Anonyme [1652], LETTRE INTERCEPTE ET DESCHIFREE, Du Cardinal Mazarin à Monsieur le Tellier, surprise à son Courier par les Gens du Cheualier de Guise, & enuoyée à Messieurs les Princes. Contenant les instructions du Cardinal Mazarin au sieur le Tellier, pour le gouuernement des affaires pendant son absence. , françaisRéférence RIM : M0_2244. Cote locale : B_13_50.
Section précédent(e)

LETTRE
INTERCEPTE
ET DESCHIFREE, Du Cardinal Mazarin à Monsieur
le Tellier, surprise à son Courier
par les Gens du Cheualier de
Guise, & enuoyée à Messieurs
les Princes.

Contenant les instructions du Cardinal Mazarin au
sieur le Tellier, pour le gouuernement des affaires
pendant son absence.

A PARIS.

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

Lettre intercepte & deschifrée,
du Cardinal Mazarin,
enuoyée à Mons le Tellier,
surprise à son Courier par
les gens du Cheualier de
Guise, & enuoyée à Messieurs
les Princes.

AVPARAUANT que de vous donner la
lecture de la presente Lettre, i’ay crû
qu’il estoit à propos de vous dire de
la façon qu’elle estoit tombée entre
nos mains, pour vous faire voir que ce n’est pas
vne lettre supposée & faite à plaisir, ainsi que
beaucoup de gens se meslent de faire, mais qu’elle
est tres-veritable & de grande importance,
c’est pourquoy on a iugé qu’il estoit tres necessaire
de la donner au public, pour faire voir que
le Cardinal Mazarin n’a point d’autre but que
d’establir sa fortune sur les ruines de la France,
& quoy qu’en apparence il en soit sorty, ce n’est
que pour nous trauerser dauantage, y estant
tousiours en esprit & par ses creatures, & comme

-- 4 --

il auoüe luy-mesme, n’estant pas sorty par
son esloignement de l’esprit du Roy, ny de ses
bonnes graces.

 

Le Cardinal Mazarin estant arriué à Dinan,
premiere ville hors du Royaume de France,
apres s’estre abouché auec le Duc de Loraine,
écriuit entr’autres la presente lettre à Monsieur
le Tellier par vn de ses domestiques, qui estant
passé par la Champagne, & n’ayant pas pris langue
du pays, pour sçauoir où estoit l’armée du
Duc de Loraine, tomba fortuitement entre les
mains d’vne Compagnie de Caualerie des troupes
que Mons. le Cheualier de Guise commãde,
lequel ayant esté foüillé, & trouué saisi de lettres
de la part du Cardinal Mazarin, fut enuoyé
audit sieur Cheualier de Guise, lequel ayant
fait faire lecture desdites lettres par son Secretaire,
a enuoyé celle-cy à Messieurs les Princes,
pour leur faire voir que la fourberie du Cardinal
Mazarin est vniuerselle, & qu’il trouueroit
encor des inuentions de nous tromper, quand il
seroit aux Antipodes. Vous verrez par icelle ce
que nous pouuons esperer de son esloignement,
& comme l’on suit en Cour ses pernicieuses instructions.

-- 5 --

Lettre du Cardinal Mazarin à Monsieur le Tellier,
pour le gouuernement de l’Estat en son absence.

MONSIEVR,

Ie me suis abouché auec Monsieur le Duc Loraine,
& dés cette premiere Conference, ie l’ay
trouué assez bien disposé de condescendre aux
propositions que ie luy ay faites de la part du
Roy, il tient pourtant vn peu ferme à cause des
troubles de la France. Mais nous luy faisons voir
les moyens infaillibles que nous auons pour les
appaiser : toutesfois selon la meilleur politique,
il me semble qu’il vaut mieux que Sa Majesté se
relasche enuers les estrangers qu’en vers ses sujets,
qui luy doiuent naturellement toutes sortes
d’obeïssances & de respects, car les maladies
internes, sont ordinairement plus dangereuses
que les externes. C’est pourquoy à quelque prix
que ce soit, il y faut pouruoir le plus promptement
que nous pourrons.

Vous sçauez que le zele que i’ay tousiours eu
pour le seruice de Sa Majesté, a fait sur mon
esprit vn tel effort que de luy demander auec
beaucoup d’instance la permission de me retirer
pour quelque temps, afin de n’estre pas l’obstacle
de la Paix, que l’on ne pouuoit auoir, selon

-- 6 --

quelques esprits mal intentionnez, sans mon esloignement.
Ie l’ay enfin obtenu de Sa Majesté,
& pour tout cela, ie ne voy pas plus de disposition
à la Paix que lors que i’estois à la Cour. Les
ennemys du Roy font courir le bruit que ce
n’est qu’vne feinte, qu’importe à tous les peuples
que ce soit vne feinte ou non, puis que de
là, ils en peuuent tirer vn bien si important à
toute la France.

