Anonyme [1649 [?]], FACTVM, SERVANT AV PROCEZ CRIMINEL FAIT AV CARDINAL MAZARIN, touchant ses intelligences auec les Estrangers ennemis de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_1368. Cote locale : A_4_3.
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PREMIERE PARTIE.

IL y a apparence & probabilité que le Cardinal
Mazarin s’est toûjours entendu auec les Espagnols
ennemis de la France, & qu’il a procuré leurs
auantages autant qu’il luy a esté possible, au détriment
de cét Estat.

Pour cét effet, il a depuis deux ans malicieusemẽt
& proditoiremẽt arresté le cours des prosperitez des Armes du Roy.

Apres les prises de Courtray, Dunquerque & Furne, qui arriuerent
en 1646. il fit casser & retrancher plus de cent Compagnies
de Caualerie, & perir celles qui resterent, sans leur donner pendant
le quartier d’Hyuer ny paye, ny fourrage, bien que la guerre durast
tousiours, & qu’on la deust continüer à la prochaine campagne.

Il asseuroit cependant que la Paix se feroit, & neantmoins il entretenoit
secrette correspondance auec les Ministres du Conseil
d’Espagne, & auec le Marquis de Castelrodrigo, Gouuerneur du
Pays-bas, enuers lequel il s’estoit engagé dés Rome, où ledit Castelrodrigo
a esté Ambassadeur du Roy d’Espagne.

N’ayant ny fait la Paix, ny preparé d’Armée pour la Campagne
de 1647. & ayant par ce moyen donné lieu à l’Archiduc Leopold
d’assieger Armantieres, cette Place durãt au delà de son attente, &
de son desir ; il blasmoit à la Cour le sieur du Plessis-Belliere de tenir
si long-tẽps, & s’opiniastrer dãs vne Place qui deuoit estre prise.

La necessité, ou plustost la honte & les cris de toute la France,
ayant auec presse fait mettre vne armée sur pied, elle deuint par sa

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resolution suffisante pour arrester les progrez des ennemis, lesquels
ne pouuoient rien entreprendre tant qu’ils auroient l’Armée
du Roy en presence de la leur.

 

Pour donner moyen à celle des ennemis de décamper auec seureté,
& aller former le siege de Landrecies, qu’on auoit exprés dégarny
d’hommes, le Cardinal s’en alla d’Amiens à Dourlans, sous
pretexte des mes-intelligences qui estoient entre les Mareschaux
de Gassion & de Ranzau, Generaux de l’Armée du Roy ; il les fit
venir à Dourlans, non pour les mettre bien ensemble, mais à dessein
de leur faire employer & perdre trois jours de temps, tant pour aller
& s’en retourner, que pour leur sejour, comme ils firent.

Soudain apres leur depart, l’armée de l’Archiduc décampa
d’auprés de Lens, & fut inuestir & assieger Landrecies : ces Mareschaux
de France arriuez à leur Camp accoururent à ce siege auec
leur armée, & resolurent de faire vn effort pour jetter des gens
dans la Place, dequoy elle manquoit seulement, estant des plus
fortes du Pays-bas. Cét effet jugé & tenu pour infaillible par le
conseil de l’Armée, il fut absolument deffendu de la Cour par ordre
secret apporté par Langlée, en sorte que ces deux Generaux
furent obligez d’abandonner vne si bonne & importante Place,
qu’ils pouuoient & vouloient sauuer, se retirerent & prindrent chacun
les troupes qui leur estoient separément destinées, & furent
assieger chacun vne place ; le Mareschal de Gassion la Bassée, & le
Mareschal de Ranzau Dixmude, qu’ils prirent & fortifierent.

Sur ces differentes pertes & gains, la Cour qui auoit quitté Paris
aux premiers aduis de la marche des ennemis, pour ne pas oüir les
reproches de n’auoir ordõné les recreuës, ny leué aucunes troupes,
s’en reuint de Picardie à Paris, & tost apres s’en alla à Fõtainebleau.

