Anonyme [1649], FACTVM CONTENANT LES IVSTES Deffenses des Rentiers de l’Hostel de Ville de Paris: Et les moyens veritables de la seureté de leurs Rentes, & de leur conseruation. , françaisRéférence RIM : M0_1360. Cote locale : A_4_2.
SubSect précédent(e)

FACTVM Contenans les iustes deffenses des Rentiers
de l’Hostel de Ville de Paris, & les moyens
veritables de la seureté de leurs rentes, &
de leur conseruation.

Les proprietaires des Rentes assignées sur l’Hostel de
Ville de Paris, ne sont aujourd’huy que trop malheureux
pour auoir la liberté de faire des plaintes
publiques, ils peuuent dire, qu’ils sont comme ces
malades que les anciens exposoient à la veuë de tout le monde,
afin que ceux qui passoient faisans reflexion sur leurs
maux, & sur leurs miseres, le public leur donnast au moins
quelque consolation, s’ils n’en pouuoient pas receuoir la guerison
toute entiere.

La seconde raison de leurs plaintes, & qui les oblige encore
d’exposer ainsi leurs propres mal-heurs, c’est qu’on veut
faire passer leurs larmes pour criminelles, & accuser leurs assemblées
de sedition & de reuolte, afin d’estouffer leur voix
par cét artifice, & faire triompher leurs parties aduerses plus
facilement de leurs miseres, auec plus de pompe & de vanité.

Mais ce qu’il y a de plus estrange, & qui causeroit encore
plus d’estonnement dans vn autre siecle que le nostre, c’est de
voir le Preuost des Marchands & les Escheuins, qui refusent
non seulement leurs soins & leurs affections au public : mais
qui soustiennent hautement, que les demandeurs ne sont
point parties capables de deffendre leurs interests en Iustice,
comme si eux, qui sont les veritables debteurs, pouuoient fermer
la bouche à leurs creanciers, & leur imposer silence.

-- 4 --

Il n’y a que ceux qui souffrent qui puissent bien exprimer
leurs douleurs, les theatres sont pour les figures, & pour les
personnages empruntés : mais le Tribunal de la Iustice n’admet
iamais que les personnes veritablement interessées, & qui
ont part à l’action, & à l’affaire que l’on y traicte.

Les demandeurs ne doutent donc point que la Cour n’escoute
fauorablement leurs cris & leurs gemissemens ; ils n’ont
rien de funeste, ny qui soit de mauuais presage, puis que c’est
l’execution des Loix qu’ils demandent, & que toutes leurs
poursuites ne se renferment que dans l’obseruation de la volonté
du Roy, & des Arrests des Compagnies Souueraines.

Ce n’est pas d’aujourd huy que les rentes de l’Hostel de Ville
ont esté la proye de ceux qui ont corrompu toutes choses, &
qui pour entretenir leur ambition naturelle, n’ont pas mesme
pardonné au domaine sacré du Prince, & de la Couronne.

Le Parlement l’année derniere ayant voulu arrester le
cours de ces desordres, obtint par ses soins & par son authorité
vne Declaration, par laquelle le Roy accorda deux quartiers
& demy des rentes sur l’Hostel de Ville de Paris, en attendant
vne meilleure fortune, & que par vne Paix generale l’on pûst
rendre à l’Estat sa premiere face & son premier esclat.

A peine les demandeurs auoient ils respiré dans l’esperance
d’vn si heureux changement, qu’ils se virent opprimez
par de nouueaux troubles. Les derniers mouuemens suruenus
firent cesser tous les payemens des rentes, il se fait vne desolation
generale à la campagne, les maisons y sont démolies, les
heritages sont abandonnez, tout est mis au pillage & à la mercy
des troupes estrangeres, qui se soûlerent de sang & de carnage,
& qui n’auoient pour solde que leur brigandage & leur
larcin.

Les demandeurs souffrirent patiemment tous ces maux, &
toutes ces pertes. La paix faite, & les mouuemens terminez,
ils pensoient aussi estre à la fin de leurs mal-heurs & de leurs
miseres. La plus part auoient des maisons dans Paris, on retranche
leurs loyers. Ils cherchent dequoy maintenir leurs
familles, tout leur manque, leurs maisons des champs ont esté
pillées, celles de la ville leur sont inutiles, il n’y a que les

-- 5 --

rentes de l’Hostel de Ville qui puissent estre leur dernier secours.

 

Mais bien que ce fonds fust sacré, puis que c’estoit le bien
de la vefve, & de l’orphelin, il est diuerty par ceux-là mesmes
qui en debuoient compte au public, & qui en estoient les simples
depositaires. Il se trouue que les Fermiers des Gabelles
en ont fait des prests au Roy au preiudice des submissions
qu’ils auoient faites, & des conditions de leur bail. La paix
est faite pour tout le monde, il n’y a que les seuls Rentiers qui
n’en jouïssent pas, qui ressentent encore toutes les incommoditez
de la guerre. Cela excite des murmures, l’on va en foule
à l’Hostel de Ville, l’on en veut faire plainte au Preuost
des Marchands & aux Escheuins, ils se cachent, l’on ne peut
pas seulement voir leur visage, pour seruir de consolation en
toutes ces extremitez.

En fin ne pouuans plus éuiter la rencontre des Rentiers,
ils les amusent de paroles ; on les fait aller vne infinité de fois
à l’Hostel de Ville, sur l’asseurance de quelques payemens :
trois mois se passent dans des démarches inutiles, l’on s’adresse
aux Puissances superieures, l’on va au Conseil, l’on excite
les Compagnies Souueraines, l’on fait plusieurs Conferences,
& tout cela n’aboutist qu’à faire triompher auec plus de pompe
les Fermiers & les Adjudicataires, de la pauureté & de la
misere des Rentiers : car sur toutes les natures on leur fait des
preiudices notables ; sur les Tailles on ne fait fonds que pour vn
quartier pour les années 1648. & 1649. quoy que par la Declaration
du mois d’Octobre ils deussent estre payez de deux
quartiers. Pour les autres natures on recule les quartiers dans
les années suiuantes, qui est vne autre forme de retranchement,
l’on ne donne rien de present, l’on esloigne encore l’ouuerture
des quartiers, bref on abandonne les Rentiers à leur
propre desespoir.

Neantmoins ils ont respect pour ces Arrests, ils portoient
le caractere & l’authorité de la Cour, ils y auoient esté enregistrez :
mais bien que ce fust l’ouurage de ce qu’il y auoit de
puissance & d’authorité legitime dans le Royaume, l’on n’execute
rien du tout, pour le moins l’execution se trouue toûjours

-- 6 --

retardée, le Preuost des Marchands ne s’en met point
en peine, l’on ne ressent les effects d’aucune sorte de Iustice.

 

Les Adiudicataires des Gabelles se trouuent plus hardis
que les autres, ils s’asseurent sur leur credit & sur leur fortune,
plus forte & plus puissante que les loix.

Comme ils se voyent pressez, & du temps, & des plaintes
de ceux qu’ils auoient si long temps entretenus d’esperances
inutiles, ils presentent leur Requeste au Conseil, par laquelle
ils demandent à estre deschargez de leur bail sous pretexte
des grands prests qu’ils auoient faits au Roy, & du faux saulnage
qu’ils auoient eux mesmes fauorisé, parce qu’ils n’en
portoient point la perte.

Cette Requeste fut trouuée de si mauuaise foy & si iniurieuse
à l’authorité des choses iugées, qu’elle fut hautement
rejettée par le Conseil, qui declara en presence des Rentiers,
que le Roy entendoit que l’Arrest rendu au mois de Iuillet
fut pleinement executé, & que les rentes fussent payées.

Apres cela il sembloit que les Adiudicataires ne peussent
plus trouuer de protection dans leurs mauuais desseins, neantmoins
ils ne se relaschent point, ils trouuent vn autre azile,
ils s’addressent au Preuost des Marchands & aux Escheuins,
ils leur font signifier la mesme Requeste, le desistement &
l’abandonnement de leur bail.

Des personnes tres-peu intelligentes, ou bien intentionnées
n’eussent pas manqué de faire saisir en mesme temps les
effects des Adjudicataires, ils n’eussent pas mesmes pardonné
à leurs personnes, puis qu’vn abandonnement de cette
qualité, estoit vne forme de faillite & de banqueroute, punissable
par la rigueur des Loix & des Ordonnances.

Mais cela n’auoit pas esté ainsi concerté, on laisse encore
passer quelques iours, on donne le temps qu’il falloit pour diuertir
tous les effects, qui pouuoient seruir à la seureté publique.
Le Preuost des Marchands & Escheuins en viennent
apres cela aduertir la Chambre des Vacations, ils ne demandent
pas l’execution des Arrests comme ils deuoient : mais
qu’on enuoye seulement des Deputez, afin que peu de personnes

-- 7 --

pussent renuerser tout ce qui auoit esté fait par le Conseil,
par toutes les Compagnies Souueraines, & par le Parlement
les trois Chambres assemblées.

 

La Chambre des Vacations donne dont des Deputez, la
Chambre des Comptes en donne aussi, la Cour des Aydes
enuoye les siens, l’on assemble tout le Conseil de Ville.

Les Adjudicataires s’y trouuent auec les Rentiers, l’on
entend les vns & les autres separément, & comme s’il n’y eut
point eu de Declarations verifiées, ny d’Arrests du Conseil
enregistrez au Parlement, l’on traicte l’affaire tout de nouueau,
le Preuost des Marchands flatte les Adjudicataires, il
les prie d’entrer en quelques offres, qu’ils fassent vn effort,
que l’on se départira de l’effect de la Declaration, & de tout
ce qui auoit esté ordonné par les Arrests.