 

Si toutesfois apres mon esloignement, il se
trouuoit de part & d’autre quelque disposition
à la Paix, afin qu’elle soit auantageuse au Roy,
& à l’Estat, & que le démenty n’en demeure à
Sa Majesté, vous ferez voir au Conseil le memoire
instructif que ie vous enuoye, qui est :

Que Sa Majesté donnera Amnistie generale,
tant aux Princes qu’aux Peuples, Seigneurs,
Officiers & Soldats, qui auront suiuy leur party,
à la charge pour le regard des Princes, qu’ils poseront
les armes trois iours apres la presente
Amnistie, & enuoyeront ordres & lettres necessaires
pour faite retirer les troupes, & renonceront
à tous traitez, ligues & associations auec
les estrangers qu’ils ont fait venir, & sur tout
insister sur l’establissement du Parlement de
Pontoise, puis que c’est la volonté du Roy, &
xa 6dos dxd5a fx8+f6dxf 9xde 6do s53a 90x3
hxfdo, xa 9xde 6do s53a ixhxfdl. Paris

-- 7 --

ne souffrira iamais cét establissement, car ce
seroit entierement sa ruine, & ainsi nous aurons
tousiours assez de sujet pour recommencer la
guerre. D’ailleurs, on refusera dans les Prouinces
l’execution de leurs Arrests, ce qui causera vn
estrange grabuge, tout cela ne seruira que pour
leur donner le choix d’accorder ledit Parlement
ou mon restablissement.

 

Sur tout que l’on expose dans l’amnistie tous
les artifices, & les violences dont les Princes se
sont seruis pour seduire les peuples, afin de les
rendre tousiours odieux.

Que l’on seme à l’ordinaire de la jalousie entre
Son Altesse Royale & le Prince, afin de les
des-vnir.

Que l’on fasse courir le bruit que les Princes
se sont accordez sous main auec la Cour, & qu’ils
veulent tricher Paris, afin qu’ils n’en puissent tirer
l’argent qu’ils pretendent, & sur tout que le
Roy n’en veut point à Paris, neantmoins 729e3
os xha + kf5k5h 6dx 5x F51 x3 kd3 ohhx 6dxs6dxh
d3x k5df sxex8ksx. Car si les Parisiens ne
fournissent de l’argent aux Princes, ils sont perdus,
ils faudra de necessité qu’ils se retirent, où
s’ils font entrer les estrangers dans le Royaume,
moy n’y estant plus, ils attireront sur eux toutes
la malediction des peuples.

Si nous des-vnissons Paris d’auec les Princes,

-- 8 --

nous profiterons de leur foiblesse, & ferons
achepter aux Parisiens la paix à force d’argent,
qui seruira pour reparer les pertes & les despenses
qu’il a conuenu au Roy de faire pour la guerre,
ils aymeront tousiours mieux fournir de l’argent
pour vne paix asseurée, que pour la continuation
d’vne guerre mal fondée.

 

Que l’on fasse publier l’Arrest de ma iustification
donné au Parlement de Pontoise.

Que l’on enuoye Monsieur le Duc Damuille
sous pretexte d’accommodement, pour tirer
les vers du nez de Monsieur le Duc d’Orleans.

Qu’on se donne bien de garde de montrer
au Roy aucune lettre de la part de Son Altesse
Royale ny des Princes, mais qu’elles soient données
à la Reyne & au Conseil : Que le reste de
cette campagne soit employé à faire des recreuës
pour fortifier l’armée du Roy, & qu’on
rassemble tous les corps d’armées dispersez deçà
& delà, pour s’en seruir cet Hyuer en cas de besoin,
& de mon costé, i’assembleray quelques
troupes pour les mener au Roy.

Que l’on promette à Palluau le baston de
Mareschal, s’il vient à bout de Mouron.

Qu’on empesche le plus qu’on pourra qu’aucuns
Deputez de la part de Son Altesse Royale,
des Princes & du Parlement, ne viennent en
Cour, pour s’aboucher auec Sa Majesté, car il

-- 9 --

est de consequence, de prendre garde qu’ils ne
surprennent l’esprit du Roy, & sur ce, ie me remets
du tout à vostre adresse, pour trouuer des
moyens d’empeschement, ou au moins de retardement.

