Anonyme [1649], MANVEL DV BON CITOYEN, OV BOVCLIER DE DEFENSE LEGITIME, Contre les assauts de l’Ennemy. , françaisRéférence RIM : M0_2406. Cote locale : C_6_5.
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MANVEL DV BON CITOYEN,
OV
BOVCLIER DE DEFENSE LEGITIME,
Contre les assauts de l’Ennemy.

IE sçay bon gré à nos Predicateurs de ne s’estre
point encore ingerez d’animer le peuple à la iuste
guerre où il s’est embarqué de luy-mesme par vne
legitime defensiue : Et de verité il ne faloit pas de
consultation, ny d’exhortation, où il n’y auoit pas
de doute. On me veut oster le pain & la vie ; ie le
conserue, ie la defends : Cela est naturel. Les hommes & les bestes
sont en possession de ce droict : Il est escrit dans le cœur de tous les
animaux auparauant le Decalogue, & la Loy des douze Tables. Mais
parce qu’il y a des esprits denaturez qui voudroient étouffer la lumiere
de cette verité, & qui se sont volontairement iettez dans vn
abbrutissement pire que celuy de Nabuchodonosor, par l’auersion
qu’ils ont de Dieu, & de toute humanité, il faut empescher que leur
contagion & leur exemple n’en attire d’autres qui ne sont pas encore
totalement corrompus. Car par malheur nous sommes d’vne legere
& inconstante nation, qui fait toutes choses par mode & par singerie,
sans considerer ce qui est vtile, ce qui est honneste, & conuenable,
Patience, si cet abus se terminoit aux habits, & s’il n’auoit lieu que
parmy la ieunesse de l’Academie, ou du Regiment des Gardes : Mais
nos vieillards mesmes, ausquels il sieroit bien de se tenir aux mœurs
anciennes, se laissent emporter au torrent du temps present, & changent
leurs glands & leurs cordons de chapeau à l’appetit & à la mode
des ieunes gens. Vn Barbier, vn Tailleur, vn Maistre à danser vn peu
entreprenans & inuentifs, vont changer toute la face de la Cour en
moins de huict iours, aussi facilement que Bellerose fera la Scene de
son Theatre. Depuis trois iours les femmes ont pris les manches de

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nos chemises ; il se trouuera bien tost quelque effeminé, qui prendra
celles des femmes, & à l’instant tous les gentils en feront de mesme.
Ces choses semblent de peu d’importance, mais elles font consequence
& argument pour les plus grandes. Vn Blasphemateur du
Marais du Temple, ou de chez la B****, n’a pas plustost inuenté
vn nouueau reniement, qu’il se communique par tous les Berlands
de la ville & du fauxbourg sainct Germain, & retentit en la bouche
de tous les laquais. Les bons compagnons en partent huict iours
plustost, pour en faire part dans les Prouinces. Il n’y a qu’en France
que cet abominable abus se pratique. Car en quel autre endroit de la
terre est-il sorty de la bouche d’vn homme ce vilain refrain de débauche,
Pour moy par raison ie butte à deuenir beste brute ? Cependant
nous l’auons entendu chanter, & auons veu des Spirituelles qui
trouuoient que c’estoit vne belle rencontre. Quel aueuglement, &
quelle fureur ! Comme aussi de vouloir introduire parmy nous des
abominations qui ne sont point du cru de nos Prouinces, qui sont
contre le goust & le gré de nos temperamens, & qui ne nous appartiennent
non plus que les flammes du Mont Ætna à celuy de Montmartre.
Cependant pour complaire à quelque coryphée de volupté
déprauée, nous voyons que de vilaines gens s’entretiendront de ces
saletez, & en feront su jet de vanité, qui d’ailleurs n’en ont pas mesme
la tentation. Ce qui ne vient que de cette conformité & mode maudite,
par laquelle nous adherons aux mauuais exemples. Dieu souuerain,
quelle grande reformation vous feriez dans cet Estat, si vous
luy vouliez donner vn bon Roy ! Nous n’aurions point affaire de Predicateurs,
ny de Pasteurs : Nous pourrions fermer le liure de vos
Escritures & de vostre Euangile : Nous nous sanctifierions sur le
modele & le patron d’vn pieux & sage Prince. Donnez-le nous tel, ô
grand Dieu ! éleuez cettuy-cy dans la discipline de vostre Loy ; inspirez
luy la pieté & la iustice, & ne souffrez pas qu’il prenne le mauuais
air d’vne pernicieuse education ; chassez de bonne heure ce malheureux
Demon qui possede sa Cour & sa personne ; nous vous en
prions au nom de nostre Seigneur Iesus Christ vostre fils, & y joignons
les vœux de tout ce grand Royaume. Apres auoir mis Dieu
de nostre costé par vne humble, feruente, & confiante inuocation,
essayons de ramener & conuertir ces consciences confisquées qui
s’opposent au bien public, & qui ont renoncé à l’humanité, & qui par

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vne orgueilleuse opiniastreté nous veulent asseruir & assuiettir contre
l’esperance de liberté que la Prouidence nous promet. Mais est-il
donc possible qu’il y aye des hommes qui veüillent estre esclaues de
leur consentement ? Regulierement il n’y en doit point auoir ; il y en
a neantmoins, & nous auons veu dans les Loix Romaines que des
hommes libres se sont vendus & rendus esclaues à prix d’argent : encore
auiourd’huy nous en voyons qui s’obligent dans les Galeres aux
sujetions de la peine & de la seruitude. Bien dauantage, il s’est trouué
vn homme dans l’armée du Comte Maurice, pendant le dernier
siege de Reinbergue, lequel moyennant vne somme de cent escus
s’offrit à estre pendu pour vn autre sur lequel le sort d’vne decimation
estoit tombé. Son dessein estoit de laisser cette somme à sa femme ou
à ses enfans, ne se voyant pas en estat de leur laisser rien du tout lors
qu’il moutroit, ou par maladie, ou par la fortune des armes. Ces pensées-là
sont horribles & monstrueuses : mais enfin il y a des testes assez
creuses pour les former, & il se trouue des hommes qui ont dépoüillé
l’humanité : des Timons, des Lycantropes, desquels on ne
doit attendre ny religion vers Dieu, ny pieté pour la patrie. Leur
Dieu c’est leur auarice, & cette auarice est la Metropole & l’Arsenac
de tous les maux & de tous les crimes. C’est cette auarice qui a fait les
flatteurs & les donneurs d’aduis ; c’est-elle qui a fait les Maletostiers,
les Fuseliers, & les Intendans. Courons à cor & à cry cette monstrueuse
beste, qui est pire que les Allemands & les Polaques, & plus
pernicieuse à cet Estat, que le Mazarin mesme. Elle est seule capable
d’occuper toutes nos forces, tant elle est terrible, tant elle est opiniastre
& acharnée, & ie ne sçay si l’armée de Paris & celle de Monsieur
de Longueuille seront suffisantes pour la mettre à la raison. Voicy
neantmoins deux aduis que ie tiens indubitables, si on les veut executer
de bonne foy. C’est vne seuere Chambre de Iustice contre les
Maletostiers, leurs fauteurs & adherans, & vne Loy sumptuaire. Par
la Chambre de Iustice on fera repetition & reparation de tous les
larrecins du passé ; par vne Loy sumptuaire on préuiendra ceux de
l’aduenir. Si quelqu’vn a quelque meilleur aduis à proposer, ie suis
prest de l’entendre, & d’y adherer ; car dans cette necessité vrgente, si
nous ne déposons toute sorte de jalousie & d’attachement à nostre
propre sens, nous ne ferons rien qui vaille, & il nous arriuera comme
aux consultations où l’on appelle les Medecins des deux Facultez ;

