Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE AV CHEVALIER DE LA VALETTE. Soubs le Nom du Peuple de Paris. Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2212. Cote locale : A_5_11.
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LETTRE
ESCRITE
AV
CHEVALIER
DE LA VALETTE.

Soubs le Nom du Peuple de Paris.

Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville.

A PARIS,
De l’Imprimerie de MATHIEV COLOMBEL, ruë
neufve S. Anne du Palais, à la Colombe Royale.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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Lettre du Peuple au Cheualier de la Valette.

MONSIEVR,

Quoy que le temps auquel vous auez semé par Paris ces escrits
infames, contenant la matiere des diuisions que vous pretendiez à leur
faueur y faire naistre auec le reste de vos cabalistes, nous en fase assez cognoistre
la nature, & nous persuade suffisamment sans les lire qu’ils ne
peuuent estre que des ouurages des tenebres & de malice ; puis que c’est pendant
la nuict fauorable a de telles entreprises, que vous en auez fait la distribution,
& qu’il est vray que celuy qui fait mal est tousiours ennemy de la lumiere :
neantmoins en ayant esté plus fortement persuadez & confirmez dans ce
sentiment par la lecture dont nous les auons honorez, nous sommes bien aise
de vous en escrire, pour vous faire voir que nous ne sommes point si simples &
si aueugles que vous nous l’estimez, (puis qu’au milieu des plus noires & des
plus sombres tenebres de la nuict, nous auons découuert vos execratiõs & vos
embusches) & que nous sommes trop bien liez à nos Protecteurs & à nos Peres
pour nous en separer. Les moyens que vous auez pris pour cela en sont bien
éloignez ; si vous nous eussiez donné quelque raison de Politique ou de Philosophie,
ou tirèe des autres sciences, comme nous ny entendons rien, peut estre
que cela nous eust bien pû ébranler ; mais nous battre par des choses si opposées
à nos sentimens & à nostre propre experience, nous attaquer par des mensonges
si manifestes & si visibles, cela marque sensiblement, & l’iniustice de vostre
entreprise & la bonté de nostre cause ; nous n’auons iamais esté si affermis
que par ces raisons mesme que vous auez employé pour nous abbatre ; on s’estonne
comme vous n’auez pas d’auantage déguisé vos mensonges, comme
vous n’auez pas eu plus d’adresse à nous dissuader, & comme vous n’auez pas
caché d’auantage vostre poison & vostre venin ; on dit que vous n’estes pas vn
fin menteur, que vous n’auez pas esté assez long-temps à l’escolle, qu’il faut
que vos inclinations ayent esté forcées, ou que le trop bas sentiment que vous
auez eu de la rudesse purement imaginaire d’vn peuple plus délié & intelligẽt
que l’on n’estime, vous ait fait croire qu’il ne falloit pas tant d’artifice & d’estude
pour le surprendre ; Quoy qu’il en soit, nous aduoüons que nous n’auons
iamais veu mentir si ouuertement, vous le sçauez, & les deux responses suiuantes
que nous faisons à vos deux imprimez que le Ciel a fait tombez entre
nos mains, vous peuuent faire cognoistre que nous n’en sommes pas ignorans ;
prenez la peine de les lire & vous verrez qu’elle estime vous estes obligé d’auoir
d’vn peuple lequel, quoy que vous ayez offensé n’en est pas moins,

MONSIEVR,

Vostre seruiteur,

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RESPONSE DV PEVPLE,
Au premier pernicieux Billet.
Portant, A qui ayme la Verité.

