Anonyme [1649], MAZARIN DANS AMIENS. , françaisRéférence RIM : M0_2432. Cote locale : C_6_11.
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MAZARIN
DANS AMIENS.

SCauroit on desirer plus de felicité ny plus de
bon-heur que le Ciel m’en dõne, il sembloit
que toute la Frãce voulust m’engloutir, & comme
les armes de tout le Royaume s’estoiẽt preparees,
ie deurois estre mis à la capilotade plus de mille
fois, mais graces à Dieu ie suis eschappé de toutes
ces fougues, & au lieu que mes ennemis deuoient
auoir l’auantage sur moy, ie les tiens en bride
maintenant, & suis sur les points non seulement
de les empescher de me nuire, mais encore ie me
prepare de les embrouiller dauantage, & de leur
tailler plus de besongne que ie n’ay pas fait cy deuant.
Qui me sçauroit empescher de le faire ? n’en
ay-ie pas tous les moyens necessaires ? Tout conspire
à me seconder, & la ville qui paroissoit la
plus difficile & la plus reuesche à me receuoir dans
son sein, me fournit à present des forces pour arriuer
où i’ay tousiours desiré. I’ay maintenant vne
Citadelle que les Geans n’oseroient pas attaquer,
s’ils ne se vouloient resoudre bien asseurement de
mourir. Iupiter mesme y perdroit ses peines, s’il

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pensoit m’en vouloir chasser. Le Dieu Mars a tellement
fauorisé mes desseins qu’il seroit impossible
qu’il me pust fournir dauantage des choses qui
sont necessaires à faire la guerre. Bref les pays estrangers
ne me nient point l’assistãce que ie leur
demande, pourueu qu’ils ayent la liberté de piller.
La France n’est pas encore si pauure qu’on n’y
trouue bien de quoy prendre, c’est vne amorce
qui m’apportera beaucoup d’auantage, & ie n’ay
qu’à faire ce que disoit autrefois vn grand Capitaine,
qui ne vouloit que frapper la terre du pié pour
leuer vne armée, ou ie n’ay qu’à faire comme ce
Cadmus qui prit les dens d’vn Serpent, & les sema
pour en auoir des soldats. Mais il me faut craindre
que la dissensiõ ne les fasse mourir aussi tost qu’ils
seront esclos, ou plustost que la liberté ne les perde,
car n’ayant point dequoy les payer, n’estant
pas raisonnable que ie me dessaisisse de ce que tiẽs,
en ayant bien à faire ailleurs, il est apparent qu’on
ne leur permettra pas de voller si librement que
ie voudrois bien, & les peuples desesperez, mettant
tout respect à part en pourront deffaire beaucoup,
comme il y a bien de l’apparence qu’ils se
sont resolus de faire. Mais que tout aille comme
il pourra desormais, ma personne est en asseurance,
de sorte que ie n’ay plus rien qui me face apprehender
le desastre, puisque ie suis dedans vne
ville forte, & capable de resister contre tout le

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monde. La Reyne, le Roy & les Princes sont de
mon costé, & me seruiront de bouclier & d’vn
fort rempart pour empescher qu’on entreprenne
sur moy. Ce sont les meilleures pieces que i’aye à
la verité, & ie crois bien que sans eux i’aurois plus
affaire incomparablement que ie n’ay, leur respect
empesche tous les desseins qui se pourroient former
contre moy, c’est pourquoy tandis que l’occasion
se presente, il faut pousser ma fortune, &
empescher de tout perdre, soit par finesse, ou de
force ouuerte, car comme dit le Poëte

 

Dolus an virtus quis in boste requirat.

Encore que ie ne sçache pas beaucoup de latin, i’ay
pourtant tousiours retenu cela, comme pouuant
me seruir à l’occasion, & de fait i’ay tant de pratiques
par tout, que ie ne sçay point d’endroit où ie
ne trouue quelqu’vn qui s’entend auec mes desseins,
& mesme cette grande ville de Paris, qui est
celle qui a commencé la premiere à me vouloir
perdre, est toute remplie de mes confidens, de
sorte qu’on ne sçauroit rien resoudre ny rien entreprendre
que ie n’en sois aduerty pour me tenir
sur mes gardes. On m’a representé plusieurs fois
par les fueilles vollantes qu’on imprime continuellement
dans Paris, que le gouuernement de la Picardie
me pourroit estre fatal, & que ce fut le dernier
dessein qu’eut le Marquis d’Encre autrefois,
& mesme qu’il auoit assiegé cette ville qui ne le

