Anonyme [1649], LETTRE IOVIALE, A MONSIEVR LE MARQVIS DE LA BOVLAYE. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_2245. Cote locale : C_4_44.
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LETTRE
IOVIALE,
A MONSIEVR
LE
MARQVIS
DE LA
BOVLAYE.

EN VERS BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez SEBASTIEN MARTIN, ruë S. Iean de Latran,
prés le College Royal.

M. DC. XLIX.

Auec permission.

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LETTRE IOVIALE
à Monsieur le Marquis de la
Boulaye.

En vers Burlesques.

 


EN ce mois de Mars bien nommé,
Où Mars s’est si bien escrimé,
A Paris, la plus rude escrime,
Est de la prose & de la risme :
Mais, si dans ce siecle peruers,
Où tant de gens vont de trauers,
La mienne ne choque personne,
Elle est la seule qui pardonne :
Car, il n’est si peu médisant,
Qui n’ait à médire à present ;
Mais, tréve d’injures : silence,
Ie veux loüer vne Excellence ;
Ce titre vous est bien acquis
Autant que celuy de Marquis :

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Marquis dont le Courrier raconte
Plus que d’aucun Baron ny Comte :
Et qui narguez les Fanfarons,
Soit Marquis, Comtes, où Barons ;
Marquis encore à meilleur titre,
Sur vos terres qu’en mon Epistre :
Qui ne croyriez pas vous tromper,
Vous changeant contre vn Duc & Pair.
Fleur de la valeur Poiteuine,
Qui par ce nom ne nous deuine,
Il n’entend pas à demy mot,
Et ne boit pas à vostre escot ;
Pour vous la bonne renommée
Tout cét Hyuer s’est enrumée,
Et son mary le bon renom,
S’enrouë à chanter vostre nom ;
A qui ie crieray de loin viue,
En attendant que ie vous suiue :
Vos coureurs vn peu trop ardens,
Ont mis les miens dessus les dents ;
Tandis qu’ils sont sur la litiere,
La Muse à beau prendre carriere.
On vous proclame à haute voix,
Le grand Gassion des conuois ;
Ce titre vous est vn reproche,
Et cette comparaison cloche :
Aux conuois, sauf-correction,
Vous n’estes point vn Gassion,

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Il prit mal le soin qui vous touche,
De courir aux conuois de bouche ;
Quoy qu’il eust dans ces beaux exploits,
Comme vous le cœur tout François :
Au viure il eut l’ame Espagnole,
Il eust vescu d’vne brignolle,
D’où vient qu’il a bien escorté,
Des conuois de sobrieté ;
D’armes, boulets, poudres & mesches,
De toutes munitions seiches :
Vous plus fin sans comparaison,
Munissiez nostre garnison,
De munition grosse & grasse,
Et des beaux fruicts de vostre chasse ;
De conuois pour le Mardy Gras,
Que Gassion ne festoit pas.
Mal vit que se refectione,
De conuois à la Gassionne,
Donc vous nommer vn Gassion,
Aux conuois de refection ;
C’est vous degrader de vous-mesme,
Et nommer Mardy Gras Caresme.
Ce preux faisoit des prisonniers,
Qui diminuoient ses greniers,
Et qui mengeant le pain de France,
A leurs faites vainqueurs faisoient despense.
Vous faites en grand mesnager,
Ves prisonniers bons à manger,

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Qui ne mangent point, chose estrange,
Parce que d’amblée on les mange ;
Et vous enleuez des quartiers,
Qui sont des trouppeaux tous entiers.
Si Gassion dans nostre armée,
Où dans nostre ville affamée,
Eust esté le seul pouruoyeur ;
Ce discours me donne frayeur,
Il auroit rendu vaine & nulle
La dispense qui nous vaut Bulle ;
Et sans crainte de se damner,
Ce huguenot m’eust fait ieusner ;
Il eust reduit les boucheries,
A quester dans nos escuries :
On eust rosty iusqu’aux cheuaux,
Qui seruent à vos grands trauaux.
I’ay leu qu’vn Seigneur D. L. T.
Mangeoit des rats en sausse douce,
On eust fait par necessité
Ce qu’il faisoit par volupté ;
On eust fait cuire à des brochettes,
Des souris en guise d’alloüettes :
Et si nos chats eussent grugé,
Nos souris sans nostre congé,
Nostre recours sur ces chats mievres ;
Nous les eust fait manger en lievres ;
Auiourd’huy sans tant de façon,
On prend pour farine du son,