Les Rentiers sont aussi entendus, le Preuost des Marchand
leur parle, & comme s’il eust voulu se seruir de la foiblesse,
qui se rencontre ordinairement dans des personnes
de tous aages & de toutes conditions, & qui se sont confusement
assemblées, il les exhorte à se departir de leurs Arrests,
que s’ils demandent Iustice, ils courent risque de tout
perdre, que les Adiudicataires abandonneront, qu’il ny à
que cette seule voye en France pour soustenir vtilement les
Gabelles, qu’il n’y à point d’autre compagnie assez forte
pour l’entreprendre, Bref, que toute la fortune de l’Estat se
trouuoit aujourd’huy renfermée dans la seule personne des
fermiers.

Ce discours augmente incontinent les soupçons, & les
deffiances, tout le monde estant pressé des mesmes douleurs,
on parle en foule, la voix des meres se mesle auec celle des
enfans, ce ne sont que cris, que clameurs, & que gemissemens.

Mais comme la Iustice ne se rend pas tousiours par les
seuls mouuemens de la nature, que les accens tristes & lugubres
ne sont pas tousiours les plus legitimes, dix ou douze
personnes choisies, & des plus intelligentes respondent pour
tous les autres, l’on fait voir à l’Assemblée que les Arrests
que les Adiudicataires ne vouloient pas executer, estoient

-- 8 --

les plus fauorables qu’ils peussent iamais esperer. L’on soustient
au Preuost des Marchands, que luy mesme quand ils
auoient esté rendus, estoit demeuré d’accord, qu’il y auoit
de la rigueur, & de la dureté pour les Rentiers, qu’il ne failloit
point craindre les euenemens de la poursuitte, que les
Adiudicataires estoient trop interessez par les grands prests
qu’ils auoient faits au Roy pour abandonner leur ferme, mais
que quand cela arriueroit, il y auoit dequoy se payer dans
les effects, qu’ils n’auoient pû encore diuertir, de beaucoup
plus qu’ils n’estoient redeuables.

 

Pour la ferme, qu’ils l’auoient desia abandonnée, qu’il y
auoit des moyens plus aduantageux & plus vtiles pour la
faire subsister.

Mais bien que l’on ne deût pas mettre vne affaire tant de
fois terminée en deliberation, la deffense des Rentiers fut
encore trouuée si iuste, & les consequences dont le Preuost
des Marchands se voulut seruir pour la detruire, parurent si
foibles, & si peu considerables, que l’assemblée arresta que
les Declarations & les Arrests seroient executez.

L’on se saisit donc de la personne de quelques vns des Adiudicataires :
mais pour leurs biens ils en demeurent tousjours
les maistres. Le Preuost des Marchands n’enuoye
point dans leurs maisons, leur prison est mesme vn lieu de
delices pour eux, ils sont visités de tout le monde, ils donnent
toutes sortes d’aduis pour le diuertissement de leurs effects,
ils en reçoiuent de tous costez.

Les demandeurs voyans que cette sorte de prison estoit
vne illusion à la Iustice, ils presenterent leur Requeste à la
Chambre des Vacations, par laquelle ils demanderent deux
choses.

La premiere, que les Adjudicataires fussent transferez
dans la Conciergerie du Palais pour la seureté publique.

La seconde, que leur procez leur fust fait & parfait, à cause
du diuertissement de leurs effects, & de leur banqueroute
frauduleuse.

Les Adjudicataires presenterent aussi vne Requeste de
leur part, qui tendoit seulement à ce que les proprietaires des

-- 9 --

Rentes, qui demandoient la translation de leurs personnes,
eussent à declarer leurs noms leurs qualitez, & leurs domiciles.

 

Sur ces deux Requestes la Chambre des Vacations rendit
Atrest le premier d’Octobre qui est celuy dont il s’agist,
par lequel au lieu de six vingt huict mille liures, que les Adiudicataires
estoient obligez de payer par chacune semaine,
en vertu de la Declaration, & de l’Arrest du Conseil du mois
de Iuillet dernier, tant pour le courant que pour les arrerages
du passe, ils furent condamnez de payer seulement soixante
& quatre mil quatre cens cinq liures seize sols, & ainsi
déchargez de la moitié d’vne somme considerable, & qui
auoit esté destinée pour la subsistance de tant de familles.

C’est Arrest surprit extremement les demandeurs.

Ils s’assemblent aussi tost dans l’Hostel de Ville, il ny auoit
point de trop prompt remede a leurs mal heurs, & à leurs
miseres, ils consultent ensemble, ils resoudent de se pouruoir
contre l’Arrest.

Ils presentent donc la Requeste sur laquelle il est question
de prononcer, par laquelle ils demandent à estre receus
opposans, & que conformement aux Declarations verifiées
dans toutes les Compagnies Souueraines du Royaume, & à
l’Arrest du Conseil du mois de Iuillet dernier donné de concert
auec les Deputez de la Cour, ils fussent payez de quatre
vingt huict mil liures par sepmaine, pour le courant du
quartier commancé des le 19. Septembre, & de quarante
mil liures pour les arrerages du passé.

Mais considerans encore que le plus grand de tous leurs
maux, venoit du Preuost des Marchands, & des Escheuins,
qui par vne vsurpation toute publique, s’estoient fait
addresser l’execution de tous les Arrests, qu’ils auoient
en suitte abandonnée, que c’estoit par leurs negligences,
que tant de beaux Reglemens rendus depuis prés d’vn siecle,
pour la conseruation des rentes, estoient demeurés
inutiles, & sans aucun fruict, ils ont esté obligez de reïterer
les protestations qu’ils ont faites tant de fois, de rendre le
Preuost des Marchands, & Escheuins, leurs vefues, enfans,

-- 10 --

heritiers & bien tenans, responsables du deperissement des
Rentes, & demandé qu’il leur fut permis de nommer des
personnes à la Cour, qui seroient pris du nombre des Rentiers,
pour exercer toutes sortes d’actions, & que l’on changeroit
tous les trois mois s’il estoit necessaire.

 

Quoy que ceste Requeste fust pleine de Iustice, & qu’on n’en
deust point apprehender l’euenement, neantmoins les demandeurs
ayans desia experimenté le credit, & la puissance
de leurs aduersaires, ils continuent leurs Conferences dans
l’Hostel de Ville, il y auoit tous les iours de nouueaux Conseils
a prendre. Ils nomment mesme quelques Syndicqs,
personnes cognuës & de consideration, afin d’auoir soin
en particulier de la conduitte, & de la solicitation de l’affaire,
& d’executer sans bruit & sans tumulte, ce qui seroit
arresté par la Compagnie.

Aussi tost le Preuost des Marchands & les Escheuins s’escrient
qu’il y a de la cabale, que c’est vn party qui se forme
dans l’Estat, il font tous leurs efforts auec les Adiudicataires,
pour empescher la continuation de ces assemblées, par
ce qu’ils voioient la resolution qu’on y prenoit de demander
Iustice, & de faire voir au public beaucoup de choses contraires
à leur deuoir & à la dignité de leurs Charges, & de
leurs emplois. Ils excitent mesme & empruntent la voix du
Substitud de Monsieur le Procureur General, qui seruoit
dans la Chambre des Vacations, on luy fait requerir par
deux fois des deffenses de continuer les assemblées, l’on traicte
les Rentiers (qui demandent leur bien) de perturbateurs
du repos public ; par deux fois la Requeste est rejettée, l’on
n’abandonne point, on le fait requerir pour vne troisiesme
fois.

Les demandeurs voyans cette opiniastreté, apprennent
aussi tost qu’il y auoit des personnes qui appuyoiẽt fort le dessein
& l’entreprise du Preuost des Marchands, & des Adjudicataires.
L’vn de Messieurs, parent au degré de l’Ordonnance,
s’en déporte volontairement, & à l’esgard de quelques
recusations la Cour se trouue partagée.

Comme l’affaire ne pouuoit estre départie qu’apres la

-- 11 --

Sainct Martin, n’y ayant d’exercice que dans la seule Chambre
des Vacations, les Rentiers considerent que le temps
leur estoit vn preiudice notable, & qu’ils perdoient par sepmaine
soixante & quatre mille liures, tellement que pour
faire plaider leur cause, ils s’en rapportent à la religion de
celuy de Messieurs, sur lequel on s’estoit trouué partagé.

 

Mais quelque conduite qu’ayent pû apporter les demandeurs
pour faire reüssir vne affaire qui se deffendoit d’elle-mesme,
ils ont receu tout le desaduantage qu’ils auoient pris
soin d’éuiter.

La cause a esté appointée à mettre, parce que le temps est
fauorable aux Adiudicataires, & qu’il rend les Rentiers plus
mal-heureux & plus miserables.

Les demandeurs soustiennent donc (sauf correction de la
Cour) que leur plainte est iuste & legitime : Premierement,
il arriue peu souuent que dans vne cause de cette importance,
& qui regarde le public l’on se dispose à appointer les parties.

Mais pour monstrer que tous les moyens d’opposition sont
bien faciles, & qu’il ne falloit point prendre de temps pour y
deliberer ; la Cour obseruera s’il luy plaist, qu’il y en a trois
ou quatre indubitables, & sans responses, sauf sa reuerence &
sa correction.