L’Archiduc enuoya au mois d’Octobre assieger Dixmude auec
cinq mille deux cens hommes, tãt Caualerie qu’infanterie : le sieur
de Clanleu auoit esté mis dedans pour la deffendre auec deux mille
huit cens hommes, entre lesquels estoit le Regiment de Piedmont,
bien que les assiegez se mocquassent des assiegeans par la
seule comparaison des vns aux autres, outre la bonté de la Place : le
Mareschal de Ranzau s’approcha non tant pour la secourir, que
pour enleuer le siege, comme il auroit apparemment fait, sans l’aduis
de la soudaine & inopinée reddition de la Place, dont la capitulation
fut à cette fin faite incontinent apres l’arriuée de la Cour du
sieur de Cominges, qui en porta les ordres, sans que les ennemis
eussent gaigné aucun dehors, ny le pûssent faire de deux mois.

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Clanleu ne fut pas mis en prison, mais bien à couuert dans la Citadelle
d’Amiens, afin que les cris & les reproches que luy faisoient
desia vne infinité de personnes de tous sexes & conditions, pour la
honteuse playe qui venoit d’estre faite dans Dixmude à l’Estat & à
la reputation des armes du Roy, ne luy fissent perdre patience, &
declarer pour sa descharge les ordres qu’il auoit eus de faire ce
qu’il auoit fait : il fut bien traité dans la Citadelle d’Amiens, en sortit
comme il y estoit entré, braue Caualier & bon François.

Ces mauuaises intelligences des Mareschaux de Gassion & de
Ranzau estant si publiques, que non seulement les Officiers, mais
tous les soldats de leur armée les en blasmoient, le Mareschal de
Gassion declara plusieurs fois & formellement, que le Cardinal
Mazarin non seulement les fomentoit, mais les ordonnoit pour
destruire toutes les bonnes dispositions qu’il y auoit pour les prosperitez
de la France, laquelle il vendoit à l’Espagne : le Mareschal
de Ranzau qui suiuoit les ordres de ce grand Ministre, se laissa
quelquefois entendre en cette conformité, pestant contre soy-mesme
d’estre forcé à faire la guerre tout autrement qu’il n’auoit
appris, & qu’il ne se deuoit faire.

Pendant cette Campagne de 1647. le Prince de Condé fut enuoyé
en Catalogne, pour y conquerir toute l’Espagne, non selon
l’apparence, mais selon l’esperance que le Cardinal Mazarin luy
en donnoit, lequel aussi fin & meschant, que le Prince est genereux
& vaillant, luy ayant persuadé cét employ, luy fit accroire que la
porte de toutes les conquestes souhaitables, & de la gloire à laquelle
ce Prince à toûjours visé, estoit Lerida ; Qu’il falloit aller droit
à cette Place, sans s’amuser ailleurs, quelques bonnes dispositions
& apparences de meilleurs succez qu’il y peut auoir.

Cela resolu entre le Prince & le Cardinal, afin que ce secret
de deux le fust parfaitement, & ne pût estre découuert que
par l’vn d’eux. Il se trouua pourtant dans Lerida vne armée presque
aussi forte que celle de ce Prince, sans qu’il y eust de trouppes
dans aucune des autres places que le Roy Catholique a dans la Catalogne,
qui les peussent deffendre si elles eussent esté attaquées,
parce qu’on sçauoit bien en Espagne qu’elles ne le seroient pas, &
qu’on ne deuoit s’attacher qu’à Lerida, que ce Prince assiegea vaillamment,
la considera prudemment ; & l’ayant bien reconnuë, &
plusieurs autres choses, ensemble qu’il pourroit dire, s’en retira
heureusement, sans tomber dans le piege qu’on luy auoit tendu.

Toutes les choses que le Cardinal luy auoit d’ailleurs promises,

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luy manquerent en la plus grande partie, & ce Prince fut obligé d’y
suppléer par sa valeur & son bon-heur, & d’hazarder à toutes occasions
vne personne si cherie de la France, & si redoutée de l’Espagne,
biẽ que ses principaux Officiers luy representassent plusieurs
fois que s’il estoit necessaire de s’exposer aux perils de la guerre, il
n’estoit pas juste de le faire à deux de la trahison.

 

Le Comte d’Harcour, plein de vie & d’honneur, peut dire ce
qu’il apprit quand il ne prit pas Lerida, qu’il auoit assiegé l’année
auparauant : Il se souuiendra de ce que les Catalans se sont plaints,
& les Castillans vantez, la douleur & la joye exalant de grosses veritez
dans leurs excez, en manifesterent d’estranges en Catalogne.