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Sacs des plastre eussent eu la mine,
D’estre pris pour sacs de farine :
C’eust esté la prouision
Que nous eust laissé Gassion.
On ne peut sans malice noire,
Barboüiller sa noble memoire ;
Mais, ie dy sans le blasonner,
Qu’il ieusnoit & faisoit ieusner ;
Au contraire vostre prudence
Nous fut la corne d’abondance :
Cornes en abondance au moins
Nous venoient de vos nobles soins,
Cornes d’honneur & de conquestes
Qui tenoient à de grosses testes,
Et ces testes à de gros corps
Qu’on pouuoit nommer bœufs pour lors,
Mais, bien-tost dans mainte bedaine
Ces bestes prenoient forme humaine,
Vous nous sustentiez de bon suc
De ces gros oyseaux de Sainct Luc,
De ces pigeons de riche taille,
Et dont Poissi nous rauitaille,
Paris nommoit ses nourrissiers,
Vous & vos lestes Officiers ;
Dequoy Corbeil n’estoit point aise,
Ce mot soit dit par parentese,
La haute classe des censeurs,
Des r’affinez & cognoisseurs :

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N’a pû que sur le tard cognoistre,
Que vous sçauez des coups de maistre.
Vostre bras, quoy qu’égal, tousiours
Ne s’est pas mis à tous les iours ;
Vos plus genereuses coruées
Au besoin s’estoient reseruées :
Il falloit pour vous mettre aux champs,
Voir Liguez Iuges & Marchands :
Il falloit voir les barricades,
Deuant que voir vos caualcades ;
Certes, Madame la faueur,
N’a point tenté vostre ferueur,
Et vous n’auez pris exercice,
Que pour Damoiselle Iustice,
La ville auec ses Escheuins
Vous d’eust regaler de bons vins,
Baise mains de la Bourgeoisie,
Sont deus à vostre courtoisie :
Les trafficants du pié fourché,
Vous font des vœux en plein marché :
Sans vous les bouchers sans pratique,
Changeans d’art & non de boutique,
Faute de bœufs & de moutons,
Auroient vendu des rogatons :
Comme vne fort legere viande
Dont la Bourgeoisie est friande ;
Mais, vostre grosse venaison
Nourrit mieux nostre Garnison :

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Ie diray plus, vostre proüesse,
A muny de cœur & d’adresse,
Tels qui n’en auoient pas beaucoup,
Qui n’auoient iamais veu le loup,
Ny la guerre qu’en la Gazette,
Où de loin par vne eschauguette.
Vous meniez bien ces Caualiers,
Quoy que montez sur des malliers,
Ils se piquoient tant de brauoure,
Qu’ils se delassoient mesme à courre :
Et courant de nuict comme vous,
Sans craindre loups ny loups-garous ;
Apres vous ils fendoient les crottes,
Sans crainte d’y laisser les bottes,
Comme à Ville-Iuif nos Courtaus,
Qui n’estoient pas des plus rustaus ;
De peur de laisser dans la neige,
Leurs pieds trop legers pour vn siege :
Ils y laisserent leurs souliers,
Non par paires mais par milliers.
Cette restiue infanterie,
Suit mal vostre cauallerie,
Que de faux braues de Paris,
Sur vos pas se sont aguerris :
Le Soleil enuioit la Lune,
Qui les voyoit brusquer fortune,
Faisant de nuict maint coup hardy,
Qu’il eust fait beau voir à midy,

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Que dans la conqueste des vaches,
Ils ont rabatu de moustaches ;
Qu’ils ont sanglé de horions,
Sur salades & morions :
Ils ne chargeoient point enpagnottes,
Les casques & les bourguignottes ;
Ils tailladoient à tour de bras,
Les cuirasses & buffles gras,
Les casaquins & les casaques,
Et des Reistres & des Polaques ;
Cognant sur ces rustres minois,
Comme corneilles sur des nois,
On ne verra point de recruë,
De ces mangeurs de viande cruë :
De peur qu’ils ont d’auoir à dos,
Des guerriers cy-deuant badaus ;
Ainsi par vous s’est aguerrie,
La fleur de la badauderie.
Iamais, ny Maugis d’Aigremont,
Ny tous les quatres fils Aymond :
N’entraisnerent portes cocheres,
Vous rendiez ces portes legeres
Puis que c’estoient cheuaux legers,
Qui vous suiuoient par les dangers ;
Mais, depuis peu cette ieunesse,
Court à la flotte de Gonesse,
Dés que le pain fait son reflus,
Ces coureurs ont les pieds perclus :

