Anonyme [1649], MESSAGER DV CARDINAL DE RICHELIEV, ENVOYE DES CHAMPS ELISEES A IVLLE MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2460. Cote locale : C_6_16.
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MESSAGER
DV CARDINAL DE
RICHELIEV, ENVOYE
DES CHAMPS ELISEES
A IVLLE MAZARIN.

IVLLE.

Il faut que ie vous auoüe, que toutes les inuectiues
que l’on a faites cõtre mon ministere, & que
tout ce que l’on a inuenté pour me rendre odieux,
lors que ie viuois en Frãce, m’ont esté bien moins
sensibles que celles que l’on ecrit tous les iours

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contre moy parmy les iustes reproches que l’on
vous fait de vostre vie Ce sont des traits qui lancez
de loin contre moy, passent de vostre demeure
iusques en ces Champs Elisées, où ie suis parmy
vne troupe de sçauans Politiques, de Philosophes,
de Poëtes, & d’Orateurs. Depuis que vostre façon
d’agir est decriée, & que l’on a declamé hautement
contre vos pretentions iniustes, qui ont esté
condamnées par les Arrests des plus celebres Parlemens
de l’Vniuers, ie n’aproche qu’en tremblant
ces braues esprits, chez qui auparauant i’estois
en quelque sorte d’estime. On dit que c’est
moy qui vous ay ouuert la porte de la France, &
qui vous a introduit dans les plus hauts emplois,
& les plus importans pour le maintien d’vne Couronne.
De sorte que l’on me charge de toutes les
fautes dont on vous accuse, & ie suis obligé de
rougir par tout où ie me trouue. Ie demeure muet
à tous les reproches que l’on me fait sur ce suiet,
& quelques vns ont creu qu’il estoit à propos pour
me iustifier que ie vous enuoyasse quelques aduis
pour vous garentir des maux dont on blasme vostre
conduite. Souuenez vous donc que vous tenez
vn rang dans l’Eglise qui vous oblige à la douceur,
& qu’il n’en est pas des peuples comme des
bestes farouches, qu’il faut mettre à la chaisne
pour se garantir de leurs morsures. Il faut considerer
les mœurs des peuples en ces matieres, & se

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souuenir de ce precepte donné par vn bel
esprit sur ce suiect. Que la grauité d’Espagne
est odieuse en France ; que ce que font
les Venitiens ruineroit peut estre les Estats de
Holande : & que le Turc a plusieurs maximes
qui feroient rebeller les Chrestiens. Ce sont la
les choses qu’vn Politique doit sçauoir, ce doit
estre la son estude, ce n’est pas au Theatre ou les
docorations flattent les yeux, & où l’on crie miracles
quand on y voit tant de superbes machines,
qu’on apprend ce qui est necessaire à ceux
qui tiennent le timon d’vn Estat entre leurs
mains. Il n’y a rien que les grands doiuent tant
aymer que la clemence, pource qu’ils ont plus
de pouuoir de se faire admirer par elle, que les
autres hommes. Souuenez vous que c’est vne
tasche en la vie de Theodose qui ne pourra iamais
estre effacée lors que la colere le transporta
iusques au point de ruiner toute vne grande ville,
& de faire mourir cent mille ames pour vanger
l’iniure d’vne statuë. Pour moy i’aprouue la
pensée de celuy qui a dit que par tout où loge la
douceur, elle y meine le repos & le bon-heur.
Souuenez vous d’obseruer ces maximes que ie
vous donne, si vous voulez viure en seureté par
tout où vostre destinée vous conduira. Apprenez
à estre liberal : car il est tres-certain que le

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bien fair est comme vn grand ressort qui fait
mouuoir, & qui lie toutes les volontez, & c’est ce
qui fit dire autrefois à vn Empereur ces beaux
mots, Non mihi sed populo. C’est ce qui a fait dire
au Pere de l’eloquence romaine, que l’auarice
est vn vice difforme & indigne des Princes, & de
ceux qui sõt appellez au gouuernemẽt des Estats.
C’est le suiet ordinaire des plaintes, & ce qui a acoustumé
de porter les suiets à la rebelliõ & à la
desobeyssance. Vous estes d’vne condition qui
doit vous apprendre à mespriser les richesses, &
considerez ce que dit vn sçauant, que la seule
auarice ne donne, ny taxe, ny ordre à ses desirs :
car elle est tousiours au guet pour derober, &
iamais elle n’est contente, quant à moy, ie pense
qu’on ne sçauroit posseder de grands biens,
sans exciter l’enuie, comme on ne peut faire de
presens, sans acquerir de la gloire. Ie croy qu’il
ny a point de plus grand tresor pour vn Ministre
d’Estat, que d’acquerir la bien veillance des
peuples, & c’est par la seule liberalité qu’on
peut faire cette acquisition. C’est donner peu,
quand on ne donne que de l’or, peur vn cœur
qui est la plus noble partie qui soit en l’homme,
& celle dont la victoire est plus glorieuse, que
d’auoir vaincu par la force des armes tous les peuples
de l’Vniuers, Il me semble que cét Empereur

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qui nommoit la liberalité son plus precieux
tresor, d’autant qu’elle auoit eu plus de pouuoir
pour conseruer son diadesme, que la multitude
de soldats, & ses armes estoit bien digne de
l’Empire qu’il possedoit. C’est par là qu’on peut
monter à la gloire, & treuuer l’entrée des cœurs
des nations, qui ne peuuent estre ouuerts qu’auec
des clefs dorées. Si vous auiez pratiqué ces
choses, vous receueriez des benedictions de toutes
les bouches, des Eloges de toutes les plumes,
& ie ne serois point, comme ie le suis icy, persecuté
des reproches qu’on me fait à toute heure,
comme si i’estois coupable des fautes, dont on
vous accuse par tout. Le bruit en vient iusques
en ces lieux, & l’on m’a dit qu’on voit par tout
des libelles contre vous qui vous diffament, &
que mon nom est meslé parmy ces calomnies.
C’est ce qui m’a obligé de vous écrire mes sentimens,
qui sont bien contraires aux maximes pernicieuses
du Florentin. On dit que ce Machiauel
est vostre Breuiaire, & qu’il n’y a point de leçons
que vous ne sçachiez mieux par cœur que le
Symbole des Apostres. Ie voudrois bien qu’au
lieu de tant de flatteurs qui vous obsedent, il se
treuuast quelque fidelle Conseiller qui vous instruisit
des choses que vous deuez faire desormais
pour vous maintenir. Mais c’est vn des

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malheurs des Grands, que la verité n’entre iamais
chez eux que masquée, & qu’il faille qu’on
leur écriue de l’autre monde, ce qu’on n’ose leur
dire en celuy cy. Adieu,

 

Des Champs Elisées, où le Soleil ne luit iamais,
pour y distinguer les iours d’auec les nuicts.

FIN.

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