Anonyme [1652], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DESINTERESSÉ, A MESSIEVRS LES DEPVTEZ DES ESTATS Sur les mouuemens presens, & des moyens qu’ils doiuent tenir pour les pacifier. , françaisRéférence RIM : M0_1873. Cote locale : B_20_17.
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Lettre d’vn Gentil-homme
desinteressé A Messieurs les Deputez des Estats,
sur les mouuemens presens,
& des moyens qu’ils doiuent tenir
pour les Pacifier.

MESSIEVRS,

Il me semble qu’il y a assez lon-tems,
que tous les bons François attendent,
que vous soiez reuenus de l’assoupissement,
ou pour mieux dire de la lethargie
ou vous étes ; & il y auoit tout sujet
d’esperer & de croire, que ce grand embrazement,
qui desole la meilleure partie
du Royaume, que les miseres communes,
ces grandes secousses que l’on
donne à l’Estat de tous costez, le son des
tambours & des trompettes, le bruit

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des canons, les cris & les gemissemens
qui retentissent de toutes pars, le feu
méme qui consomme vos maisons, &
tant d’autres calamitez publiques vous
pourroient réueiller, & vous feroient
reuenir en vôtre bon sens : mais puis
qu’il faut des douleurs encor plus sensibles
& des clameurs plus puissantes
pour vous tirer d’vn si profond sommeil,
ie suis resolu de vous presser viuement,
méme de vous picquer comme
des lethargiques, & vous charger de
honte & de confusion, en vous representant
vôtre aueuglement & vostre
abandon.

 

Il ne faut point étre grand Orateur
pour vous faire voir les malheurs & la
ruine presque ineuitable, dont vous
étes menacez ; les maux & les persecutions
que vous souffrez, vous le doiuent
persuader assez sensiblement, puisque
les gens de guerre ne mettent plus de
difference entre le Païsan & le Gentil-homme,
que la France est remplie d’éstrangers,

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qu’ils sont presque par tout
en possession de vos corps & de vos
biens, de l’honneur de vos femmes &
de vos filles, qu’ils ont deserté la campagne,
& vous reduiront enfin à la peste,
à la famine & à toutes les miseres les
plus extremes & les plus funestes, il ne
faut point vser d’exageration pour
vous persuader ces veritez, elles sont
assez sensiblement connuës de tout le
monde.

 

Il n’est donc maintenant question
que de vous faire connoistre d’où viennent
tant de maux, l’origine & la cause
de tant de miseres, les remedes que vous
y pouuiez & que vous y deuiez apporter,
la faute signalée que vous auez
commise de ne l’auoir pas fait, & le
moyen de la reparer, qui est le seul, à
mon auis, qui peut empécher la ruine
totale de la France.

Ne m’auoürez vous pas, Messieurs,
que le Sceptre de nos Roys, dont nous
reconnoissons le droit Souuerain auec

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tant de soûmissions & de respects, decheoit
beaucoup de son authorité, &
pert infiniment de son lustre, lors qu’il
est regi par d’autres mains, que par celles
de leurs Maiestez, d’où vien que l’administration
du Royaume pendant
leurs Minoritez, & en tout autre tems,
est tousiours si foible, qu’il semble que
toutes les Regences ayent esté fatales à
cette Monarchie, ie pourrois biẽ passer
au delà de celle d’Isabeau de Bauieres,
quoy qu’elle puisse toute seule prouuer
suffisamment cette verité ; mais depuis
celle là iusques à Catherine de Medicis,
& d’elle iusques à la Reyne, elles
sont plus que suffisantes pour montrer,
qu’elles ont tousiours produit de tres
grands malheurs en ce Royaume : Ie
sçay bien qu’on pourroit dire à leur décharge,
qu’il est bien difficile d’agir par
noms empruntez, & tres mal-aisé à vne
femme, de representer comme il faudroit,
le personnage d’vn Roy absolu,
& de faire agir puissamment l’Authorité

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d’vn Souuerain Mineur : puisque
toute la prudence d’vn grand Prince
& celle d’vn sage conseil s’y trouue
bien empéchée ; c’est en vn mot ce qui
se peut dire à leur décharge, l’histoire
nous l’enseigne & nous le montre assez
clairement sans s’y arréter dauantage,
aussi ne veux-ie dire icy, que ce qui fait
à mon dessein.

