Anonyme [1649], MEDITATIONS DV CARDINAL MAZARIN DONNEES AV PVBLIC PAR SON SECRETAIRE, L. F. Auec l’Oraison qu’il à composée, pour la reciter quand il sera sur l’Eschaffaut. , françaisRéférence RIM : M0_2440. Cote locale : C_6_12.
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MEDITATIONS
DV CARDINAL
MAZARIN
DONNEES AV
PVBLIC PAR
SON
SECRETAIRE,
L. F.

Auec l’Oraison qu’il à composée, pour la reciter
quand il sera sur
l’Eschaffaut.

M. DC. XLIX.

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MEDITATIONS
DV CARDINAL
MAZARIN,
DONNEES AV PVBLIC
PAR SON
SECRETAIRE.
L. F.

AVEC L’ORAISON QV’IL A
composée pour la reciter quand il sera
sur l’Eschaffaut.

Miserable que ie suis, faut il que ie sois maintenant
la proye du destin iusqu’à quand ma miserable
vie sera elle suiete à tant de mal’heur ?
Helas ! combien i’endure de trauerses : combien d’allarmes
me donne on ? que de maux ie souffre tous les iours :
Il semble à voir que le Ciel n’ait des foudres que pour
me faire abysmer & renfermer dans la terre, & que la terre
n’ayt pas de forces pour me soustenir de tous costez on me
poursuit, le Ciel, Lair, la Mer, & la Terre, ne cherchent
que ma ruine, tous les eslemens sont bandez contre moy,
lny à rien qui ne me soit contraire, de toutes parts, on
me menace, chacun me presse, presse, tout le monde tasche à
me courir sus ; miserable donc encore vn coup puis que

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tu és destiné de tout temps, à tant de mal’heurs.

 

Mes commencemens mes progrez & ma fin n’ont pris
leur naissance que dans les calamitez, a peine a on veu
mon esleuement qu’on n’a respiré autre chose de ma premiere
beauté qu’vn mal’heur vniuersel ayant depuis quelque
temps en ça minuté ma ruine, & coniuré ma peine &
ma fin tout ensemble.

Aussi ie puis dire auec ce grand Philosophe de l’Antiquité
que ma vie n’est d’estrampée que dans vn oceant
d’aduersité puis qu’à mes yeux ie suis contraint d’endurer
tant & tant de mal’heurs, qui me trauersent iournellement,
& le tout pour mes actions si meschantes, & les
mauuais desseins que i’ay tousiours eu contre la France ;
que ie deuois cherir plus que moy mesme.

Helas ! ma vie n’est à present nourrie & entretenuë
que parmy la crainte, ie n’ay de ioye que dans mes aduersitez
& tout mon contentement est tellement lié à mes
infortunes que ie ne peu respirer que par les sanglots &
viure que dans les larmes.

Mais d’autre costé quand ie considere tant de nouueaux
mal’heurs qui se sont accreus par mon arrogance ;
Combien de pauures gẽs sont affligés pour ma consideration,
combien de Familles ruinées, des Chasteaux renuersez,
tant de champs despoüillez, tant de Villages, &
tant de Bourgades mises à bas. En vn mot, tant de Prouinces
qui se depitent, & se plaignent de mes mauuais conseils ;
Ie me sens forcé de dire a vn chacun que toutes mes
practiques, mes mœurs, & mes intentions secrettes ne se

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sont iamais reiallyes qu’à mon desaduantage, & n’ont
trouué en soy qu’vne publique desolation.

 

Faut-il miserable & infortuné que ie suis que iacheue
plus long-temps ma vie dans ce labirinthe ? Ie verray tous
les miens succomber, & ie feray contraint helas ! d’acheuer
en tristesse, & en langueur continuelle le cours
de mes ans ; Que puis-ie esperer à l’aduenir que des nouueaux
desordres.

Terre ouure toy, & m’enferme plustost dans les noirs
demeures & de tes obscuritez que de me laisser plus
long-temps dans ces calamitez publiques, i’en ay trop
veu & à mon grand regret : il est temps que ie paye le
tribut que ie dois à la nature ; C’est par trop demeurer
dans ses destours, aussi bien ie ne dois esperer bien-tost
qu’vne ruine, & vne desolation totale de ma personne ;
Adieu donc Paris infortuné, que mes os ne reposent
iamais dans l’enclos de tes murailles, que mon corps ayt
plustost Mont faucon pour sepulture que l’estenduë de
tes terres. Mais que dis-je helas ! où me transportent
mes souspirs, ie me perds dans ma propre perte, & le
trop de cognoistre que i’ay de mes crimes & mal’heurs
me rauit hors de moy-mesmes.

Ie reuiens encor vn coup à toy Ville miserable, entends
au moins mes plaintes, preste l’oreille à mais derniers
souspirs. Ie verray auec regret les maux que ie t’ay
procuré depuis quelque mois en ça, ie ne puis que ie ne
gemisse voyant tant de furieuses charges, & tant de
rencontres que ie t’ay faict donner iusques dans les
ports.

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Quand ie considere toutes ces trauerses ie ne peux que
ie ne regrette d’auoir mené vne vie si infame, & qu’à
la verité ce n’est pas vn moyen de demeurer long-temps
debout.

Pour mon regard ie ne desire que d’estre bien-tost,
prriué de vie, afin de ne voir tous les mal-heurs que i’ay
fait endurer à la France, & si ma voix languissante est à
demy accablée dans les ruines de la mort à encore quelque
pouuoir, ie vous supplie Parisiens de recouurir à la
la bonté, & à la clemence du Roy, afin qu’il face auancer
à mon endroit les rigueurs de sa Iustice pour me punir
selon mes demerites, Le Ciel vous benira, le Roy
receuras vos plaintes, & vous qui les demandez, & moy
ie mouray, en qualité de desobeissant, & comme perturbateur
du repos Public.

ORAISON.

PERE Eternel, premiere moteur, cause
des causes, principe du commencement
sans en auoir iamais eu, pere de toutes choses
estre de tous les temps, mon Dieu voicy vne
pauure Penitent, qui entre les bras de la mort
vous demandé la vie eternelle, ie sçay bien que
i’ay failly, mais ie sçay bien que vous me pouuez
pardonner, si ie connois mes offences, ie
connois aussi vostre misericorde, vous aurez
donc pitié de ma pitié, & ayant plustost égard

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à mon repentir que mes fautes, vous me donnerez
vostre grace, que implore auec ces derniers
souspirs de mõ cœur, & auec les dernieres
passions de mon ame, aussi bien vostre bonté
ma pas sauué pour me perdre, puis que ie vous
adore comme mon Createur, vous receurez
la victime de vostre victime, pour satisfaction
de ses armes qui est sa vie qu’il vous rend non
pas innocent, mais coupable de sa mort receuez
la pourtant puis qu’elle est à vous, &
au lieu de cette mortelle, donné luy eternelle
comme eternel, & Sauueur de tout le
monde.

 

FIN.

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