Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.
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LETTRE
D’VN
GENTIL-HOMME
DE LA COVR, A
vn Seigneur qui est à
l’Armée,

TOVCHANT L’ATTENTAT
COMMIS AVX FILLES
DIEV A PARIS,

En la personne de Madamoiselle de sainte Croix,
& toute la suite des procedures dont on a
vsé contre-elle.

A PARIS,
Chez IEAN HENAVLT.

M. DC. XLIX,

Auec Permission.

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AVX LECTEVRS

IE vous renouuelle icy la memoire d’vn
attentat, l’impunité duquel semble auoir
attiré la malediction de Dieu sur nos testes,
puisqu’elle a esté le commencement de ces
desordres, & comme l’auant-couriere des guerres ciuiles :
Ce n’est pas d’auiourd’huy que le crime sans châtiment
a arraché les foudres des mains vengeresses du Roy
des Souuerains, pour les faire pleuuoir sur la lasche indulgence
des Estats, puisque l’Histoire sacrée nous aprend
qu’vne impudicité tolerée dans la Tribu de Benjamin,
porta la malediction & l’anatheme dans toute la lignée
de ce bien-aymé d’Israël : Et fut la cause vnique de la
desolation generale de tous ses descendans. Quelque precaution
que puissent aporter les Legislateurs dans la police
de leurs Estats, il ne peut estre qu’ils n’y laissent tousiours
quelque mal-heureuse porte pour l’entrée des crimes,
lesquels ayant esté comme conceus dans la reuolte du
premier des criminels, sont enfin enfantez ou auortez par
la malice hereditaire de ses enfans ; mais il faut du moins
que ceux qui s’assoyent sur les fleurs de Lys, pour y manier
l’espée de la Iustice, n’espargnent pas à la desgainer

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contre leurs autheurs, pour faire que l’impunité ne serue
point de motif au progrez de l’insolence, & que la peur
d’vn infaillible chastiment soit la bride de ceux que l’effronterie
rend les plus determinez pour les crimes. Ie ne
doute pas que l’entreprise qui fait cette tragique histoire,
& qui a precedé le mal-heur du temps sans aucune punition,
n’ait poussé le Vengeur des attentats à s’interesser
dans la querelle de ses Temples pollus, puisque ceux que
leur rang deuoit obliger à cette vengeance, n’ont regardé
ce forfait que pour en auoir horreur, & croiser indignement
les bras, pendant qu’ils ne deuoit pas plus proferer
des paroles, que lascher des foudres pour en exterminer
& la memoire & l’autheur. C’est mon iugement, que
ie sousmets neantmoins à la censure des gens de bien.

 

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L’AMANT OBSTINÉ
DANS SES RECHERCHES ;
Et
LA FILLE CONSTANTE
EN SES REFVS.

Histoire veritable de ce Temps.

Lettre d’vne Dame de la Cour à vn Seigneur qui est à l’Armée.

MONSIEVR,

Vous auiez bien raison de le dire, qu’il est impossible de
forcer vn cœur à aymer cõtre son inclination, & de vouloir
acquerir par la violence, ce que l’on n’a peu meriter par ses
seruices. On ne nous gaigne point par les mena ces ny par les coups : & le
fer & le feu font vne moindre impression sur nos esprits qui s’en irritent,
que la douceur & les caresses qui les rendent souples, & traitables.

L’action du pauure N. en est vn exemple trop sensible. Il a creu
donner de l’amour par les menaces, & conquerir à main armée, vn obiet
dont il ne s’estoit pas rendu digne par ses sousmissions & par son merite :
Mais bien au contraire de son dessein, ce cœur qu’il eust peut-estre domté
par le temps, & par la douceur, s’est plus fortement irrité par la violence,
& il a multiplié ses refus à l’égal qu’il augmentoit ses recherches. Simple !
De vouloir acquerir vne fille malgré elle, & de croire qu’on nous peut
domter si nous ne le voulons.

Il n’est pas, Monsieur, que la Renommée qui publie indifferemment les
bonnes actions comme les mauuaises, n’ait apporté iusques à vous la nouuelle
d’vn fameux attentat que N. a formé contre vne de ces maisons
qui seruent de seiour à la Vertu, & comme d’asyle à l’Innocence
persecutée. Vous sceustes vn peu auparauant vostre depart, comme quoy
Mademoiselle de saincte Croix, de toutes les maisons Religieuses qui sont
à Paris, auoit choisy celle des Filles-Dieu, pour y viure en asseurance,
comme en vn lieu de refuge, & mettre les grilles & les barreaux pour obstacles
aux recherches de ce fascheux Amant, dont elle auoit esté si souuent
importunée, & pour seruir mesme d’opposition à ses propres desirs.
Elle y viuoit fans crainte, autant par la sainteté de la Compagnie auec laquelle
elle traittoit ordinairement comme par la protection de la Reyne

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qui luy seruoit de sauue-garde & de defence.

 

Le croirez vous, Monsieur, que tandis que vous faites si bien la guerre
contre des ennemis puissans & indomtables, ce Gentilhomme a entrepris
des silles contre lesquelles il s’est porté pour ennemy ; & qu’il a planté
le petard à la porte d’vn Cloistre, pour l’ouurir à son amour furieux iusques
à la rage & au desespoir, lors mesme que vous pointez le canon contre
vn Fort, ou contre le Boulevart d’vne place bien munie.

Il parut la nuict qui preceda la feste de l’Annonciation de la Vierge sur
les trois heures du matin, entouré d’vne troupe d’hommes, qui estoit vn
ramas de valets déguisez en Gentilshommes, où apres auoir rompu
quelques portes, & s’estre fait vne large ouuerture à trauers ces hautes murailles
qui semblent fermer le passage à l’air ; il rangea son monde comme
en vn petit corps d’armée, pour surprendre ces pauures Filles, qui ne
pouuoient se defendre que par les souspirs & par les prieres. La nuict
dont le silence & l’obscurité se diuisent par tout les actions des hommes,
fauorisant le repos des vns & le crime des autres ; estoit vne occasion assez
propre à executer auec hardiesse vne entreprise qu’ils auoient si temerairement
proiettée. Lors mesme que quelques vnes de ces bonnes Religieuses
qui s’estoient leuées deuant les autres prioient Dieu, & tandis que
les autres reposoient en silence, ils entrent par le iardin, ils se iettent dans
les cours, ils montent par les escalliers, & à l’aide de cinq ou six flambeaux
qui les esclairent, ne trouuants point ce qu’ils cherchent, il n’y a point de
si petit endroit dans cette grande Maison qu’ils ne visitent, & qui ne soit
ouuert également à leur rapacité & à leur fureur. D’abord ces gens que
l’esperance de l’impunité auoit rendus hardis iusques à l’insolence, iettent
par tout la terreur & l’effroy, autant par la seuerité de leurs regards
que par la rudesse de leurs paroles.

Representez vous de la pensée l’horreur d’vn si estrange éuenement,
de modestes Religieuses qui iamais ne s’estoient veües toutes nuës,
tant elles se cachoient à elles mesmes, furent veües courir demi-habillées
par les Dortoirs, & cherchant par tout vn refuge contre l’iniurieuse
oppression de ces soldars en colere, le trouuer seulement dans le
Chœur de leur Eglise, aupres des Autels, & entre les bras de Iesus-Christ
mesme dans l’Hostie ! Comme la pauure Damoiselle de saincte
Croix estoit le seul butin que cherchoient ces iniustes rauisseurs ; ils
épargnerent toutes les autres Filles pour se rendre cruels enuers celle-cy.
Leur despit pensa se tourner en rage, & leur colere en fureur ; lors que
dans le rencontre de tout ce qu’ils fuyoient, ils ne trouuoient pas la seule
personne du monde qui seruoit d’objet à leur passion & de but à leur entreprise.
Tout ce qu’elle peut faire en cet accez, fut qu’estant éueillée au
bruit, partie des soldats criants, partie des Religieuses éplorées ; & sçachant
assez que toute cette violence la regardoit elle seule, elle estoit secretement
échappée de la chambre où elle couchoit, & n'ayant sur soy