La Campagne de 1647. finissant auec la vie du Mareschal de
Gassion, toute son Armée auec la France tesmoignerent vn grand
regret de la mort de ce Heros : L’Armée ennemie & l’Espagne aussi
en eurent beaucoup de joye, & grand sujet. La Cour, qui estoit
alors à Fontainebleau, entre ces deux partis & passions, se declara
neutre, sur l’asseurance que le Cardinal Mazarin donnoit que c’estoit
vn grãd bien que cét homme fut mort, en quoy il disoit vray,
s’il entendoit parler à l’Espagne, à laquelle il ne souhaittoit pas
plus de mal, que de bien à la France.

Les mouuemens de Naples estans suruenus, & venus au poinct
que tout le monde a sçeu, le Cardinal Mazarin les a si sagement &
si prudemment entretenus, qu’ils se sont doucement calmez, sans
autre effusion de sang ny mort, que celle que la foy & la conscience
des Espagnols ont depuis fait faire par leurs bourreaux. Le testamẽt
que Gennaro Annese fit sur l’eschafaut auãt qu’on luy coupast
la teste, a par tradition passé par toute l’Europe, afin que tout le
monde sçeut le legs qu’il faisoit au Cardinal Mazarin, qui l’aydoit
à si bien & si chrestiennement mourir, apres auoir donné la paix à
tout le Royaume de Naples. Le Duc de Guise fut pris par malheur,
est retenu par recommandation, & sera relâché quand il plaira
à Dieu ; alors il pourra dire ce qu’il a sçeu cy-deuant, & ce qu’il
pense & pâtit maintenant.

La Campagne de 1648. estant sur le point de se commencer, le
Prince de Condé eut le commandement de l’Armée du Païs-bas,
qui fut selon son desir composée en la plus grande partie des Officiers
& des troupes qu’il demanda. En formant cette Armée, &
meditant ses effets, ce Prince & les Mareschaux de la Melleraye &
de Grammont, qui deuoient agir sous luy, jugerent que la plus importante
diuersion qui se pust faire des forces ennemis, pour dõner

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plus de lieu & de facilité à toutes les entreprises de l’armée du Roy, estoit de jetter
autant d’hõmes dans Courtray que les Espagnols auoient fait l’année précedẽte
dans Lerida, qui estoit vne petite armée, afin que si cette. Place estoit assiegée par
l’armée de l’Archiduc, qu’elle s’y ruïnast, par la forte resistance qu’il y auroit ; eu
si elle n’estoit pas assiegée que le Gouuerneur pût rauager la campagne auec vn
Camp volant qu’il pouuoit tirer de cette Place, la laissant suffisamment garnie
pour sa garde ordinaire hors de siege.

 

Pendant les mois de Ianvier, Fevrier & Mars de ladite année 1648. le sieur de
Villequier conduisit dans Courtray auec heur & valeur, plusieurs Conuois de
munitions de guerre & de bouche, & 8 hommes, lesquels sous le sieur le Ralle,
expert aux fortifications, trauaillerent tellement à celles de cette importante
Place, qu’elle fut renduë des plus fortes du Pays-bas, auec la Citadelle reguliere
que le Mareschal de Gassion y auoit commencée.

Le sieur de Paluau ayant esté fait Gouuerneur de Courtray, comme vn autre
Toras, se promettoit dans vn autre Cazal, gaigner vn baston de Mareschal de
France : Mais il en sortit secrettement auant le siege, en tira & amena sans aucun
peril plus de deux mil hommes au Prince de Condé, qui n’en auoit ny desir ny
besoin, lequel estant estonné de la nouueauté de ce renfort, & consequemment
de l’affoiblissement de Courtray : Paluau dit qu’il sçauoit bien ce qu’il faisoit.
Et en effet il parut bien-tost apres que ce grand exploict estoit doublement meritoire,
puis qu’il contenoit obeyssance enuers le Cardinal Mazarin, & sacrifice
aux Espagnols de Courtray, & du reste de la garnison, composée de vaillans
François & Suisses, qui furent vne sanglante victime à la cruauté des ennemis.

La perte de Courtray fut vn nouuel aiguillon au désir de la prise d’Ipre. Le
Prince de Condé qui l’assiegeoit la presse si fort, qu’il la prend auant que les ennemis
la peussent secourir. S’en estant rendu maistre, il en donne sous le bon
plaisir du Roy, le Gouuernement à celuy qu’il en iugea tres-digne. Le sieur de
Chastillon ne fut pas agreable au Cardinal Mazarin pour la garder & deffendre,
ainsi que le sieur de Paluau, auquel il la fallut consigner, puis qu’il n’auoit pas
rendu Courtray, & qu’on asseuroit de luy, que s’il estoit encore dedans auec
cinq ou six mil hommes, qu’elle ne seroit pas au pouuoir des ennemis.

