Anonyme [[s. d.]], Lettre à la Reyne pour la cause publique, comme elle doit chasser Mazarin. , françaisRéférence RIM : M4_48. Cote locale : C_3_10.
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Lettre à la Reyne pour la cause
publique, comme elle doit
chasser Mazarin.

MADAME,

Ie voudrois icy espargner vos oreilles, mais
la fidelité que i’ay vouée à V. M. pour vostre seureté,
& pour l’honneur de vostre conduite dans
l’Estat, me fait dire que vous sçauez aussi bien
que moy, que la voix publique dit, qu’vn seul
homme est la cause de tous les malheurs qui
sont arriuez, & bien d’autre qui nous menacent
d’vne entiere dissipation, & qu’il faut acheuer
le reste.

Madame, ie veux icy espargner ma plume,
pour ne vous point dépeindre les rigueurs de la
guerre, pauure France qui a cousté tant de peines,
& de millions d’hommes à ce grand Henry
IV. pour ta reparation, & maintenant il t’en
couste bien d’autrer auec l’argent, pour le plaisir
d’vn Ministre estranger, ce bon reigne n’est
plus, nous sommes tous en seruitude & esclauage,
ie veux, Madame, si le croyez que soit vn

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parfait Ministre d’Estat, vous deuez pourtant
apres les plaintes de tant de personnes de toutes
façons, voir ses fourbes & le chasser comme vn
traistre. qui n’eust iamais mis le pied en France
si ce n’eust esté par ses trahisons : finissez aussi
genereusement v. Regence comme vous l’auez
cõmencé, plustost que de ternir vostre gloire,
& celle du Roy vostre fils, ce Dieu donné, à qui
vous deuez laisser plustost l’amour des peuples,
que la vengeance d’vn Ministre estrãger. Faites
remonter vostre vertu sur le Throsne, & prenez
vn cœur de mere, car ce Ministre pourra vn
iour faire (si vous ne prenez gardes à vous)
comme fit le Tyran Philomele, qui fit present
à sa baladine d’vne belle couronne d’or : mais ce
n’estoit pas pour le bien qui luy vouloit, mais
pour la haine qu’il luy portoit, afin qu’elle fust
enuiée de tout le monde, elle arriue de Metopont
en Italie, & se met à danser dans le Temple
d’Appollon. Les ieunes gens l’enuironnent, se
iettent dessus sa Couronne, s’animent les vns
les autres, iusques à ce qu’ils dechirent en pieces
la pauure baladine, ie crains qu’vn iour la mesme
chose ne vous arriue : & que ce Ministre
que vous aymé tant, ne soit la cause de vostre
mal’heur, & que la mesme Couronne qui est
sur vostre teste ne soit mise à vos pieds.

 

MADAME, c’est vne terrible chose qu’vn

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peuple mutiné le subiect en est assez grand, ils
ont pris les armes, il est vray : mais plustost pour
vostre deffence, & pour empescher vn nombre
factieux de Mercenaires, que de les porter contre
vous. Ces peuples qui vous ont tãt chery, &
qui vous tendent encore les bras, & implorent
vostre assistance, faites donc pour ce peuple, ce
que Dieu a fait pour vous & pour nous, de pardonner
à ses plus grands ennemis, & ne voulez
pas par donner à tant d’innocens ? en quoy vous
ont ils offensées, faites donc maintenant ce que
vous voudriez auoir fait deuant le Tribunal de
Iustice, estant despouillée de vostre Couronne,
n’ayant plus deuant les yeux, que le bien & le
mal que vous aurez faict ? Pardonnez donc
grande Reyne, comme vous desirez estre pardonnée
de Dieu.

 

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