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que sa robbe de nuict, apres auoir trouué la porte du Cloistre fermée, elle
s’estoit cachée dans vn petit grenier auec vne ieune Religieuse qui luy
auoit seruy en cette conioncture de guide fidele, & de conduite asseurée.
La crainte & la frayeur qui nous sont si naturelles, ne luy auoient point fait
perdre le iugement, dans vne occasion où les plus moderez eussent eu le
cœur troublé & l’esprit émeu. Apres auoir deploré son malheur, d’estre
aymée d’vn homme qu’elle deuoit hair, elle ne fit point d’action qui fust
inutile, & ne dist aucune parole qui ressentist la lascheté, ou le peu de
cœur. Là estant à genoux sur vne chausse-trape entre des cottrets &
des fagots, parmi vne eschele & des cordes, tandis qu’elle attend à toute
heure que son malheureux Amant vienne pour la surprendre ; elle addresse
sa priere à Dieu qu’elle reconnoit en cette rencontre le seul protecteur
de son honneur offensé, & de son innocence iniustement opprimée.
Et apres s’estre vn peu plainte au Ciel de la rigueur qu’il luy faisoit souffrir,
de se voir si mal traitée que de tomber entre les mains de celuy qu’elle
fuyoit, & lequel, bien qu’il se portast pour Amant, elle tenoit effectiuement
pour ennemy, elle ne peut s’empescher de pleurer dans ce sensible
regret, qu’ayant tant de fois euité ses surprises, elle se trouuoit en fin reduite
à cette cruelle extremité, ou de mourir bien tost entre ses bras, ou de viure
long temps malheureuse auecque luy.

 

Vous sçauez, Monsieur, que cette violence n’est pas la premiere persecution
qu’il luy a fait souffrir : Il y a long temps qu’elle a esté trauersée de
cét homme qui la suiuie par tout où elle a peu fuir en Normandie, ou à
Paris. Depuis que la Morandiere luy fit voir cette Fille en la ville de
Caën, il y a pres de deux ans, & luy proposa dans ce parti vne riche source
de biens & de plaisirs, il n’a point cessé de la persecuter en tous les lieux
où elle a esté, & où il a peu auoir accez. Ie ne vous diray point ce que
vous sçauez desia ; ie vous escriray seulement ce que i’ay appris de nouueau ;
& puisqne nostre confidence & vostre discretion me le permet, ie
vous feray sçauoir dans le particulier, tout ce que i’ay peu apprendre de
cette affaire depuis nostre entre-veüe.

La premiere fois qu’il se presenta à elle pour luy faire offre de seruice,
fut à Caën, dans vne salle de bal, où luy ayant demandé par grace vn ruban
de sa couleur, par lequel il peust hautement s’auoüer d’estre à elle, &
portant sa liurée se mettre au rang de ses esclaues, il ne receut point alors
de response, sinon par vn sousris de desdain & de mespris, qui estoit comme
vn prejugé de ces constans refus qu’elle a fait depuis à toutes ses propositions,
& ses recherches. Il s’habilla depuis en masque au temps du
Carnaual, pour luy paraitre plus agreable dans ce deguisement ; mais elle
iugea sagement qu’vn amour veritable ne se deguise point, & que c’est
s’exposer au hazard de ne pas reüssir en cette procedure, de n’y parler qu’en
feinte, & n’y agir que par les artifices. Aussi cet Amant deguise apprit
bien tost par le refus qu’on luy fit d’accenter ce seruices, que son visage

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ne plaisoit pas, dans sa verité, ny sous vn masque.

 

Comme l’Amour est tousiours ingenieux à ses propres dommages, ce
Gentilhomme piqué encore plus fortement à la recherche de cette Fille
par ses refus, resolut de la visiter souuent, & d’abuser de la facilité de son
Pere contre elle mesme. Ayant insensiblement attiré ce bon homme à son
party par l’esperance qu’il luy donnoit de l’auancement de sa fortune à la
Cour de Monseigneur le Duc D. des bonnes graces duquel il ne se promettoit
rien moins, que de luy faire auoir la charge de Chambellan ou
de Gentilhomme de sa chambre ; il creut qu’ayant gaigné le Pere, il luy seroit
fort aisé de posseder la Fille, puisque sa volonté deuoit estre iustement
renfermée dans la sienne.

Au contraire la Mere plus iudicieuse approuuoit la conduite de sa Fille,
de ne pouuoir aymer vn homme qui la consideroit plustost par l’interest
du bien que par les qualitez de sa personne, & qui apres tout n’auoit rien en
luy de recommendable que la faueur d’vn Prince, qu’il n’auoit peut-estre
point encore du tout meritée, iugeant deslors que ce seroit appuyer sa
fortune sur vn fondement bien peu solide, que de l’asseurer sur vne alliance
si ruineuse, qui n’estoit riche que de crimes & de debauches ; & l’establissement
de laquelle pouuoit changer aussi souuent que la volonté d’vn
homme dont elle procede. Dans cette veüe elle loüa sa fille d’estre sage
& auisée deuant le temps, de ne point faire de choix qui ne luy fût egalement
agreable & auantageux, & la fortifia dans le dessein d’épouser plustost
vne grille, que plusieurs miseres auec vn homme si fort imparfait.

La premiere proposition de ce mariage auoit esté faite quelques mois
auparauant par Monsieur de Glatigny oncle maternel de la Fille, lors que
reuenant du Haure pour s’acquiter d’vne Commission qu’il auoit eüe du
Conseil, il fut mandé à Paris de la part de son A. R. qui luy ordonnoit de la
venir trouuer au plustost, pour luy communiquer vne affaire dont l’issuë
estoit autant importante à sa famille que le projet pourroit estre honorable
à sa personne. Il part sans differer, & cet ordre l’obligeant de continuer
son voyage iusqu’à Paris, il arriua assez tost pour y receuoir les ordres
d’vn Prince dont les simples volontez luy tenoient lieu de loix & de
commandemens inuiolables. Là il apprit que Monseigneur desiroit marier
sa Niece Mademoiselle de saincte Croix a l’vn de ses gens, auquel il
vouloit faire du bien, & qui se rendoit assez considerable par le choix qu’il
auoit fait de sa personne pour meriter sa faueur. Comme la response à cette
proposition ne dependoit que du consentement des Parens de la Fille
qui n’estoit pas alors en vn aage, où elle peust auoir d’autres volontez.

La Palu & la Morandiere furent enuoyez auec Monsieur de Glatigny
pour entendre la demande qu’on leur vouloit faire, & rapporter la
response qu’ils auroient renduë sur vne proposition qui leur deuoit estre
tres-auantageuse en apparence. On leur propose d’abord vne charge de
cent mille liuvres pour N. & quarante mille [3 mots ill.] pour acheter

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vne terre au nom de la fille. Cette proposition ne les surprit pas. D’abord
ils tesmoignerent de s’estimer beaucoup honorés, de ce qu’vn si grand
Prince encore plus illustre par son merite qui est extraordinaire, que
par sa naissance, bien qu’elle soit Royale, daignoit penser à eux ; Mais ils
prierent en suite ces Messieurs, de luy dire qu’ils esperoient cette grace
de la bonté de son Altesse, qu’il leur permettroit de disposer absolument
de leur fille, sans qu’elle fut donnée à vn homme qu’ils ne connoissoient
point, pour luy seruir de recompense.

 

N. qui sçeut que la responce à cette proposition, estoit aussi peu
fauorable, que son dessein auoit esté temeraire, creut que les bonnes
affaires ne se font iamais bien par commission, & qu’agissant par luy
mesme il seroit plus heureux que lors qu’il auoit traité par autruy ; Il
vient à Caen en compagnie de ces deux hommes qui luy deuoient seruir
de conseil & de secours en cette entreprise, pour se faire voir à sa
Maistresse ; esperant que la veüe de sa bonne mine gaigneroit peut-estre
plus sur cette fille que la proposition de tous ces grands auantages dont
il l’auoit flattée. Mais comme elle n’auoit eu que de l’indifference pour
le bien, elle tesmoigna du mespris & de l’auersion pour la personne, &
en l’vn & en l’autre de la sousmission & de l’obeissance à ses parens. Cet
Amant obstiné que les rebuts & les affrons sembloient rendre plus hardy,
& ne faisoient que l’irriter plus fortement à cette poursuite ; éprouua
sa passion deuenir furieuse, depuis qu’elle sentit de l’opposition & de la
resistance à ses projets. Il prend son temps, il sollicite ses amis, Il interesse
les Puissances dans son dessein. Il resoût dés-lors de l’enleuer, se
persuadant par effort de raison que lors qu’elle seroit en sa ioüissance, il
surmonteroit aisément vn courage de fille par vne passion si constammẽt
obstinée : Et qu’elle se laisseroit enfin toucher de la veüe presente de
sa douleur, que le mal-heur de son eloignement & de sa disgrace luy deuoit
comme necessairement supprimer. Il creût en effet que sa procedure
ne pouuoit estre condamnée d’entreprise, ny de ce violement iniuste
qui est punissable par les loix, puisque s’estant associé le Pere de la
sille qu’il auoit tiré à son parti, il l’auoit pour autheur & pour complice
de cet enleuement, & qu’il ne faisoit que luy prester son bras, & sa main,
pour se venger d’vne desobeissance si rebelle : appellant son mespris &
cette sage retenüe d’vne fille constante & courageuse vne secrete entreprise
contre la puissance paternelle & vne reuolte toute ouuerte contre
l’authorité des Puissances qui nous sont superieures.