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pendant qu’ils contestent du poinct d’honneur, & refusent de passer
à l’aduis les vns des autres, le malade meurt entre leurs mains. Ne
vous souuenez-vous point des Estats de six-cens quatorze : leur deputation
cousta plusieurs millions aux Prouinces de France. Ils vindrenticy
disputer de la Chappe à l’Euesque, & de la puissance du
Pape. Le Cardinal du Perron estalla ses belles cognoissances, &
trionfa de bien dire : Le sieur Sauaron produisit les fruicts de ses
longues & sçauantes lectures : les Euesques de Montpellier, de Grenoble,
du Belley firent des Predications tres-ingenieuses & treseloquentes :
les Marquis de Senecey & du Pont S. Pierre, Presidens
de la Noblesse, & plusieurs autres grands Seigneurs y protesterent vn
grand zele. Enfin de compte la France leur demeura redeuable de
leur bonne volonté, & nulle reformation ne s’en ensuiuit. Si au lieu
de consommer le temps en prefaces & en émulations d’eloquence, ils
fussent entrez en matiere vtile & necessaire, il en eust reussi quelque
bon effect. Mais ces grandes & ceremonieuses conuocations, & qui
sont faites par le choix des Fauoris, qui gouuernent, & qui tiennent la
bourse, ne produisent que du faste, de l’ambition, & de la vanité. Des
Estats libres & des deputations legitimes faites par le libre choix
des Ecclesiastiques, des Nobles & du Tiers Estat, pourroient produire
quelque important succez. Mais auant que cette Assemblée
se puisse faire seurement & legitimement, les années entieres se passeront,
& cependant on fera du feu de nos autres villages ainsi que de
Charenton. Mais pourquoy nous amuser à vne conuocation d’Estats
Generaux ? Chaque Prouince ne les peut-elle pas assembler sans frais
& sans indiction ? Chaque Parlement n’est-il pas composé des mesmes
personnes qui cõposent les Estats ? Messieurs les Euesques, & la haute
Noblesse n’y ont-ils pas entrée, seance & voix deliberatiue ? & lors
qu’ils feront la premiere démarche pour procurer le bien du peuple,
ne seront-ils pas secondez de ses vœux, prieres, & acclamations ?
Ne peuuent-ils pas concerter auec les notables Bourgeois &
Marchands sur les occurrences diuerses par des assemblées de ville,
& par des accommodemens conuenables, sans s’arrester trop superstitieusement
aux rangs & aux formalitez qui suffoquent la iustice ?
Que chaque Parlement recherche les cruautez & les exactions qui
ont esté faites dans son destroit, & qu’il les punisse. Cela se peut faire
sans toucher aux droicts Royaux, ny à l’authorité Royale : au contraire,

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c’est au nom de cette authorité, & selon sa droicte intention
qu’ils agiront. Que veulent donc dire nos aduersaires quand ils alleguent
que la Majesté Royale est offensée lors que l’on crie au meurtre
sur l’oppression d’vn Fuselier ou d’vn Gabeleur ? Quelle parenté y
a-t’il entre la Railliere & Catelan auec nos Roys, pour qualisier de
rebellion la iuste resistance que l’on fait à leurs exactions ? Que veut
dire cettuy-là qui a mis dans son placart que l’Estat de France est le
plus Monarchique du monde ; comment cela se peut-il entendre
qu’a nostre honte, & à la confusion de nos Roys ? qu’il nous dise vn peu
ce que c’est qu’vne Monarchie excessiue. Et quelle autre satisfaction
pretendent ces gens-là, sinon qu’en reduisant leurs Concitoyens &
Compatriotes sous le pressoir & la torture, de s’eriger en satellites
& en confidens de cruautez, de voluptez, & de toutes sortes de pernicieux
conseils ? Ils se distingueront peut-estre par emplois & par
offices, comme ils ont desia fait : l’vn prendra l’intendance du Theatre
& des Comedies, l’autre des festins & de la bonne chere, l’autre des
cartes & des dez ; ils auront mesme l’impudence d’y faire attribuer
des titres & des priuileges, ce sera peu de chose de les denommer
comme ceux de Tibere, ou de Caligula, A Voluptalibus, à Tripudtis,
à Prostibulis. Il y aura vn grand Blasphemateur, vn grand Fuselier, vn
grand Berlandier, vn maistre des impies, &c. Le papier François
resiste à l’escriture de cette infamie, & voila à peu pres le bref estat
des Officiers de ton Monarque extraordinaire, dont Dieu nous preserue
s’il luy plaist ; car par sa diuine grace nous n’en auons point encore
veu en ce Royaume, & dans cette zone temperée de la France,
qui ayent approché de ces excez. Et Louys XI. dont on parle
tant, ne peut estre valablement accusé que de trop de morosité sur ses
vieux ans, & de trop de ialousie de son successeur. Ce qui le ietta
dans des terreurs qui le rendirent moins accessible, & moins pitoyable
aux necessitez de son peuple, dont il a merité le reproche & la
malediction iusques à nos iours ; au lieu que nous adorons la bonté
& la mansuetude de Louys XII. & que nous admirons la clemence
d’Henry IV. pour auoir admis le Duc du Mayne à son estroite
confidence & bien veillance, qui luy venoit de contester sa couronne,
& pour s’estre sincerement reconcilié auec tous ses ennemis, & qui
vouloit mesme pardonner au Mareschal de Biron, sans la resistance
genereuse que luy firent le Chancelier de Belliévre, & le President

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de Harlay, dont la memoire soit en eternelle benediction. C’estoit
vn Roy celuy là, c’estoient des Magistrats, dont les statuës deuroient
estre erigées au plus éminent lieu de la grand’Chambre du Parlement.
Loin donc, impudent Escriuain, ton Monarque exorbitant.
Nous en voulons vn regulier & moderé, & qui ne soit point empoisonné
par tes pernicieuses instructions. Ne va donc point declarer à
nostre ieune Roy, ny à la Reyne sa mere, ce qui se passa sous Charles
VI. si tu ne leur expliques de bonne foy la verité de cette histoire,
& si tu ne leur fais aussi entendre les malheurs des Roys & des Reynes
qui ont abusé de leur authorité. Ie m’estonne en cet endroit, &
tous les gens de bien tombent dans la mesme pensée, d’où vient que
nos Capucins qui n’ont rien ny à pretendre, ny à craindre, quand ils
preschent deuant les Roys, ne leur disent franchement les veritez
necessaires dont la cognoissance & la pratique establiroit leur condition,
& leur gagneroit la bienveillance des peuples ; au lieu que la
flatterie & le mensonge les esbloüit, & les fait chanceler, & sousleue
tout le monde contre leur gouuernement ? Est-il iamais arriué qu’vne
discrete & pieuse reprimende aye fait tort à vn Prince ? & n’arriue-il
pas tous les iours que les flatteries les perdent & les damnent ? Ie ne
veux pas neantmoins qu’on leur rompe la teste par vne longue narration
des histoires passées, ny qu’on lasse leurs yeux par des lectures
importunes. Qu’on les aduertisse seulement de considerer ce qui se
passe dans les Royaumes voisins. Qu’ils demãdent à Renaudot ce qui
s’est fait ces derniers mois à Constantinople : car le cas d’Angleterre
est trop odieux. Est-il possible qu’on les laisse dans l’ignorance de ces
veritez ? est-il possible qu’ils n’en sçachent pas faire l’application ?
Cependant il n’est que trop certain qu’on leur cele, ou qu’on leur
déguise les plus importantes occurrences ; ie ne l’aurois pas creu si
ie ne l’auois appris de tres-bonne part. Vne personne familiere à
Monsieur d’Engoulesme le conjurant de contribuer ses soins au bien
de l’Estat dans les occasions presentes, & que tout dépendoit de l’éloignement
du Cardinal Mazarin ; qu’il auoit qualité & authorité
pour porter cette parole à la Reyne : Il respondit qu’il n’osoit pas
l’entreprendre. Ie sçay encore d’aussi bonne part, qu’vne autre
personne s’entretenant il y a quelques années auec ce mesme Prince,
sur le sujet du Cardinal de Richelieu, & qu’il ne deuoit pas luy rendre
tant de deference ; Il luy repliqua que ce n’estoit point à luy à