LE Parlement veut r’establir le Roy dans l’authorité que l’on luy a vsurpée,
& les Princes qui se sont vnis auec luy, n’ont point d’autres pretentions
que de sauuer ses biens & ses places du pillage d’vn Ministre qui les
volle impunément : défais toy donc (ie ne diray pas de ton opinion, car tu sçais
mieux que tu ne dis, mais de ton imposture, & ne dis point que mes Bourgeois
sacrifie leurs repos, leur vies, le fonds de leur bourse, se reduisent à la faim, prennent
les armes contre leur Roy, pour appuyer les iniustes pretentions des vns &
des autres ; ils n’ont pas, ny si peu d’esprit, ny si peu d’amour pour leur Prince,
que de se tourmenter pour se rendre criminels & malheureux toute leur vie, car
estant asseurez que le Roy demeurera victorieux ils seroient obligez de reparer
leur crime, & regaigner son affection par vne expiation entiere de leur reuolte,
à moins que de vouloir seruir eux & leur familles d’exemples à la posterité, par
vn chastiment memorable qu’ils subiroient de la rebellion qu’ils auroient commises,
c’est pour cela que nous nous vnissons, & au Parlement, & aux Princes
qui ne conspirent qu’à le rendre victorieux de quelques mauuais Ministres, sur
lesquels il y a apparence qu’ils emporteront le dessus) sçachant qu’outre l’affection
du Souuerain qui nous cherira auec tendresse, & ne songera qu’à nostre
soulagement & à nous rendre heureux, nous aurons encore l’amour & les recognoissances
de quatre cent peres, qui ne sont pas comme tu l’objecte, mais que
l’on vouloit rendre nos tyranneaux, les forçant à nous deschirer & à nous opprimer
de mille taxes, ainsi mon opiniastreté à soustenir auec plus de patience que
de iustice vne guerre ciuile ne sera pas infructueuse & inutile, puis qu’elle m’establira
dans l’amitié de mon Prince, & aura esté comme vn obstacle aux desseins
que peuuent auoir ses ennemis de mettre son Royaume en proye, & changer la
plus belle & la plus heureuse ville du monde en vn theatre d’horreur & de miseres.

Le Cardinal, dis-tu, est vn meschant homme, i’en demeure d’accord, mais
ie nie que ce soit esté pour n’auoir pas voulu consentir à la destruction de la
Royauté : nous voudrions bien que cette raison fust receuë, nous changerions
de notte, au lieu de le tenir comme vn meschant, nous le canoniserions comme
vn sainct : c’est poursuis-tu vn perturbateur du repos public, par ce qu’il n’a pas
tombé d’accord de contenter Nouion, Blancmesnil, Violle, Brouxelles & les autres,
ny les Princes dans la qualité de leur demande, ajouste moy auec ceux-là,
& ie seray de ton sentiment ; il trouble le Royaume, qui ne le sçait : mais ce n’est
pas comme tu nous veux faire croire, pour auoir incessamment trauaillé à la conseruer

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pendant la Regence en tranquillité au-dedans & au dehors, veu que nous
sçauons qu’il en a tousiours, ou conserué ou accreu les orages estrangeres & domestiques,
s’opposant mesme au traité de la Paix qui luy estoit facile, & qu’il
auoit entre ses mains ; enquoy l’on void bien en verité ce que tu auance par moquerie,
qu’il s’entend auec les Espagnols pour trahïr l’Estat & les en rendre Maistres,
& pour cela, il ne faut point qu’il soit trop habile homme & qu’il les duppe
finement, puis qu’il ne fait rien qu’à leur aduantage, accroissant leur Royaume,
& non pas le nostre (comme tu l’asseure impudemment) de quantité de villes
& de Prouinces entieres à nos despens.

 

Le Cardinal est vn cruel, vn violent, vn sanguinaire, ie ne te veux pas démentir,
nous l’auons esprouué, & si la Bastille est r’emplie depuis quinze jours
de plus d’Officiers & de seruiteurs du Roy qu’elle n’a esté de meschants & de criminels
dans les six années de la Regence, ce sont les faits de sa fureur & de sa rage,
laquelle, comme il est la source de tous ces desordres, il fait esclater jusques sur
les innocens, qui souhaiteroient de bon cœur qu’il eust esté à la place de cét italien
qui y respandit son sang pour auoir donné des aduis aux Espagnols.