Dans ce dessein il est prest de la rauir d’entre les bras de sa bonne
mere, au sein de laquelle elle demeure si inseparablement vnie & attachée.
Et il eust dés lors executé, ce qu’il auoit entrepris, si l’œil d’vne mere
adroite & clairuoyante, n’eust dé couuert ses desseins, deuant mesme
qu’ils fussent formés, & preuenu de la pensée, l’issuë & l’euenement
des choses long-temps mesme auparauant qu’elles fussent commancées.

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Pour asseurer le repos de sa fille, cette sage & vertueuse Dame
se priue elle mesme volontairement de sa veüe, & de la douceur qu’elle
receuoit de l’entretien d’vne si douce & si aymable Compagnie, & en
confie le soin & la garde à sa sœur Madame de Glatigny, à qui elle n’auoit
point de secrets qui ne fussent euidents, & à la vigilance de laquelle
elle se fust confiée d’elle mesme toute entiere.

 

Lors que chacun y pensoit le moins, cette fille est conduite aux chãps
par sa tante, où elle s’efforce de moderer la tristesse de son esprit, que
tout cet embaras de recherches & de poursuites luy auoit iustement
causée, & de divertir sa douleur dans les promenoirs d’vn beau Iardin,
où plusieurs allées qui se perdent dans vne agreable confusion d’arbres,
font vn sejour fort propre aux diuertissemens & à la Promenade. Là par
vn contraire effect de ce que la solitude ennüie, elle la diuertissoit, &
toute cette belle varieté de fleurs & de compartimens qu’elle voyoit
dans le parterre, ne servoit qu’à attacher sa pensée inuariablement à ce
dessein de demeurer inflexible à toutes les poursuites de ce vain & importun
seruiteur qui demeuroit d’autant plus obstiné dans ses recherches,
qu’elle paroissoit constante en ses refus.

Mais helas ! tandis qu’elle ioüit à la Campagne de la douceur d’vn
profond repos ; on luy prepare d’estranges combats à la cour ! Son Pere
ébloüy par le faux éclat d’vne esperance trompeuse qui seruoit d’obiet
à son ambition & de but à son auarice, porte sa facilité, iusques au point
d’accorder des articles pour le mariage de sa fille, sans qu’elle mesme les
aye veüs. Il traite pour elle d’vne Conuention qu’elle ignore, & qu’elle
ne veut pas, il se rend luy mesme le rauisseur de sa fille qu’il veut donner
malgré elle à son ennemy. Il vient d’Amiens à Roüen en carrosse de
relais pour preuenir la preuoyance de sa femme & toute la cõduite de sa
fille. Mais il éprouue l’vne & l’autre plus actiue que toute sa diligence.
Il n’est pas encore arriué qu’elle s’est dé-ia retirée secretement en vn
lieu où il n’y a que Dieu & les Anges qui puissent trouuer de la confidence,
& où les pistoles ne peuuent non plus penetrer que les Canons.
Le depit qu’il eut de voir son esperance frustrée, sa promptitude vaine,
ses soins inutiles, & les empressemens de son voyage infructueux pour
reüssir en son dessein, fit qu’il changea ses artifices en colere, & toute
sa conduite en violences & en menaces. Ayant formé le dessein de la faire
enleuer en quelque endroit qu’elle peust estre, il en laisse l’execution
à N. & à ses Complices, qu’il fait seruir d’instrumens à sa Passion.

Il est bien vray que l’amour est tousiours defiãt & ombrageux. Il craint
iusqu’à ses propres soupçons, & il n’y a pas iusqu’à sa peur qui ne luy cause
du trouble & de la defiance. Lors que les ennemis luy manquent, il
s’en forme luy mesme en idée pour les combatre : cet homme qui vouloit
seruir de ministre à la colere d’vn Pere irrité, luy qui ne pouuoit non
plus viure sans ennemy que sans maistresse, & dont le cœur estoit tousiours

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partagé entre la haine & l’amour, il ne craint point de desobliger
tout le monde pour se satisfaire luy mesme, & contenter sa passion en
deplaisant à celle, qui estoit l’vnique l’obiet de son amour. Comme dans
l’incertitude de ses pensées il prenoit tous ses soupçons pour des verités
constantes & indubitables, il s’imagina que celle qu’il cherchoit
auec tant d’empressemens & de soins, estoit cachée au logis de
Monsieur du Boisle Maistre des Comptes de Roüen, qui estoit vny
à ses interests encore plus fortement par vne liaison d’esprit & d’amitié,
que par l’affinité du sang & de la nature. Dans ce trouble il entre à main armée
en ce logis où tout estoit paisible, & n’ayant laissé aucun endroit
qu’il n’eust ouuert à la curiosité de ses recherches, il n’y rencontra que la
honte d’vne si temeraire entreprise, & que le regret d’auoir inutilement
cherché ce qu’il ne trouuoit pas. Et certainement ce fut en cette
occasion où il reçeut de Monsieur l’Intendant de la Iustice en Normandie,
vne insigne faueur sans la connoistre, dautant que le bourgeois
du cartier s’estant mis en armes pour s’opposer à la violence de ces
cruels & iniustes rauisseurs ; si on luy eust permis, il les eust déslors facilement
empeschés de commetre les crimes dont ils se sont depuis rendus
coupables. Tout ce qu’ils peurent faire en cete rencontre, fut de n’estre
point tués, autant par la multitude que par la colere du peuple.

 

I’ay peine de croire moy mesme ce que ie vous escris (Monsieur)
tant il surpasse la creance, bien que ie ne vous die rien dont ie n’aye des
tesmoignages aussi asseurés que la verité mesme le peut estre. Tant d’affrons
& de rebuts ne furent point encore capables d’ébranler le courage
de cet Amant furieux & desesperé, qui deuenoit plus hardi par ces
refus, & plus presomptueux par tous ses mespris ; bien-loin de luy faire
perdre l’esperance de sa proye & de luy oster absolument le dessein qu’il
auoit d’estabir sa fortune, en ruinant l’avancement de celle qu’il faignoit
d’aymer & qu’il traitoit deslors comme son ennemie. Ne pouuant
rien cõtre elle par la force des armes, il l’attaqua enfin par les voyes
de la iustice. Trop credule ! d’esperer d’obtenir par l’equité ce qu’il
n’auoit peu gaigner par toutes ses violences, il se sert du nom de Monsieur
le Marquis de saincte-Croix, de l’humeur duquel il abuse à ses propres
dommages, pour obtenir arrest du Conseil, par lequel il fut ordonné
à la mere de la fille de la conduire de Rouen à Paris, esperant qu’il pourroit
executer aysement sur le chemin & à la Campagne, ce qu’il n’auoit
peu acheuer à la ville & dans sa maison.

Cependant pour flechir l’esprit de la mere à ses volontés, il complote
auec ses associez de la trauerser en tout ce qu’ils pourroient. Ils
font saisir son bien, ils ruinent ses suiets de gens de guerre, ils exercent
enuers elle toutes les vexations dont ils peurent s’auiser, de sorte que
l’on peut dire que dés-lors s’ils épargnerent contre elle quelque cruauté,
c’est qu’ils ne la connurent pas.

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En ce temps cette ieune Damoyselle en qui la beauté faisoit ne
agreable alliance auec la vertu, se voyant tous les iours au hazard de
tomber entre les mains de son ennemi, resolut de pourvoir à sa seureté
par la fuite, & de se retirer dans vne maison Religieuse qui seruiroit en
mesme temps d’asile à son Innocence & d’exemple à sa Pieté. Pour ce
suiet elle choisit la maison des Vrsulines de Roüen comme vn seiour
plus conuenable à son humeur qui estoit paisible, & plus propre à la
commodité de ses affaires, à cause de la presence de ses proches & du
voysinage de sa mere, choisissant plustost de viure hors du monde en
asseurance, que d’y viure plus long-temps dans le peril.