 

Tout le monde sçait qu’apres la mort
du Roy, la Reyne ayant été declarée
Regente par les vœux vniuersels, cette
Princesse peu experimentée dans les affaires,
dont on ne luy auoit iamais fait
aucune part, se ietta entre les bras de
ses creatures, ausquelles elle trouua si
peu d’appuy & de soûtien, qu’elle crût
deuoir suiure le sentiment du feu Roy ;
ce qui peut-étre autoriza le mauuais
choix qu’elle fit du Mazarin, qu’elle
auoit veu éleuer, & emploier dans les affaires
par le Cardinal de Richelieu, &
peut-estre pensa t’elle qu’il étoit aussi
bon politique que luy ; au moins sçay-je

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bien qu’elle dit l’auoir pris, parce
qu’il n’estoit d’aucune cabale : alors les
Princes y consentirent par quelques
raisons particulieres ; mais cette fatale
élection a été la cause de tous nos maux ;
car cét homme foible & reconnu pour
tel, n’a gouuerné que par ruses & mauuaises
finesses, dont les Grands du
Royaume s’étans seruis quelque temps,
pour en tirer auantage & satisfaire à
leurs passions ; il est enfin deuenu si lâche,
& s’est rendu si méprisable par sa
mauuaise façon d’agir, qu’il a fallu succomber,
& en venir au point où nous
en sommes, la Reyne & son conseil de
le vouloir maintenir, les Princes &
leurs creatures de le vouloir éloigner :
Voila le sujet apparent de toutes nos
miseres, voila la cause de nos diuisions
& de nos troubles ; trouuons maintenant
les moyens de vuider ce different,
& voyons à qui legitimement il appartient
d’en prendre connoissance
& de s’en méler ? Ie ne croy pas, Messieurs,

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qu’il y ait personne si peu versée
dans l’Histoire, qui ne tombe d’accord,
qu’en pareilles rencontres, & lors qu’il
s’agit de grandes diuisions en la famille
Royalle, que ce ne soit aux Etats à en
decider ; cela se peut iustifier par quantité
d’exemples, dont ie laisse la recherche
plus curieuse aux sçauans, ne voulant
icy produire que ceux des derniers
tems, qui comme plus familiers & plus
connus, sont aussi plus conuaincans.

 

Durant le Regne de Louys XI. où
les desordres furent grands entre le
Roy, le Duc de Berry son Frere & les
autres Princes, qui fut Iuge de ces differens ?
Tout le monde ne sçait-il pas
que ce furent les Estats.

Sous Charles VIII. son Fils, la Regente
Madame de Beauieu, ayant voulu
faire arréter le Duc d’Orleans, qui fut
depuis Roy sous le nom de Louys XII.
qui arréta ce grand embrazement, qui
s’estoit formé pour le Gouuernement
Il est constant que les Estats y donnerent

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ordre, & qu’ils l’eteignirent du
tems de François II. & sous Charles IX.
qui a empéché l’entiere ruine de la
Frãce) Persõne ne doute que se n’ayent
esté les Estats. Et il est tout notoire que
s’ils n’apporterent pas tous les biens
qu’on en pouuoit attendre sous Louys
XIII. qu’ils seruirent au moins d’empécher
vn plus grand mal ; étant vray
de dire que ce corps Auguste a de tout
temps été le remede souuerain de nos
plus grands maux, & que si bien tôt il
ne termine ceux, dont nous ressentons
déja de terribles effets, que nous auons
tout suiet de nous defier, & de craindre
qu’on y doiue & qu’on y puisse mettre
fin d’ailleuts : la raison nous le fait voir
clairement ; car nous sçauons que le
Conseil du Roy est composé & tout
rempli des creatures de ce mauuais Ministre,
que par consequent sont interressées
& obligées à le maintenir pour
leur propre conseruation, les Parlemens
méme ont pris party, & se sont

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declarez par leurs Arrests, & il me semble
que dans tout l’Etat il n’y a point de
particulier, qui ait tout ensemble, &
la dignité & la suffisance pour cela, qui
ne soit ou bien interessé où declaré.

