Anonyme [1649], LETTRE D’VN PICARD A SON AMY, Contenant tout ce qui s’est fait & passé du depuis le seiour du Roy, en la Prouince de Picardie. , françaisRéférence RIM : M0_1891. Cote locale : C_3_93.
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LETTRE
D’VN PICARD
A
SON AMY,
Contenant tout ce qui s’est fait
& passé du depuis le seiour
du Roy, en la Prouince
de Picardie.

M. DC. XLIX.

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LETTRE D’VN PICARD A SON AMY, Contenant ce qui s’est passé en la Prouince
de Picardie.

MONSIEVR,

Il n’y a plus que vostre bon naturel & la douceur
/> auec laquelle vous auez coustume de traitter
auec vos amis, qui me puisse absoudre du crime
que i’ay commis par le delay que i’ay apporté a
vous escrire & respondre à celle que ie reçeus de
vostre part le dernier du mois passé. I’aduouë,
Monsieur que ie suis sans excuse, aussi n’est-ce pas
d’vn long tissu de paroles que i’attend le pardon
de cette faute, mais de vostre seule bonté. Car
quoy que la necessité de mes affaires m’ait obligé à
differer iusques a present de vous enuoyer de mes
nouuelles pour satisfaire a vostre demande, si
est-ce toute fois que i’ay deu preferer à tous mes
autres soings, celuy de vous addresser la presente ;
& c’est en quoy ie suis d’autant plus coulpable,
que ie vous dois considerer au dessus de toutes les
autres choses lesquelles me touchant mesme de
plus prés, les singuliers bien-faicts que i’ay reçeu
de vostre personne, pendant mon seiour à Paris,
ne me permettent pas de parler de vous en d’autres
termes, & la facilité qui vous est ordinaire me fait

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esperer que vous excuserez le retardement de celle
cy laquelle vous asseurera que si i’ay manqué ce te
fois à mon deuoir, ie veilleray soigneusement pour
la quitter tout entier en vostre endroit. Cela estant
ainsi ie responds briefuement a ce que vous m’auez
demandé touchant ce qui se passe en ces quartiers,
ou tout est en telle confusion qu’il est bien difficile
de vous en rapporter quelque chose par ordre. Ie
vous en diray pourtant ce que i’en sçay de plus vray
semblable dont i’ay esté en partie tesmoin oculaire
en partie aussi confirmé par des personnes de grande
condition, & tres dignes de foy, entres les plus
considerables de la Cour.

 

Premierement, vous sçaurez que les desseins du
Conseil sont tellement cachez qu’on ne peut rien
decouurir de certain, & si on en parle quelque fois
ce n’est que selon les apparences, nous auons attendu
le Roy en cette ville fort long temps, mais
maintenant nous n’esperons plus qu’il y vienne
tant par ce que cela n’est aucunement necessaire,
puisque les trouppes ne s’acheminent point dans
les pays bas, pour s’opposer à l’ennemy qu’à cause
de quelque secrette resolution prise qui doit bien-tost
appeller le Roy ailleurs, ie ne vous dis
point quel est ce dessein d’autant qu’il est encor
inconneu ; i’ayme mieux aussi vous laisser
penser la dessus que vous mander mon sentiment
qui ne seroit peut estre pas conforme a
ce qui en arriuera. Ie ne vous mande point les progrez
de l’Espagnol dans la Flandre, car ie croy
que vous en sçauez assez pour vous plaindre du

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peu de soin que l’on prend a garder le bien du Roi
que ses fidels seruiteurs luy ont acquis auec tant de
sueurs de trauaux & de despense. Ce qui a cousté
la vie a vn infinité de grands Capitaines & a vn
nombre innombrable de Soldats, est à present vne
riche & facile d’espoüille a l’Espagne, pour n’y auoir
personne qui se mette en peine de l’empescher.
Nos trouppes esparses par toute la Picardie
& la Champagne ont pris a tache de combattre
cette annee, les poulles des pauures Paysans qui
crient maintenant de tous costez auec vne voix
horrible, qu’il vaudroit mieux la mort, qu’vne vie
si miserable. Nous pouuons dire que c’est la recompense
que nous auons meritée pour estre demeurez
les bras croisez pendant les troubles suscitez
à Paris & autres lieux du Royaume, mais helas ?
c’est vn mal qui ne fait que commencer, & qui ne
doit pas si tost finir. Les apparences en sont telles
qu’il est aisé de voir que l’armée est dans ces deux
Prouinces comme si elle vouloit hyuerner. Le refus
que fit il y a quelques sepmaines Monsieur
d’Hocquincourt Gouuerneur de Peronne, d’admettre
en ladite Ville le Regiment des Gardes, à
donné lieu de promettre le Gouuernement dudit
Sieur d’Hocquincourt, à Erlacq, qui a esté depuis
peu splendidement traicté par le Cardinal, auec
asseurance d’vne amitié immortelle, en suitte dequoy
le General là pareillement asseuré de ne luy
manquer iamais au besoin, quoyque ses troupes
refusent tousiours d’aduancer qu’il n’ayẽt touchés