C’est vne inclination si propre des grandes ames, de fuir la foule du
monde & l’embaras des affaires pour estre seule auec soy mesme, sans
autre compagnie que de ses pensées & de leur obiet, que l’on a veu autrefois
de grands Princes quitter volontairement tout l’eclat de leur
Palais, pour chercher l’horreur d’vn desert, & que l’on voit encore
auiourd’hui nostre Reyne incomparable preferer souuent la solitude
d’vn cloistre & d’vne cellule Religieuse, à toute la pompe de la Cour &
aux delices de la promenade & du Cours. Le repos de la solitude a ie
ne sçay quelles douceurs innocentes qui ne se trouuent point dans
l’entretien des Compagnies, où il est tousiours comme ineuitable de
donner de l’ennuy, ou de le receuoir. Le Sage n’agit iamais plus noblement
que lors qu’il est seul, son repos mesme est occupé & son loisir
est tousiours plein de soins releués & de grands emplois. Aussi cette
ieune Damoiselle pour estre renfermée, ne demeure point oysiue. Elle
n’agit iamais auec plus d’actiuité que lors quelle semble estre dans
l’inaction, faisant voir en sa conduite la verité de cette parole ancienne,
Qu’il n’est point d’occupation qui ne cede au loisir du Sage !

De sa cellule & de son cloistre elle agit en Heroïne & en Conquerante.
Elle presente requeste au Conseil, afin que l’on pourueust à sa seureté ;
& comme toutes ses demandes estoient raisonnables, elle ne fait point
de proposition à cette auguste Compagnie, qui ne soit aussi-tost suiuie
de son effet, selon l’inclination de ses desirs. Et sans doute qu’elle eust
aisément obtenu l’effet de toutes ses poursuites, si par la faueur que son
ennemi trouua pour lors à la Cour, où l’on donne souuent aux crimes
& à l’iniustice ce qui n’est deu qu’au merite & à la vertu, il n’eust peruerti
l’ordre de la Iustice, ayant obtenu des lettres du grand seau, par lesquelles
il fut ordonné à Monsieur le Premier President du Parlement
de Roüen, de la mettre entre les mains d’vn Exempt & de deux gardes,
pour estre de là conduite à Paris.

Quelque iuste occasion qu’elle eust de rompre, ou de differer ce
voyage pour l’interest de sa Conseruation, ou de sa santé, il fallut partir
auec l’accés d’vn fieure quarte & auec les tristes restes de la rougeole,
cette maladie qui teint le visage d’vne rougeur immoderée qui n’est

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pas de la pudeur ny de la vertu ; autrement il eust fallu passer pour rebelle
aux ordres des superieurs, que l’on ne peut enfraindre sans vne espece de
reuolte, ni mesme les retarder sans quelque sorte de desobeissance. Tout ce
qu’elle peût faire en cet accez ; fut qu’ayant présenty la malice de son Persecuteur
dans la poursuite de cet iniuste dessein, de vouloir rompre vn ordre
qu’il auoit fait luy-mesme, & l’appellãt à Paris de l’enleuer sur le chemin ;
Elle resolut auec sa Mere de s’opposer puissamment à tous ses efforts,
& les rendant inutiles, les faire tomber sur leur autheur. Cette Dame prudente
& auisée en moins de vingt & quatre heures qui luy furent données
pour dresser tout l’appareil de ce voyage, mesnagea si vtilement tous les
momens de ce temps precieux, qu’elle amassa pres de trois cens Gentilshommes
qui peussent seruir d’escorte à sa fille, & d’asseurance mesme à ses
Gardes. En quoy certainement parut d’vn costé la iustice de sa cause, qui
se trouua si puissamment authorisée d’vne prouince entiere ; Et d’ailleurs
l’affection de la Noblesse à son seruice, se rendit si sensible, que toute cette
belle troupe ne sembloit estre composée que d’amis ou de Parens.

 

A peine le carosse, qui conduisoit en deux personnes toute la fortune
de ce Courtisan malheureux en ses amours, estoit sorti des portes de la ville,
qu’vne troupe de cinquante Gentilshommes s’approche de la portiere,
& saluë celles ausquelles ils deuoient seruir en mesme temps de compagnie
& de defense. Il n’y eut que ses Gardes & leur Exempt, qui furent
alors surpris de la peur. Cet obiet qui estoit par tout rauissant, donnoit à
ceux qui le consideroient plus d’amour & de respect, qu’il ne leur causoit
de terreur & d’épouuante : Et à voir l’asseurance de leur visage, on iugeoit
assez qu’ils portoient par tout le peril, & qu’ils le faisoient eux mesmes. Ils
n’auoient pas encore fait vne lieüe de chemin, qu’vne seconde Troupe se
ioignit au carosse, encore plus leste que la premiere, laquelle par les cris
d’allegresse, & par les demonstrations de respect qu’elle rendit aux Dames,
parut aussi tost estre amie. Ceux-cy furent suiuis d’vn gros de Caualerie,
où il estoit difficile de discerner par les armes le maistre de son valet, pource
qu’ils estoient tous également bien armez. Toute cette belle Troupe
marchoit deuant & apres le caresse dans vn ordre si reglé, qu’elle sembloit
auoir la multitude d’vne armée iusques dans l’appareil d’vn triomphe.
Cette florissante Noblesse que l’on doit auouër estre l’vne des plus belles
& des plus lestes de ce Royaume, ne tenoit point d’autre rang en cette
rencontre, que celuy que l’agilité de leurs cheuaux leur donnoit sans debat
les vns sur les autres : & de vray leurs casaques en broderie ou chamarrées
d’or, faisoient assez iuger qu’ils estoient plustost equippez pour le
repos de la maison, que pour vn voyage d’entreprise & de combat, n’estoit
qu’en cette occasion ils conseruoient à la campagne la mesme bien-seance
& les mesmes deuoirs de ciuilité, qu’ils gardoient d’ordinaire à la Cour.
En cet estat ils arriuent à Paris, n’ayant par tout éprouué dans leur chemin,
qu’vn accueil fauorable des amis, & de ceux mesmes qui leur estoient contraires,

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personne n’osant alors paraitre pour s’opposer à leur dessein, ou se
declarer d’vn party qui estoit contraire à celuy de la force & de la vertu.

 

Du carosse elle descend à Paris, d’vn mesme pas au Monastere des
Filles-Dieu, où par la bonté de la Reyne elle croyoit auoir trouué vn seiour
de repos, & vn autel de refuge. Là il fut permis à N. de la visiter sans
crainte d’irruption ou de violence. Mais il y entendit tousiours de sa bouche
l’arrest de sa condemnation, trouuant cette fille genereuse dans vne si
constante resolution de le mespriser, & de n’auoir que de l’auersion pour
luy, que toute autre obstination que la sienne en eust esté facilement rebutée.
Mais comme on se porte naturellement contre les refus, & que le courage
croist dans la poursuite d’vne affaire à la mesure de sa difficulté, cet
homme obstiné ne quitte point pour cela l’esperance de revssir en son dessein ;
pour ce que dans cette procedure si la Mere de la Fille luy est contraire,
il a son Pere pour fauorable. Tournant l’esprit de cet homme facile
à tous ses desirs, il le conduit luy mesme aux Filles-Dieu, & le contraint
d’vser de menaces contre sa Fille, & de dire qu’il la traitera en des-obeissante
& en ingrate, si elle ne consent à ses volontez ; & luy propose le choix
d’espouser ce Gentilhomme ou vn Cloistre. Elle qui se croyoit indigne
de l’vn, & que l’autre estoit indigne d’elle, reietta également l’vn & l’autre,
& tenant en ce suiet les menaces & les prieres pour indifferentes, elle
rendit tousiours par son refus, les vnes inutiles, & les autres mesme nuisibles
à leur autheur.