Le Cardinal Mazarin consola facilement toute la Cour de la perte de Courtray,
bien que les Espagnols l’eussent voulu eschanger auec Aire & S. Omer,
leurs seuls restes du Comté d’Artois, à cause de la prise d’Ipre, la plus importante
Ville du Comté de Flandres, deux fois plus grande, plus riche, plus marchande &
plus peuplée que Courtray : mais il n’a pas trouué à propos de la fortifier, pour
ne despenser de l’argent, & pour ne trauailler pour les ennemis, ainsi qu’il auoit
fait à Courtray : ce qui a esté estimé & approuué, ne pouuant mes-aduenii de cette
Place, puisque le sieur de Paluau la garde, & la deffend de la Cour oü il est, &
que le Cardinal est la caution.

Apres que ces deux Places eurent de differente façon chargé de maistres, les
deux Armées furent long-tẽps à s’entr’obseruer. Colledes ennemis s’entretenoit
le mieux qu’elle pouuoit. Celle du Prince de Condé se débãdoit & dissipoit faute
de quelque petite paye, dequoy le Cardinal Mazarin n’estoit pas marry. Ce
Prince fut contraint de venir luy mesme representer la souffrance de tant de braues
Officiers & pauures Soldats, pour leur faire donner des alimens. Il fut dignement
caressé, & festiné par le Cardinal Mazarin. Mais obligé de s’en retourner

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auec cette resolution, de voir plustost perir son Armée par le fer de l’ennemy, que
par la rage de la faim. Le Prince de Condé cherche l’occasion d’vne Bataille, le
Cardinal Mazarin l’approuue, puisque ce Prince auoit à y courir autant de peril
qu’aucun Officier ny Soldat de son Armée. La Bataille se donne pres de Lens, &
se gaigne par le Prince de Condé, sans y auoir esté graces à Dieu ny tué ny pris,
comme les ennemis en auoient des promesses ou des propositions par escrit, dequoy
le Cardinal Mazarin eut beaucoup de confusion & de desplaisir, qu’il dissimula
judicieusement, pour faire semblant d’en rendre graces à Dieu, & dans l’action
mesme, ou à la sortie, faire enleuer les Senateurs qui y auoient esté inuitez.

 

Dieu qui auoit patiamment souffert tant de trahisons faites à la France, ne
voulut pas souffrir celle-là, en laquelle on auoit resolu de violer le S. Temple dedié
à sa sacrée Mere : publia soudain par la voix de son peuple, la violance & l’injustice
que le Cardinal Mazarin faisoit faire, & fit reclamer hautement les personnes
emprisonnées. Le Cardinal Mazarin les fit genereusement relâcher pour
l’amour du trouble, non pour la crainte de sa personne ny de ses tresors, puisque
pour l’vn il auoit cent cheuaux dans son escurie, qui sellez & bridez, attendirent
24. heures durant sa fuite ? Et pour l’autre les balots estoient faits, & les mulets
chargez. Tout fut calmé graces au bon Dieu, sauf le cœur & l’esprit, du Cardinal
Mazarin, lequel sçachant la consternation des ennemis, par la grand perte qu’ils
auoient faite en la bataille de Lens, pour ne leur manquer en leur besoin, voulut
manquer à celuy de l’Armée du Roy : & hors la prise de Furne, ne voulut que le
Prince de Condé en fit d’autre, bien qu’il n’y eust Place dans le Païs bas, qui ne
creut tomber és mains du vainqueur, s’il l’a vouloit attaquer.

Pour monstrer l’affection qu’il portoit au Prince de Condé, ou aux interests
des Espagnols, il le r’appella à la Cour, afin que cettuy-cy ne fit plus de gain, ny
les autres de perte, & que les fleurs & les fruicts d’vne si grande & si auantageuse
victoire, se trouuassent cueillis dans le mesme jour de la Bataille.

Le Prince de Condé reuenu à la Cour, le Cardinal Mazarin tasche de le broüiller
& mettre mal auec le Duc d’Orleans, & s’offroit separément à l’vn & à l’autre,
pour apparamment les perdre tous deux s’il eust pû. Mais ce sang Royal qui
boust dans leurs vaines, se calma plustost & plus facilement qu’il n’esperoit & ne
desiroit.