Le premier qui a esté touché dans le faict, est que l’Arrest
du premier Octobre a prononcé sur ce qui n’estoit demandé,
ny contesté par aucunes des parties.

Il y auoit deux Requestes, l’vne presentée par les demandeurs,
qui ne tendoit à autre chose qu’à faire transferer les Adjudicataires
de l’Hostel de Ville dans la Conciergerie du Palais,
& que le procez leur fust faict pour le diuertissement de
leurs effects.

L’autre Requeste auoit esté presentée par les Adiudicataires ;
pour, que les Proprietaires des Rentes qui les poursuiuoient
eussent à declarer leurs noms, leurs demeures, & leurs
qualitez, tellement que l’vne ny l’autre de ces deux Requestes
n’auoient rien de commun auec ce qui a esté iugé par
l’Arrest du premier Octobre ; les Adjudicataires ne demandoient
point qu’on les deschargeast, comme on a fait, d’vne

-- 12 --

partie de la somme qu’ils deuoient payer par sepmaine, ce
n’estoit point là le procez.

 

L’on ne peut pas dire aussi que la Chambre des Vacations
ait entendu prononcer sur la Requeste presentée au
Conseil par les Adjudicataires : car outre qu’elle ne contenoit
rien de ce qui a esté iugé par l’Arrest : mais seulement à
ce qu’ils fussent receus purement & simplement à l’abandonnement
du bail, la Chambre ne pouuoit estre Iuge de cette
Requeste, puis qu’elle ne luy auoit iamais esté presentée, &
que le Conseil ne luy auoit point renuoyée du tout.

Le second moyen dans la forme est, de ce qu’il y a eu quelques
vns de Messieurs qui ont opiné dans l’affaire, quoy que
parens au degré de l’Ordonnance, qui est vne nullité toute
entiere dans l’Arrest.

Le troisiesme moyen est fondé sur la contrarieté d’Arrest ;
L’Arrest de Iuillet enregistré en la Cour auoit condamné les
Adjudicataires de payer par chacune sepmaine quatre vingts
huict mille liures pour le quartier courant, & quarante mille
liures pour les arrerages du passé ; & l’Arrest dont il s’agist
les décharge de la moitie de cette somme, sans auoir oüy, ny
entendu les demandeurs, & sans que cela eust esté requis par
aucune des parties.

Le quatriesme moyen d’opposition dans la forme est sondé
sur le deffaut de puissance de la Chambre des Vacations.

Ce n’est pas que les demandeurs pretendent icy borner le
pouuoir & l’authorité du Parlement, ils reconnoissent sa Souueraineté
par tout & en toutes ses parties : mais la Cour sçait
que cette Chambre n’est qu’vne Commission, dont la Iurisdiction
est limitée, & qui ne peut iuger que iusques à douze cens
liures, & encore par prouision ; ce n’est qu’vn petit rayon de
ce grand Soleil de Iustice, dont l’eclipse n’est pas à la verité
toute entiere, de peur que cela ne cause trop de desordre
dans le Corps Politique : mais il faut aussi auoüer que ce qui
en reste ne peut pas produire les mesmes effets, que ce grand
flambeau & cette grande lumiere ramassée dans le Corps du
Parlement ; ses influences sont reserrées dans vne certaine

-- 13 --

sphere, elles ne peuuent s’estendre plus loin.

 

Au fonds, l’opposition s’explique d’elle-mesme, l’Arrest
dont il s’agist a contreuenu directement à la Declaration du
mois d’Octobre, qui doit estre inuiolable, comme vne des
Loix fondamentales de l’Estat.

Quand apres le deluge Noé sortit de l’Arche auec toute sa
famille, l’Escriture dit, que Dieu fit vn pacte entre luy & les
hommes, vn pacte d’eternelle durée, & qui ne pourroit iamais
receuoir d’alteration, ny de changement, pactum fœderis
sempiterni.

Quelques Peres de l’Eglise expliquans ce passage, estiment
que le traicté ne se fit point auec les hommes : mais que
ce fut Dieu qui traicta auec soy mesme, que ce fut l’alliance
de sa bonté auec sa puissance, elles se promirent l’vne à l’autre
de ne se separer iamais.

Ceux qui ont fait reflexion sur la Declaration du mois
d’Octobre, l’ont aussi considerée comme vne alliance eternelle,
que le Roy a voulu faire de son Authorité auec sa Iustice,
elles se sont embrassées l’vne & l’autre, & fait vne vnion
si estroite, qu’elles ne se peuuent plus diuiser.

Cependant si l’Arrest de la Chambre des Vacations estoit
executé, elle sembleroit n’auoit pas assez consideré ce grand
ouurage, l’on auroit commencé à rompre & vïoler cette alliance
si sacrée, ce pacte si auguste & si precieux, & à briser les
deux Tables, dans lesquelles se trouuent si magnifiquement
grauées la grandeur du Prince, le repos & la felicité de ses
subjets.

Mais l’Arrest du Conseil rendu au mois de Iuillet dernier
enregistré en la Cour pour la seureté publique, a esté pareillement
renuersé, bien que cét Arrest eût esté rendu auec
grande cognoissance de cause, que tous les moyens des Adjudicataires
y eussent esté plainement examinez, & que le
faux-saunage fust lors beaucoup plus commun qu’il n’est pas
encore aujourd’huy.

En fin les demandeurs ont cét aduantage, que quand ils
n’auroient ny Declaration, ny Arrest, & que les choses seroient
entieres, les Adjudicataires ne pourroient pas se

-- 14 --

deffendre de l’execution de leur bail, & de leurs poursuites.

 

L’on sçait qu’il y a dix-huict ans qu’ils sont dans les Gabelles,
qu’ils y ont fait des fortunes monstrueuses, que toutes
leurs maisons sont des Palais, qu’ils ont mis leurs enfans dans
les plus belles Charges de la Magistrature, & qu’aucuns d’eux
se sont esleuez si haut ; qu’ils ne voyent plus à present la bassesse
de leur naissance, & de leur origine.

Quoy, des gens qui ont acquis des richesses, qui esgalent
celles des Princes, & des familles les plus puissantes de
l’Estat, & qui pendant dix sept ans entiers ont joüy paisiblement
d’vne Ferme, & qui s’y sont si prodigieusement enrichis,
ne porteront pas deux ou trois mois de perte, & de diminution,
des personnes dont la fortune ne peut estre innocente,
pour estre trop grande, & trop precipitée, trouueront
vne si haute protection dans le public, & l’on abandonnera
en leur faueur tant de mal-heureux, & de miserables.

La compensation est naturelle du profit auec la perte. En
la Loy 2. au §. 4. ff. locati, l’on fait vne question, qui peut estre
iustement appliquée au differend des parties. Vn Fermier a
esté deschargé de sa redeuance, à cause de la non-joüissance,
il n’a rien recueilly du tout ; il arriue que les années suiuantes
sont abondantes, que le Fermier a beaucoup profité ; le Iurisconsulte
respond, qu’en ce cas la remise est inutile, qu’on
peut encore repeter contre luy la mesme année dont il auoit
esté descharge, quand bien l’on se seroit seruy du mot de donation,
& qu’il n’y auroit eu aucune reserue, ny aucune condition
de la part du proprietaire : Si vno anno remissionem quis
colono dederit ob sterilitatem, deinde sequentibus annis contigit vbertas,
nihil obesse domino remissionem, sed integram pensionem etiam
eius anni, quo remisit exigendam, hoc idem & in rectigalis damno
respondit, sed & si verbo donationis dominus obstilitatem anni remiserit :
idem erit decendum, quasi non sit donatio, sed transactio.
La raison de cette maxime est, que le Fermier ne peut profiter
de l’heritage, ou des droicts qu’on luy a donnez à perceuoir,
que le proprietaire, & celuy auquel ils appartiennent, ne
soit satisfait & payé de la redeuance. C’est pour cela que dans

-- 15 --

nos regles, l’on ne reçoit iamais vn Fermier à faire cession de
biens, s’il ne paye on luy fait son procez comme à vn banqueroutier
frauduleux ; c’est vn larcin que la Loy ne peut
souffrir, & qu’elle n’authorise iamais.

 

Au reste, la Cour obseruera (s’il luy plaist) que les Adjudicataires
n’ont pas mesmes souffert aucune perte dans l’année,
dont est question, & qu’ils ont receu beaucoup plus qu’ils
n’ont payé : car sur le pied de deux quartiers & demy, les
charges & les rentes ne montent qu’à la somme de quatre
millions six cens mille liures, dont il faut retrancher cette année
dix-huict cens mille liures, parce que le quartier de Ianuier
a esté reculé en 50. & 51. par l’Arrest du Conseil du mois
de Iuillet dernier ; de sorte que le tout ne reuient qu’à deux
millions sept cens mille liures, & si l’Arrest dont est question
auoit lieu, il faudroit encore diuiser cette somme par la moitié,
& reduire tout ce qu’ils payeroient cette année à neuf
cens cinquante mille liures.

Or les Greniers d’imposts se montent par an à quatre millions,
il y a eu la meilleure partie de la France où le desordre
du faux-saunage ne s’est pas respandu. Les Greniers de la
Bourgongne n’ont receu aucune diminution ; ceux du Berry
non plus, & de plusieurs autres Prouinces, les Adjudicataires
n’ont presque point payé de gages. Et partant quand la compensation
du profit auec la perte ne seroit pas comme elle est
tres iuste & tres-fauorable, il paroist que les Adiudicataires
ont mesme receu du benefice dans l’année presente, & qu’ainsi
c’est vne suite de leurs profits illegitimes & extraordinaires,
que la descharge ou la diminution qu’ils pretendent aujourd’huy.