D’ailleurs, dautant que par les pressantes sollicitations de la Mere, le
Parlement estoit sur le point de luy donner absolument la disposition libre
& entiere de sa Fille, & deroger ainsi à la puissance du Pere, qui sembloit
s’en estre rendu indigne, iusqu’à en abuser contre luy mesme, ceux que cet
arrest deuoit choquer, resolurent de le preuenir par leur surprise, & de mettre
cette vertueuse Dame en lieu, où elle ne pourroit plus trauerser leurs
iniustes desseins. Quel exemple pareil peut on lire dans l’histoire des choses
passées, & en verra-on iamais de semblables dans les Annales de la posterité
future, qu’vne Mere soit enleuée pour sa Fille, & qu’on tienne l’vne
prisonniere dans le dessein de mettre l’autre en liberté ! Vous souuenez
vous, Monsieur, de l’auoir iamais leu dans les liures, ou de l’auoir ouy dire
de bouche, qu’on ayt gaigné vne Fille en tourmentant celle de qui elle
tient le bon-heur auec la vie ? Et il est vray pourtant que la violence de
N. & de ses complices a passé à des excés de rigueur, où la pensée des hommes
n’a peu atteindre, en ce qu’il a offensé par vn mesme crime le respect
& l’amour deu à nostre sexe, & qu’il a voulu forcer l’vne d’entre nous, pour
s’assuiettir toutes les autres.

Il est vray, Monsieur, il le faut aduoüer, nostre liberté ne souffre point
de chaines. On peut bien contraindre le corps, mais nostre ame demeure
tousiours libre iusques sous les fers & dans les prisons. Cette indifference
de vouloir ou de ne vouloir pas, d’agir ou de n’agir pas dans ses contraires

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est si absolument à nous, & nous est vn bien si propre & si legitimement
acquis, que nous ne le deuons pas mesme à nos Parens & à nos Princes.
Et par vne nouuelle espece d’attentat, qui n’a point de semblable dans
l’histoire, cet homme que l’amour aueugloit, a presumé de tirer le consentement
d’vne Fille, en violentant la volonté de sa Mere. L’apparence !

 

Cette bonne Mere alloit à ses visites ordinaires, qui ne s’estendoient pas
plus loin que de son logis aux Filles-Dieu, lors que par vne approche soudaine
& impreueue elle voit entourer son carrosse de quinze ou vingt Caualiers
qui auoient plustost mine de filous que de Gentilshommes, &
dont le regard cruel & farouche portoit l’horreur de leur crime dans les
yeux, & faisoit assez voir qu’ils estoient voleurs ou meurtriers, ou peut estre
l’vn & l’autre. D’abord ils font descendre le Cocher, & se iettent à la foule
dans le carrosse, ou le plus hardy d’entre-eux violant le respect deu au
merite & à la naissance d’vne Dame si vertueuse, la saisit à la gorge,
comme pour l’estouffer, & luy ferme la bouche pour luy oster par vne mesme
rigueur la liberté de se defendre & de se plaindre. Il n’y a point de
violence qu’ils ne luy fassent souffrir en cet accez, pour la reduire au poinct
de n’attendre plus de secours, ny de receuoir autre soulagement que celuy
qu’ils luy voudroient donner. Mais refusant encore vn si iniuste remede,
iusques dans l’extremité de sa douleur elle n’en voulut tirer que des souspirs
qui estoient les seuls tesmoins de ses peines, & les chers confidens de
sa douleur. Trente Caualiers se firent ce iour-la de ses Gardes pour la
conduire iusqu’a Grosbois, qui est vne maison de Monseigneur le Duc
d’Angoulesme, lequel bien esloigné d’approuuer cette action, qu’il ne la
sceuë que long temps apres qu’elle s’est passée. L’ayant enfermée dans
vne chambre à l’escart, ils luy donnerent pour Geoliers quatre de leurs
gens des plus determinez à entreprendre & à mal faire, dont les paroles
n’estoient que blasphemes ou que menaces, & leurs actions qu’insolence
& que cruauté. Pourrez-vous croire, Monsieur, que dans cet estat de misere
& de rigueur, ou ils la tinrent douze ou quinze iours enfermée, & luy
dirent tout ce que la modestie & le respect ne peut souffrir d’estre escrit ; ils
luy refusoient vne consolation, laquelle on accorde aisement aux plus miserables
iusques dans les cachots ; comme elle demande vn liure pour diuertir
son esprit par la lecture, & soulager sa douleur par les maximes de
l’Euangile ou de la Philosophie, ils luy presentent le bout d’vn pistolet,
comme pour ne luy parler qu’à-trauers le feu, & par la bouche de la mort
mesme.

Encore dans cet estat d’affliction elle ne fut pas tant touchée du sentiment
de sa misere, que de la crainte des peines de sa Fille, craignant iustement
qu’ils n’exerçassent sur la Fille la mesme violence dont ils auoient vsé
contre la Mere. Ils ne furent gueres plus doux enuers l’vn de ses hommes
qu’ils l’auoient esté enuers sa Maistresse. Ce pauure garçon qui luy seruoit
d’Escuyer, s’estant efforcé de la defendre, fut pris auec elle dans le carosse,

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& apres l’auoir tenu long temps enfermé au fond d’vne caue qui luy
seruoit de cachot, ils l’y laisserent trois iours entiers sans manger. Cruels !
de faire ainsi vn supplice de la vie, pour le faire mourir. Encore punirent-ils
sa faim par elle mesme, en ce que renouuellant le supplice de Tantale,
ils attacherent de l’eau & du pain, en vn endroit où il ne pouuoit pas atteindre ;
sa douleur se rendant d’autant plus sensible, qu’il voyoit son remede
present & n’en pouuoit vser.

 

En ce temps, Madame de Glatigny, Tante maternelle de cette courageuse
Fille, qu’elle aymoit encore plus fortement par le mouuement d’vne
inclination raisonnable, que par la proximité du sang & de la naissance qui
est fortuite, vint à Paris pour luy rendre en l’absence de sa Mere tous les
deuoirs de pieté, qu’elle en eust peu raisonnablement attendre. C’estoit
vne ieune Dame douée de toutes ces belles & éclatantes qualitez qui peuuent
rendre vn sujet aymable, & en qui la beauté du visage qui estoit rauissante,
disputoit encore du prix de l’excellence auec la douceur d’vn
naturel, qui estoit charmant ; apres auoir rendu à sa Niece tous les bons
offices qu’elle eust peu exiger de sa propre Mere, partageant auec elle sa
peine & son repos ; & s’interessant si vniment en tout ce qui la touchoit,
qu’elles auoient toutes deux les mesmes ioyes, & les douleurs communes.
Par les longues assiduitez qu’elle luy rendoit tous les iours en ses visites,
elle contracta cette maladie de contagion qui se prend par le commerce,
& qui ne sçait pas discerner de la qualité de l’aage, non plus que de la condition
du merite. La petite verole qui auoit penetré dans le Couuent par
les grilles, n’auoit point esté capable de faire quitter le Cloistre à cette Fille
genereuse, qui n’y estoit engagée que par l’interest de l’honneur, preferant
en ce doute d’estre exposée au péril de perdre la vie, plustost que de se
voir au hazard de perdre l’innocence. Sans prendre elle mesme ce mal, elle
le donne à sa Tante par la communication ; de vray la beauté n’exempte
pas les Dames des indispositions qui sont communes à toute l’espece,
& la mort non plus que les maladies ne sçait point discerner entre la laideur
& la bonne mine. Aussi cette laide & cruelle maladie, qui procede
aux ieunes gens de l’impureté d’vn sang grossier, qui leur a serui long tẽps
de nourriture dans le sein maternel, surprit cette ieune Dame en vn aage
auquel son visage luy donnoit l’empire & la souueraineté des cœurs, que
sa naissance luy auoit refusée. Ce funeste accident toucha extremement
cette fille, & luy fut d’autant plus sensible qu’elle creut en auoir esté la cause,
accusant son malheur d’auoir donné par contagion à sa chere Tante vne
si cruelle maladie, sans l’auoir prise. Ce pendant cette corruption des humeurs,
apres auoir alteré les qualitez secretes d’vn temperament si delicat,
perd toute la composition exterieure du visage, & gaste la beauté du
corps par les mesmes principes, qu’elle en ruine la santé. Ce secret poison
s’estant insinué peu à peu dans les veines, se produit à la fin au dehors sur le
visage, dont il dilate les chairs par des pustules qui semblent tenir de l’vlcere,

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& enfle la peau par les tumeurs que l’on pourroit prendre pour
autant d’apostumes qui effacent si fort la figure exterieure de tout le
corps, que le regard seulement n’en est pas supportable. Enfin aprés
auoir esteint la viue flame de ses yeux, qu’elle rongea absolument iusqu’à
ces petits ligamens qui les tiennent attachés, elle passa insensiblement
dans le cœur, d’où elle chassa peu à peu la chaleur auec la vie.
Ce fut à la nouuelle de ce funeste accident que cette fille éplorée accusa
le sort de la laisser en vie, & qu’elle ne souhaita plus de suruiure à
son mal heur, se voyant priuée par vn mesme accident d’vne chere
Tante & d’vne bonne Mere, & se trouuant ainsi reduite à vne double viduité,
sans estre marieé.