Depuis il a débauché ce genereux Prince pour le faire mal-heureusement perir ;
mais Dieu le preseruera comme il a fait de toutes les embusches qu’il luy a
tenduës, & luy fera connoistre ses fourbes & malices pour le laisser chastier au
Royaume qu’il a infamement pillé & proditoirement vendu.

Cela estant réserué au temps & à la iustice diuine & humaine. Reste à cotter
d’autres apparences ou probalitez, de l’intelligence du Cardinal Mazarin auec
les Espagnols.

Au commencement de la Campagne de l’année 1646. il enuoya assieger Orbitello
en Toscane, place forte du Roy d’Espagne, auec deux armées de terre &
de mer, desquelles le commandement fust donné au Prince Thomas de Sauoye,
alternatiuement vaillant & heureux, lequel s’estant comporté auec la premiere
qualité seulement, il ne reüssit pas en ce siege selon la derniere, & apres grand
perte le leua honorablement, & se retira seurement, le Cardinal Mazarin s’en
picque, comme si Orbitello eut esté pour luy, & en la place du Prince Thomas
[1 mot ill.] sur la coste de Toscane le Mareschal de la Melleraye, auec de tres-bons

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Officiers, & autres deux armées de terre & de mer, pour y faire des conquestes,
Piombino & Portolongone furent pris, munis & fortifiez auec plus de coust &
de despence, que toutes les places de France n’en ont consommé depuis la guerre,
si d’auanture tout l’argent qui a de ce Royaume passé en Italie par les ordres
du Cardinal Mazarin y a esté employé

 

Ces deux places n’ont pas esté attaquées par les Espagnols, bien que le recouurement
leur soit d’vne haute importance, le Cardinal Mazarin a voulu acheter
pour soy Piombino du Prince Ludouisio proprietaire, qui s’en est mocqué
encore qu’il en soit despoüillé ; le Roy d’Espagne est interuenu dans ce marché,
a pris les droits du Prince Ludouisio, luy a baillé en eschange la Principauté de
Salerne, & autres fiefs au Royaume de Naples, pour fauoriser le Cardinal Mazarin
de cette Principauté de Piombino, qui a esté infeodée par l’Empire à la
Couronne d’Espagne, de laquelle elle estoit tenue en foy & hommage par le dernier
Possesseur. Le temps fera voir ce qui en arriuera, & à qui ces forteresses demeureront.

Les effets de nos armées nauales depuis la conqueste de ces deux places, font
connoistre presque à tout le monde, l’intention ou le iugement de ce grand Ministre,
les sentimens & les discours des Officiers de ces armées, tant des Capitaines
des vaisseaux, que des galeres & de tous leurs Pilotes, estoient qu’ils partoient
tousiours quand il n’estoit plus temps de partir, & alloient tousiours où ils ne
deuoient pas aller : les plus sages concluoient à ce que ce Ministre n’entendoit
rien à gouuerner vn Estat : mais les plus clair-voyans concluoient a ce qu’il s’entendoit
auec les ennemis, & les vns & les autres deploroient de voir ce Royaume
si miserablement vendu & trahy, la reputation d’vn grand Roy, & d’vne
belliqueuse nation si vilainement diffamée, & tant de braue noblesse exposée à
la boucherie par vn estranger Italien Espagnolisé, ennemy capital du nom François.

Si nos armées de mer fussent allees en Catalogne pour y apuyer les desseins
qu’on auoit dans cette Prouince, sans lesquelles ils ne se peuuenr esclorre. Nous
y aurions fait d’autres conquestes, & tiré le reste des Catalans de la seruitude
Castillane en laquelle ils sont, mais tous les bons desseins de succez apparens
& probables, qui luy ont esté proposez, n’ont iamais esté gouttez ny suiuis par
luy, & ce tesmoignage peut estre hautement rendu par infinité de gens de bien
& de condition qui luy ont fait des propositions considerables, & donné des aduis
importans, le tout vainement

Cette belle Prouince de Catalogne creut que la France, à laquelle elle se trouue
vnie & incorporée l’alloit démembrer & jetter dãs son ancien esclauage, pour
estre tous ces nobles & genereux Catalans exposez à la barbare vengeance des
Espagnols, comme ils la pratiquent à Naples ; lors que le Cardinal de Sainte Cecile
frere du Mazarin, fut enuoyé Viceroy dans cette Prouince, voyant ces deux
freres, l vn fol ridicule, & l autre méchant execrable ; ils s’écrioient publiquement :
ha pauure France ! ha pauure Catalogne ! sous quelles conduites estes-vous
tombées : la peur & la honte que le Cardinal de Sainte Cecile eut de ces plaintes
publiques, le porta à se retirer & sortir de cette Prouince sans ordre, & de s’en
venir à la Cour, contre l’ordre qu’il auoit de n’y pas venir.

