Anonyme [1649], LETTRE SVRPRISE ESCRITE A IVLES MAZARIN, PAR SES NIEPCES. BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_2255. Cote locale : C_4_43.
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LETTRE
SVRPRISE
ESCRITE
A IVLES MAZARIN,
PAR SES NIEPCES.

BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez IACQVES GVILLERY, ruë des Sept-Voyes,
deuant le College de Fortet,
proche Mont-Aigu.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LETTRE
SVRPRISE
ESCRITE
A IVLES MAZARIN,
par ses Niepces.

 


HELAS ! depuis l’heure premiere,
Que nous quittasmes la Frontiere,
De la France ce bon pays,
Qui nous fournit tant de Louis,
Nous auons trouué les iournées,
Bien plus longues que les années,
Et pour ne nous pas attrister :
Nous ne sçauons plus qu’inuenter.
Pourquoy, faut-il que la Fortune,
Ait eu pour nous tant de rancune,
Qu’il ait fallu nous esloigner,
D’vn lieu qui nous estoit si cher ?
Il faut croire que ces miseres,
Viennent des Pechez de nos Peres,
Et que nous souffrons tant de maux,
Pour mettre leur ame en repos,
Pour nous, nous sommes innocentes,
De ses afflictions pressantes,
Et nous n’auons point merité,
Vne telle seuerité.

 

 


He ! que ne sommes nous Pauurettes,
Plustost simples Bergeronnettes,
Que non pas d’aspirer au rang,
D’espouser des Princes du Sang,
Si nous auons fait quelques fautes,
C’est dans ces pretentions hautes,
En si cette temerité,
Ne vient pas de nostre costé,

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C’est vous dont la haute prudence,
Nous fist venir dedans la France,
Pour nous y trouuer des partis,
Qui nous auroient fort assortis,
Nous aurions possedé sans doute,
Plus de vingt-millions de maltoute,
Et pour iouyr de tant d’Escus,
Et de si puisans reuenus,
Vous esperiez que quelque Prince,
Nous enleuant dans la Prouince,
Nous mettoit bien tost à l’abry,
De la rancunne du Party.

 

 


Qu’on n’iroit pas chercher la source,
Qui nous auroit emply la bource,
Et qu’vn iour d’illustres Enfans,
Nobles, Guerriers, grands Conquerans,
Ennobliroient nostre heritage,
En le greffant dans leur partage,
Mais le dessein n’a pas esté,
Comme vous l’auiez proietté.
De l’Estat vne autre conduitte,
Nous fist bien tost prendre la fuitte.
Nous auons veu dans vn moment,
Du destin vn grand changement,
Nous auons veu les rouges rouge,
Menaçer d’opprimer le rouge,
Et de crainte que leur courroux,
Ne s’estendist iusques à nous,
Comme estant de vostre sequelle,
On à veu courir les Pucelles,
Qui plus legeres que le Dain,
S’en sont enfuittes tout soudain,
Il falloit bien prendre la cource,
Puisque nous emportions la bourse,
Pour vous, vous sauuerez le Corps,
Pourueu que vostre argent soit hors,
Mais sans commettre aucune offense,
Contre vostre haute Eminence,
Souffrez qu’vne comparaison,
Qui nous semble hors de raison,
Purge nostre melancolie.
Par vn traict de bouffonnerie,
Qu’elle cloche ou ne cloche pas,
On ne la faict que par esbats :
Tout ainsi qu’en place Marchande,
On void aupres d’vne Marchande,
Quelque Bourgoise d’appareil,
Achepter du Saumon vermeil,

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Et pendant que cette mignarde,
Retourne, manie, regarde,
La Moluë, ou le Saumon,
Voicy venir vn franc Larron,
(Qu’apperçoit bien la Harangere,
Qui pourtant ne se haste guere,
D’aduertir, crainte du baston)
Qui ioue de son Espadon :
Il s’approche, & sa main legere,
Couppe la fine gibeciere,
Et la donne dans cét instant
A son Compagnon, le Brigand.
Et puis, quand la Dame s’auise,
Qu’il faut payer sa Marchandise,
Ne trouuant bource, ny filet,
Elle prend le Drolle au collet :
Aussi tost chacun le secouë,
On le roulle dedans la bouë,
Chacun luy donne quelque coup,
Mais pourtant rien l’on ne recou.
Ainsi nous auons pris la fuitte,
Mais vous entendez bien la suitte,
Il ne faut pas parler plus haut,
A bon Entendeur demy-mot,
Et pour parler sans flatterie,
N’est-il pas bien fol, qui s’oublie ?
Il vaut bien mieux dit-on s’enfuyr,
Que de demeurer & perir.
C’est vne loy que l’on pratique,
Et qui n’eust iamais de replique.
He ! bien si l’on est mal-content,
Que faire ? il faut ceder au temps,
Marchand n’est pas qui tousiours gagne,
Il vaut mieux battre la Campagne,
Que d’estre dans vne Maison,
A tenir honneste prison.
Nous sommes pourtant en grand peine,
De sçauoir nouuelle certaine,
De ce que l’on fait à Paris :
L’vn dit qu’il n’est pas encore pris,
Et qu’il faut bien plus d’vne armée,
Pour rendre la Ville affamée,
Que l’on admire sa Vertu,
Bien attaqué, bien deffendu,
Que le Bourgois, fait aux allarmes,
Court, aller promptement aux armes,
Que l’on y voit les Sauetiers,
Bouchers ventrus, gras Chertuitiers,