Mocque toy tant qu’il te plaira, il est certain que nous nous accordons auec
toy dans ces sentimens, & n’en differons que dans les suites, tes propositions sont
aussi veritables, que les raisons que tu en donne sont ironique. Le Cardinal est
vn méchant homme, vn perturbateur du repos public, la peste & le destructeur
du Royaume, vn ambitieux, vn interessé, vn perfide, vn traistre, vn cruel & vn
sanguinaire, vn cresus & vn voleur des deniers publics, demeure en là, ne nous en
dis point les raisons que tu en donne par ironie, car elles sont mensongeres, &
la verité est trop saincte pour l’allier auec vne chose si prophane ; les nostres qui
sont & veritables & certaines sont plus dignes de sa Noblesse : Certes, ie m’estonne
quand tu as l’audace de me vouloir persuader qu’apres auoir englouty tout
l’argent de France, il n’a pas dequoy viure, sçachant neantmoins qu’il n’est pas si
liberal que d’auoir donné à personne les millions d’or qu’il a dérobez à ce Royaume ;
si sa maison est à son sentiment sur le poinct tous les iours de renuerser ;
nous le croyons bien, & nous le pretendons ainsi : mais ce sera plustost par l’authorité
vengeresse de mon Prince, que par la necessité & le deffaut de ce qu’il a
de trop, & qui s’est par redondance dégorgé jusques dans l’Italie & à la banque
de Venise, ce n’est pas vne cruauté à luy de ne point mettre au iour ses thresors
en cette occasion, ou il y va du tout pour luy, & ou il ne luy seruoit de rien de les
auoir sauuez s’il se perdoit luy mesme : mais c’est prudence, car tenant sa perte
inéuitable aussi bien que necessaire ; ce Iuge interieur prononçant contre luy vn
Arrest plus rigoureux que celuy de nostre Parlement Auguste ; sa conscience le
condẽnant auec Iustice, il veut du tout du moins sauuer son pillage de son débris,
& pour ne point perdre tant de choses tout à la fois, il veut faire suruiure à sa
perte ces sommes immenses qui en ont esté les instruments & les appas, il veut
sauuer ce qui l’a perdu, & pratiquant le precepte de la charité la plus heroïque,
faire du bien à ce qui luy a fait tant de mal.

Enfin, c’est luy, & non pas nous, (comme tu nous accuse) qui a tout mis en
desordre & confusion, & si nous auons pris les armes, c’est pour nostre Roy,
nous ne sommes ny perturbateurs ny méchans, ny gens qui se remuent pour autre

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interest que pour le bien public. Ie suis vn peuple doux & debonnaire qui ne
cherche & ne demande que le repos & la bonnace, c’est pour elle que ie me sacrifie,
& non pas pour des interests particuliers & de nulle consideration : Et quoy
que tu médise de mes Princes si bien brodez & passementez, de mes soldats que
i’ay armez, de mes Senateurs que i’ay interressez dans ma cause, quelque calõnie
que tu impose, & aux vns & aux autres, tout cela ne seruira qu’à me fortifier dans
mes iuste entreprises, & allumer mon courage pour soustenir la Couronne penchante
de mon Souuerain : Si ie n’ay point assez de troupes, quoy que i’en aye &
plus que tu ne dis, & plus que tu ne sçais, & plus infiniment qu’il ne m’en faut,
pour resister aux violences de celles du party aduerse, que tu aurois plustost compté
que les miennes si tu y voulois employer le temps au lieu de le consumer par
vne entreprise indigne de ta naissance, à me porter à la sedition & à la discorde ;
I’ay Dieu pour moy en la Iustice de ma cause ; lequel sans taxes, sans soldats, sans
forces, sans munitions, sans poudre, sans feu, sans fer, sans armes, mais seulement
par vn seul souffle, & non pas par le secours d’vn seul Ange, comme autrefois
dans l’armée de Sennacherib peut dissiper mes Ennemis, Si Dieu est pour nous,
qui est ce qui sera contre nous, C’est ce qui nous anime d’auantage : car si nous pensions
que nostre resistance fust iniuste, cette consideration plustost que la crainte
de respandre du sang, d’épuiser nos bourses, de perdre nos biens & la liberté, de
nous voir pour tousiours miserables : ce motif plustost que tes reproches & tes
calomnies nous osteroient les armes des mains ; mais ayant des sentimens tout
contraires & tres certains nous les retenons, & si l’on ne void point sortir nos
troupes comme tu nous le reproche ; c’est que nos armes sont douces, c’est que
nous espargnons le sang de ceux qui combattent pour nous, c’est que nostre deuoir
est de resister & non pas d’attaquer, de repousser le choc & non pas de le
donner ; c’est que nostre guerre n’est pas cruelle, c’est que nous ne voulons point
de mal à nos ennemis, & partant ce nous est vne gloire que nostre soldatesque
que tu reduits à deux mille méchãs phantassins & à huict cens cheuaux, ne monstre
point le nez hors la ville, qu’elle n’y rentre aussi-tost ; ce reproche nous est
glorieux, & c’est vn tesmoignage infaillible de nos desseins, & de cette douceur
qui nous est naturelle selon l’adueu mesme de tous les peuples.