A tous ces moyens lors que la cause a esté plaidée, l’on a
opposé trois raisons principales.

La premiere est, que l’on pretend que l’Arrest du Conseil
du mois de Iuillet dernier, dont les demandeurs se veulent
preualoir, n’a esté rendu que par raison d’Estat, & de Politique.
Que le dessein de l’Arrest n’a esté que pour faire rentrer
le Roy plus glorieusement dans Paris, & qu’il parust en apparence
que l’on vouloit executer la derniere Declaration.

-- 16 --

L’on se peut ressouuennir auec combien de bruit & de
murmure cette deffense fut entenduë, quelle fut le tumulte
dans le public, & comme la Iustice mesme s’en trouua scandalisée.

Car premierement, si l’on veut remarquer le temps de
l’Arrest, l’on sçait bien qu’au commencement du mois de
Iuillet, la resolution n’estoit point prise à la Cour de ramener
le Roy à Paris, que cette proposition a tousiours esté combatuë
par ceux qui vouloient priuer la capitale du Royaume de
ce bon-heur, & empescher qu’elle ne ioüist de la presence de
son Prince, tant desirée.

Mais c’est faire iniure au Roy & à sa Iustice souueraine,
de vouloir persuader, que c’est vne maxime Politique, de
manquer de foy au public.

Il n’importe ce semble aux Adjudicataires, d’engager l’hõneur
du Prince, ils pensent se mettre à couuert par vne espece
d’impieté, & que c’est assez pour excuser leur mauuaise
foy, de faire des suppositions illustres, & tres esclatantes.
Tellement que ce moyen est scanda leux à l’Estat, iniurieux
au Roy, & punissable dans la personne des parties aduerses.

Mais la Cour obseruera, s’il luy plaist, que les Adjudicataires
ne se sont seulement iamais opposez à l’Arrest du Conseil,
ny à l’enregistrement qui en a esté fait au Parlement, il a esté
imprimé, publié par tout, ils sont demeurez plus de deux
mois dans le silence, s’ont esté autant de submissions tacites
qu’ils entendoient l’executer.

Et de fait, ils l’ont executé en partie ; car pour les quarante
mil liures des arrerages du passé, ils ont cõmencé à les payer
quelque temps apres. Et partant il n’est pas vray que l’Arrest
du Conseil ait eu le motif, & le principe que les Adiudicataires
luy ont voulu malicieusement donner.

Pour ce qui est de la compensation, qui se doit tousiours
faire du profit auec la perte, les Adiudicataires sont demeurez
d’accord en plaidant, que c’estoit vn moyen sans response :
mais que cela meritoit d’estre expliqué.

Qu’il falloit distinguer tous les Baux precedans de celuy
qu’ils auoient fait le dernier, à l’esgard desquels l’on ne pouuoit

-- 17 --

demander aucune compensation, suiuant la Loy non intelligitur,
au §. 6. de iure fisci.

 

Les demandeurs ayans verifié cette Loy, ils ont trouué
que l’espece estoit bien esloignée du differend des parties. Elle
dit seulement que quand le fisque a fait vn Bail des droicts qui
luy appartiennent, le temps finy, on ne peut pas forcer le Fermier
de le reprendre, que la condition du fisque ne doit pas
estre en cela plus fauorable, que celle d’vn particulier.

Mais il n’y est point parlé du tout de compensation ; il ne
s’agit point de sçauoir dans cette Loy, si quand vn Fermier
demande quelque remise, l’on ne doit pas remonter iusques
à la premiere année de la ioüissance, ou s’il n’y a que les années
du dernier Bail qui soient sujettes à compensation.

Les demandeurs demeurent d’accord qu’en matiere de
baux à ferme, les conditions d’vn Bail ne s’estendent point à
vn autre, ce sont deux contrats qui sont renfermez dans leurs
propres clauses, ils peuuent auoir leurs differences & leurs
conditions particulieres.

Mais cela est bon pour les conditions qui y sont expressement
stipulées ; A la verité, ce qui se trouue enoncé dans vn
des Baux, ne tire pas consequence pour tous les autres.

Il n’en est pas ainsi d’vne clause d’vne condition tacite, &
qui est tousiours sous entenduë, de pactis quæ tacitè, & naturaliter
insunt contractibus bonæ fidei.

La compensation est vne obligation de cette qualité, elle
est fondée dans l’equité & dans le droit naturel, il n’est pas
raisonnable qu’vn Fermier qui a perçeu des droicts, ou des
reuenus pendant dix-huit ou vingtans, puisse tirer aucun profit,
ny aucun aduantage, que toutes les redeuances, & le prix
de tous les baux ne soient payez, autrement il s’ensuiuroit
qu’on se pourroit enrichir du bien d’autruy. C’est le mesme
droict, c’est le mesme heritage ; ce sont les mesmes personnes
qui ont traité ensemble, tellement que n’estant proprement
qu’vn mesme contract, cette obligation naturelle de
compenser le profit auec la perte, se doit generalement appliquer
à tous les Baux qu’ils ont faits ensemble, elle ne peut
iamais estre esteinte. Locupletiorem fieri ex aliena factura magis

-- 18 --

est contra naturam quam mors, quam paupertas, quam cœlera omnia
quæ homini accidere possunt, comme dit l’Orateur Romain.

 

Et cette maxime n’est pas seulément fondée dans le simple
raisonnement. La Loy 6. de compensationibus audig. y est formelle,
Etiam quod natura debetur venit in compensationem. Cependant
si la pretention des Adiudicataires auoit lieu, il s’ensuiuroit
qu’ils auroient tout le profit des premiers baux, &
qu’ils chargeroient les rentiers de la perte qu’ils pretendent se
rencontrer dans le dernier & qui est mesme imaginaire, comme
il a esté iustifié cy-dessus.

Il y a encore vne raison qui ne peut receuoir de response,
sauf correction de la Cour ; car toutes fois & quantes que l’on
fait compensation des mauuaises années auec les bonnes, ce
n’est plus le bail que l’on execute, c’est à dire qu’on ne compte
plus en qualité de Fermier, l’on compte proprement comme
de Clerc à Maistre, c’est vne forme de commission.

Et l’on demanderoit volontiers si vn Commis seroit receuable
à compter d’vn certain nombre d’années à sa discretion,
& si la Loy ne deuroit pas estre esgale pour toutes.

Les demandeurs soustiennent donc que la compensatiõ est
iuste & legitime pour tous les baux des Adiudicataires, &
que quand les choses seroient entieres, qu’ils n’auroient ny
Declaration ny Arrests, la distinction qu’ils ont voulu faire
du dernier bail auec les premiers, est sans fondement, & contre
les propres termes de la Loy.

Les Adiudicataires adioustent vn autre moyen. Ils pretendent
que les demandeurs n’ont pas plus de droict que le Roy,
& que comme le Roy ne pouuoit pas les contraindre au payement
de leur Bail n’ayans pas ioüy, les demandeurs ne sont
pas de meilleure condition.

Premierement, l’on a fait voir cy-dessus que cette année
mesme ils auoient plus touché qu’ils n’auoient acquitté
de charges. D’ailleurs l’on sçait bien que le desordre qui
est arriué dans les Gabelles, a esté vn artifice pratiqué par
les Adiudicataires, lesquels voyans que leur bail finissoit, ont
esté bien aises que le faux saulnage ait esté plus frequent qu’à
l’ordinaire, afin que la Ferme estant decreditée, de se rendre

-- 19 --

absolument necessaires, & de la reprendre à telles conditions
qu’ils voudroient. Et de fait il est constant qu’ils n’ont point
payé les Capitaines & les Archers de Gabelle, comme ils
auoient accoustumé, & que ce sont ceux là qui ont plus debité
de faux sel dans les Prouinces, quoy qu’ils fussent preposez
pour en arrester le cours & les entreprises.

 

Au reste il n’est pas vray que ce soit aux demandeurs à se
pouruoir contre le Roy. Comme ils ont vn Arrest du Conseil,
c’est aux Adiudicataires eux mesmes à s’addresser au
Roy si bon leur semble. Cét Arrest est encore bien plus considerable
que ne seroit pas vne simple assignation sur vn particulier,
lequel ne seroit pas receuable à renuoyer ceux qui
seroient assignez sur luy vers le Roy, il faut qu’il paye, si elle
n’a point esté reuoquée, sauf à luy à se pouruoir contre le Roy,
s’il ne luy est point redeuable.

Mais l’Arrest du Conseil meu contre les Adiudicataires, &
dont les demandeurs demandent l’execution, presuppose necessairement
que le Roy a compté auec eux, & qu’ils se sont
trouuez redeuables. Ce n’est donc point aux demandeurs à
entrer en connoissance de cause, ils ont leur condamnation
presente & asseurée. Outre que les Adiudicataires sont obligez,
tant par leurs baux, que par les submissions faites aux
Compagnies Souueraines, & à l’Hostel de Ville de payer les
rentes & les charges.