 

Si nous sortons du Royaume, qui
trouuerons nous dans toute l’Europe,
qui ne soit suspect à cause de l’interest
d’Espagne ? le Pape quoy que Pere commun
de tous, en est fort preuenu, &
on sçait assez qu’il considere les Cardinaux
comme ses plus chers enfans, si
nous allons iusques au Nord & dans les
climats les plus glacez & les plus frois
au dela méme de la mer Balthique, nous
trouuerons que les Princes y ont pris
party : & tout bien consideré, il me
semble qu’il n’est point à propos de
méler les Estrangers parmi nous, & de
les intriguer dans nos affaires domestiques,
ny que pour en chasser vn, nous
y en fassions venir plusieurs, ainsi ;
MESSIEVRS, vous voiez bien qu’il
vous appartient naturellement par

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droit & par raison de connoistre de ce
different & de preuenir les maux qu’il
peut causer à l’Etat, ausquels vous auez
pû & vous auez dû remedier, ayant été
choisis pour cét effet.

 

Aprés quoy ie n’ay que faire de vous
montrer, que vous étes aucunement
coupables de la pluspart des desordres
& des miseres, que nous auons veu, &
que nous ressentons depuis ces malheureuses
diuisions, car puisque sous le
bon plaisir du Roy vous auez esté élus
dans vos Prouinces, a qui a t’il tenu,
que vous ne vous soiez assemblez ? que
vous n’ayez pressé le Roy d’en faire ouuerture ?
qu’elle deputation auez vous
faite vers sa Majesté pour cela ? Comment
pouuez-vous vous purger de cette
preuarication, & de cette offense criminelle
que vous auez commise contre
toute la France, contre vostre Patrie ?
rien ne vous peut lauer à mon sens,
qu’en reparant cette faute par vne resolution
prompte & vigoureuse de vous

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assembler au plutost ; Ie sçay que vous
m’alleguerez beaucoup de difficultez,
& le peu de sureté qu’il y a maintenant
de pouuoir faire ce que ie dis, à cause
des troubles ; mais ie vous en véux montrer
la possibilité en peu de paroles, il
n’est besoin que de resolution pour y
paruenir.

 

N’est-il pas vray qu’à Paris(où ailleurs
n’importe)vous pouués bien vous
trouuer vne douzaine de ceux qui ont
esté deputez ? Assemblez vous, conferez
ensemble, & vous vnissez fortement
pour demander le lieu & les passeports
necessaires, pressez la dessus, & faites
vne deputation aussi genereuse que solemnelle,
qui puisse témoigner à vos
Prouinces, que vous estes dignes du
choix, qu’elles ont fait de vous, & à
toute la France le zele que vous auez
pour le repos & la tranquillité de vostre
patrie : ayant fait ces auances & ces demarches,
assurez vous que vous serez
les bien venus ; que la Reyne en son

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cœur desire l’accommodement, que
son Altesse Royalle le souhaite ardemment,
que Monsieur le Prince le
veût, & qu’estant aussi bon François
que grand Capitaine, il ne demande
que sa seureté, car bien qu’il soit fort resolu
à tous euenemens, il craint neantmoins
la prison, cela est assez naturel
& pardonnable à ceux, qui l’ont éprouuée
rigoureuse comme luy.

 

Cecy MESSIEVRS, n’est point
vne caprice, ny vne pensée chimerique
c’est le projet d’vn homme des’interessé,
qui a le cœur d’vn bon François, &
& assez de lumieres du cabinet pour
vous faire ces premieres ouuertures ; il
vous doit suffir que ie vous montre le
moyen dy paruenir & de reparer le plus
grand crime, que iamais particuliers
ayent commis contre l’Estat ; mais c’est
auec protestation, que si vous demeurez
encor immobiles & dans le silence
contre vostre deuoir & vostre honneur,
ie solliciteray Messieurs de la Noblesse

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& du Clergé de s’assembler & de s’vnir
pour impetrer vne autre conuocation,
& nommer d’autres Deputez ; Ie sçay
(& peut-estre en auez vous connoissance)
que l’assemblée, qui a obtenu du
Roy les Estats, est disposée à cela, plutost
que de laisser tout perir. C’est ce
ce qui m’a obligé de vous escrire pour
vous exhorter de vous seruir de vos
pouuoirs & pour vous témoigner tout
ensemble la passion, que i’ay pour le
bien de l’Estat, & celle auec laquelle ie
suis,

 

MESSIEVRS,

Vostre cres-humble &
tres desinteressé Seruiteur.

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