 

Ne me parle point ie te prie des sommes immenses que l’on donne à mes Generaux
& à mes Chefs, ne controlle non plus en cela mes actions que ie fais ceux
du Roy, auec lequel tu est bien si temeraire que de me faire entrer en comparaison ;
il donne à ces officiers de guerre ce qu’il luy plaist ; qu’il leur donne tant qu’il
voudra, cela est digne d’vne magnificence Royale ; personne, excepté toy, ne
censurera iamais cette liberalité ; la mienne est raisonnable, & nous ne sommes
ny immoderez ny mauuais économes, ny mauuais ménagers des deniers publics,
de faire toucher des quatre cent mil escus à des Generaux pour la solde de l’armée
que nous n’auons pas encore produite, crainte de t’estonner, de donner cinquante
mille francs en pure gratification, nous sçauons bien que cela te fait mal
au cœur & que tu aymerois mieux les auoir dans ta bourse, mais sçache que l’on
ne sçauroit assez recognoistre en de semblables rencontres l’affection des personnes
de cette condition & de cette naissance enuers leur Souuerain, qui en aura
beaucoup pour nous, quand il sçaura de quelle façon nous auons vuidé nos

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bourses & nous sommes espuisez pour son seruice ; ces Princes ne sont point interessez,
le refus qu’ils ont fait de ce que l’on leur a presenté pour leur faire
prendre party contre leur Souuerain, dissipe facilement tous les nuages dont tu
pretends nous obscurcir ; le Havre, l’Admirauté, l’Espée de Connestable estoient
des charmes assez puissants pour les attirer, s’ils eussent plus consideré leur interest
que celuy du Souuerain : mais ils ont bien fait voir qu’ils demandoient autre
chose au Cardinal pour mettre ordre au bien public, pour calmer leurs iustes
esmotions, & pour les obliger à le canoniser.

 

Aduoüe apres tout cela, que ie suis clair-voyant, & aprens que ie te veux
satisfaire, ie te veux accorder ce que tu me demande, ie ne veux plus laisser si
longtemps abuser de ma bonté, ie veux vanger mon Roy desobey, mal traité, offensé,
attaqué ; ie me veux vanger moy-mesme des maux que ie souffre, & de
ceux de l’aduenir, quand ie n’aurois autre chose à craindre que de perdre pour
tousiours la presence de mon Roy, ce qui me seroit infaillible, si ie ne m’opposois
à la rebellion des vsurpateurs de son authorité, ne dois je pas considerer
qu’elle seroit pour moy la grandeur de cette perte, & que cette presence est ce
qui m’enrichit, ce qui me donne la splendeur & l’opulence pardessus les autres
peuples ; ou irois je chercher le payement de tant d’argent que la Cour me doit ;
n’apperçois-ie pas que si elle faisoit son sejour en quelque autre ville, tous mes
artisans seroient reduits à la faim, & qu’il se dépenseroit à Paris moins de douze
millions de liures par an, ne voids tu pas que ie prends tes sentimens, & comme
ie veux executer ce que tu m’inspire ; sorts donc de ta prison si tu peux, & si tes
chaisnes t’ont rendu plus honneste homme, te faisant desister de l’office d’espion,
demande vn passeport & va t’en dire à S. Germain que ton entreprise a reüssi,
mais tu n’as garde, car ce n’est pas de la façon que tu le voudrois bien, tu voudrois
que ce fust en prenant les armes contre ceux-la mesme qui ont authorisé le dessein
que i’ay eu de les prendre contre les ennemis de mon Prince & les perturbateurs
de ma l’arme, asseure toy que ie ne le feray pas, ce seroit le moyen d’attires
sur moy les vengeances du Ciel, l’inimitié de mon Roy, & la haine de tous les
bons François ; l’obligeray donc le Parlement à demeurer à Paris pour obliger
mon Roy à y retourner, & auec luy le bon-heur, l’abondance, le commerce, la
tranquillité, la seureté & la paix que i’entend de celuy qui seule me la peur donner,
& qui en est le Dieu qui la distribuë à tous les peuples.