Les demandeurs pourroient conclure en cét endroit le
premier chef de leur requeste : mais ils se trouuent obligez
de satisfaire à ceux qui veulent deffendre l’Arrest
des Vaccations par les consequences du passé & de l’aduenir,
& qui ont voulu persuader au public que les Adiudicataires
ayans tesmoigné qu’ils abandonneroient si on les pressoit
dauantage, & si on ne rendoit pas Iustice à leur mode,
que l’on auoit apprehendé apres cela de tout perdre, & de
ruiner la Ferme des Gabelles, qui ne peut estre, disent-ils,
soustenuë que par eux, & par le mesme ordre & la mesme
conduite qu’ils ont pratiquée iusques à present.

Les demandeurs ne peuuent pas s’imaginer que la Chambre
des Vacations ait eu ce motif & ce principe.

-- 20 --

Premierement, pour la consequence du passé, & des arrerages
que les Adiudicataires doiuent auiourd’huy, il n’y a rien
à craindre, ils ont des biens qu’ils ne sçauroiẽt iamais diuertir.

Il y en a qui ont des maisons, & des terres à la campagne
d’vn prix extraordinaire, de trois à quatre cens mille liures ;
les autres des Palais plus esleuez que ceux des Princes,
plus magnifiques, & plus superbes ; les autres ont mis
leurs enfans dans les premieres Charges de la Magistrature,
qui sont autant d’asseurances de la fortune de leurs peres ; les
biens de leurs femmes sont encores responsables de leurs
debtes, & principalement des debtes priuilegiees, comme
celle des demandeurs. Le sel qui est dans les Greniers, qui se
monte à plus de trois millions, en est encore vn gage certain
& indubitable ; de sorte que quand les consequences seroient
de veritables raisons en Iustice, il n’y en peut auoir à faire
executer les Declarations & les Arrests qui ont esté rendus
contre les Adiudicataires. Il n’y a personne qui ne prenne
volontiers leurs effects, & qui ne se charge de payer toutes
leurs debtes, & principalement les arrerages des Rentes, qui
sont les premieres & les plus fauorables.

Quant à la consequence de l’aduenir, elle ne peut point seruir
de deffense à l’Arrest dont est question. On ne peut pas
forcer les Adiudicataires de reprendre la Ferme des Gabelles,
quand mesme ils seroient les seuls capables de la soustenir.
Leur Ferme estant finie, il la faut donner au plus offrant
& dernier encherisseur : elle a esté pour cét effet publiée, &
comme ils ont presenté leur Requeste, pour estre deschargez
du temps qui reste, c’est vne marque qu’ils n’ont pas la
pensée de la reprendre, autrement ce seroit vn abandonnement
simulé, & vne fourbe tres punissable.

Mais tant s’en faut que l’on doiue apprehẽder que les Adiudicataires
quittent la Ferme, qu’il est au contraire importãt
au public qu’elle passe en d’autres mains, pour deux raisons.

La premiere est, que les Adiudicataires demeurent d’accord
eux mesmes, qu’ils ont fait pour cinq millions de prests
au Roy, suiuant qu’ils estoient obligez par vne des conditions
de leur bail, dont ils ne sont point encore remboursez.

-- 21 --

Saulsoy leur Procureur a dit hautement dans le Palais, en
presence de plusieurs personnes d’honneur & de consideration,
que depuis Pasques ils en auoient encore fait vn autre
de douze cens mille escus, c’est à dire, qu’ils ont diuerty le
fonds des rentes & des gages contre les termes des Arrests &
des Ordonnances ; de sorte qu’il seroit tres-perilleux de laisser
dans la Ferme des gens qui ont fait des aduances iusqu’à
huict ou neuf millions de liures, parce qu’estans maistres du
fonds, ils ne songeroient qu’à reprendre ce qui leur est deub
par le Roy, ils employeroient tous les artifices imaginables,
pour se rembouser au preiudice des demandeurs, & de tous les
autres assignez sur les Gabelles.

 

La seconde raison qui les doit exclure de la Ferme, sont les
friponneries & la mauuaise foy dont ils ont vsé, pour ne point
payer les rentes, & pour en diuertir le fonds.

Car il est clairement iustifié que dans vne seule année l’on
a volé au public plus de deux millions cinq cens mille liures.

Pour l’intelligence de cette verité, il faut remonter iusques
aux années 37. 38. 39. & 40. il est constant que par l’estat de
l’année 37. les rentes & les gages y estoient employées pour
quatre quartiers, qui deuoient commancer au premier Ianuier,
& finir au dernier Decembre de la mesme année : mais
comme les Receueurs Payeurs ne furent creez qu’en cette
mesme année 1637. ils ne furent pas si tost instruits du fonds
qui leur deuoit estre mis entre les mains par sepmaine ; d’ailleurs
n’estant pas pressez par les Proprietaires des Rentes, qui
ne sçauoient pas encore auquel des Payeurs on se deuoit
adresser, les départemens n’estans pas bien arrestez, outre
qu’il y en auoit de la compagnie, & dans les Prouinces esloignées,
qui en furent les derniers informez ; tout cela fit
que le fonds des quatre quartiers de l’année 1637. qui deuoit
auoir esté payé au dernier Decembre, suiuant l’estat du Roy,
ne se trouua auoir esté fourny qu’au mois d’Octobre 1638.

En 638. l’on fit vn estat des Gabelles, dans lequel on employa
les Rentes pour trois quartiers seulement les estats furent
semblables en 639. & en 640.

Les Adjudicataires en ce tẽps-là voyãt que par le moyen du
reculement de l’année 1637. qu’ils auoient fait couler iusques

-- 22 --

au mois d’Octobre 1638. ils auoient vn fonds de plus de cinq
millions trois à quatre cens mille liures, qui leur restoit entre
les mains, ils furent au Conseil, auec lequel ils composerent
de ce fonds, qui leur estoit demeuré. Et parce que les Rentiers
venans à prendre connoissance de ce qui leur auoit esté laissé
de fonds dans les estats du Roy pour les années 1637. 1638.
1639. & 1640. il y auoit à craindre qu’ils ne poursuiuissent les
Adjudicataires pour le payement de ce qui leur estoit deub,
ils firent faire vn nouuel estat general au mois de Iuin 1640.
des années 1638. 1639. & de l’année 1640. & supprimerent les
estats desdites trois années. Et par cét estat general ils firent
arrester que le Roy n’auoit laissé que treize millions, & quelque
chose de plus de fonds pour lesdites trois années, lesquelles
estant distribuées par chacune année, il ne se trouuoit que
deux quartiers, & quelque chose dauantage de fonds pour les
rentes & charges, au lieu des trois quartiers, que le Roy auoit
laissez dans les estats anciens de chaque année.

 

La suppression de ces estats particuliers ne desire point de
preuue, parce qu’il est de notorieté publique, que tous les ans
on fait vn estat des Gabelles, & que l’on n’accumule iamais
les années.

Mais les demandeurs en ont la preuue par plusieurs Arrests
du Conseil, qui ont esté rendus, tant auparauant ce pretendu
estat general de 1640. que depuis, par lesquels le Roy declare,
qu’il a fait fonds pour quatre quartiers és années 1637. pour
trois quartiers en 1638. 1639. & 1640. tellement que l’on ne
peut pas voir vne volerie semblable à celle faite par les Adjudicataires
dans le fonds desdites Rentes, il faut qu’ils demeurent
d’accord, ou qu’ils n’ont payé que deux quartiers, &
quelque chose dauantage és années 1638. 1639. & 1640. au
lieu de trois quartiers qu’ils estoient obligez de payer, ou bien
qu’ils ont diuerty le fonds de trois quartiers, qui sont les premiers
neuf mois de l’année 1638. pendant lesquels ils ont païé
constamment du fonds destiné pour l’année 1637. & qu’ils deuoiẽt
auoir fourny dés le dernier Decẽbre de la mesme année.

Mais les Adjudicataires se sont bien seruis d’autres inuentions
pour faire leurs larcins honteux & punissables. Outre les
grandes & extraordinaires remises pour les prests & les aduances

-- 23 --

que l’on sçait leur auoir esté faites, & dont le nommé
Haubert est demeuré d’accord luy-mesme en pleine assemblée
de l’Hostel de Ville, lors que les Deputez des Compagnies
les firent arrester prisonniers ; il n’y a point eu d’affaires
sur les Gabelles depuis dix-huict ans, dans lesquelles ils
n’ayent extremement profité ; ils ont fait des taxes extraordinaires
sur les Officiers les plus considerables des Gabelles, &
ont fait en suite supprimer ces mesmes Officiers, parce qu’ils
pouuoient découurir leurs fripponneries. Ils ont traicte de
plusieurs droicts qui estoient attribuez à des particuliers, &
les ont fait par apres conuertir en rentes sur les Gabelles ; ils
ont fait retrancher les gages des Officiers des Greniers à Sel,
fait faire vn nombre infiny de taxes sur eux, ils ont fait augmenter
à diuerses fois la valeur du minot de sel, & en ont traicté
à forfait, ce qui a causé la liberté du faux-saunage, & fait
le desordre vniuersel. Bref il n’y a point d’ouuerture, ny d’adresse,
outre le gain notable de leur Ferme, qu’ils n’ayent recherchée
pour opprimer le public, & satisfaire à leur ambitiõ.

 

Apres toutes ces considerations, cét engagement de huict
à neuf millions auec le Roy, apres tant d’artifices criminels
& condamnez, est il iuste de violer toutes les Loix en leur
faueur, & de penser encore à les maintenir dans vne Ferme,
dont ils ne veulẽt pas seulmẽt porter la moindre perte, quelque
profit prodigieux qu’ils ayent fait pendant 18. ans entiers.