 

Présque en ce mesme temps Monsieur le Duc d’Angoulesme mieux
informé de la procedure de N. que la priere & l’interposition de ses
amis luy auoit fait croire iusques à lors estre iuste, regretta beaucoup
que sa maison, qui n’auoit iamais seruy que d’asile à la Vertu, eust serui
en cette rencontre de prison à l’Innocence persecutée. Et ayant escouté
fauorablement les plaintes d’vne mere interessée à la conseruation de sa
fille, il ne la traita plus en Prisonniere ; mais comme vne Personne amie,
& voulut que sa Cour luy seruit plustost de retraite que de geole. Enfin
ces violens autheurs de tant d’enleuemens & de surprises, voyans que
tous les moiens qu’ils avoient employés pour nuire à leur partie, estoient
tombés sur eux-mesmes pour leur nuire plus sensiblement, & que ce
grand cœur dont le courage surpassoit l’aage & le sexe, se fortifioit
par les perils, au contraire d’en d’euenir plus foible ; & bien-loin de
relascher de la constance de ses resolutions que tant de mauuais
traitemens faits à sa mere, laquelle elle aymoit plus que sa propre vie,
luy donnoient encore plus d’horreur & de hayne pour son Persecuteur,
qu’elle ne consideroit plus comme Amant, mais comme ennemy, ils
resolurent de porter leur rage iusques au comble du desespoir, & de
ioindre en vn seul crime l’attentat au sacrilege, offensant en mesme
temps Dieu, la Reyne & le Parlement, & pour tout dire en deux mots,
l’Estat & l’Eglise, qui se trouuent également interessez à la conseruation
de tous les lieux saincts, & nommement du Monastere des Filles Dieu
de l’ordre de Fonteurault, estably en cette ville, Rue S. Denys, lequel
depuis S. Loüis son fondateur, n’est point décheu du premier éclat
de la saincteté qui l’a veû naistre, & ainsi que l’on espere ; il n’en décherra
point soûs la conduite d’vne si sage, si vigilante, & si iudicieuse Princesse,
comme est celle qui gouuerne auiourd’huy tout l’Ordre. Voicy à
peu prés comme la chose arriua.

A peine la mere estoit en liberté, qu’elle se trouua plus que iamais au
terme de voir sa fille reduite en seruitude. Son ennemi, de qui le courage
ne se rebute point par tous ces refus, aprés tant d’inutiles efforts, forme
en son esprit vn dessein dont l’executiõ paroissoit d’abord aussi aisée, que

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le proiet en estoit hardy, & se promet à ce coup la possession de sa maistresse
autant ineuitable, comme l’issue & la conduite de ce dessein luy
sembloit infallible. Fortifié encore moins du credit qu’il auoit en cour,
que de sa propre hardiesse, il prend le temps que la Reyne estoit allé
accomplir son vœu à Chartres, & que Madame de Fonteuraut faisoit
sa visite à Hautebruiere ; il assemble ses amis & se porte chef d’vne
Compagnie, qui estoit plustost vn ramas de gens associés dans vn mesme
commerce de crimes, qu’vne troupe reglée de Soldats & de Capitaines.
Comme par vn secret reproche de leur crime qui ne souffroit
point de tesmoin qui ne fust complice, hors leur chef & Sainct-Ange
qui se portoit pour son Lieutenant & qui estoit le plus enragé ministre
de sa fureur, ils estoient tous masqués, tant pour n’estre pas connûs que
pour ne se connoistre pas l’vn l’autre ; Ainsi ils s’estoient couuert le visage
d’vn autre encore plus hydeux, qui dans la laideur de sa figure representoit
la brutalité des mœurs de ceux qui le portoit. A l’heure
donnée, qui estoit bien auant dans la nuit du vingt cinquiesme de
Mars, ils se trouuent tous à la muraille du monastere des Filles-Dieu,
qu’ils attaquent auec vne pareille ardeur, comme si c’estoit vne ville
bien retranchée de bouleuars & de fossez. Cette trouppe mutine
animée par l’exemple & par la parole de leur Chef, entre confusément
dans ce lieu sainct, tandis que le Perede la fille attend à la porte, où l’on
auoit dressé deux corps-de-garde, le succés d’vne entreprise si perilleuse.
En quoy il est incertain d’asseurer s’ils violerent plustost par ce crime, la
foy publique qui tient ces maisons pour des lieux de refuge, ou la
saincteté du cloistre que l’on ne peut profaner par vn accés trop libre,
à moins que de se rendre coupable d’vn sacrilege.

 

De vray le respect que l’on doit porter aux cloistres, est le second aprés
celuy que l’on doit rendre à Dieu, auquel ils sont consacrés, Et l’iniure
qui leur est faite, est presque dans le mesme rang de malice que celle
qui attaque sa Diuinité par le blaspheme, & sa saincteté par le sacrilege.
Ie vous auoüe (Monsieur) que ie fremis à la seule pensée de l’action
que ie vay raconter laquelle offense aussi griéuement la veneration des
autels deuant lesquels elle fut faite, comme elle choque directement
le respect deu aux vierges consacrés à Dieu par les vœux.

Desia la frayeur & l’effroy estoit par tout le Monastere, & les cris
estoient confus de ceux qui donnoient l’épouuante, & de celles qui la
receuoient. La pauure Damoyselle de saincte-Croix demeuroit encore
cachée au plus haut lieu d’vn galetas dont elle pensoit auoir bien fermé
l’entrée, ayant tiré aprés soy l’eschele qui luy auoit serui d’escalier & de
montée ; à tous les bruits qu’elle entendoit, elle s’estimoit perdüe &
croyoit estre desia prise au mesme temps qu’on l’approchoit. Dans la
iuste apprehension de voir ses proiets inutiles, N. soit de rage, ou de
dépit, de ne la rencontrer pas en sa chambre, auoit fait prendre tout

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ce qu’il auoit trouué de ses hardes & de ses habits sur sa table, mouchoirs,
& cornettes de point de gennes, tresses & passemens, iusqu’à
son corps de juppe, comme pour se satisfaire en quelque façon d’auoir
ses habits, ne la pouuant pas auoir elle mesme. Elle cependant, que la
fieure n’auoit point quittée depuis plus de deux mois, estoit demi-nüe
dans ce grenier & trembloit autant de peur que de froid. Et certainement
il est à croire qu’elle eust eschappé pour ce coup des mains de ses
ennemis, & que la prison volontaire, où elle s’estoit engagée, leur
eust esté du tout inconnüe, si les seruiteurs du logis luy eussent esté
aussi fideles que leurs maistres.

 

Mais helas ! ou est ce que la trahison ne penetrẽ pas, où l’or peut
auoir de l’accés ? & qu’il est vray qu’vne ame de Valet à des qualités biẽ
differentes de celles d’vn Honneste homme ! Vn miserable Iardinier
ébloüy par l’éclat de l’or & des pistoles qu’on luy met à la main ; comme
par la necessité de son trauail il auoit vne libre entrée dans cette maison,
où elle estoit fermée à tout autre, qu’à luy ; sçachant par tout les
entrées & les issues, les adresses & les lieux à l’écart, aprés auoir inutilement
visité tout les endroits où il pensoit que cette pauure Damoyselle
se fust retirée, il les conduisit enfin au lieu qui luy seruoit de retraite ;
d’où ayant enfoncé la porte à force de coups, ils la firent sortir
auec la mesme violence, qu’ils y estoient entrés.