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Maigres Conducteurs de Broüettes,
Et chetifs crieurs d’allumettes,
Poizon aux Rats, mort aux Souris,
Se promenans dedans Paris,
Faire mille rodemontades,
En dechargent leurs Mousquetades,
Que l’on void à chacque quartier,
Gros Boulanger, fin Paticier,
Auec la Picque, ou Hallebarde,
Monter brusquement à la Garde,
Portant iuste au corps argenté,
Et Coutelas à son costé :
L’autre dit, que chacque Prouince,
Ne souffrira plus qu’on la pince,
Comme on a fait depuis long-temps,
Que tout le monde est mal-contens,
Et qu’on a d’estrange maniere,
Fait la guerre à la gibeciere,
Qu’à present on n’espere plus,
Qu’elle puisse faire aucun flus,
Que sa force est trop affoiblie,
Qu’elle n’a plus qu’vn point de vie,
Qu’à fin de n’en plus rien tirer,
Il ne faut que la deschirer.
Chaque Ville faisant la fine,
Ne dit mot, & fait bonne mine,
Attendant qu’vn coup de signal,
Face iouer tout l’Arcenal :
Qu’on attend le tour de la dance,
Qu’on ne dit pas tout ce qu’on pense,
Et que l’on en veut à quelqu’vn,
Qui se veut tirer du commun :
Que l’on a chassé Particelle,
Auecques la noble Sequelle,
De tant d’illustres Partisans,
Dont on void le meuble à l’encan
Pour nous entendans tant de choses,
Voyant tant de Metamorphoses :
Nous apprehendons qu’à la fin,
On n’y surprenne le plus fin.
Si nous auons bonne memoire,
Nous auons leu dans quelque histoire,
Que bien souuent les plus hardis,
Dans le danger ont esté pris,
Et que quand moins on se defie,
C’est lors qu’il faut perdre la vie.
Laissez-là ce Peuple mutin,
Venez dans le pays Latin,

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Faittes promptement ce voyage,
Si vous auez libre passage,
Où bien sans vous mettre au hazard,
Tirez vos chausses à l’escart,
De iour, de nuict, pas il n’importe,
Pourueu que vous trouuiez la porte ;
Car nous croyons qu’en seureté,
Vous n’estes point de ce costé.
Faites comme vn sage Pilote,
Qui ne peut conduire sa flotte,
Parce que la fureur du vent,
Rompt son voile par trop souuent,
Quand la tempeste le mâtine,
Qu’il a perdu Carte Marine,
Et qu’il recognoist que son art,
Peut moins que non pas le hazard :
Il quitte aussi tost la Boussole,
Qui luy fait cognoistre le Pole,
Et laisse couler son vaisseau,
Sans s’opposer au gré de l’eau.
De mesme le Ministre Sage,
Doit caler le voile à l’orage,
Et ceder au vent furieux,
D’vn peuple chand & bilieux,
Qui se picque & se desespere,
Quand on vuide sa gibeciere,
Vous dites vn, Prince du Sang,
Me maintiendra bien en mon rang,
C’est luy qui deffendra ma cause :
Que sçauez-vous ce qu’il propose ?
Quoy ! voudra-il bien maintenir,
Qui l’a voulu faire perir,
L’exposant dans vne bataille,
Sans luy fournir denier n’y maille ;
Pour du mal, de rendre du bien,
C’est agir en tres bon Chrestien,
Mais dedans le temps où nous sommes,
On trouue bien peu de ces hommes,
Asseurément au Cardinal,
Pour du bien, on rendra du mal.
On sçait que souuent des Ministres,
Les intentions trop sinistres,
Ne buttent qu’à leur interest,
Et qu’aux Princes cela desplaist,
Qui d’ordinaire ont du courage,
Pour chasser qui leur fait outrage,
Et ne souffrent facilement,
Prés d’eux, vn homme de neant :

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Mais quand vn estranger aspire,
Au gouuernement de l’Empire,
Qu’il ruine tout le pays,
Ha ! combien fait il d’ennemis ?
Et puis quand il vient par malice,
A s’attaquer à la Iustice,
Et qu’il veut renuerser les Loix,
Car, qu’il ne tombe à cette fois.
Les Iuges sont de Dieu l’Image,
Chaque homme leur doit rendre hommage,
On doit auec humilité,
Se soumettre à leur volonté,
Ce sont des demy Dieux sur terre,
De qui la voix comme vn tonnerre,
Sçait foudroyer les Criminels,
Par des Arrests tres solemnels :
Leurs paroles sont des Oracles,
Leurs actions sont des Miracles,
Et qui ne leur veut obeyr,
Tost ou tard on le voit perir.
On dit icy que c’est le crime,
Dont on accuse vos maximes,
Vous auez voulu nous frotter,
A qui ne pouuez resister ?
Et que sans pouuoir vous deffendre,
On vous a pris en pensant prendre,
Suiuant la reigle d’auiourd’huy,
Qui dit, ce qu’on te fait, faits luy.
N’auiez vous pas prou de Finance,
Pour viure en repos dans la France ?
Pouuiez vous pas passer vos iours ?
Et nous doucement à la Cour :
A present dans qu’elle contrée,
Aurez vous retraitte asseurée ?
Banny de France honteusement,
Par des Arrests de Parlement :
Mais pourtant gaignez la gueritte,
N’attendez plus, prenez la fuitte,
Sut tout ne nous obstinez pas,
De peur de trouuer le trespas :
Ne doutez plus sur la sortie,
Quand vous quitterez la partie,
Rien du vostre vous ne perdrez,
Gardez d’estre pris dans les rets,
Que si vous craignez ce voyage,
Et qu’on ne vous guette au passage,
Si vous nous voulez croire encor,
En ce cas, faittes vn Pont D’OR.

 

FIN.

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