Les demandeurs, & tous ceux qui sont interessez auec eux,
sont bien esloignez de croire, que les Adjudicataires soient
personnes necessaires au public.

La Ferme des Gabelles n’a pas esté si peu fructueuse iusques
à present, qu’il ne se rencontre plusieurs personnes qui
s’y engagent ; il y en a desia de tres-considerables & de tres-puissans
qui se presentent, il y en a encore d’autres qui paroistront,
pourueu qu’on veuille faire l’adjudication dans les
formes prescriptes par les Ordonnances, & n’on pas comme
l’on a fait dans les derniers temps : car les plus soluables & les
plus affectionnez au Roy & au public, s’estant plusieurs fois
declarez, il s’est rencontré qu’ils n’ont remporte que l’enuie,
& que les autres, qui auoient plus d’intrigues qu’eux, ont
tousiours esté preferez.

-- 24 --

Au reste, il ne faut pas vne compagnie si puissante qu’on
s’imagine pour soustenir à present la Ferme, comme ceux qui
la prendront se chargeront du quartier de Ianuier 1645. remis
en 1650. & 1651. & de ce qui pourra encore estre deub d’ailleurs
par les Adjudicataires, ils ne seront point obligez de
rembourser le sel qui leur appartient dans tous les Greniers
du Royaume, ny ceux qu’ils ont dans les magazins.

Et bien que les nouueaux Fermiers se chargeans de ce qui
est deub & pourra estre deub par les Adjudicataires à la fin
de leur bail, soient obligez de payer aux Rentiers ce qu’ils
deuroient payer aux Adjudicataires pour le sel de leurs Greniers ;
neantmoins cela ne se faisant qu’en 1650. & 1651. suiuant
qu’il a esté reglé par l’Arrest enregistré au Parlement,
ils auront vn temps raisonnable pour satisfaire à tout par le
moyen des ventes qu’ils feront pendant deux années, qui ne
sçauroient estre moindres que les quatre dernieres, le faux-saunage
n’estant pas si cõmun qu’il a esté, & toutes les choses
commencant à se restablir dans les Prouinces par les ordres
qu’on y a desia apportés, & que l’on continuera dans la suite.

Mais quand il ne se trouueroit point de compagnie qui voulust
prendre la Ferme, l’on peut dire qu’il y a d’autres moyens
pour la faire subsister, plus vtiles & plus aduantageux au public.
Les demandeurs ne les expliqueront pourtant pas icy,
ils en feront vn memoire particulier, quoy qu’on leur ait
voulu persuader, que toutes leurs pensées & tous leurs soins
ne seront point considerez, parce que le Conseil s’estant reserué
à luy seul la connoissance de l’affaire, ne voulant pas
seulement permettre que les Fermiers fassent les submissions
à la Cour, & dans toutes les Compagnies Souueraines, il y a
grande apparence que ce n’est que pour maintenir les mesmes
Adjudicataires, & en vser comme par le passé. Ce qui
est fort éloigné de ce que le Conseil luy-mesme auoit tesmoigné
il y a quelques mois en presence de tous les Rentiers en
pleine direction, que le Roy abandonneroit fort volontiers
la Ferme à tous les assignez, pour la faire valoir par les moyens
qu’ils estimeroient les plus vtiles & les plus asseurez ; de sorte
que les demandeurs ne sçauent à qui imputer vn si prompt &
si contraire changement.

-- 25 --

IL Y A LE SECOND CHEF DE LA REQVESTE, par lequel la
Cour est tres-humblemẽt suppliée de confirmer les Syndics
qui ont esté faits, & d’ordonner qu’il en sera nommé tous les
trois mois, qui veilleront à la seureté & à la conseruation
des rẽtes de l’Hostel de Ville, qui est leur propre patrimoine,
& le sang le plus pur de leurs ancestres & de leurs ayeuls.

La Requeste des demandeurs est en cela d’autant plus iuste,
qu’il est impossible de deffendre & d’excuser la negligence
des Preuosts des Marchands & des Escheuins depuis
quelques années.

Cette verité est assez publique, la Cour se ressouuiẽdra, s’il
luy plaist, qu’il y a peu de temps que les fermiers se chargeoient
encore de payer les quatre quartiers des rentes,
qu’il y en auoit clause formelle dans leur bail, & que dans la
verification ils en faisoient les submissions.

Mais comme les Partisans commencerent à se rendre
celebres, iusques à se dire insolemment les Colomnes de
l’Estat, & qu’ils eurent pris la liberté d’inuenter toutes
sortes de moyens pour rauager tout le Royaume ; ces oiseaux
de carnage & des mauuais augure, ne trouuerẽt point
de proye plus facile que les rentes de l’Hostel de Ville de
Paris, & les gages des Officiers. Mais ce qui les embarassoit
d’auantage, & qui retardoit leur mauuais desseins,
c’est que les Fermiers se chargeans particulierement par
leur bail de payer les quatre quartiers des rentes, c’estoit
vne obligation qu’ils contractoient en Iustice auec toutes
les parties interessées, qui auoit son action presente, &
ils ne pouuoient pas consentir au diuertissement du fonds,
ny le diuertir eux-mesmes qu’ils ne tombassent dans la peine
& la rigueur de la loy, on les faisoit executer punctuellement
les conditions de leur bail.

Il fallut donc trouuer vn moyen pour pouuoir manquer
de foy au public. Les Fermiers ne se chargerent plus comme
ils faisoient auparauant, de payer les quatre quartiers,
mais de les payer seulement suiuant les estats qui en seroient
dressez au Conseil.

Le premier bail qui fut ainsi fait, fut le bail des Aydes de
36 par la Railliere. Le sieur d’Emery qui cõme Intendant, en

-- 26 --

auoit pour lors le departement, luy fit mesme finir son bail
precedent plustost qu’il ne deuoit finir, parce qu’il contenoit
les conditions ordinaires, & qu’il s’estoit chargé de
payer les quatre quartiers.

 

Comme cela fut ainsi estably, alors les rentes furent en
proye aux Partisans, & à ceux qui les maintenoient. Car
par les estats l’on a fait tels retranchemens que l’on a voulu.
Les Preuosts des Marchands ne s’en sont point mis en
peine, ils n’ont point trauaillé pour conseruer, ny pour restablir
l’ancien ordre, qui estoit de faire comprendre dans
le bail ce qu’on deuoit payer des rentes, & en faire faire les
submissions, tant à l’Hostel de Ville, que dans les Compagnies
Souueraines.

Mais ils ont bien fait pis, ils ont mesme consenty volontairement
qu’on ait reformé les estats particuliers, & que
posterieurement, & apres trois années entieres, on les ait
changez pour trouuer lieu de faire des retranchemens notables,
que l’on peut dire auoir ruine les rentes, & les auoir
anneanties.

Ce fait n’est pas imaginaire, l’on sçait qu’en l’année 1637,
1638. & 1639. Le Roy auoit encore fait fonds dans les estats
de quatre quartiers pour les Aydes. Mais afin qu’on le pust
diuertir, l’on suprima les estats particuliers de ces trois années,
& l’on fit vn estat general en 1639. dans lequel l’on ne
fit fonds que pour deux années. Tellement que ce fut vne
année entiere de perduë.

Comme cela ne se pouuoit pas faire sans le consentement
du Preuost des Marchands, enuers lequel les fermiers s’estoient
obligez par les submissions qu’ils auoient faites. Il
ne fut pas difficile de l’obtenir, celuy qui sortoit pour lors
ne fit aucune resistance : Il n’en communiqua point aux
Rentiers, il n’exita point la Iustice des compagnies souueraine,
en fin il se rendit le maistre absolu d’vne affaire, qui
regardoit la meilleure partie des familles du Royaume.

Et ces estats particuliers qui doiuent seruir de conuiction
contre ceux qui ont ainsi abandonné la cause publique, ne
sont pas des pieces inuentées à plaisir, & pour faire aucune
iniure les demandeurs qui les ont veus en sçauent les dattes
& toutes les particularitez.

-- 27 --

Pour les Aydes celuy de 1637. est du 17. Septembre de la
mesme année, celuy de 1638. est du 19. May, & l’estat general
des trois années du 28. Septembre 1639.

Pour les Gabelles les demandeurs demeurent d’accord
qu’ils n’ont pas les estats de chaque année, mais ils ont
Arrests du Conseil du 29. Iuin, & 23. Octobre 1641. par lesquels
le Roy fait mention desdits estats particuliers. Tellement
que c’est tout ainsi que si on les rapportoit auiourd’huy.

En l’année 1642. les Preuost des Marchands & les Escheuins
souffrirent encore qu’en retranchast dans les estats vn
demy quartier des rentes, de sorte que les Gabelles & les
Aydes furent reduites pour lors à deux quartiers & demy.

Ce retranchement est encore deuenu plus grand par la
negligence de ceux qui ont succedé, & le pillage des
rentes s’est fait iusques à vn tel exceds, que sur les Aydes &
les Gabelles seulement, tant pour les gages des Receueurs,
que pour les rentes, il se trouue, la supputation faite depuis
1637. iusques en 1648. sans y comprendre l’année presente
de 1649. prés de quarante cinq millions de liures qui
ont esté retranchés.