Dispensez-moy (Monsieur) de vous dire quels cris on entendit
alors, & quelles pleurs furent versées en cette rencontre, en laquelle il
estoit ineuitable de pleurer de compassion ou de douleur ! A la veüe
d’vn obiet si triste, cet Amant desesperé, plus raui d’aise que s’il eust
gaigné vne bataille ou conquis vn Empire ; A moy (dit-il) Amis ! nous
la tenons ! La pauure fille, qu’eust elle fait en vne occasion où les courages
des hommes les plus forts & les plus resolus eussent perdu toute
leur constance ? Faisant arme de tout ce qu’elle rencontroit de fauorable
en son mal-heur, tantost elle sautoit à l’épée de l’vn, puis elle prenoit
le Pistolet de l’autre, tenant pour amy celuy qui dans cette rencontre
luy seroit le plus cruel, & inuoquant souuent la mort qui ne
l’exauçoit pas. Elle auoit prié la Nouice sa confidente & sa compagne
en cette occasion, de la tenir tousiours estroitement embrassée dans ce
combat qu’elle deuoit souffrir pour luy rendre ses peines communes,
& à ses ennemis sa prise plus longue & plus difficile. Aussi quelques
efforts de bras & de mains qu’ils peûssent faire pour les disioindre, ils ne
la peurent iamais détacher de celle qu’elle tenoit si estroitement embrassée,
iusques à ce que par vne effronterie qui offense toute la pudeur
& qui feroit rougir les Anges mesmes, s’il auoient vn corps, ayant renuersé
à cette Nouice sa chemise sur la teste ; la honte de se voir nüe, obligea
cette pauute fille à quitter son associée pour pourueoir à elle mesme.
Alors cette genereuse & constante Damoyselle se voyant disiointe

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de celle à qui elle eust voulu tousiours estre inseparablement vnie ; à
son defaut, elle s’attacha plus fortement à vne piece de bois qui tenoit
le comble de la maison, comme pour luy seruir en cette rencontre de
bastion & de rampart. Et en effet elle y demeura si lõg-temps & si fortement
attachée que cinq ou six hommes ensemble eurent peine à l’en separer,
aprés plus d’vn quart d’heure de combat & de resistance. Mais
à la fin elle fut contrainte de ceder à la force & à la multitude, dont les
vns luy tenoient les pieds & les autres les bras, vn troisiesme qui luy portoit
la teste, plus étourdy que tous les autres, la laissa tomber si rudement
qu’en ayant ressenty pour lors vne douleur tres violente, elle ne s’est
point encore du tout appaisée par la longueur du temps, ny amoindrie
par la violence du mal. Tandis qu’à chaque pas elle se pasmoit de douleur
& de tristesse, son miserable Assaillant triomphoit d’aise, de se voir
au plus haut poinct de ses desirs & en possession de celle qu’il auoit si
long-temps inutilement pour suiuie. Il s’efforce premierement de la
consoler par la douceur de ses paroles, & tesmoigne luy mesme qu’il
improuue son action en ce qu’elle ne luy plaist pas. Mais elle d’vn regard
furieux & farouche Tu n’as que le corps (dit elle) la meilleure partie
de moy mesme est ailleurs ; En vain tu penses me tenir, sçaches qu’vn poignard
diuisera vn iour cette affaire entre nous. Cependant ils la tirent de là, de gré
ou de force, & la traisnant impitoyablement de degrés en degrés
ils luy font souffrir tant de douleurs dans vn seul supplice, qu’on peut
dire en verité qu’ils surent beaucoup cruels en ce qu’ils ne la tuerent
pas. L’vn la tient par la robbe, l’autre la tire par le bras, tandis qu’elle
s’embarasse entre tous les deux qu’elle ne veut ny preceder ny suiure,
où ils la veulent mener.

 

Considerant que le temps pouuoit apporter quelque remede au peril
où elle se trouuoit, elle leur en fait perdre le plus qu’elle peut, & se fait
traisner par tout au lieu de les suiure, s’attachant à tout ce qu’elle rencontroit
d’embarassé & de difficile en son chemin, pour leur faire peine
en s’en faisant à elle mesme. Enfin apres auoir souuent échappé de
leurs mains, & soit au iardin ou dans le logis, apres auoir resisté au de
là du sexe & de l’aage, on peut dire qu’elle fut plustost lassée que vaincüe,
& tombant à chaque pas elle fit voir que la rigueur de leurs coups
plustost que l’acces de sa fieure luy causoit cette deffaillance. Encore
dans ce desordre ne perdit-elle iamais ny le cœur ny le iugement, pour
se defendre de leurs coups, ou pouruoir à sa conseruation.

Ne croyés pas (Monsieur) que ie die rien icy dont ie n’aye des
preuues aussi certaines que la veüe, & dont ie ne puisse donner des tesmoignages
aussi asseurés que ceux que l’on peut acquerir par l’experience
des sens. Estans arriués au pied de la muraille qui sert d’enceinte
au Monastere, ce sur là où sa constance deuint plus forte par le plus
grand peril, & comme ils redoublerent tous leurs efforts pour la perdre,

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elle sembla croistre en courage pour échaper de leurs mains. Apres
auoir employé inutilement toute leur force pour la faire monter sur une
eschele qu’ils auoient dressée à la muraille, ils luy presenterent au bout
d’vn pistolet la mort toute presente, si elle ne faisoit ce qu’ils ordonnoient
contre elle-mesme, Bourreaux (dit-elle alors en sousriant) [Illisible]
grace que i’attends de vostre cruauté, pour[Illisible]
[1 mot ill.] repos !

 

Cependant tout le Quartier s’amasse au bruit, le peuple [1 mot ill.] au son
des Choches pour appaiser vn plus grand incendie que celuy du feu ; celles
du Monastere & de S. Sauueur sembloient [1 mot ill.] a l’enuy [Illisible] comme
pour donner au voisinage le signal de cette deffaite. Les Gardes qui
sont à la porte ne sont plus de defense ; il se faut haster, ou tout perdre. Ce
fut icy ou cette innocente victime se voyant nuë en chemise & prince de sa
robbe qui seruoit de voile à sa pudeur, eut hõte à elle-mesme de ce qu’vne
si grande Beauté estoit exposée à des yeux qui en estoient indignes. Et elle
fut plus affligée de la nudité de son corps, que de toute la rigueur de leurs
coups, & de leurs tourmens. On la lie en cette posture au dos d’vn Suisse,
pour la faire monter auecque luy sur la muraille, & de là pour la faire descendre
dans la ruë, à l’ayde de l’eschele qu’ils auoient plantée à la muraille.
Helas ! Victime infortunée que ferez vous en cet accez, sur qui vostre
liberté n’a point d’empire, ny vostre constance de resolution. Elle se
voit lier les bras & les pieds sans pouuoir s’ayder des vns ny des autres, à
cause de leur lassitude, Elle n’a plus que les dents & la parole libres, l’vne
pour rompre ses chaines, & l’autre pour reprocher à son ennemy sa lascheté,
de ce qu’il ne la pouuoit auoir que par vn crime. Il luy rend en cet effet
vn si cruel office que de luy prester luy mesme son Baudrier, comme pour
luy seruir de corde pour la serrer, ou de lien pour la soustenir ; mais il fut encore
moins fort que sa constance ; il rompit par l’effort de sa main plustost
que par toute la pesanteur de son corps.

Il estoit au dessus de la muraille qu’il l’attendoit auec d’impatiens desirs,
lors qu’elle tomba dans le moment qu’il la pensoit tenir : & ayant encore
esté remontée deux & trois fois, s’embarassant tousiours auec les mains &
les pieds entre les eschelons, elle rendit encore par son courage cet effort
inutile, comme par sa conduite toutes les autres violences qu’elle auoit
souffertes iusqu’alors auoient esté vaines & superflues.

Mais pour ne laisser aucune partie de son corps sans honte ou sans supplice,
& qui ne fust marquée de quelque funeste caractere de leur cruauté,
comme elle appelloit au voisinage vn secours qu’elle ne pouuoit point
auoir d’elle seule, ils luy estouperent la bouche pour luy fermer dans vn
mesme passage, & la voix & la vie. Alors sainct Ange, ne faisant rien moins
que le deuoir de son nom, la tire violemment en haut par le bras & par la
manche, dont il luy arrache l’vne, & déboita l’autre, & la prenant mesme
par une [1 ligne coupée.]