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Pour vous qui galoppez trop viste,
Qui changez trop souuent de giste,
Ou plustost qui ne gistez point,
Vostre lict est vostre pourpoint ;
Si parfois vostre corps sommeille,
Vostre ame à la puce à l’oreille ;
Rolland sur son haut d’estrier,
Dormoit le pied dans l’estrier ;
Et sa valeur si bien iuchée,
Perdoit le soin de la couchée ;
Vous non plus que luy, las d’aller,
Tousiours les deux iambes en l’air,
Et le corps ferme dans la selle,
Comme en bronze on voit Marc-Aurelle.
Mais, non comme luy permanant,
Postez du Leuant au Ponant,
Trottez de l’vn à l’autre Pole,
Mais ces mots sentent l’hyperbole :
Disons vray, par monts & par vaux,
Iour & nuict sur vos grands cheuaux,
Vous renouuellez la courante,
De la cheualerie errante.
Paris qui vous a fait venir,
N’a pû long-temps vous contenir ;
Il faut bien vne autre carriere,
A vostre agilité guerriere :
On disoit à vostre despart,
Ce braue s’en va quelque part ;

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Depuis, i’ay sceu que c’est au Maine,
Que vostre valeur se promene,
Pour y grossir des pelotons,
Non plus de bœufs ou de moutons ;
Non plus de trouppeaux, mais de trouppes,
Qui vont prendre feu comme estoupes.
Gens au Maine aussi bien choisis,
Que nos guerriers en Parisis.
La fureur des Normands fut grande,
Apres cela ie vous demande,
S’il fera bon estre ennemy
Des Manceaux, Normands & demy :
Manceaux plus dangereux aux hommes,
Que les Normands les sont aux pommes,
Et plus qu’eux diables en procez,
Mais dans le doute du succez,
S’ils sont bien chez eux, qu’ils s’y tiennent,
Ou s’il est bon qu’ils nous soustiennent.
Paris receura volontiers,
Vn renfort de leurs coquetiers,
En ce cas donnez leur escorte,
Ie vous en prie & vous exhorte
En l’honneur des conuois passez,
Que nous auons bien fricassez,
Seigneur, conuoyez nous encores,
Au lieu de ces grosses pecores,
Vn conuoy de chapons du Mans,
La charge de mille iuments ;

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Par paniers bons à Barricades,
En cas d’assauts ou d’ambuscades.
Et couronnez vos bons exploits,
Par le plus friand des conuois ;
Apres que le grand la Boulaye,
N’ait aux combats bigne ny playe,
Et despense moins ses deniers
En chirurgiens, qu’en cuisiniers ;
Quand ie fay rencontre en campagne,
De ces gros buffles d’Allemagne ;
De ** ou de ** Pons,
Sur le qui viue, ie respons :
Respect de sainct Germain en Laye,
Viue le braue la Boulaye,
S’entend apres la Maiesté
Et la bonne principauté :
Mais qu’ils souffrent que ie m’esgaye
A chanter viue la Boulaye ;
Par qui grassement ie vescus,
Sur la moustache du blocus ;
Il passe, enfin, comme tout passe,
Et vient de fondre auec la glace,
Pourueu qu’il n’y retourne plus,
Dieu le conduise, & ie conclus ;
Que Dieu vous conduise vous-mesme,
Pour reuenir apres Caresme,
Manger chez vos Confederez,
Des chappons que vous conuoyrez :

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Que vostre valeur les conuoye,
Ou que vostre ordre les enuoye,
Pourueu qu’ils viennent à bon port,
Nous vous en payerons le port :
En santez, payement commode,
Payer en or n’est plus la mode,
Qu’ils viennent plustost que plustard,
Nous changerons leur plume en lard,
Pour eux nous ferons sans lesine,
Des feux de ioye à la cuisine,
Et grande chere, auec grand feu
C’est nostre compte & vostre jeu :
Si la feste n’est assez bonne
Pour vous conuier en personne,
Qu’il vienne personnellement,
Vingt mille chapons seulement ;
Que de chapons dans vn Epistre,
Mais i’en suis sur vn bon chapitre :
Et ie n’ay point des complimens,
Si gras que vos chapons du Mans,
Ie le dis, & ne m’en puis taire :
Ie le redis & reїtere,
Que foy d’Autheur ie vous respons,
De faire honneur à vos chapons ;
C’est là, mon denier mot pour rire :
C’est le mieux que vous puisse escrire.
Celuy qui fut, est, & sera,
Vostre tres-humble, & cetera,

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Si ie signois Cheualier George,
I’aurois menty non par la gorge,
Mais i’aurois menty par les doits,
Fait à Paris en badaudois,
L’an que toute arme estoit fourbie,
Pendant vn Caresme amphibie :
Moitié cher & moitié poisson,
Moitié farine, moitié son.

 

FIN.

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