Anonyme [1649], MAXIMES FONDAMENTALLES, TOVCHANT LE GOVVERNEMENT & les pernicieux desseins des Espagnols , françaisRéférence RIM : M0_2425. Cote locale : A_6_34.
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MAXIMES
FONDAMENTALLES.
TOVCHANT LE GOVVERNEMENT
& les pernicieux desseins des Espagnols.
I.

Les Espagnols ne cessent iamais de conquerir.

DEPVIS cent ans ils ont acquis sous
faux tiltres, & abusans du nom de sa
Sainteté & de la Religion, plus de
cent Royaumes & Empires aux Indes,
dont ils ont tout à fait exterminé
les Roys & leur race, & assujetty miserablement
leurs Peuples ; apres les auoir affoiblis par des carnages
& tueries incroyables ; ils ont acquis en Italie
au preiudice de la liberté d’Italie, sur les François,
qui en estoient Princes legitimes & naturels,
le Duché de Milan, le Royaume de Naples, & auparauant
le Royaume de Sicile ; en Allemagne ils
ont iusques à present tenu l’Empire hereditaire,

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& font ce qu’ils peuuent pour effacer l’Election,
comme ils font és Royaumes de Hongrie, & de
Boheme, ils ont le Palatinat, Iulliers, Cambray, &
toute la plus grande part de la succession de Cleues,
ils tiennent toute l’Allemagne diuisée. Ils ont
voulu auoir la France au temps de la Ligue ; ils
auoient n’agueres occupé tous les Grisons ; ils ont
fait des entreprises sur la ville de Strasbourg &
autres.

 

II.

Ils commencent toutes leurs conquestes par pratiques, &
menées couuertes, que leurs Ministres font dans
les Estats qu’ils veullent enuahir.

Ils furent aux Indes sous pretexte de traffic, &
de leur porter l’Euangile ; Les plaintes de tous les
Estats de l’Europe sont sur ce sujet toutes semblables,
ainsi le disent les Italiens ; les Allemands, les
Anglois & les François ne s’en peuuent taire ;
La Reyne Elisabeth fut recherchée de paix par
Philippes II. leurs Ambassadeurs estoient assemblez
à Bourbourg. Ce n’estoit que pour l’endormir
afin d’opprimer l’Angleterre par l’armée qu’ils
appelloient (sans auoir compté auec Dieu.) L’inuincible
Henry III. auoit paix auec le mesme
Philippes II. son beau frere quand il forma la Ligue
en France qui débaucha quasi tout l’Estat, &

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faillit à mesme temps à ietter dans le tombeau
l’Estat auec le Roy d’vn mesme coup. Qui n’en lit
l’histoire, ou qui ne la veu, aura de la peine à croire
les artifices épouuantables dont on se seruoit
pour faire haïr le Roy le plus aimable qui fut
iamais.

 

III.

Ils entreprennent plus hardiment sur les Catholiques
que sur les Heretiques.

Tesmoins en sont l’Italie, le Portugal, & la France,
iamais les Espagnols n’ont si genereusement
osté le bien des Heretiques qu’ils nous ont osté
Milan & Naples, & en vn temps que nous faisions
brusler tous vifs les Heretiques. Charles Quint
rendit au Duc de Saue Heretique ses Estats, & ne
nous voulut iamais rendre le Duché de Milan.

IV.

Ils laissent en repos les Mahometans, pour entreprendre
sur les Estats de la Chrestienté.

Si ce que les Espagnols ont dépensé contre la
France, contre l’Italie, contre l’Allemagne, & contre

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l’Angleterre eust esté employé contre les
Turcs ; il y en eust eu assez de la moitié pour les
chasser de l’Europe. Charles Quint rendit Tunis
à Muleassem Turc, & ny luy ny les siens ne nous
ont iamais voulu rendre la Nauarre.

 

V.

Ils se seruent tousiours du pretexte de la Religion,
suiuant le precepte de
Machiauel.

Ainsi aux Indes, en Allemagne, en France, aux
Grisons, tous les Conquerans ont eu cette ruse ;
ainsi Philippe de Macedoine sous pretexte de vanger
les sacrileges asseruit les Grecs ; Alexandre le
Grand vouloit estre creu engendré de Dieu, pour
pouuoir plus facilement tyranniser les hommes ;
Les Romains pour adoucir la seruitude des Nations
portoient leurs Dieux à Rome, Mahomet
le Turc, le Cherife ont eu le mesme pretexte ; on
le reconnoist aussi bien à Rome qu’à Paris, & les
Italiens comme les François, disent que le masque
est leué, & qu’il y a desia long-temps qu’on
voit à trauers de ce faux visage.

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VI.

Ils entreprennent sur le Pape, tant au spirituel qu’au
temporel, aussi hardiment que contre les autres
Princes de l’Europe.