Les autres natures de rente ont encore esté plus mal traitées.
Le Clergé, les cinq grosses fermes, & principalement
les Tailles, dans lesquelles il s’est fait vn si grand brigandage,
que si l’on vouloit se donner la peine d’en faire la recherche,
les rentiers seroient bien-tost en estat de fermer
la bouche à des personnes, qui par leur violence & leur
credit ont opprime la liberté publique, & qui veulent encore
continuer cette oppression.

Mais il faudroit vn volume particulier pour expliquer
ce qui s’est passé en plusieurs rencontres sur ce suject. Tout
le monde sçait combien de fois les Rentiers assemblez à
l’Hostel de Ville ont representé leurs miseres, combien de
fois ils ont donné les aduis necessaires, pour s’opposer aux
volleries de ceux qui s’emparoient de leurs biens auec tant
d’insolence & d’impunité. Ils se sont offerts de prendre les
principaux soins, & les plus penibles : ils ont prié le Preuost
des Marchands & Escheuins de faire seulement quelques

-- 28 --

demarches auec eux, ils ont en fin esté reduits iusques au
point de faire des protestations, pour les rendre responsables
de tous euenemens, & de repeter leurs pertes contre
tous leurs descendans, leurs heritiers, & leurs familles.

 

Mais cela n’a iamais fait aucune impression sur leurs esprits,
ils ont tousiours mesprisé leurs larmes, quoy que iustes
& legitimes. L’on se peut mesme ressouuenir combien
de fois ils ont menacé les Rentiers qui leur demandoient
iustice, & la complaisance qu’ils ont euë pour ceux qui la
desnioient à tout le monde, & qui retenoient les deniers
publiques.

Et cette complaisance à continué iusques au temps ou
nous sommes, bien que les rentiers de l’Hostel de Ville soiẽt
pour la pluspart miserables & dignes de pitié & de compassion :
car il faut demeurer d’accord que les Arrests mesmes
du Conseil rendus sur toutes les natures des rentes au mois
de Iuillet dernier, par lesquels l’on a mesme souffert des
preiudices notables, sont encore demeurez sans execution,
pour le moins qu’il n’y en a pas vn qui n’ait receu beaucoup
d’atteinte.

Pour les Tailles, au lieu de faire ouurir le quartier de Ianuier
1648. au quinziesme du mois de Iuillet, suiuant l’Arrest
du Conseil, l’on ne l’a fait ouurir qu’au mois d’Octobre,
trois mois apres qu’il deuoit commencer, & depuis
l’on a tousiours souffert que les Receueurs n’aient payé que
la moitié de ce qu’ils doiuent par semaine. Et quelques sommations
qu’on ait faites a Mr le Preuost des Marchands de
decerner des contraintes contre Monnerot, & de le faire
obeïr aux Arrests, il a esté impossible d’obtenir iustice de
luy. La pluspart n’ont pas mesme touché le quartier de
six cens quarante-sept.

La renommée en publie beaucoup de raisons : mais
bien que la voix du peuple ne se trompe gueres souuent,
à cause qu’elle ne se forme que par le temps, & sans
precipitation, neantmoins les demandeurs veulent encore
auoir ce respect pour Monsieur le Preuost des Marchãds,
que de n’en rien croire. Ils se contenteront d’accuser sa negligence,
& mespriseront en sa faueur des bruits populaires,

-- 29 --

quelques grands qu’ils soient, & tous les memoires qu’on leur a
voulu mettre entre les mains pour cela.

 

Pour les Aydes suiuant les mesmes Arrests du Conseil enregistrez
au Parlement, le quartier deuoit commencer au premier
Aoust à vingt mil liures par sepmaine. Mais on ne l’a fait ouurir
qu’à la fin de Septembre ; de sorte que par ce moyen les Fermiers
sont en demeure à cet égard de plus de cent cinquante mil
liures, qui est vne perte notable, qui se rencontre dans six ou
sept sepmaines de reculement : car au lieu de deux quartiers &
demy par an, il se trouue que l’on ne paye pas seulement deux
quartiers.

Les Fermiers des Aydes doiuent encore de reste vn million
de liures de l’année 1648. dont il y a condamnation & vn executoire
de la Chambre jusques à la somme de huict cens mil liur
du 26. May dernier, & neantmoins le Preuost des Marchands
ne pense point à faire aucunes poursuittes. Il souffre que tout le
monde s’enrichisse des despoüilles des pauures Rentiers.

Quand à ce qui est du Clergé, où il n’y a point d’excuse, estant
constant que le Receueur general a charge de prendre du fonds
sur la place, quand il faut satisfaire au public, & que celuy qui
luy doit estre mis entre les mains luy manque ; Cela n’a pourtant
pas empesché que le Preuost des Marchands n’y ayt toleré le
desordre comme dans les autres natures. Les plaintes en ont esté
portées iusques au Conseil. Et bien que par l’Arrest de Iuillet
l’on deust payer par semaine vingt mil deux cens quarante-sept
liures, tant pour le courant que pour le passé, il ne s’en paye pas
dix-huict, & encore n’a-t’on fait l’ouuerture du quartier que sur
la fin d’Aoust, au lieu du 12. Iuillet, qui sont plus de six semaines
de reculement, c’est à dire six vingt mil liures de perte, qui continüe
encore dans la suitte.

Pour les Gabelles, qui ont esté le premier subjet des plaintes
des demandeurs, ils ont désja expliqué vne partie des friponneries
qui s’y sont faites, que les Preuost des Marchands & Escheuins
pouuoient empescher facilement, s’ils eussent eu l’affection
qu’ils deuoient auoir pour le publicq.

Mais il est estrange qu’ils n’ayent pas fait seulement executer
entierement l’Arrest du premier Octobre dont il s’agist, bien

-- 30 --

qu’il ayt esté donné sur les offres des adiudicataires, & qu’il soit
entierement à leur aduantage. Car il est constant, & ils n’en
peuuent pas disconvenir, que la premiere contestation a duré
pres de trois sepmaines, l’Arrest n’ayant esté expedié que le 4.
ou 5. Octobre, quoy que rendu le premier iour.

 

De ces trois sepmaines qui se montent à soixante & quatre
mil escus, l’on en a encores retenu quarante mil liures, qui n’ont
point esté payez.

De sorte que l’on n’a jamais veu des contrauentions si publiques
& si publiquement tolerées, qui est vn crime dans la personne
de ceux qui veulent prendre la direction & la conduite des
autres, & qui se chargent de la conseruation de leurs biens & de
leurs fortunes.

Cependant le Preuost des Marchands & les Escheuins s’étonnent
de ce que les demandeurs supplient la Cour, qu’il leur
soit permis de veiller à la seureté de leurs rentes, & qu’ils n’en
soient pas les Maistres absolus. Ils accusent leurs assemblées &
leurs conferences de sedition & de reuolte, & la nomination
qu’ils ont faite de leurs Syndics, d’vne entreprise & d’vn attentat
à leur authorité.

Mal-heureux sont ceux, dit vn ancien Politique, qui sont toûjours
dans les soupçons & dãs les deffiances. Ils croient que tout
remüe, parce qu’ils sont eux-mesmes dans l’agitation & dans le
mouuement : Ils se forment des phantosmes, leur ombre les fait
trembler, il n’y a rien qui les asseure, ils ne voyent que des troubles,
des orages & des tempestes, vn bouleuersement general,
& toutes les choses renversées.

Les Demandeurs se sont assemblez, il est vray, en quel lieu,
à l’Hostel de Ville, lieu naturel & destiné à cét effect, & que les
anciennes Ordonnances qualifient le Parlouer aux Bourgeois.
Ils se sont assemblez à la veuë du Magistrat, du Preuost des
Marchands & des Escheuins, à la face de tout Paris.

Quel est ce mal, dit Tertullien en deffendant les premiers
Chrestiens, quel est ce mal, qui n’a point les qualitez du mal,
qui n’est accompagné ny de crainte ny de honte. Le crime cherche
les tenebres, il se cache, il n’ose paroistre en publiq.

Les demandeurs au contraire ne font rien qu’à descouuert,

-- 31 --

ils auoüent qu’ils ont tous ensemble recherché les moyens
d’empescher leur cheute & leur ruyne, & de r’establir les choses
dans l’ordre des loix & des jugemens.

 

Mais où est l’ombrage que l’on peut prendre de ces assemblées,
où en sont les suites & le peril. Des gens de tous aages,
& de toutes conditions s’assemblent, il y a des femmes & des
enfans, Tout le monde qui s’y trouue interessé a droict d’y entrer
& d’y dire son aduis. Quoy, c’est pour former vn grand ouvrage
de toutes ces testes differentes, de toutes ces conditions,
qui n’ont aucun rapport les vnes aux autres, & de personnes qui
ne se connoissent, & qui ne se voyent que par la raison d’vn interest
commun & legitime.

De simples creanciers s’assemblent tous les iours, ils conferent
pour trouuer les moyens de leur payement. La Cour authorise
tout ce qu’ils font, ils treuuent secours & protection dans
le public : il n’y aura donc que les Rentiers de l’Hostel de Ville
qui seront en proye aux meschans, & ausquels on ne laissera pas
seulement la deffense naturelle.

Mais les derniers iours ont fourny des exemples dont la posterité
s’estonnera aussi bien que nous. Tous les Partisans se sont
assemblez pour deffendre l’injustice, & pour trouuer quelque
seureté & quelque azile contre les loix qu’ils ont tant de fois
violées : on a mesme loüé leur zele, ils ont eu ce qu’ils demandoient
contre les vœux & les prieres de tous les gens de bien.