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s’opposer à cet important Ministre, & luy allegua pour toute excuse,
les respects que luy rendoit le feu Prince de Condé ; de sorte que si
les personnes de cette qualité, de cette experiẽce & suffisance, n’osent
contrarier vn Fauory, ny proposer vn aduis salutaire, quand il n’est pas
du goust du Souuerain, nous ne deuons plus rien attendre, sinon du
costé de Dieu, ou de quelqu’vn de ses Prophetes. A present neantmoins
que la Piscine est esmeüe, & qu’il se presente quelque esperance
de guerison pour ce pauure Estat, qui est paralytique de la plus
grande partie de ses membres : si nous sommes assez heureux pour y
bien reussir, ie voudrois qu’entre les bons regimes qui seront proposés
pour l’aduenir, il y eust vn iour de la semaine auquel leurs Majestez
prissent la peine d’entendre les plaintes de leurs subjets : Que pour cet
effet, & pour leur adoucir ce trauail, ils eussent des Introducteurs,
des Auditeurs & autres Officiers, comme sont les Prestaues de Septentrion,
& les Chaoux d’Orient ; mais sur tout de bons & fideles
Ecclesiastiques, tantost d’vn ordre, & tantost d’vn autre, qui seroient
porteurs & rapporteurs des supplications du peuple vers le Prince,
& des bienfaits du Prince vers le peuple, Hinc precum, hinc donorum,
comme les bons genies des Philosophes Platoniques, ou, pour mieux
dire, comme nos Anges Gardiens & Mediateurs : Ils en seroient bien
plus sages & plus absolus, & leur authorité bien plus affermie par la
bien veillance de leurs subjets. Mais vne chose pouuons-nous dire
sans flatterie & sans desguisement ; que les Princes ne sont point tant
coupables de nos maux, comme sont les flatteurs & les perfides Conseillers ;
& peut-estre que le plus ferme d’entre nous, s’il estoit attaqué
d’autant de tentations & de secousses qu’on leur baille, chancelleroit,
& succomberoit plus lourdement & dangereusement qu’ils
ne font pas. C’est pourquoy il faudroit faire vne instante & serieuse
poursuite contre ces faux Ministres, qui les assiegent, les possedent &
les charment. Car puis que les Princes ne voyent & n’entendent que
par leurs organes artificieux, il est impossible qu’ils soient informez
de la verité des choses, impossible qu’ils en iugent autrement que
par l’information corrompuë qu’ils en ont. Au reste les gens de bien,
qui pourroient leur parler franchement & consciencieusement, leur
sont descriez comme des fols & des extrauagans ; & comme leur
propre modestie les retient, l’impudence des meschans les rebutte,
& la calomnie les décredite. Comment est-ce donc que les Rois

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sçauront la verité ? peut-estre par les reuelations immediates de
Dieu ; cela est fort rare : ils la pourroient apprendre des Ministres
de l’Eglise, si on leur en laissoit la liberté, & si leurs Fauoris ne les
promenoient pas à tel auditoire qu’il leur plaist, & ne leur donnoient
pas les impressions & les preuentions d’esprit pour leur faire haïr
ceux-cy, ou ceux-là : Ont-ils pas descrié comme vn heretique, l’vn
des plus zelez Predicateurs qui aye paru de nos iours ? en ont-ils pas
emprisonné vn autre ? Ont-ils pas formé ce scrupule, Qu’il n’est pas
expedient qu’vn mesme homme soit Confesseur & Predicateur du
Roy, de peur de taxer en preschant les fautes qu’il auroit ouyes en
Confession ? Nous ne voulons pas faire les Rois de pire condition
que les autres fideles, en leur ostant le choix de leurs Confesseurs :
mais si aurions-nous grande raison de desirer qu’ils en changeassent
quelquefois, & en essayassent des plus capables, qui fussent informez
des desordres & des necessitez publiques, & pourueus d’vne excellente
vertu. Est-il possible que ce vieux Cordelier Espagnol, qui
n’entend, ny ne parle nostre langue, & qui n’a commerce quelconque
parmy nous, soit capable de diriger la conscience d’vne Reyne
de France, préposée à vn si vaste Royaume, chargée & responsable
du gouuernement de tant d’ames, & de tant d’affaires ? Il seroit
donc d’vne extreme importance, que tandis que le Roy est en aage de
receuoir instruction & correction, on luy pourueust pour Confesseur
du plus sage & plus consciencieux Ecclesiastique de tout son Royaume,
qui le nourriroit aux maximes de l’Euangile, en la crainte de
Dieu, au respect de sa mere, & en l’amour de son peuple. Lors qu’il
sera en aage de discretion, ce seroit vn excellent conseil de luy persuader
d’en auoir plusieurs, & de leur commander en qualité de Roy,
de luy bien commander en qualité de Pasteurs ; & apres leur auoir
fait ce commandement au nom de la Majesté, de se sousmettre puis
apres à eux à tiltre de fragilité, d’humanité, & de filiation. L’ancienne
Theologie des Poëtes estoit celle-cy, que Iupiter le Roy des hommes
& des Dieux auoit estably les Destinées, & qu’apres les auoir vne
fois establies, il leur obeïssoit tousiours, Semel iussit, semperparet. On
condamne, & peut-estre à bon droict, cette pompe exterieure, & cette
dignité esclatante des Prelats de l’Eglise ; mais si en retrenchant
quelque chose de ce lustre, ils se maintenoient en la solide & legitime
authorité de leurs predecesseurs, ils remedieroient à beaucoup