Ils publient les Indulgences en Sicile, ils disposent
des excommunications, & par derision ils y
ont voulu celebrer le Iubilé, ils ont pris beaucoup
de fois des terres de l’Estat du Pape : ils ont
pris Rome & l’ont pillée, tué les Cardinaux &
rançonné le Pape. Vn Secretaire de la Maison
d’Austriche en la genealogie de leur Maison, imprimée
auec Eloge & priuilege de l’Empereur Rodolphe
II. dit que Rodolphe d’Asbourg premier
Empereur, fut excommunié pour auoir fait la
gnerre aux Ecclesiastiques, & que l’Euesque de
Basle sçachant qu’il auoit esté éleu pour Empereur,
leuant les mains au Ciel s’écria ; O Christe firmiter
te in se delituo consine ne te comes deturbet. Ce
bon Euesque auoit peur que cette Maison tirast
Iesus-Christ hors de son Throsne en la personne
de son Lieutenant, c’estoit vne Prophetie de l’aduenir,
s’ils continuent en leur ambiticux dessein,
ils contraindront sa Sainteté ou de sortir d’Italie,

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pour n’estre pas assujettie à leur brigues, pratiques
& menées qui pourroient diminuer la liberté, &
qui pourroient la rendre suspecte aux autres
Princes de l’Europe, ou bien de s’vnir auec tous
ses autres enfans, pour ranger ce dernier venu qui
veut s’approprier le partage de ses freres, & opprimer
sa mere.

 

VII.

Ils ont les mesmes maux en leur gouuernement, & beaucoup
plus grands que les autres Estats.

Leurs gouuernemens sont triennaux à la foule
des Sujets, qui de trois en trois ans sont deuorés
par ceux qui viennent de nouueau comme des
mouches maigres ; Les charges sont venalles entre
eux ou on les acquiert par des prisons qui coûtent
bien plus cher que la taxe & l’annuel, ils ont
toutes sortes d’impositions, d’accez, subcides, iusques
à en auoir pour manger de la chair aux iours
deffendus ; ils font payer la centiesme, la vingtiesme
du fonds en quelques Prouinces ; Sicile, Naples,
& Milan crient pour cela iusques au Ciel,
Leurs soldats logent à discretion, & en vsent pour
les femmes & les filles comme l’histoire le témoigne,

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& la verité le publie dans les plaintes des Italiens.
Ceux qui traittent le plus mal les Peuples
sont les mieux recompensez entre eux, ils doiuent
plus qu’ils ne payeront de vingts années,
leurs soldats font les mesmes maux que ceux des
autres Nations, & s’ils ne sont pas mieux payez.
Les jalousies entre eux sont prodigieuses contre
les Estrangers qui les seruent, tesmoin le Prince
de Parme, Doria, & autres qui sont encores en vie,
leurs Algazils ne sont pas plus courtois que nos
Sergens.

 

VIII.

Quand ils font du bien à quelques-vns dans les Estats,
ce n’est pas par amour qu’ils leur portent : mais pour
se seruir d’eux comme des traistres
à perdre l’Estat.

Les preuues de cela sont indubitables, & le
sens commun en est vn perpetuel commentaire.

IX.

L’humeur des Espagnols est insupportable, à toutes les
Nations de l’Europe.

L’Autheur du present discours dit luy-mesme

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qu’il les hait à cause de l’orgueïl ; ils méprisent
tous les autres Peuples, comme si ce n’estoient que
des Mores de Guinée, ou des esclaues d’Angola,
le Connestable de Castille demandoit en la Franche-Comté
si le Connestable de France estoit galand
homme ; Leur port, leur discours, & leurs visages
sont des preuues viuantes de la theze, sur
tout dans Naples, Milan, & mesme ils n’ont iamais
voulu souffrir que leurs Suiets fussent sous nos
Euesques, & Primats François au Pays-bas, & a
fallu que le Pape ait fléchy sous leur orgueïl, pour
faire de nouueaux Eueschez à leur fantaisie. Il seroit
à desirer pour l’instruction de ceux qui en
doutent, qu’ils fissent durant quelques années
leur apprentissage des suiettions sous vn Vice-Roy,
pour voir ce qu’ils nous diroient à leur retour
de nos Gouuerneurs de Prouinces. I’en appelle
à tesmoin encores les bons Religieux des Ordres
nouueaux qui ont esprouué des Superieurs Espagnols,
qui sçauent bien ce que ie veux dire.

 

X.

Quand ils donnent du secours à quelques Peuples en
leurs necessitez, c’est à dessein de les opprimer.

Par ce moyen les Romains se rendirent Maistres

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de tout le monde du temps de la Ligue, les
Espagnols aydoient vne partie de l’Estat pour le
pouuoir opprimer tout, & l’assuiettir entierement.
En Italie ils font du bien en détail, pour l’acquerir
tout en gros, ils ont aydé les rebelles Valtelins
pour auoir l’Estat des Grisons, ils sont apres pour
en faire le mesme du costé de l’Allemagne.

 

XI.

Quand ils ont paix, & alliance auec quelques-vns c’est
pour pouuoir mieux dresser des intelligences
dans leurs Estats.