Quoy, des Partisans, des gens infames, qui ont ruiné l’Estat,
qui ont mis tout le monde au desespoir par leurs volleries & leurs
brigandages, s’assembleront publiquement pour les continüer,
pour maintenir leur fortune si criminelle & si punissable ; Et les
Rentiers de l’Hostel de Ville n’ozeroient conferer ensemble de
leurs affaires, aduiser aux moyens de ne pas perdre ce qu’il leur
reste encore du desbris de leur nauffrage & de leur ruïne : on les
traittera en criminels & en coûpables iusques aux pieds des Autels
& de la Iustice, à laquelle ils ont tousjours porté leurs plaintes,
on les accusera de rebellion & de reuolte, & cependant ce
sont ceux qui ont plus secouru le Roy & l’Estat, & ils pouroient
dire, ce que dit vn ancien Pere de l’Eglise des premiers
Chrestiens, contre lesquels on formoit les mesmes accusations

-- 32 --

& les mesmes calomnies, que si leurs ennemis estoient aussi
affectionnez au Prince & au bien public, que l’Estat ne pourroit
rien craindre ny au dedans ny au dehors, que l’on pourroit licentier
en asseurance les armées, & que la paix seroit bien-tost faite
par tout.

 

Oüy, mais dit-on, les moyens de faire l’assemblée ont esté extraordinaires,
l’on a affiché des Billets, on les a publiez dans les
Parroisses, c’est vn commancement de troubles, de desordres,
& de sedition.

Il paroist bien que ceux qui en iugent de la sorte, en parlent de
passion & d’interest. Ne sçait-on pas que la moindre perte qui se
fasse, on la fait tousjours crier dans les lieux publics, on la demande
aux Parroisses.

Mais ce qui a obligé les demandeurs à se seruir de ce moyen
pour faire leurs conferences, c’est qu’ils n’en pouuoient trouuer
d’autre qui leur fust vtile. Car comme les Rentes de l’Hostel de
Ville sont respanduës dans toutes les familles de Paris, qu’il y a
plus de cent mil personnes qui s’y treuuent interessées, il n’y
auoit point d’autres voyes pour les aduertir de veiller à la conseruation
de leur bien.

Les affaires où tant de personnes ont part, ne sont pas comme
les autres : elles ne se peuuent pas traitter par vn petit nombre.
Il faut que les resolutions soient prises en pleine assemblée,
autrement l’on ne manque pas d’entrer en des soubçons
& des deffiances. On peut bien choisir quelqu’vn pour l’execution,
mais il faut que l’ordre & la conduite soit generale ; c’est
à dire qu’elle ayt esté arrestée par tous les interessez.

Et de faict dans l’affaire mesme dont il s’agist, quelques soings
qu’ayent pris les demandeurs de se garentir des surprises, ne
sçait-on pas qu’ils n’ont pû empescher que leurs parties aduerses
n’en ayent gagné par argent, ou par d’autres artifices, qui faisoient
des sollicitations contraires, qui se disoient les veritables
Rentiers, & qui paroissoient par cette intrigue tres-satisfaits de
perdre toutes leurs rentes, & de ce qu’on auoit renuersé les
Arrests & la Declaration.

Et l’insolence des vns & des autres estoit venuë à vn tel point,
qu’encore que ce ne fussent pour la plus-part que des gens ramassez,

-- 33 --

& sans interest, ils faisoient neantmoins des assemblées
en quelques endroits de la Ville, où ils formoient des deliberations,
qui leur auoient esté dictées par leurs aduersaires, & travailloient
à combattre & à destruire, ce qui auoit esté arresté en
plein Hostel de Ville, au milieu d’vn nombre infini de personnes,
d’authorité, de naissance, & d’integrité reconnüe.

 

Au reste, qu’a-t’on fait dans ces assemblées si criminelles ? on
y a parlé de l’ordre & de la conduite de l’affaire qui est aujourd’huy
pendante à la Cour. Chacun a dit son aduis en pleine liberté,
l’on a recherché les moyens de soustenir la Ferme des
Gabelles ; l’on a fait des protestations publiques de mettre fin
aux conferences, lors que les fonds & les payemens se trouueroient
conformes à la Declaration. Et ainsi les demandeurs
peuuent dire dans cette occasion, que le publiq les remerciera
quelque iour de leurs soings & de leurs affections.

Pour les Syndics, qui est encore vn des pretextes que leurs
parties aduerses ont voulu prendre pour leur faire scandale, y
a-t’il rien d’extraordinaire dans cette police & dans cét establissement.
Il n’y a si petite Communauté qui n’ayt les siens,
Cinquante creanciers seulement en nomment pour auoir soing
de l’affaire commune, & pour executer les ordres qui ont esté
pris dans leurs assemblées.

La nomination s’est-elle faite sans choix, sont-ce des personnes
inconnües. Tout le monde sçait leurs qualitez, leurs actions
& leur conduite. Il y en a qui sont dans la Magistrature, d’autres
dans des fonctions publiques, & tous ensemble osent bien dire,
que leurs parties aduerses sans exception, n’oseroient contester
auec eux d’honneur & de probité.

Cette nomination de Syndics estoit d’ailleurs tres-necessaire.
Car outre que l’on n’a point veu solliciter en foule par les maisons,
qui est vne marque de la prudence de ces assemblées, c’est
que l’establissement des Syndics est le seul moyen de maintenir
les Rentes : comme ce seront personnes des plus interessées, &
preposées particulierement pour voir tous les jours si les Reglemens
seront ponctuellement executez, le public sera incontinent
aduerti du desordre, & l’on y apportera incontinent le
remede. Tellement que tout s’entretiendra dans la regle, & la

-- 34 --

nomination se faisant tous les trois mois, l’on changera tous
ceux qui seront negligens ou suspects, & que l’on aura reconnu
auoir trahi la cause commune.

 

Mais enfin, si on veut sçauoir tout le secret & le fondement
de ces assemblées ; c’est la necessité qui a vny les demandeurs
c’est leur mal-heur, c’est leur misere commune, c’est vn secours
reciproque, qui a esté le fondement de toutes les societez legitimes,
c’est cette alliance mutuelle, que tous les hommes ont
recherchée, qui a formé les estats & qui les a si heureusement
maintenus. Ce n’est donc pas vn attentat à la seureté publique
vne assemblée de mutins & de seditieux, comme leurs aduersaires,
& ceux qui tremblent par leur propre poids, ont voulu malicieusement
persuader.

Et partant les demandeurs ne doubtent point que la Cour ne
condamne ces artifices pernicieux, & qu’elle n’authorize par
son Arrest la justice de leurs pretentions & de leurs poursuites.

Elle se ressouuiendra, s’il luy plaist, que les Rentes de l’Hostel
de Ville sont les plus clairs deniers des familles, qui ont esté
donnés pour la manutention de l’Estat, & qu’estant la subsistance
de Paris, elles le sont aussi de tout le Royaume.

Les honneurs, les dignitez, les Offices, outre les émolumens
qu’ils produisent, donnent encore quelque rang dans le public :
Mais les Rentes qui ont vn principe tout au moins aussi fauorable,
est vn denier qui ne se trouue plus dans le commerce, qui
ne produit rien que le prix qu’on luy a voulu donner ; c’est à dire
le reuenu ordinaire que l’on en deuroit retirer.

Les Rentiers ont esté pillez les premiers, & auparauant que
l’on eust encore touché personne dans ses biens & dãs sa fortune.
C’a esté l’endroit par lequel les loups rauissans sont entrez dans
le Royaume. Il n’y auoit personne pour deffendre ce passage,
personne ne gardoit ce gage precieux de la parolle du Prince &
du public. Les Rentiers n’auoient plus ces anciens Preuosts des
Marchands esleus auec la liberté des suffrages, qui employoient
si librement leurs vies, leurs biens & leurs honneurs pour le salut
& la conseruation de leurs Concitoyens, qui s’opposoient vigoureusement
à l’imposition des nouueaux droicts, & qui en
appelloient à la premiere assemblée d’Estats.

-- 35 --

C’est donc à la Cour d’arrester tous ces maux & tous ces desordres.
Elle a tousjours esté le temperament de la force & de la
foiblesse, c’est le milieu qui les lie l’vn & l’autre, & le centre où
toutes les lignes aboutissent.

Il n’est pas difficile de pouruoir à la seureté des demandeurs,
les loix qui les doiuent regler sont toutes faites, c’est la Declaration
du mois d’Octobre, il n’y a qu’à l’executer.

Ce seroit vn reproche que toute la France pourroit faire à la
Iustice de la Cour, si vn si bel ouurage, qui a esté donné à tous les
peuples du Royaume, comme la loy de Dieu aux enfans d’Israël,
c’est à dire auec l’orage & la tempeste, pour marquer la veritable
authorité, & le lieu de son origine, fust dans le mesme temps
renuersé, comme vne loy bastarde & estrangere, Si cette loy
n’auoit esté faite que pour estre violée, & que l’authorité de la
plus auguste Compagnie du monde se trouuast ainsi dans le
mespris. Toute la France se promet autre chose de la Cour ; c’est
à elle qu’elle addresse ses vœux & ses prieres, & de qui elle attend
son salut & sa conseruation.

-- 36 --

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], FACTVM CONTENANT LES IVSTES Deffenses des Rentiers de l’Hostel de Ville de Paris: Et les moyens veritables de la seureté de leurs Rentes, & de leur conseruation. , françaisRéférence RIM : M0_1360. Cote locale : A_4_2.