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de crimes & d’inconueniens où le Magistrat seculier n’ose pas s’interposer.
Mais nous auons veu, helas ! à la confusion d’vn Royaume
Tres-Chrestien, qu’vn genereux Prelat voulant faire le deû de sa
charge, & se presentant pour appaiser vne effroyable sedition, est impudemment
qualifié du nom de Tribun, par des bouffons de Cour, &
est contraint de s’en retourner sans effet, apres de tres-prudentes,
tres-sainctes, & tres charitables supplications ; & qui sçait si toute
cette fascheuse suite n’a point esté la vengeance de ce mespris ? N’aigrissons
point cet vlcere en le remaniant, mais rendons la loüange à
la memoire des siecles passez. Ceux de la ville d’Antioche, pendant
vne sedition, abbatirent les statuë, de l’Imperatrice. L’Empereur
Theodose venoit à main armée, pour venger cette injure ; l’Euesque
Flauianus alla au deuant. Durant son voyage toute la ville estoit en
inquietude & en apprehension : on fit des prieres publiques dans l’Eglise,
& sainct Chrysostome qui estoit comme le Coadjuteur de cet
Euesché, par les bons offices qu’il y rendoit, montoit tous les iours
en chaire, & les fournissoit de consolations & d’exhortations sur
l’occurence & la necessité qui les pressoit ; & entre les autres, se
fondant sur l’authorité & sur le charactere de ce sainct Euesque, il
leur disoit : Comment est-ce que celuy qui a pouuoir de remettre les
crimes & les injures qui sont commises contre Dieu, n’aura pas le credit
de composer de celles qui sont faites contre l’Empereur, qui n’est
qu’vn homme ? Il en arriua selon la creance & la prediction de sainct
Chrysostome. Le sainct Patriarche s’estant presenté à l’Empereur,
les armes luy tomberent des mains, & il se défit auec sincerité & generosité
de tous ses ressentimens, sans aucune reserue de vengeance.
Ce mesme Empereur, fort peu d’années apres, ayant exercé quelque
seuerité contre la ville de Thessalonique, il souffrit auec patience
la correction & la penitence publique, qui luy fut imposée par
l’Archeuesque de Milan, sainct Ambroise. Ainsi en vsoient les
anciens Princes Chrestiens, ainsi en vseroient ceux de nostre siecle,
s’ils n’estoient pas obsedez de tant d’impies & perfides Courtisans.
Mon aduis seroit, puis que nous en sommes sur l’article de la
Religion, que dans le Formulaire des Prosnes on excommuniast
par chaque Dimanche tous Flatteurs & Fauoris indignes, ainsi
que les Sorciers, & les Noüeurs d’esguillettes ; aussi-bien a-t’on
tousiours creu que ces violentes & incomprehensibles affections que

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les Princes tesmoignent à ces damnables personnes, estoient conciliées
par characteres & sortileges. C’est assez de ce chef : Disons quelque
chose de nos Magistrats seculiers, de leur pouuoir en general,
& de leur legitime procedure dans les affaires presentes. Les sieurs
Molé, Viole, Nouion, Nicolai, sont Citoyens de Paris, puis qu’ils
y sont nez, baptisez & demeurans ; par consequent obligez à toutes
les fonctions de bons & fideles habitans, & en communion de toutes
sortes d’interests auec les autres Bourgeois. Cé qui les distingue
du commun des autres, ce sont les charges de Magistrature qu’ils y
exercent, pour lesquelles le peuple leur est obligé de respect & d’obeïssance,
à cause du rang qu’ils tiennent dans les Compagnies souueraines ;
auec lesquelles cognoissans & iugeans des differens des parties,
en la forme qui leur est prescrite par les Loix, & au nombre competent
& limité par les mesmes Loix, ils font Arrest dont il n’y a point
d’appel D’où il s’ensuit qu’ils n’ont pas vne simple subordination
à la Majesté Royale, mais qu’ils en font portion en fait de iudicature,
comme les Connestables & Generaux d’armées au fait des armes.
Car c’est vne maxime qu’il faut tenir pour certaine, & les supposts de
la domination violente ne la sçauroient destruire, Que tout de mesme
que l’ame raisonnable qui est répanduë dans vn corps, en ce membre
cy elle informe & fait vn bras, en cet autre vne iambe, vne cuisse, vne
dent, vn doigt, & ainsi du reste. Tout de mesme en arriue-t’il dans le
corps politique d’vn Estat, de quelque nom qu’il soit qualifié, soit
Monarchique, Aristocratique ou Democratique ; c’est à sçauoir que
l’authorité, le droict & la faculté qu’a ce peuple-là de se gouuerner
& de se maintenir, se répand & se communique par tout le corps
politique ; la teste duquel s’appelle vn Roy, vn Empereur ou vn Duc ;
les autres parties nobles & principales sont Conseillers, Magistrats,
Gouuerneurs, Capitaines, Consuls, Escheuins. Celles d’audessous
sont Marchands, Laboureurs, Matelots, Artisans. Et en fin les plus
basses sont Manœuures, Portefaix, Mendians, & autres personnes
qui composent la multitude. De la composition de tous ces membres
reussit vn corps politique & moral, lequel ne sçauroit se bien
porter ny subsister, que par la parfaite correspondance, liaison & continuité
de tous ses membres, Alterius sic altera poscitopem res, & conjurat
amicé. Or cecy n’est point vne chimere de speculation, c’est vn discours
fondé en l’Escriture saincte au chapitre douziéme de la premiere

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Epistre aux Corinthiens, où il demonstré que Dieu, qui animé
l’Eglise par son Sainct Esprit, il le distribuë non seulement au
chef, mais encores aux moindres membres selon la proportion, &
l’vsage de chacun d’iceux. Ainsi deuons-nous dire de la Majesté, &
du pouuoir qui appartiẽt à chaques peuples pour se regir, maintenir
& conseruer. Ils en ont donné la principale fonction à leurs chefs,
mais ils ne s’en sont pas priuez totalement : ils n’ont pas entendu se
rendre esclaues, ny deuenir stupides, & insensibles comme des troncs
de bois. De sorte que nostre Seigneur Iesus-Christ ne dédaignant
pas de communiquer son Esprit au moindre des fideles, ny de se
qualifier l’vn de ses membres, on ne fait point de tort au Prince,
quand on soustient que les Magistrats, chacun dans leur cõpetence,
ont vne participation de son authorité, plus ou moins grande, selon
l’estenduë & la dignité de leurs charges, & selon les diuerses fortunes
qui arriuent au Souuerain. Par exemple, quand nos Rois ont entrepris
des voyages d’Outre-mer, il est certain que les Magistrats
auoient plus de pouuoir & plus d’empire que pendant leur presence
& residence actuelle. Le mesme arriue-t’il dans les interregnes, le
mesme encore pẽdant les minoritez. Quant est de ce pouuoir absolu,
infiny, indépendant, & qui n’a point de bornes, il n’appartient qu’à
Dieu seul, lequel ayant vne bonté, vne sagesse, & vne puissance infinie,
il n’en sçauroit mal vser. Et ceux qui veulent mettre la Majesté
des Rois à ce haut poinct trãscendant & exorbitant, ils pechent contre
la propre seureté des Princes, & ne font rien pour eux-mesmes ;
car nous voyons par les histoires qu’ils ont esté les premiers écrasez,
& chastiez par la rigueur de leurs propres aduis. Ce n’est pas que
nous pretendions icy, en fortifiant le party des Magistrats, affoiblir
l’authorité legitime du Prince, ny rien innouer en l’Estat d’vne Monarchie
de douze cens ans, sous laquelle nos Predecesseurs ont vescu.
Ie veux croire que nul Parisien & nul François, en sa plus cruelle
oppression, n’est pas capable de former cette pensée, & la calomnie
du Placard n’est assistée d’aucne apparence, quand il dit que deux
cens Conseillers du Parlement se veulent eriger en Tyrans, pour
gourmander tout le reste de la France. C’est bien mal entendre leur
intention, veu qu’ils n’ont iamais pretendu autre chose que repurger
cet Estat de la vermine des Partisans, & de leurs fauteurs ; car quant
à l’interest, & à l’honneur des Princes, ny mesme à leurs delices, & à