Philippe II. beau frere de Henry III. esmeut
& forma la Ligue en France, & y employa beaucoup
de temps : car leur besongne va lentement ;
mais elle chemine tousiours. La plainte des Venitiens
est publique des entreprises faites sur leur
Ville en plaine paix, la conqueste du Portugal se
bastit de mesme, Ferdinand nous promit de nous
laisser prendre Naples pour auoir le Comté de
Roussillon ; il voulut puis apres partager Naples
auec nous, à la charge de nous oster le tout comme
il fit, & si estoit-il Nepueu de Louys XII. & si
mettoit-il vn genoüil à terre deuant luy à Sauonne,

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il osta la Nauarre à sa propre Niepce ; s’ils ne
se fussent pas seruis du pretexte de l’alliance & du
mariage d’Angleterre, ils n’eussent pas pris si facilement
le Palatinat.

 

XII.

Il ont le dessein de deuenir Monarques de tout
le monde.

Ils le disent eux-mesme, & ne s’y feignent pas ;
Ceux qui les flattent parlent d’eux comme d’vne
Monarchie naissante aux Indes, ils disoient le Roy
d’Espagne est Empereur de tout le monde, & comme
ils le disent chacun les en croit, les Italiens,
les Allemands, les Anglois & les François s’en
sont plaints depuis Charles-Quint, ce n’est pas
vne plainte legere : mais vne publique profession
que ces Espagnols font aux yeux mesme de sa
Saincteté & de toutes les Nations de la terre ;
C’est vne croyance qu’ont tous les Peuples de
l’Europe qui ne peut estre mal fondée, puis que
les Espagnols font tous les iours tout ce qu’ils
peuuent pour y paruenir.

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XIII.

Chaque Prince, Chrestien est obligé en Dieu & conscience,
sur peine de peché mortel de s’opposer à tous ceux
qui veulent détruire son Estat, de la conseruation duquel
il est responsable à Dieu par le iurement qu’il
en a fait és mains de l’Eglise en son Sacre.

Si quelqu’vn en doute il doit estre tenu pour
traistre à sa patrie.

XIV.

Celuy qui veut estre Monarque vnniuersel, & auoir
la Seigneurie de l’Europe proteste par ce dessein là
publiquement, & veut que tout le monde le croye
qu’il procure & recherche par toutes voyes possibles,
que tous les Roys, tous les Princes, toutes les Republiques
deuiennent ses sujets, & par consequent
que tous les Royaumes tant par succession comme electif,
que tous les Potentats vassaux où Sauuerains ;
que toutes Republiques, que toutes les villes & peuples
libres de l’Europe & vniuersellement que toutes
les dominations, autres que la sienne soient détruites.

Quand les Romains ont assuiety l’Vniuers, ils

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en ont ainsi vsé, & les Roys ausquels ils ont laissé le
nom, n’ont esté que des petits estaffiers des Procõsuls
iusques à ce qu’enfin le nõ de Roy & la dignité
se soient tout à fait perdus ; C’est la pratique de
tous les Monarques Vniuersels ; Les Espagnols
voulans la Monarchie de l’Europe proposent de
faire des Roys & princes Souuerains comme ils
ont fait de ceux des Indes, des Roys de Naples, Sicile ;
Portugal. Ils s’imaginent d’enuoyer aux plus
florissantes Prouinces des Vice-Roys, qui de trois
en trois ans emportent en Espagne les despoüilles
des Nations, auec des Eloges cõme celuy du Duc
d’Ossonne, qui erigent és villes plus florisantes
des trophées comme ceux du Duc d’Albes en Anuers :
auec des inscriptions du Comte de Fuentes
au Milanois, & autres semblables, qui doute de
cette verité n’a point de sentiment & renonce au
sens commun.

 

XV.

Tous les sujets de quelques Princes en quelque estat qu’ils
soient soit Monarchie, soit Republique, doiuent desirer
la conseruation des Estats & des Princes, sous
lesquels Dieu les a fait n’aistre, ils les doiuent seruir
absolument contre tous ceux qui les veullent detruire,

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& sont tenus en conscience de desirer que celuy
qui veut détruire leur Prince & son Estat, & s’acquerir
sa domination ne prospere point ; ains que Dieu
confonde la vanité de ses desseins iniustes & tyranniques,
& par consequent doiuent tenir l’œil ouuert
sur tous ceux qui trauaillent dans les Estats par
quelque pretexte que ce soit, à porter les cœurs &
les affections des peuples, à fauoriser en quelque maniere
que ce puisse estre les desseins de celuy qui veut
ranger sous son Estat tous les autres. Et de plus doiuent
estre plainement sousmis de ce qu’il veut faire,
autrement c’est trahir son pays, & commettre vn
grand crime deuant Dieu qui veut que nous AYMIONS
LE ROY, & que nous hayssions,
& ayons en horreur tous ceux qui le veullent ruiner
& qui souhaittent la perte de son Estat.

 

Tout ce discours a vne necessité infaillible 1.
en la verité de l’Histoire 2. en la Politique 3.
en la Theologie, chacune en son endroit.

FIN.

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