ces mouvemens, le traffic, & le commerce
estoyent libres per toute la France, les boutiques estoyent ouvertes
dans Paris, les artisans & le menu peuple gaignoyent leur vie,
le pain estoit à bõ marché : à présent Messieurs les reformateurs de
l’Estat sont cause qu’il n’y a plus de traffic, que l’artisan ne peut
plus travailler pour gaigner sa vie, que la necessité augmente de
jour en jour, que le pain enchérit, & qu’ils n’ont point d’argent
pour en achepter, & que ces gens qui ne preschent que le soulagement
du peuple, imposent tous les iours des sommes excessives
sur eux, taxent les maisons, font des levées de deniers par violence,
lors qu’ils disent qu’ils veulent les soulager. Ils condamnoyent
il n’y a pas long-temps les impositions légitimes, & à présent
ils en font de plus dures, pour jetter ces bonnes gens dans la
misére. S’ils veulent vn peu se détromper, ils verront que l’on
les engage dans vne affaire bien malheureuse, que l’on veut leur
faire soustenir toutes les despẽces de la guerre, que ce n’estoit rien
que ces premieres impositions, qui augmenteront bien, & alors
ils sentiront trop tard leur mal. C’est vne résolution bien imprudente
pour eux de vouloir demeurer, dans la rebellion de quelques
factieux qui veulent satisfaire à leur passion, & qu’il les sacrifient
pour leurs interests. Quand ces pauvres gens, seront demeurez
encore du temps dans la desobeyssance, que peuvent-ils
espérer, sinon leur ruyne ? Il faut qu’ils reviennent tousjours
sous l’authorité légitime de leur Roy : le Parlement n’est pas pour
gouverner le Royaume, & changer cét établissement des Roys
qu’il y a si long temps qui dure : il leur est bien aisé de finir leurs
maux, ils n’ont qu’à envoyer au Roy luy tesmoigner qu’ils veullent
obeyr, & qu’ils tournent leurs armes contre ceux qui les ont
trompez, tant plus long temps, ils demeureront en l’estat où ils
seront ils augmenteront leurs maux : La misére se mettra au milieu
de Paris où estoit l’abondance : toute la campagne sera ruynée,

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& en peu de temps ils connoistront, qu’il y a grande différance
entre payer la taille au Roy & soûtenir vne guerre civile :
tout le faix tombera sur la ville de Paris : les autres villes sont en
liberté à leur aise, en demeurans dans l’obéïssance du Roy. Ces
Sénateurs qui devroyent estre plus sages que les autres & servir
d’exemple aux sujets du Roy pour bien obeïr, qui ne dévroyent
se mesler que de rendre la justice, veulent entreprendre de gouverner
vn Estat comme celui de France : ils font bien voir qu’ils
sont bien nouveaux en cette matiére : ils feroyent bien mieux de
se mesler de juger leurs procez, que d’entreprendre l’administration
d’vn Royaume où ils n’entendent rien. Ils servent bien
l’Espagne, qui leur aura vne grande obligation de ce qu’ils lui
donnent moyen de regangner toutes les places qu’elle a perduës,
& de nous faire bien du mal. Les ennemis seront bien aises
de se voir délivrez de nos gens de guerre qui estoyent dans leur
pays : ils estoyent bien pressez, & je sçay qu’ils estoyent asseurément
& véritablement en résolution de conclure la paix, si tous
ces mouvements ne fussent point arrivez. Voila le bien que nos
bourgeois de Paris reçoivent de la conduite de ses bons Sénateurs,
la ruïne de leur famille, la cessation du commerce, la nécessité
& la misére, au lieu des graces qu’ils pouvoyent recevoir de leur
Roy. Mais enfin ils peuvent finir tous leurs maux : je suis bien
asseuré qu’ils seront receus en grace quand ils voudront : qu’ils ne
différent pas, & qu’ils considérent que tous ces Généraux qui ont
mis leur argent dans leurs bources, ont chacun leur intérest particulier
à poursuivre, & qu’il ne faut pas qu’ils appuyent leurs demandes
qui vont à la ruyne de l’Estat. Ils se joüent d’eux quand
ils parlent du bien public, & de leur soulagement : ce sont des discours
qui ne passent pas les lévres, & qu’ils font pour couvrir
leurs mauvaises intentions. Ie m’asseure, Monsieur, que vous
estes si bon François, & que vous aimez tant nos concitoyens &
bons bourgeois de Paris que vous leur ferez part de mes pensées
qui sont naïfves & véritables, & qui viennent d’vn cœur plain
d’affection pour leur salut & leur liberté qui est en leurs mains :
Comme je suis, Monsieur, &c.

 

ter">Imprimé A S. GERMAIN EN LAYE.

M. DC. XLIX.

AVEC PRIVILEGE DV ROY.

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Anonyme [1649 [?]], Lettre d’vn Bourgeois de Paris estant à la Cour, envoyée à Paris, à vn sien amy, le 26 Ianvier 1649: Sur le sujet des présens mouvemens. , françaisRéférence RIM : M0_1855. Cote locale : A_1_7.