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corde pour la tirer tout d’vn coup au haut de la muraille, mais la tresse
fut plus foible que sa violence : elle ceda à sa cruauté en se détachant de
ces fibres deliés qui luy seruoient de racine, & luy demeurant dans la
main, elle fut encore vne marque sanglante de sa rage & de sa fureur.
Le cruel Autheur de tous ces des-ordres les regardoit auec complaisance ;
& ou il les faisoit luy mesme, ou il approuuoit ce qu’il ne faisoit pas. Se
voyant en fin vaincu par vne Fille, il pensa creuer de depit, & redoublant
sa cruauté auec ses cris, il voulut faire vn dernier effort pour l’enleuer, encore
plus violent que tous les autres. Tandis que d’vn costé il anime ses
gens par la parole, il ayde aux autres par le conseil, & s’efforçant luy mesme
de l’enleuer en haut auec violence, il quitta icy la qualité d’Amant
pour deuenir son Bourreau. Le voyant employé à vn si cruel office, elle
eut trop de temps & assez de presence d’esprit, pour luy dire ; Ah, Barbare,
ne serois-ie point assez malheureuse si tu ne m’affligeois pas toy mesme ! Tu
penses me tenir, sçaches que tu ne m’auras pas. Et disant ces paroles elle le
iette en arriere du haut en bas de la muraille dans la ruë, & tombe elle
mesme de l’autre costé sur la terre, ne sçachant pas à vray dire si elle estoit
viuante ou si elle estoit desia morte. Encore son ennemy la voyant tomber
en tombant luy mesme, enrage de voir sa peine inutile, & toute sa malice
vaine & infructueuse, croyant qu’elle fust morte des coups qu’il luy
auoit donnez, aussi bien que de sa cheute ; Te voila, dit-il, où ie t’ay il y a si
long temps desirée ; si tu n’es point à moy, tu ne seras à personne.

 

Ce pendant la pauure Fille reuenuë a elle mesme, apres vn profond assoupissement
de son esprit, & vne generale interdiction de tous ses sens ; &
voyant que ses ennemis auoient cedé à la multitude du peuple qui se rendoit
secourable en son malheur ; La premiere chose qu’elle fit, fut de leuer
les yeux & les mains au ciel pour le remercier de sa deliurance, puis se souuenant
du vœu qu’elle auoit fait à la Vierge dans l’accez le plus violent de
son mal, elle le renouuella plus fortement en cette rencontre, & s’obligea
par vne espece de serment solemnel & irreuocable d’offrir à ses Autels auec
vn present de cent escus l’hommage de son estre & de sa vie. En effet le
secours de la Vierge luy parut en cette occasion si present & si sensible,
qu’à peine eut-elle formé son vœu, qu’au rapport mesme de l’vn de ses ennemis,
son corps s’appesantit au delà de l’ordinaire, & elle sentit des forces
par dela la santé de son corps, & la generosité de son ame. Et certainement
à iuger de la chose dans sa verité, cette victoire doit estre mise au nombre
de celles de la Vierge, puis que ce fat au iour de sa feste & dans l’enceinte
de sa maison, qu’elle fut remportée.

Encore ses ennemis ne peurent reculer que par de nouueaux crimes : Ils
blesserent deux hommes à coups de fusils en leur retraite, & creurent auoir
beaucoup fait que d’estre eschapez en seureté. En reconnoissance d’vne
faueur si signalée, ces bonnes Religieuses chanterent le matin mesme le
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& de plusieurs autres personnes de condition que le bruit d’vn si horrible
attentat y avoit assemblez, partie par obligation de naissance, partie
par interest d’affection. La pauure Fille s’y traina le mieux qu’elle peut,
estant restée extremement foible de ses blessures, entre lesquelles elle a eu
deux costes démises, diuerses tumeurs aux iambes & à la teste, & mille
coups d’esperon par tout le corps, & apres deux saignées qu’elle souffrit le
mesme iour ; elle n’a peu empescher sa fieure de se rendre de quatre continue,
laquelle estant iointe à tant de coups & de violences, la met encore
en vn tres-eminent peril de sa vie.

 

Voila à peu prés, Monsieur, ce que i’auois à vous mander d’vne Action
si lasche & si noire, qui n’estant approuuée de personne, est generalement
condamnée de tout le monde. Ceux mesmes qui sembloient appuyer cet
homme par leur credit, l’abandonnent maintenant tout seul à luy mesme,
sans s’interesser dauantage en ce qui le touche. Nostre grande Reyne qui
sçait dispenser auec tant d’equité le châtiment aux crimes, & la recompense
aux vertus, a depuis sagement ordonné, que l’on fit les perquisitions necessaires
& toutes les diligences possibles, pour découurir les Autheurs de
ce forfait, auec ordre à Messieurs de la Cour de prendre connoissance de
cette affaire, comme d’vn crime d’Estat, ou d’vn attentat contre la Religion ;
Bien plus, non contente de mettre des Gardes la nuict dans le Monastere,
elle a enuoyé par tout des Archers auec leurs Preuóts, pour apprehender
les coupables, pouruoyant ainsi auec prudence des deux costés,
& à la seureté des gens de bien, & à la punition des méchans.

Vous voyez, Monsieur, dans la suitte de cette histoire des euenemens si
diuers, qu’il est difficile de iuger de leur prix dans leur multitude, & de leur
excellence dans leur rareté. Vn Amant deuenir le bourreau de sa Maitresse,
vn Pere s’oublier de son sang iusques là que de le liurer à son ennemy
sous couleur d’amitié, vne Mere enleuée pour sa Fille, vne Tante morte au
secours de sa Niece, vne Damoiselle cinq ou six fois rauie, & iamais possedée
par son Amant, toute vne Prouince interessée pour vne seule personne.
Voila, Monsieur, la tissure de cette histoire, qui semblera tenir du
Romant à ceux qui ne l’auront pas veüe comme nous, & aura peine de passer
pour veritable en l’esprit de ceux qui la liront dans les Prouinces sans
l’auoir veüe. D’vn costé le crime de N. est si grand qu’il semble du tout
extraordinaire, d’ailleurs la constance de Mademoiselle de saincte Croix
est si rare, qu’elle passe iusques au prodige & au miracle.

Apres cela, si ie vous ay ennuyé dans la lecture d’vne si longue lettre,
condamnez vous mesmes la loy que vous m’auez imposée de n’obmettre
aucune des circonstances de cette actiõ, sans vous l’escrire, & dés là ie consens
de subir la peine que vous aurez portée contre vous mesmes. Mais si
vous m’accusez de parler auec vn peu trop de chaleur des violences du
sieur de N. contre qui ie semble me declarer Partie, ie vous suplie de
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qu’il s’est porté pour l’ennemy commun de nostre sexe, en le traittãt si mal,
il est iuste que ie me vange au moins par la parole de toutes les rigueurs
qu’il a exercées effectiuement contre nous en l’vne de nos semblables.
Est-ce nous obliger à aimer, que de vouloir nous y contraindre par la force,
& nous faire souffrir des rigueurs que les Tyrans n’ont iamais osé entreprendre ?
Où sera la iustice & l’equité, si en mesme temps qu’vne fille est
belle, ou riche, ou l’vn & l’autre également, il est permis indifferẽment de
l’enleuer par la force, ou de la surprendre par les artifices ? En fin ne doit on
pas m’auoüer sans contredit, que c’est bien se rendre indigne des bonnes
graces d’vne personne de condition, de deuenir cruel enuers elle ; & que si
vn Amant importun a pour vne Fille genereuse des recherches obstinées,
elle ne doit auoir pour luy que de constans refus.

 

Souffrez apres cela, Monsieur, que ie vous die, que si ie me suis vn peu
eschapée à parler contre vn Inciuil qui traitte auec si peu de respect nostre
sexe, qu’il l’outrage en l’aimant & qu’il l’offense par les caresses ; ie dois rendre
ce témoignage à vostre vertu de dire, qu’il y a peu d’hommes dans le
monde dont la complaisance & la retenuë se soit si absolument acquis les
bonnes graces de toutes les Dames, comme celle que vous faites paraitre
en vostre conduite ; puis qu’il y a peu d’entre nous en cette Cour, qui ne
fasse gloire d’estre au nombre de vos Seruantes, ou de vos bonnes Amies ;
& moy en particulier plus que tout autre, qui suis,

MONSIEVR,

Vostre tres-humble & tres-obeissante
Seruante,
L. LE C.

De Paris, ce 30. iour d’Auril 1648.

Permis d’imprimer ledit liure intitulé L’amant Obstiné, & la Fille
Constante, Fait à Paris ce 10. Iuin 1648.

D’AVBRAY.

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Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.