Response du Peuple, Au second pernicieux Billet,
Portant, Lis & Faits.

NE me plains point de ma simplicité & de mon aueuglement, mais déplore
ma misere, non point pour l’administration de la Reine, mais de celle d’vn
mauuais Ministre, qui depuis sa Regence a obligé à diminuer le payement des
rentes, m’a chargé de nouueaux imposts, & au lieu des décharges de millions à la
fois & de soulagements feints & imaginaires m’a chargé de veritables miseres, &

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de sommes & de taxes immenses, lesquelles m’ayant obligé à courber sous leur
pesanteur, enfin vne derniere disgrace portant le fardeau à son comble ; l’enleuement
de mon Roy m’a tout à fait atterrassé, c’est l’amour que ie luy porte qui
m’inspire cette vigueur, qui déplaist si fort aux ennemis de mon salut & aux perturbateurs
de mon repos ; ie prends les armes pour mon Roy, pour mon Roy
mineur, pour mon Roy innocent, pour mon Roy, donné de Dieu, à qui ma rebellion
sera auantageuse, puis qu’elle le remettra dans son throsne, & luy rendra
les moyens que l’on luy a enleuez de conclure la paix la plus glorieuse que la
France ait faite depuis l’origine de la Monarchie. On veut luy voler le plus beau
fleuron de sa Couronne, on attaque directement son authorité, on veut bastir
vne puissance monstreuse, vn corps sans bras, on veut destruire le Parlement,
qui est l’ornement du Prince & le bras droict du Souuerain, & i’adereray à ce
detestable projet, non, non, ie m’y opposeray au peril de mon repos, au hazard
de mes biens, de l’honneur, de mes familles, & de ma propre vie, il m’en arriuera
l’vne de ces trois choses apres les miseres & les calamitez dont on me menasse,
l’horreur des guerres ciuilles que l’on me represente, l’effusion du sang que l’on
tasche de me faire apprehender, ou mon affranchissement, ou le bien du recouurement
de mon Roy, ou la gloire d’estre mort pour la Patrie ; & puis-je croire
que Dieu laisseroit impunie ma lascheté si ie ne prenois point vengeance de son
enleuement, & ne combattois point pour son retour ; car ce n’est pas pour soumettre
Monseigneur le Duc d’Orleans, Monseigneur le Prince de Condé, tant
de Princes & grands du Royaume, tout l’ordre Ecclesiastique & tant de genereuse
Noblesse à vne domination illegitime, ce n’est pas pour mettre sur leurs testes
des gens que la naissance a jette à leurs pieds, ce n’est pas pour establir
vne puissance nouuelle & incognuë, pour composer, comme on m’impute, vn
corps monstreux d’vn gouuernement, & de l’Estat du monde le plus Monarchique
que ie prends les armes : mais pour vanger l’injure fait à mon repos, à mes
biens, à ma liberté, à ma vie, & sur tout à mon Souuerain. Qui auroit tort de s’irriter
de mon entreprise, puis qu’elle est à son occasion & pour le vanger de ses
ennemis, ie n’ay point esté abusé puis que sous l’apparence d’vn bien veritable ie
n’ay point pris les armes pour proteger des factieux, mais pour deffendre mon
Roy, & aneantir les vsurpateurs de sa puissance, ce n’est point pour l’interest,
comme l’on dit, d’vn petit nombre de sedicieux que ie me sacrifie. Nouion, Blancmesnil,
Brouxelles, Violle, Coullon, Givry, Vialard, de Brechaumont & autres
tres-sages personnes de ce celebre Parlement, ne sont point les ressorts de mes
mouuemens, ie ne mandie point le sujet des mes esmotions à leurs interests, ceux
du Prince de Conty, du Duc de Longueuille, du Duc d’Elbeuf & de ses enfans,
le Duc de Boüillon, de Monsieur de Corinthe, ne sont point les arboutans de
mes deliberations & de mes conseils ; comme i’ignore les mécontentemens legitimes
des vns & des autres, ie n’ay pas suiet ny de les vanger ny de les plaindre, &
de croire que tendant à ce qu’ils quittent & abandonnent, ils agissent plus pour
leur interest que pour les miens, ie veux bien croire que le refus pour quelque
raison que ce soit leur a esté fait des aduantages que leur vertu a exigé aussi bien
que leur merite : mais de me persuader que ce soit esté là les organes & les motifs
du bon ordre qu’ils ont mis aux affaires presentes, & du prompt secours qu’ils