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leurs pompes, le plus impudent calomniateur ne peut pas dire qu’on
aye iamais fait la moindre proposition de leur rien retrencher ; au
contraire on a trouué à dire que les pensions & autres dépenses de
cette nature, qu’il a pleu à leurs Majestez de faire à la Reyne d’Angleterre,
ayent esté employées dans des comptans, comme des parties
honteuses & indignes d’estre auoüées & mises au iour. On n’a
iamais trouué à redire à la magnificence de leurs Palais ; bien au contraire,
le peuple en voyant le luxe des Fauoris & des Financiers, a
tousiours murmuré de ce qu’on n’acheuoit pas le bastiment du Louure.
Tout ce grand appareil de Gardes Escossoises, Suisses, Françoises,
n’a iamais esté controllé ny du Parlement, ny du peuple ; ouy
bien celles qui ont esté vsurpées par le defunct Cardinal, & par celuy-cy.
Les seules liurées du Roy, sur les espaules du moindre Valet
de pied, sont respectées & cheries par tout, encore dans ce temps
malheureux, auquel on veut affamer Paris, les Pouruoyeurs de leurs
Majestez sont priuilegiez, & enleuent tout ce qu’il leur plaist dans
nos marchez ; & dernierement que par vn stratageme, qu’on ne peut
honnestement nommer, on fit cesser l’ordinaire des Officiers du
Roy, il n’y eust bon Bourgeois qui n’en fust indigné, & qui ne fist offre
de sa bourse pour reparer ce scandale. Mais comme cette affection
est deüe au Roy & à la famille Royale, c’est vn souleuement
de cœur, & vne auersion generale que le Peuple, le Parlement, &
tous les Nobles ont contre les Fauoris, Flatteurs & autres Brigans
publics ; & l’on s’estonne auec sujet par quelle fatalité la Reyne ayme
mieux voir triompher cette canaille, que de consentir à la iustice
qu’on luy en demande depuis tant d’années. Il y a quelque tẽps qu’il
mourut vn Commis de Finances nommé ***, qui n’auoit ny
femme, ny enfans, & auoit peut-estre plus de reuenu que tous les
Ducs de Virtemberg ensemble. Ce bien là estoit acquis de sorte, que
son propre pere fit conscience d’y vouloir participer. On proposa
que le Roy s’en deuoit emparer, les Brigans Majours s’y opposerent,
& n’en voulurent pas permettre la consequence. Mais posons que le
bien de ce Financier fust tres-legitimement acquis ; n’eust-il pas esté
de plus iuste conqueste, que la subsistance imposée sur cinquante villages,
ou la taxe de cent aisez qui n’ont trempé ny dans les prests, ny
dans les autres vsures ? Il est sans doute. Or qui est-ce qui empesche
nos Princes de comprendre ces veritez ? les flatteurs, les bouffons,

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les impies. Qui les en pourroit bien esclaircir ? Les bons Conseillers
de quelque robbe qu’ils fussent : car ce feroit grand’pitié qu’il n’y
eust de probité en France, que sous la soustanne du bon homme
Broussel. Mais qu’on ne s’attache point simplement aux gens de la
robbe, il y a tant de bons Gentils homme dans les Prouinces, qui
ont renoncé à la Cour & à toutes ses pompes, & qui ne seruent plus
qu’à decider les differens de la chasse, & de la primauté de pain benist.
Vne douzaine de ces gens-là ne cousteroient pas tant à entretenir,
qu’vne trouppe de Comediens d’Italie. Nous en auons de plus
qualifiez, qui ont veu plusieurs regnes, & qui ont pratiqué dans les
Royaumes estrangers, comme vn bon homme Bethune, vn Sainct
Chaumont, & tant d’autres, que leur modestie retient dans leurs
maisons. Il y a aussi de bons & saincts Euesques qu’il faudroit appeller,
& chasser ceux qui sont de mauuais exemple ; ainsi on pourroit
facilement paruenir à vne heureuse reformation, sans toutefois rien
diminuer de la grandeur & de la Majesté de nos Rois : car ie voudrois
tousiours insister sur ce poinct, & leur faire bien comprendre,
que l’intention du peuple ne fut iamais de rien diminuer de leurs richesses,
domaines, commoditez & magnificences ; mais seulement
de reformer le luxe & la tyrannie des Fauoris, des Maletostiers, & de
leurs adherans. Or ce legitime dessein ne peut estre pris pour vn rétressissement
de la grandeur & de l’amplitude Royale, puis que Dieu
mesme tout-puissant qu’il est, n’est pas moins grand pour estre dans
l’impossibilité de mal faire. Cela estant ainsi, on ne peut pas iustement
accuser ny le Parlemẽt, ny ville de Paris, d’auoir voulu tant soit
peu effleurer la Majesté Royale : au contraire, le vray & vnique dessein
des gens de bien & des fideles subjets du Roy, c’est de ne souffrir
pas qu’il s’esleue vne Oligarchie dans l’Estat, & qu’vne centaine
de brigans oppriment tout vn Royaume pour viure dans les superfluitez
& dans les delices. La iustice de ce bon dessein ne pouuant
estre contredite, & la Reyne mesme la cognoissant assez en sa conscience,
quelle difficulté peut elle faire de consentir à cette reformation ?
Les Maletostiers par leurs Placards, forment deux objections :
La premiere est vn poinct d’honneur : ils ne veulent pas que
cette reformation vienne de l’instinct & du chef de ceux du Parlement,
ny de l’instance du peuple, ny qu’à leur appetit le Souuerain
soit obligé d’éloigner aucun de ses Ministres. Par cette raison d’honneur,

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il s’ensuiura que ny Roy, ny Prince, ny aucun homme de cœur
ne deura point se défaire d’aucune mauuaise habitude, dõt son Confesseur,
ou son Curé, ou quelque domestique consciencieux luy aura
donné l’aduis, de peur que cet aduis ne luy dérobe le merite & la
gloire de l’action. L’autre objection que l’on fait à Messieurs du Parlement,
est, qu’ils ne sont pas portez à poursuiure cette reformation
par vne generosité & par vne iustice gratuite, mais par vn ressentiment
du refus de quelques pretentions qu’auoient aucuns d’entreeux.
Hé bien, accordons que quelques-vns estoient piquez de ce
ressentiment, on en a nommé six ou sept, il en reste deux cens autres :
que leur peut on reprocher ? le droict annuel ? ils l’ont mesprisé. Bien
dauantage, il y en a plusieurs qui sont parens & alliez des Partisans,
le sentiment neantmoins du vray hõneur les a tellement saisis, qu’ils
ont dit ; Perissent nos alliances, & nos esperances, & que l’honneur
de la Iustice soit restably. Secondement, & sans demeurer d’accord
que ces denommez ayent agy par esprit d’interest & de vengeance ;
est-ce vne chose qui doiue sembler nouuelle, ou estrange,
que la iustice se rende sur la poursuite des interessez ? On execute au
milieu d’vne place publique vn voleur de grands chemins, sur la solicitation
d’vne veufue, qui se plaint que son mary a esté destroussé &
assassiné. La iustice qui s’en fait, est-elle moins legitime, & ne reüssit-elle
pas au bien du commerce, & à la seureté publique ? Se fait-il
quelque chose en ce monde sans l’impulsion & le motif de l’interest ?
n’est-ce pas le premier mobile de toutes les amitiez & de toutes les
haines ? & sied-il bien à des esclaues de faueur, à des idolatres d’argent,
à des ames corrompuës iusques dans le pepin, de reprocher à
ceux du Parlement que quelque interest les a esmeus à s’éuertuer, &
à trauailler au soulagement du peuple ? Depuis quand ces Epicuriens
de la Ville-neufue sont-ils deuenus Stoïques, pour pretendre
que la vertu n’a point besoin de l’esguillon, & de la chaleur des passions ?
Vt iugulent homines, surgunt de nocte latrones ; vt te ipsum serues non
expergisceris. Il n’y aura ny perfidie, ny cruauté qu’ils n’exercent pour
la conseruation de leurs prests vsuraires ; & les bons Citoyens, les
Magistrats legitimes ne s’opposeront pas à tous ces desbordemens,
& ne s’esueilleront pas en fin sur l’inuasion & le pillage de ces brigans ?
Or ce n’est pas merueille qu’ils se soient ainsi ralliez entr’eux,
& qu’ils employent toutes sortes d’artifices pour se maintenir dans