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vouloit pas reconnoistre. Elle en a pensé faire de
mesme pour moy, mais encore qu’elle m’ait refusé
plusieurs fois ses portes, elle n’a pas neantmoins
laissé de me receuoir, & si le Marquis d’Encre
l’eut aussi bien possedée, il n’eut pas encore
laissé sa vie sur le Põt-Leius du louure comme il fit
malheureusement vn iour de Saint Marc Cela me
donne vn aduertissement à la verité, mais les affaires
ne vont pas en ce temps-cy de la sorte, le
Roy deffunt estoit pour lors en maiorité, la Reyne
mere ne faisoit plus rien d’authorité absoluë,
de sorte qu’il estoit fort aisé de faire vne conspiration
contre vn Fauory qu’elle aimoit : Mais maintenant
il ne se trouue rien de semblable en moy,
la Reyne est bonne & portée à me maintenir, nous
auons le Roy dans nos mains, & ie fis vn grand
coup à la verité de l’enleuer de Paris, & i’estois le
seul ce iour là qui pouuoit crier veritablement Le
ROY BOIT, cependant que les pauures Parisiens
s’affligoient, & qu’au lieu de trouuer dans
leurs tasses des suiets de resiouyssance, ils n’y rencontroient
que la source de mille amertumes,
qu’ils ont beuës depuis à longs traits Mais quoy
quand on a bien soif on aualleroit du poison. Bien
que i’aye fait beaucoup d’entreprises, dont la
moindre estoit assez capable de les pouuoir perdre,
ie ne sçaurois pourtant que ie ne les plaigne,
& ie voudrois qu’ils se voulussent resoudre à me

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receuoir dans leur ville comme ils ont fait autrefois,
i’en receurois aussi bien qu’eux beaucoup plus
de contentement, mais i’estime que cela ne se
pourroit faire sans beaucoup de peine, tant de leur
costé que du mien, & ie ne sçay qui se pourroit
mieux fier au succez qui en pourroit arriuer, car
pour moy ie ne sçaurois tant gaigner sur mes passions,
que ie n’eusse tousiours quelque souuenir de
la haine qu’ils m’ont tesmoignée depuis quelque
temps, & eux d’autre part ne se pourroient asseurer
en moy pour plusieurs raisons, tout le principal
est que les François se sont tousiours persuadez
qu’il n’y a point de remission auec les Italiens, &
qu’ils ne manquent iamais de se vanger d’vn affront
quand ils en ont receu de quelqu’vn. Ie confesse
bien qu’ils ont quelque peu de raison, & de
plus en l’estat auquel ie suis maintenant qu’il me
faut establir sur la tirannie, ie ne dois rien pardonner
à ceux qui me peuuent nuire, autrement ie me
perdrois le premier : Où puisie donc mieux estre
en asseurance que dans cette ville qui est veritablement
vne des plus fortes de toutes celles qui
sont dessus les frontieres, & dont la Citadelle peut
me couurir de toutes les entreprises que l’on
pourroit faire sur moy. Ie me mocque de Perrone
& des autres places rebelles, qu’elles se tiennent
où elles sont, pour moy ie desirois seulemẽt
me mettre à couuert, encore pourtant que ce me

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seroit vn bien plus grand auantage, mais baste,
pour la deffence de ma personne, il vaut beaucoup
mieux que ie sois icy qu’autre part, & ie m’asseure
si bien que ie despite la terre de m’en pouuoir retirer.
Que pensez vous combien i’ay de forces en
main, ausquelles ie me dois fier, toutes celles qui
sont requises au fait de la guerre, ne me manquent
point, i’ay de l’argent bien suffisamment, & ç’a
esté vn tres grand bon heur pour moy, d’auoir esté
retenu, car si i’eusse fait des profusions, d’autres
possederoient maintenant ce que ie tiens en mes
mains, ce qui ne m’accommoderoit pas beaucoup.
Ie sçay qu’on m’a souuent reproché que i’estois
auaricieux, que ie ne faisois du bien à personne.
Il est vray que ie n’en ay pas beaucoup auancé excepté
quelques vns de ma patrie, ausquels i’estois
plus particulierement obligé, mais ie trouue
maintenant veritable, qu’il vaut mieux songer à
soy qu’à autruy, les affaires où ie suis demandent
des frais excessifs, il faut que ie fournisse, s’il faut
ainsi dire, au Roy & à moy, d’autres encore y veulent
auoir leur meilleure part, il a donc esté raisonnable
que i’aye plustost esté vilain que plus
liberal, & que i’aye espargné vne poire pour la
soif, comme on dit en prouerbe françois. Soit que
ce puisse estre, ie suis dans vn lieu d’asseurance
pour ce que ie possede & pour moy, du reste il
faut laisser arriuer comme le voudra la fortune.