L’impertinent dessein qu’il a eu de faire passer & perdre cette derniere Campagne
à l’Armée du Roy deuant vne Place & d’engager encore le Duc de Modene

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au siege de Cremone, ville du Milanois, qui ne se deuoit, ny pouuoit prendre ; &
quand bien elle eut esté prise, ne se deuoit ny pouuoit garder ; fait juger du moins
par l’éuenement quel est son esprit & son ame pour le bien & pour l’honneur de
la France.

 

Il n’y a pas vn estranger qui ne sçache que le Royaume de France est le plus
peuplé de l’Vniuers, & que cette Nation estant aussi propre pour les armes
qu’aucune autre, les hommes y sont inespuisables pour la guerre, les François
ayans pour leur Roy & pour leur Patrie l’affection que Dieu, la Nature & la Loy
ordonnent à tous leurs Sujets : le Cardinal Mazarin faisoit faire tous les ans des
leuées d’hommes estrangers en Pologne, en Allemagne, en Escosse, en Angleterre,
& en Irlande, desquels il n’y auoit aucun qui ne reuint en France à beaucoup
plus que quatre François n’auroient cousté ; cette œconomie estoit selon la
penetration des plus habiles gens, pour auoir pretexte de faire sortir de l’argent
de France, & pour auoir vne armée d’estrangers qui fut plus à luy qu’au Roy, ny
au Royaume, y ayant cinq ou six Regimens, tant de Caualerie que d’Infanterie,
sous le nom de Mazarin.

Il caressa si fort le sieur d’Erlac, Gouuerneur de Brisac, pendant le sejour qu’il fit
à la Cour apres la bataille de Lens, & tascha de le sonder si subtilement sur le delaissement
de cette Place que ce fidele Gouuerneur également François & Suisse,
a soupçõné, selon qu’il s’est laissé entendre, que le Cardinal Mazarin voulut auoir
cette forteresse pour luy-mesme, ou pour le Roy d’Espagne, pour la liaison de la
Franche-Comté auec l’Allemagne, & sans passer par la Suisse, luy donner vn passage
sur le Rhin plus asseuré.

Pour la Paix, tant des traitez particuliers qui ont esté faits, que ceux qui restent
encore à faire, le Duc de Longueville & le Comte d’Auaux pouuãt dire ce qu’ils
en sçauent, pour auoir esté si long-temps amusez à Munster ; & ce Prince & ce
Seigneur pouuant & debuant estre creus, on ne dira sur ce sujet sinon que le Cardinal
Mazarin est la seule & secrette cause que la Paix ne s’est pas vniuersellemẽt
faite, que le traité de Bauiere s’est rõpu, & que celuy de Hollande s’est executé, les
Hollandois ayãt franchemẽt dit que si la France les vouloit tousiours auoir pour
alliez & vnis auec elle, qu’elle eut plustost d’autres Gouuerneurs & Ministres.

On fait grand bruit de plusieurs millions volez à cette Couronne par le Cardinal
Mazarin, & transportez hors du Royaume, le sieur d’Emery qui se chauffe à
à son aise le dos tourné au feu qu’il a malignement allumé dans le Royaume ;
pouuant fournir les preuues de ces larcins lors qu’on luy fera son procez, l’on
s’en remettra à luy, & l’on n’en dira pas d’auantage, sinon qu’il y a grande apparence
& probabilité, que le Cardinal Mazarin s’est tousiours entendu auec les Espagnols
ennemis de la France, qu’il la veut maintenant déchirer apres l’auoir écorchée,
excitant le Roy contre son pauure & fidel peuple, contre sa bonne &
puissante Ville de Paris, contre son sage & affectionné Parlement, voire contre
tous les Officiers du Royaume, lequel il veut embraser d’vn feu de guerre ciuile,
& se refugier & sauuer en Espagne pour estre recompensé de ses seruices & de cét
incendie.

A PARIS chez la Veufve I. GVILLEMOT, ruë des Marmouzets.

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