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leurs dépredations : mais ce qui désole les gens de biẽ, & qui desespere
les affligez, c’est de voir qu’ils ont préoccupé les oreilles & les affections
des Princes, aupres desquels ils ont décrié le peuple, & calomnié
les Magistrats. La troisiéme objection qu’ils font au Parlement,
c’est la ieunesse & l’inexperience de quelques-vns. Or c’est à Monsieur
le Chancelier qui les y a introduits, de garãtir cet inconuenient :
mais ce ne sont point ces ieunes-là qui se font escouter dans la Compagnie,
ce sont ceux du moyen aage qui sont hors de l’impetuosité de
la ieunesse, & qui ne sont pas encore affoiblis par la decrepitude. Au
reste, on ne conteste point qu’il n’y en puisse auoir parmy eux d’imparfaits
& de defectueux : mais ce n’est pas en la veüe, & du costé que
les ennemis de la Compagnie les considerent ; le plus coupable, & le
plus meschant à leur gré, c’est celuy auquel nous venons d’eriger des
statuës & des images : Ils le tiennent pour vn seditieux, & pour vn seducteur ;
& nous le tenons pour vn homme iuste & innocent, qui a
fait vne habitude de vertu par vne pratique de cinquante ans, depuis
lesquels il a exercé l’Office de Iudicature irreprochablement. Sous
le regne de trois Rois, sous deux Regences, sous la censure de six premiers
Presidens, à la veüe de mille Conseillers, en mille importantes
affaires, ce Senateur a rendu des preuues de sa generosité, de sa pieté
& de son zele ; & à l’aage de soixante & quatorze ans, sur l’aduis de
Catelan ou de la Railliere, on le surprend, & on l’enleue comme vn
criminel, & à moins que du secours de quatre cent mille ames qui
se sousleuent en sa faueur, on ne sçait pas à quelle fin on le destinoit.
Voicy maintenant qu’à son sujet tout ce grãd peuple qui l’a secouru,
est en proscription & en peril de mourir de faim. Cependant on nous
veut faire croire que ce n’est point au peuple à qui on en veut, mais
seulement qu’on le veut obliger à se défaire du Parlement. Or ny le
peuple n’est pas resolu de liurer le Parlement, ny de se laisser mourir
de faim. Il y a deux mois qu’il demande à sortir, & à combattre ; la
seule prudence des Generaux qui cherchẽt leurs mesures, le retient ;
il est animé & persuadé de la bonté de sa cause, c’est vne iuste defensiue.
Les Theologiens en parleront à leur mode, & chacun sçait ce
que le Prouincial des Capucins en dist à la Reyne, huict iours apres
sa retraite de Paris ; il n’auoit esté suborné de personne, ny pris autre
instruction que de l’esprit de Dieu. Mais voicy comme les Iurisconsultes
en discourent au Titre, De iustitta & iure : Ils disent qu’il y a vn

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droict naturel comprenant tous les animaux & tous les hommes, qui
leur fournit vn instinct pour leur propre conseruation, non seulement
de l’indiuidu, mais mesme de l’espece : c’est de là que vient la
conjonction du masle & de la femelle ; de là vient le mariage, la procreation,
& l’education des enfans. Subordinément il y a vn droict
des gens, qui appartient non seulement aux hommes, mais aussi
comprend-il tous les hommes, comme la Religion & la creance de
Dieu, la pieté vers les parens & la patrie, la resistance aux injures
& aux torts qu’on nous veut faire, que nous appellons legitime defensiue ;
& que comme ainsi soit que par la nature nous soyons tous
alliez & apparentez les vns auec les autres, il s’ensuit que c’est vne
abomination quand vn homme dresse des embusches pour surprendre,
pour tromper, & pour offenser vn autre homme. Ils adjoûtent
que par ce droict des gens, les guerres ont commencé, que les
peuples se sont distinguez, recueillis & cantonnez ; que les Royaumes
se sont formez, & qu’on a estably des Rois. De cet-endroit si notable,
nos Politiques qui ne recognoissent point d’Euangile, & qui
n’admirent que la prudence humaine, pourroient prendre suffisante
instruction, & apprendre premierement qu’il y a vn Dieu, par le consentement
de toutes les nations, qui sont vniuersellement imbuës
de cette cognoissance. Secondement, qu’il faut aimer sa patrie & ses
parens ; & le troisiesme precepte vniuersellement receu, c’est la defense
legitime. Ce sont trois grands Iurisconsultes qui nous font cette
leçon, & qui estoient pour le moins aussi qualifiez que nos Chanceliers
& premiers Presidens. Et Iustinian Empereur de l’vne & l’autre
Rome, prescriuant des Loix à toute la terre, commence son Digeste
par ces trois capitales maximes : Sur lesquelles & à propos du
sujet que nous traitons, il y a lieu de loüer ce grand Docteur de la
France, Iacques Cujas, lequel interpretant exactement & philosophiquement
ces termes de Pomponius, Velutierga Deum religio : vt parentibus
& patriæparemus, il escrit ainsi : Ordo non placet : nam prima officia
debemus Deo, secunda Patriæ, tertia parentibus. Si la patrie marche en ce
rang, & immediatement apres Dieu, quelle est la peruersité, l’iniquité,
& la sceleratesse de ceux qui en abandonnent l’honneur, & ne
se soucient pas de la voir reduire en seruitude ? Aussi voyons-nous
que ce sont des Siciliens, des Angeuins & des Catelans, qui ont resolu
la destruction de cette grande Cité, & il est presque impossible

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d’imaginer qu’vn homme baptisé dans la Paroisse de S. Eustache ou
de sainct Mederic, puisse contribuer ny consentir à la ruine de Paris.
Il est pareillement veritable que ces mangeurs de Chrestiens, auparauant
que d’en venir à ces extremitez, il faut qu’ils ayent effacé le
charactere de l’humanité, auec celuy de leur Baptesme, par vne lõgue
habitude de mal faire, & par vne resolution affectée de ne pas croire
en Dieu. C’est sur ce fondement qu’ils n’ont pitié de personne, qu’ils
en prennent de toutes parts, & qu’ils ne sont interrompus ny inquietez
dans leurs delices d’aucun scrupule, ny d’aucun remords. Quelqu’vn
d’ent r’eux qui n’est plus au monde, comme on l’aduertissoit
que du temps du Chancelier de Sillery, on n’vsoit pas de si violentes
procedures : il respondit, De ce temps-là nous craignions tout, à
present nous ne craignons rien. Pour paruenir à cette audace, il y a
deux voyes, la premiere & la plus battuë, c’est vne mauuaise naissance
destituée d’instruction & de discipline ; ils n’ont entendu ny Catechisme
ny preceptes ; on les a mis ieunes dans vn Berlan, ou chez vn
Financier, comme en conditions plus aduantageuses que celles d’vn
College, ou d’vn mestier legitime : Ils n’ont veu que des dez & des
cartes, ils n’ont ouy ny veu que de mauuais commerces : C’est par or
& par argent que leurs Maistres ont acquis ces belles maisons, & ces
beaux meubles, & qu’ils ont marié leurs filles auec toute cette Noblesse ;
ils feront par cõsequent sur ces exemples tout ce qui leur sera
possible pour auoir de l’or & de l’argent, qui est la monnoye de toutes
les cõmodités, & de toutes les dignités. L’autre chemin qui conduit
à cette insolente cruauté, c’est celuy que tiennẽt les personnes d’vne
extraction ingenuë, lesquels ayans esté bien instruits de ieunesse, & se
trouuans dans les aises de la vie, ils s’y abandonnent si desordonnément,
que pour en ioüir plus pleinemẽt, & d’vne felicité plus entiere,
par estude & par force d’esprit (ainsi qu’ils parlent) ils trauaillent à
estouffer toutes les semences de vertu qui ont esté iettées dans leurs
ames, & ne veulent plus escouter ny les conseils des gens de bien, ny
les reproches de leurs consciences ; c’est alors qu’ils font passer leurs
crimes & leurs impietés en aphorismes, qu’ils se mocquẽt des mœurs
& des creances anciennes, & renoncent à toute pieté vers Dieu, & à
toute pieté vers les hommes. De ces deux especes de gens sont composez
tous ceux qui opprimẽt le Peuple, qui offusquent la Noblesse,
& qui scandalisent l’Eglise. On s’estonnera icy, & à bon droict, &