 

Pendant mon absence, qu’on ne feigne point
à demander hardiment de la part du Roy tout
ce qu’il plaira à Sa Majesté, & qui sera à son
auantage & au nostre, parce qu’on le pourra obtenir
facilement sous peine de desobeïssance,
car estant absent du Royaume, ainsi que les
Princes & les peuples l’ont requis, ils n’auront
plus de pretexte, & passeront pour rebelles s’ils
refusent d obeïr aux ordres du Roy.

Que l’on tire des Villes, Bourgs & Villages,
tout l’argent des Tailles & Subsistances qui se
pourra, pour faire vn fonds pour les gens de
guerre, & qu’on menace de garnisons ceux qui
ne voudront pas payer.

Que le Roy mette des imposts sur toutes les
marchandises qui vont à Paris à tous les passages
des riuieres, iusques à ce que nous soyons en
estat de les empescher absolument.

Qu’on laisse la liberté aux soldats du Roy
de piller, de crainte que par le manquement
d’argent ils ne fussent obligez de quitter son
party.

Qu’on excite les Bourgeois de la ville de Paris

-- 10 --

à se plaindre à Son Altesse Royale des desordres
& pillages que commet l’armée des Princes
aux enuirons de cette Ville, afin que cela les refroidisse
de Passistance qu’ils luy ont promis, car
n’ayant point d’argent pour les payer, ils seront
bien empeschez de les retenir en bon ordre.

 

Qu’on mette souuent deuant les yeux des Parisiens
la tragedie de l’Hostel de Ville, causée
par le Prince, afin que ce spectacle leur fasse
auoir en horreur toutes ces procedures.

Qu’on leur fasse incessamment demander la
paix aux Princes, leur faisant voir qu’il n’y a
qu’eux qui l’empeschent, & que leur esloignement
leur donneroit la paix indubitablement.

Pour à quoy paruenir, on leur fera entendre
que le Roy a dessein de reuenir à Paris les Princes
n’y estans plus, qu’il veut oublier tout ce
qu’ils ont fait contre son seruice, & qu’il n’a que
de la tendresse & de bonnes inclinations pour
ses habitans.

Que ceux du party du Roy publient hautement,
que c’est estre veritablement rebelles de
n’obeïr pas à ses ordres, maintenant que ie suis
esloigné, que Sa Majesté fait voir qu’elle n’a autre
intention que de leur donner la paix, & que
pour y paruenir elle a fait le premier pas, que
c’est à eux à faire l’autre.

-- 11 --

Sur tout, leur representer les miseres & incommoditez
qu’ils ont souffertes pendant ses troubles,
& qu’ils sont à la veille d’en souffrir de
plus grandes : car s’ils s’obstinent à ne pas obeïr
au Roy, Sa Majesté oubliera entierement cette
affection paternelle qu’elle leur à tousiours tesmoignée,
& voudra estre absoluë par la force
de ses armes, ce que toutefois elle ne croit pas
qu’il leur arriue, & qu’il se laisse tomber en vne
si grande faute.

Que pour le regard du passé, Sa Majesté oublira
tout, sçachant bien qu’ils n’ont rien fait
contre son seruice de leur propre mouuement,
mais qu’ils y ont esté forcez par le Prince &
ceux de sa caballe, comme elle à peu reconnoistre
par l’exemple de l’Hostel de Ville.

Qu’on intimide ceux qui refuseront d’aller
à Pontoise, par perte de leurs charges & crime
de rebellion.

Qu’on represente aux Parisiens, que les affaires
des Princes en Guyenne sont tout à
fait ruinées, que le Duc de Vendosme a deffait
entierement l’armée du Comte du Dognon
sur mer.

Que si les Parisiens donnent de l’argent aux
Princes, qu’ils feront leur paix, & reserueront
leur argent, où qu’ils feront tirer la guerre en
longueur.

-- 12 --

Qu’on fasse courir le bruit que ie vay traitter
de la paix generale.

Faites ressouuenir à Monsieur Seruien, d’examiner
ponctuellement les memoires que ie
luy ay laissez pour la paix que l’on doit proposer,
& que s’il fit iamais paroistre quelque adresse
de son esprit dans le traictement de paix qu’il
fit à Munster, qu’il y va icy entierement de sa
gloire & de sa fortune de bien ménager celle-cy,
soit pour la ruiner tout à fait, si elle n’est à l’auantage
de sa Majesté, ou la traiter du moins
comme de sujets rebelles à leur Roy : Ie luy
ay laissé amplement dequoy I’instruire sur ce
sujet.