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leur paye. Le bruit a aussi couru que la Reyne luy
a voulu aussi engager ses ioyaux pour l’obliger à
marcher, mais qu’il en a refusé l’offre fort ciuilement,
toute fois cela n’est guere croyable puis que
nous voyons qu’il ne s’est pas aduancé dauantage,
& qui ne se presse pas beaucoup de marcher, pour
faire teste à l’ennemy victorieux & superbe de n’auoir
aucun antagoniste qui le tien ne en ceruelle &
s’oppose à ses entreprises. Au reste ie confesse que
personne ne peut dire asseurement si l’on ira en
Flandre cette année, ou si l’on n’ira point du tout,
cardans vn grand ramas de nouuelles que l’on attend
tous les iours on ne sçay lesquelles prendre
pour veritables, les vns disent qu’on y fera quelque
effort tost ou tard, d’aupres, que l’on se contentera
de voir les conquestes de l’Archiduc apres lesquelles
on fera la Paix, pour chastier en suitte de
cela, les personnes qui ne sont pas conformes à
l’humeur de ceux qui tiennent le haut bout dans
les affaires. Cette croyance est si generale en ces
quartiers, qu’on ne parle quasi plus d’autre chose,
principalement depuis que le Cardinal a demandé
le Gouuernement de Picardie dont il doit estre
pourueu, comme l’on croit, nonobstant la difficulté
qu’y apporte le Vidasme d’Amiens Gouuerneur
de ladite Ville & Lieutenant de la Prouince
de Picardie, qui monstre n’estre pas content de
rendre la Citadelle. Ie ne sçay point encore a quelle
fin le tout aboutira. Il en faut attendre l’issuë, laquelle
ie vous manderay aussi tost que nous en serons

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certains. Voyla ce qu’on peut escrire de plus
asseuré ce me semble, outre la ruine totale de ce
païs qui est pour l’heure dans vn pitoyable estat par
les cruautez & les vols continuels des soldats, dont
la barbarie ne nous à pas encore esté si sensible
qu’elle est cette fois, & cela parceque les coups
que nous auons reçeus par cy-deuant ne sont tombez
que dessus le peu de bien que nous pouuions
auoir, mais a present ils tombent dessus nostre
peau mesme, pour n’auoir plus dequoy ietter au
deuant de ces Tyrans que vous prendriez proprement
pour les furies d’enfer que la colere de Pluton
auroit deschainée en vengeance des iniures &
des offenses faite contre la toute Puissance. La patience
est vn remede souuerain & qui allege
grandement la douleur qu’on ressent des maux,
mais il est beaucoup plus facile de la prescher que
de la mettre en pratique, neantmoins il s’y faut resoudre
& faire de necessité vertu, attendant que
Dieu aye pitié de nous, & ietté au feu les verges
desquelles il nous chastie. Cependant ie vous prie
de me faire sçauoir de vos nouuelles, & me mander
reciproquement en quelle estat sont les affaires
ou vous estes. Ce que nous en sçauons est si
mal fondé, que personne n’en peut parler sans
crainte du contraire, i’attend vn plus grand eclaircissement
de vostre part & croy que vous n’y manquerez
pas, ce faisant vous m’obligerez plus estroitement
a rechercher la verité de ce qui se passe icy
pour vous en entretenir par la premiere que ie

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vous enuoieray : ce n’est pas que ie ne le doiue faire
quand bien vous ne voudrez point prendre peine
de satisfaire à ma supplication, mais la curiosité que
i’ay d’en estre asseuré & l’amitié qui est entre nous
me fait parler de la sorte, croyant que vous auez
trop de bonté pour refuser cette faueur à celuy qui
est

 

Vostre seruiteur.

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Anonyme [1649], LETTRE D’VN PICARD A SON AMY, Contenant tout ce qui s’est fait & passé du depuis le seiour du Roy, en la Prouince de Picardie. , françaisRéférence RIM : M0_1891. Cote locale : C_3_93.