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c’est ce qui rauit nos voisins en admiration, veu que ces gens-là ont
conjuré contre le repos public, & que ce sont les monstres & les
pestes de la societé humaine : d’où vient que par vn concours, & à cry
public, on ne s’esleue pas contre eux, comme on fait à l’encontre des
loups & des sangliers qui rauagent la campagne. En voicy deux ou
trois raisons, c’est qu’ils ont des Protecteurs & des Sauue gardes, &
tout de mesme que les cerfs & les sangliers ruinent impunément les
moissons des laboureurs quand ils ont vn Seigneur ou vn puissant
voisin qui aime la chasse, & qui defend d’auoir des chiens, & de porter
l’arquebuse. Ainsi en arriue-t’il quand le Prince ou le haut Magistrat
entreprend la protection du Partisan, & qu’il destine sa table
& sa maison pour ses diuertissemens, & sa bourse pour le fonds de son
espargne. Au temps passé, ainsi que nous l’auons appris des vieilles
gens, l’alliance de ces gens-là estoit prise pour vne pollution & vne
dérogation à Noblesse ; maintenant on en fait le soustien des maisons,
& de leur argent on en repare les familles ruineuses & délabrées.
Dieu sçait quelle posterité il en reussit ! Allez puis apres deferer en
Iustice vn Financier ou vn Traittant, qui s’est fortifié de telles alliances ?
L’autre raison, sous l’ombre & le benefice de laquelle ces gens-là
trouuent leur abry & leur euasion ; c’est la formalité de Iustice, laquelle
formalité, quand elle est sincerement & fidelement obseruée,
est d’vn tres-grand & tres-necessaire vsage : mais quand elle est trop
superstitieusement appliquée, elle deuient vn retardement & vn obstacle
au bien public ; comme aussi quand elle est malignement &
frauduleusemẽt administrée, elle degenere en illusion & en iniustice ;
& c’est dedans ces prestiges, & parmy ces ombres, que le cauteleux
Iusticier fauorise, & fait echapper qui bon luy semble, contre la droite
intention de la Loy. Telle estoit la iustice des anciens Pharisiens,
contre laquelle l’Euangile est tout plein de reproches & d’inuectiues.
La maniere d’Epaminondas estoit bien plus franche & plus brieue :
Il enuoya vn homme de merite, qui auoit bien seruy en guerre,
chez vn riche de Thebes luy demander mil escus. Celuy-cy
vint tout à l’instant trouuer Epaminondas, pour sçauoir de luy
à quel tiltre il le condamnoit de bailler cette somme à ce Soldat :
C’est, dit-il, parce qu’il a bien seruy la Republique, & qu’il en a
besoin, & que tu es vne personne inutile, & qui en as plus que tu
n’en merites. Ce mandement fut executé, & n’excita ny sedition,

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ny murmure ; il passa pour vne action de Iustice : Et nous sommes si
malheureux, & si traistres à nostre bon-heur, que pour mille francs
qu’on aura imposez sur vne femme qui a plus de dorures qu’vne
Reyne de Saba, on verra des familles en rumeur, qui crient au meurtre,
& qui se scandalisent de cette rigueur ; & cependant ils ne firent
iamais de conscience de la ruine de plusieurs milliers d’hommes, qui
ont esté despoüillez par l’Exacteur qui a basty tous ces Palais, &
amassé vne montagne d’or. Il y a quelques années qu’vn homme assez
imaginatif nous surprit fort agreablement par vne vision qu’il nous
raconta : Il nous dist qu’il venoit de voir dans des chaudieres & des
marmites boüillantes des Elections toutes entieres ; il sortoit de
l’Eglise Nostre-Dame ; ie crû que c’estoit que dans la meditation
des quatre fins de l’homme il auoit eu quelque forte imagination des
peines d’Enfer : Il nous expliqua enfin sa figure, en nous disant, qu’il
venoit d’vne maison du Cloistre où l’on attendoit Monsieur Deffiat à
disner, & qu’il auoit veu des potages & des bisques de prix inestimable,
capables d’absorber les Generalitez de Touraine & de Berry.
C’est contre ce grand luxe que les gens de bien sont irritez, & contre
ceux qui l’entretiennent. Et si quelques Conseillers du Parlement de
Paris ont pris à tasche de vouloir mettre des bornes à ces grands excez ;
si le Garde des Seaux de. Marillac y auoit trauaillé de son temps,
& si tous les Legislateurs ont eu esgard à ce desordre ; escoutera-t’on
des Bouffons de Cour, & des Gourmands contre des intentions si
loüables ? N’est-ce pas vne impudence capitale de presenter à la Reine
vne bouchée de pain, & luy faire à croire qu’elle vaut vne pistolle à
Paris. Et ces railleries sanglantes iointes à l’histoire de Charles sixiesme,
ne sont-elles pas damnables ? Messieurs du Parlement. Messieurs
les Princes, & tous vous autres bons Frãçois qui voulez la reformation
de l’Estat, & le soulagemẽt du peuple ; ne deschargez pas toute vostre
indignation sur le Ministre estranger : il n’en seroit iamais venu là, s’il
n’y auoit esté porté par la trahison de quatre ou cinq domestiques,
qui luy ont donné des aduis, & luy ont declaré le foible du Maistre,
& de la Maistresse. Ainsi conseillerent-ils Conchine ; ainsi seruirent-ils
les Luynes ; ainsi se prostituerent-ils au Cardinal de Richelieu ;
ainsi raillerent-ils la Reyne Mere, qu’ils auoient tant idolatrée. On
les cognoist, on sçait leurs malices, on en sent le prejudice, & on les
espargne ? Permettez-nous au moins de les nommer, & d’en faire vn