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ont donné à ma misere ; les premieres impressions que i’ay pris de la parfaite cognoissance
que i’ay de la probité de leurs personnes demeure victorieuse de ces
sentimens. Et quand cela seroit, ce m’est vn nouueau sujet de ne rien craindre,
mais de bien esperer de leurs trauaux, puis que comme vous m’apprenez ils agissent
par des ressorts interessez ; cela seroit à desirer pour fortifier mon esperance,
que ie fonde moins sur les ostages qui nous ont esté donnez, que sur la vertu &
l’incorruptibilité de ces Ministres : Que m’importe par quel motif on trauaille à
mon repos, pourueu que i’arriue à la fin & au but ou i’aspire, & duquel vn auorton
de Sicile entreprend de m’esloigner ; apres cela, le direz vous innocent, vous
dites qu’il n’a aucunes places, cela est vray, parce qu’il n’a eu, ny le pouuoir, ny
la volonté d’en acquerir, si apres six ans d’administration, il n’a ny place, ny charge,
ny gouuernement de Prouince, ny office de la Couronne, n’est il donc pas
criminel d’auoir enleué nostre Monarque en pleine nuict, d’en auoir fait son prisonnier,
qui l’a authorisé en cette action ; il ne veut point de places ny de gouuernemens
parce qu’il ne veut pas vider sa bourse, mais il veut bien les plus beaux
Benefices de la France, parce que c’est le moyen de l’emplir sans la dégarnir iamais,
que pour en augmenter la plenitude ; car à son esgard, il ne faut point parler
de liberalité non plus que de douceur, si ce n’est aux ennemis. Le Duc de
Beaufort a esprouué sa rage, & il la sentiroit encore si le S. Esprit ne l’auoit remply
au jour de sa descente, d’autant de force pour sortir de la prison, que les Apostres
de feux & de flammes pour quitter le Cenacle ; vois-tu comme i’ay les yeux
dessillez & ouuerts, & comme ie cognois bien l’erreur ou ie me precipiterois
malheureusement, si suiuant tes pernicieux conseils au lieu de suiure ceux qui
ont le principal interest au bien public & de l’Estat, ie venois à marcher sur les
pas de Monsieur le Duc d’Orleans engagé auec regret, & de Monsieur le Prince
lié par l’interest de quatre millions, qui sont des taisons assez puissantes pour
me deffendre de cette illation & consequence, par laquelle tu dis qu’il faut necessairement
que les conseils du Cardinal soient bons, puis que ces deux personnes
les approuuent ; ie ne fais pas profession de Philosophie, ce n’est pas la l’occupation
du peuple & du vulgaire, neantmoins i’ay le sens commun assez bon
pour nier cette consequence. L’vn & l’autre en les suiuant donnent les mains à
la ruine de l’Estat, & renuersent tous les fondemens de la Monarchie, pour ne
pas vouloir receuoir auec affection les bons sentimens que nos Peres leurs ont
imprimé auec le respect, la ciuilité & l’amour dont ils sont redeuables à leurs Altesses ;
que seroit-ce si nous ne leur resistions puissamment cõme Dieu demande
de nous ; que seroit-ce que de cette opulence qui a rendu Paris la plus heureuse
de tout le monde ; mon commerce ne retourneroit jamais ; ie serois entierement
desolé, & me desunissant de ce Parlement auguste que tu appelle factieux,
ie courrerois risque de perdre l’amour de mon Souuerain, & peut estre tout mon
bon heur : Ie demeure donc pour sa protection & pour ma liberté, & mon repos
sous les armes par deuoir, & non pas par rebellion iusques à ce que la beauté
de cette belle Dame tant souhaittée me les fasse tomber d’entre les mains.

 

Qui male agit odit lucem.

FIN.

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Anonyme [1649], LETTRE ESCRITE AV CHEVALIER DE LA VALETTE. Soubs le Nom du Peuple de Paris. Auec la responce aux placards qu’il a semez par ladite Ville. , françaisRéférence RIM : M0_2212. Cote locale : A_5_11.