Enfin, Monsieur, ce n’est pas moy qui vous
charge de ces commissions, c’est le Roy mesme,
puis que vous sçauez bien (quoy qu’esloigné
de Sa Majesté) qu’elle a la bonté de se seruir
encore de mes Conseils, c’est pourquoy vous
rendrez seruice au Roy en les executant de point
en point, & puis si ie suis esloigné de sa presence,
ie ne le suis pas pour cela de son esprit
ny de ses bonnes graces, vous auez veu quel a
esté mon départ, & quel ressentiment le Roy,
la Reine & toute la Cour en ont tesmoigné,
mais ie l’ay iugé necessaire pour le seruice de
leurs Majestez : c’est pourquoy i’ay voulu preferes
le repos, & l’affermissement de leur Estat

-- 13 --

à mes propres interests, & i’espere en quelque
lieu que ie sois, leur rendre les respects
& les obeïssances que ie leurs dois, en suiuant
aueuglement leurs volontez, au hazard de ma
propre vie.

 

Au reste, Monsieur vous sçauez l’affection
que ie vous ay tesmoignée, & la protection que
ie vous ay tousiours fait donner de la part du
Roy, contre tous vos ennemis. Ie vous prie
par elle mesme de veiller à tout ce qui se passera
à la Cour, où ie pourrois estre interessé,
& sur tout prendre garde 7021t 6943 qkry2
gh450 36e2 fq 921 + 3dKr sp7ut1 znx40u30 27
ihyk ny uch73 qemb C1297 nps12 p7 16 &c.

Ie crains fort les intrigues du Coadjuteur
pendant mon absence, il y a long-temps qu’il
aspire à ma charge, c’est vn Pilote expert, qui
sçait voguer à tous vents, il fait son profit de
tout ; c’est pourquoy ie vous prie par vostre prudence
ordinaire de rompre toutes ses brigues, &
de m’en donner auis diligemment, par couriers
expres & fideles.

Sur tout, liguez-vous tous ensemble pour
l’empescher de venir en Cour, car s’il y vient &
qu’il s’abouche auec le Roy & la Reine, il est
homme à donner à la Cour toute vne autre face,
il seroit impossible de l’en debusquer par apres,
peu à peu il vous feroit disgracier l’vn apres l’autre,

-- 14 --

& ne mettroit aupres du Roy que des gens
à sa deuotion. Vous auez vn notable interest
d’empescher cette entreveuë, c’est pourquoy
vous deuez representer au Roy & à la Reine
qu’il est amateur des nouueautez, & qu’il se
plaist fort à broüiller les cartes, afin d’auoir
plus beau jeu. Au reste qu’il n’a trauaillé dans
toutes ces affaires passées que pour faire les siennes,
& qu’il a en cela plus consideré son interest
que celuy de Sa Majesté : Que quoy qu’il soit
ennemy du Prince de Condé, il ne l’est pas
toutesfois de la guerre, mais il apprehende que
le Prince se rende puissant pour le destruire : au
reste, vous ne pouuez pas douter qu’il ne fasse,
maintenant que ie suis absent, tout ce qu’il
pourra pour se bien mettre dans l’esprit du Roy
& de la Reine : Il y a long-temps qu’il attendoit
vne si belle occasion, & ie crains bien que comme
estant l’ennemy du Prince, & en reputation
d’habille homme, le Roy ne s’en veuille seruir
pour luy opposer & ruiner ses desseins, car il est
à presupposer que s’il estoit appuyé de l’authorité
du Roy, il seroit capable de beaucoup de
choses, vostre interest plus que le mien vous y
fera penser. Voila le seul costé d’où ie crains le
plus d’estre attaqué, mais si par vos soins & vostre
sagesse vous pouuez destourner ce coup, ie
vous asseure sur mon honneur, qu’à mon retour

-- 15 --

ie vous feray voir que ie ne perds iamais la memoire
de ceux qui m’obligent, & vous en feray
connoistre des effets, C’est,

 

MONSIEVR,

Vostre tres-affectionné seruiteur,
IVLE MAZARINI CARDINAL.

Table pour l’explication des lettres & des chiffres
qui sont en cette Lettre.

abcdefghilmnopqrstuxyz &
+ q91x7420s835k6fhadelg

FIN.

-- 16 --

Section précédent(e)


Anonyme [1652], LETTRE INTERCEPTE ET DESCHIFREE, Du Cardinal Mazarin à Monsieur le Tellier, surprise à son Courier par les Gens du Cheualier de Guise, & enuoyée à Messieurs les Princes. Contenant les instructions du Cardinal Mazarin au sieur le Tellier, pour le gouuernement des affaires pendant son absence. , françaisRéférence RIM : M0_2244. Cote locale : B_13_50.