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Mais comme ie suis extremement obligé au
Ciel & à la fortune, de ce qu’ils m’ont conserué
iusqu’à maintenant, & qu’ils m’ont donné
plus d’heur que ie n’ay iamais eu de science, il
faut que ie prenne si bien les faueurs qu’ils me
feront desormais, que ie n’en abuse point, car
comme on dit, le retour vaut pis que Matines.
Ie n’ose retourner à Paris, car ie sçay fort bien
qu’on ne m’y ayme pas beaucoup, & bien que
ie sois couuert de la personne du Roy, neantmoins
i’ay tousiours suiet d’apprehender quelque
sinistre accident, car les peuples estant
interessez de mon procedé, il ne faut que des
gens de sac & de corde pour m’attaquer sans
consideration de personne. La presence de nos
ennemis a cette puissance sur nos passions
qu’elle est capable de les esmouuoir en vn seul
moment, il pourroit arriuer qu’en me voyant
dans Paris on se ietteroit sur ma fripperie, ou
les harangeres mesme, me chanteroient des iniures
& me dechiffreroient comme il faut, car
ces personnes n’ont point de respect ny de
Princes, ny de ministres d’Estat. Et à la verité
si ie faisois reflexion sur moy mesme, ie trouuerois
que i’ay tort, car les peuples ne demandent
que d’estre traittez doucement, mais ce
n’est pas les auoir bien conduit que de leur auoir

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donné depuis tant d’années des partisans
pour les ruiner, & qui les ont si bien secoüez
qu’on n’en peut plus rien tirer. Ie m’accuserois
volontiers de cela, si ce n’estoit que i’aime
mieux mon profit que le leur, & que leur bien
me semble estre mieux placé dans mes mains
qu’ailleurs, car il n’y a rien plus propre que d’auoir
tousiours le bon bout à soy. Ioint qu’vne
personne de consideration, comme ie suis depuis
peu, ne doit iamais estre desgarny d’argent,
qui est le seul nerf pour faire bien mettre
à fin les affaires, car si ie n’en auois pas à cette
heure, où en pourroisie chercher, puis que le
reuenu de la France est arresté de tous les costez,
& que toutes les Prouinces refusent de les
payer que les affaires ne soient tout à fait appaisées.
Les benefices que ie possede, auec toute
sorte de Simonie, d’iniustice & de pluralité, me
rapportent beaucoup à la verité, mais ce reuenu
n’est pas capable de fournir dans ma maison
& dehors, & à toutes les occasions où il me faut
auoir l’argent à la main, ioint comme il est le
plus asseuré, i’en fais vn fond pour marier mes
niepces, lesquelles tranchant des grandes par
tout, il est bien raisonnable qu’elles soient dottées
d’vn argent qui sorte du costé de nostre
Seigneur Iesus Christ, qui est la plus belle & la

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plus creuse miniere d’où l’on puisse tirer ce metal.
C’est la seule chose où ie dois butter maintenant
que de procurer leur auantage le plustost
qu’il se pourra faire, car il est à craindre
que si ie venois à leur manquer à cette heure,
elles seroient bien empeschées de leur contenance,
& ie crois qu’il leur faudroit bien tost
repasser les monts, & s’en retourner en Sicile ou
à Rome si on les y vouloit receuoir. Acheue
donc, Mazarin, acheue donc ce que tu as si
bien commencé, & te maintenant dans cette
Citadelle si forte & si bien munie comme si tu
estois dans la paix, poursuis tes desseins, &
n’ayes plus d’apprehension du malheur.

 

FIN.

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