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catalogue public, comme on fait des Interdits en l’Estude des Notaires.
Cependant il n’y a ny Prince ny Magistrat, pour vaillant &
innocent qu’il puisse estre, pour eminent que soit le degré de sa naissance,
ou de sa vertu, qui se puisse asseurer d’estre hors des prises, &
des atteintes de leur insolence. Nous auons ouy dire de fort bonne
part, que le feu Roy ayant esté trauaillé durant toute vne nuict d’vn
songe qui luy representa les détresses où estoit la Reyne sa Mere, &
les reproches qu’elle luy en faisoit : Il s’esueilla en sueur & en fiévre ;
dont son Medecin Bouuard ayant donné aduis au Cardinal de Richelieu,
on attitra les Bouffons, lesquels sur l’apresdisnée entretenant
ce trop credule Prince de differens sujets : L’vn d’entr’eux ayant
voulu faire le recit d’vn songe, qu’il feignoit d’auoir eu quelque
nuict auparauant, qui luy auoit donné de l’inquietude, les autres l’entreprirent,
le raillerent, & le traiterent de ridicule ; ainsi penserent-ils
eluder cette inspiration du Ciel. Le Roy neantmoins estonné de sa
vision, s’en declara au Cardinal, qui la sçauoit déja, lequel adroitement
luy dist, qu’il falloit donc rappeller la Reyne sa Mere ; mais
qu’il falloit que ce fust honorablement, & en payant les debtes
qu’elle auoit contractées chez les Estrangers, & qu’il en feroit dresser
l’estat. Il n’est pas besoin d’en dire la suite ; suffit de faire paroistre de
quels artifices, & de quels charmes ces pernicieuses gens-là ensorcellent,
& damnent les Princes. Non, ny les Iuifs, ny les Vsuriers, ny les
faux Monnoyeurs ne sont point si dangereux dans les Republiques.
C’est neantmoins du milieu de ces gens-là que nous attendons l’éducation
de nostre ieune Prince. Pensez, Messieurs du Parlement, si
vous n’en deuez point faire vn article exprez de vostre Conference,
& voyez si le feu Prince de Condé a voulu que Messieurs ses enfans
pendant leur ieunesse, & tant qu’il a vescu, fussent halenez de ces
pestes. Il se presente vn quatriéme obstacle contre les bons desseins
de ce Party : C’est la ialousie de plusieurs Officiers, qui ont regret de
voir accroistre l’authorité du Parlement, & qui se confondent de leur
paresse, & de leurs lasches conniuences : Car quant à ceux qui ont eu
participation de profit auec les Traittans, ils sont gibier de Tournelle
& de Chambre de Iustice. Mais il y a de pacifiques Seigneurs, qui
verroient toute la ville en feu, & ne voudroient pas contribuer vn
verre d’eau pour l’assoupir & pour l’esteindre, pourueu qu’ils eussent
asseurance de n’en estre point endommagez. Du coin de leur feu, &

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derriere leurs parauens ils préuoyent des consequences ; Ils apprehendent
des changemens en l’Estat, & en la Religion. Cependant ny
eux, ny ceux qui les conseillent, n’ont point le vray zele de l’Estat, ny
de la Religion, si ont bien celuy de leurs interests. Priuatæ res semper
offecerunt, dit le grand Historien, officientque publicis consiliis, dit le grand
Prophete Tite-Liue. Mais pour traiter dignement ce sujet, il y faudroit
employer plusieurs Philippiques. Il reste de toucher vn mot de
l’interest du menu peuple de Paris, lequel se remettant à Messieurs les
Princes & Magistrats d’auancer les propositions plus releuées & plus
generales, il demande en son particulier la continuation du Commerce,
& des manufactures pour le soustien de sa vie, & ne souhaite
rien tant que le retour de leurs Majestez, auec l’ancienne Cour Françoise :
Car pour ce qui est du Ministre Estranger, il en a plus d’horreur
que de la faim & de la guerre, ainsi qu’il l’a fait souuent entendre par
ses cris, & par le zele de ses sorties, dont l’effet n’a esté retardé que par
la prudence des Generaux. Ainsi depuis deux mois, quelques secousses
d’afflictions & de tentations qu’on luy aye données, il n’a point
fait iour pour se des-vnir. Et c’est vne manifeste prouidence de Dieu,
qu’vne si vaste ville, si peu disciplinée, se soit si paisiblement conduite
& maintenuë. N’est-ce pas vne autre merueille, que nous deuons
adorer le ventre contre terre ; que nonobstant la persecution de nos
ennemis, qui nous enuironnent de toutes parts, il se trouue du pain
suffisamment pour nourrir tout ce grand peuple, chargé de plus de
cinquante mille mendians. Il paroist bien par ce rayon de misericorde,
que Dieu ne nous veut pas encore abolir pour ce coup, & que le
ieusne forcé conjoint auec nos volontaires mortifications, produira
bien tost vn bon amendement à nos mœurs, & en suite vne salutaire
deliurance. C’est l’esperance que les gens de bien de ce Party conçoiuẽt,
c’est à quoy ils exhortent de trauailler ceux de l’autre, s’il s’y trouuoit
quelque ame cõsciencieuse & genereuse. Mais est-il donc besoin
d’vne vertu extraordinaire & heroïque, pour porter vne parole de iustice
à l’oreille d’vne Reyne & de deux Princes ? est-ce vne medecine
si amere & si dégoustante que la proposition d’vn bon conseil ? Ne s’est-il
peû rencontrer aucune creature parmy tant de deuotes, qui aye osé
presenter cette potion, que la femme d’vn Apothicaire Espagnol ?
Quoy ? il s’est trouué assez de zele pour abbatre de la chaire vn des plus
grands Predicateurs de l’Eglise, par vn concert de femmes, & par

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vne ialousie d’escole ? & on redoutera de faire vne pieuse proposition
pour vn bien public ? Pieuses ames de l’vn & l’autre sexe qui gouuernez
cette Princesse depuis tant d’années, & qui sçauez si bien fleschir
ses inclinations à la mesure de vos interests, n’aurez-vous aucun sentiment
des miseres publiques, & de l’honneur de vostre Patrie ? Abandonnerez-vous
le salut de vostre Maistresse ? N’oserez-vous hazarder
vn Conseil Euangelique entre sa Confession & sa Communion ? Elle
en fait de si frequentes. O Confessions, ô Communions frequentes
que ne vous iustifiez-vous par vous-mesmes ? Et pourquoy donnez-vous
tant d’auantage à la Theologie d’Arnault ? Sainctes Religieuses
du Val de Grace, on ne vous exhorte point de pretendre aux Martyres
des sainctes Agnes & sainctes Catherines ; faites seulement cet
effort sur vous, de supplier la Reyne de pouruoir au Roy son fils d’vne
bonne education. Qu’on secularise le plus solitaire des Chartreux,
le plus austere des Capucins pour habiter auec luy dans son Louure,
& pour l’informer en la crainte de Dieu, qui est le commencement de
toute sapience ; & que tous perfides Courtisans en soient pour iamais
esloignez. Que si vous estes trop timides pour proposer ce conseil, &
que les respects humains vous interdisent la parole, nous nous adressons
à vous, Serenissime Infante, qui regnez dans les Cieux par le
titre de vostre perseuerante vertu. Isabelle Claire Eugenie, modele
parfaict des sainctes Veufues, & des sages Princesses, prenez soin
d’Anne Marie Mauricette d’Austriche, vostre Niepce & nostre
Reyne ; impetrez luy la grace de nous gouuerner sur le patron de vos
bons exemples. Et puis que les Princes auec tant de liberalitez & de
bienfaits ne peuuent que rarement trouuer dans leurs Cours des
Conseillers fideles & genereux, enuoyez de l’autre monde quelque
Intelligence lumineuse & penetrante, qui instruise cette Princesse de
son deuoir, & qui la fasse fleschir sous la puissante main de Dieu.
Nous vous remettons librement & respectueusement ce poinct
d’honneur, & consentons tres-volontiers qu’elle tienne plustost cette
grace de vostre intercession, & de la misericorde de Dieu, que ny de
la compassion de nos miseres, ausquelles elle est endurcie ; ny des remonstrances
du Parlement qu’on luy fait mespriser ; ny du secours de
nos amis, ny de la resistance de nos armées.

 

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Anonyme [1649], MANVEL DV BON CITOYEN, OV BOVCLIER DE DEFENSE LEGITIME, Contre les assauts de l’Ennemy. , françaisRéférence RIM : M0_2406. Cote locale : C_6_5.