Anonyme [1649], NOVVEAV DISCOVRS POLITIQVE CONTRE LES ENNEMIS DV PARLEMENT ET DE LA VILLE DE PARIS. Où il est traitté de l’vsage legitime de la puissance Royale dans l’imposition des subsides; De la dignité du Parlement de Paris dans la France, & de l’innocence de la Ville de Paris. A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_2535. Cote locale : C_7_48.
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NOVVEAV
DISCOVRS POLITIQVE
CONTRE LES ENNEMIS
DV
PARLEMENT
ET DE LA VILLE
DE PARIS.

Où il est traitté de l’vsage legitime de la
puissance Royale dans l’imposition
des subsides ;

De la dignité du Parlement de Paris dans la France,
& de l’innocence de la Ville de Paris.

A LA REYNE.

A PARIS,
Chez ROLIN DE LA HAYE, ruë d’Escosse,
prés le Puits Certain.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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A
LA REYNE
REGENTE.

MADAME,

Quand ie considere les malheurs que les
guerres Ciuiles ont accoustumé de produire dans les Estats, ie ne
pense pas que Dieu ait iamais témoigné plus visiblement le soin
qu’il a de cette Monarchie, que quand il a inspiré à vostre Majesté
de rentrer dans vne parfaite reconciliation auec ses subjets, auant
que les choses fussent venuës à des extremitez dãgereuses, & où il
n’y auroit peut-estre plus de remede. Or comme il y a des gens à
la Cour qui taschent de vous entretenir dans la haine qu’on vous a
donnée pour le Parlement & la ville de Paris ; I’espere que vostre
Majesté ne trouuera pas mauuais si ie trauaille à luy découurir la
malice & l’ignorance de ces factieux, & la coniure de ne pas perdre
l’occasion qu’elle a maintenant entre les mains, de rendre la
paix à la Chrestienté & à la Frãce son ancienne splendeur. Ce n’est
pas que ie sois de profession ou d’humeur à me mesler dans les affaires
Publiques. Mais parce que ceux qui demeurent aupres
des Grands ont coustume de leur déguiser la verité, ou par interest
ou par foiblesse ou par passion, il y a tout plein d’exemples de
personnes particulieres que Dieu a suscité dãs tous les temps, pour
leur annoncer ce que les autres n’auoient pas le courage de leur

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dire. En effect ie suis assuré que vostre Majesté n’auroit iamais
souffert qu’on luy eust proposé de ruïner ou mesme d’affoiblir le
Parlement & la ville de Paris, s’il y eust eu quelqu’vn aupres
d’elle assez zelé pour luy representer l’iniustice & l’importance
de ce dessein, & luy faire voir qu’on ne pouroit abbatre vne ouurage
de tant d’années & de tant de Roys, sans destruire en mesme
temps & la France & l’authorité Royale. Car, MADAME, que
pensez-vous que ce soit que cette Compagnie, pour qui on a tant
donné d’auersion à vostre Majesté ; Il n’y a personne qui ne sçache
qu’elle a tousiours esté l’asile des foibles contre la violance des
Grands, & le plus assuré rempart de la puissance de nos Roys contre
les factions des Rebelles ; voire mesme il est certain qu’elle a
esté instituée par vne Loy fondamentalle de ce Royaume, & du
mesme temps qu’on a mis la Couronne sur la teste des predecesseurs
de vostre fils. Et certes qui est-ce dans la Frãce, qui soit assez
ignorant dans nostre histoire, pour ne sçauoir pas que Charles de
Lorraine ayant esté chassé du throsne qui luy appartenoit par sa
naissance, on y éleua Hugues Capet dans les Estats generaux
qu’on tint pour ce sujet : & que dans ces mesmes Estats on crea
les Pairs & les Officiers du Parlement de Paris, pour seruir de
temperament, non pas à la puissance legitime des Roys, mais à
l’insolence des Ministres qui en abusent ? Or, MADAME, qui
osera dire à vostre Majesté, qu’elle puisse pendant la minorité
du Roy, aneantir vne Compagnie establie par vne Loy si solennelle ?
Et mesme quand cela seroit en sa puissance, qui auroit-il
de plus dangereux que de destruire les moindres choses ordonnées
dans ces Estats, puis que ce sont eux qui ont formé presque toutes
les Loix fondamentales de cette Monarchie ? Et de fait, d’où
vient qu’on ne partage plus le Royaume comme on faisoit dans
les deux premieres races ? Il est certain que ce n’est qu’en vertu des
Ordonnances de Hugues Capet : mais si ce seroit vn attentat
execrable que de violer vne Loy si saincte & si iuste, qu’elle apparence
y a-il qu’on doiue ruïner vne Compagnie instituée par le
mesme Prince, & confirmée dans les mesmes Estats ? Mais qu’y a-il
de plus intollerable que le mespris qu’on fait de cet Auguste Parlement ?
au contraire il n’y a rien que les sages Politiques admirent
dauantage dans ce Royaume, de sorte qu’vn des plus habiles Italiens
de ce siecle a escrit seulement pour cette raison, que cette Monarchie
estoit l’Image & le modele d’vn parfait gouuernement.
Car de mesme que les Philosophes croient que ce qu’il fait subsister
le monde parmy les desordres que nous y voyons, c’est à
cause que les extremitez ne sont iamais vnies que par des corps qui
participent de la nature de l’vne & de l’autre. Aussi il n’y a rien qui

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ait contribué dauantage à la duree de cét Estat, parmy la legereté
de nostre Nation sinon que le Parlement estant au milieu des
Grands & du Peuple, & participant de la condition des vns &
des autres, il les retient plus aisément dans leur deuoir. Aussi que
verroit on autre chose apres la ruine du Parlement, que confusions
& brigandages ? Où est ce que nous nous adresserions, pour demander
la vengeance de la profanation de nos Autels, & de nos
mysteres ? Quel seroit l’asile des pauures & des foibles, contre la
tyrannie des puissans, & la persecution des Riches ? Il y a mesme
vne infinité de rencontres, où les Rois en ont besoin, contre les
entreprises & l’infidelité de leurs vassaux ? On dira peut estre, que
les Souuerains exerceroient la Iustice par eux mesmes, ou par
des Commissaires. Mais ô Dieu immortel ! que cette Politique est
contraire à celle de nostre Monarchie, où nos Rois ont tousiours
laissé l’exercice de la Iustice vindicatiue à des Iuges ordinaires,
de peur d’attirer sur eux la haine de leurs Sujets, en les condamnant
eux mesmes, où leur donnant des Iuges suspects, & à leur deuotion.
Ainsi il reste qu’on laissast la Iustice aux Iuges inferieurs, ou
au Parlement, mais apres qu’on luy auroit osté de sa dignité : Toutesfois
si en l’estat où il est, il a tant de peine à retenir les passions &
la fureur des Grands : Comment est ce que de moindres Iuges ou
luy mesme apres la perte de sa splendeur, où la diminution de
son authorité en pourroit venir à bout. Mais, MADAME, on void
bien que ceux qui vous donnent des conseils si pernicieux, ne
craignent gueres, ou plustost qu’ils souhaitent tous ces desordres.
Et certes, s’ils auoient eu quelque affection pour la France, ils
n’auroient eu garde de vous conseiller la ruine de Paris, en quoy
il est visible, que consiste toute la force, toute la splendeur, &
toute la magnificence de ce Royaume. Ce n’est pas d’auiourd’huy
que Paris est la Ville Capitale de la France : Il y a plus de douze
cens ans que Merouée y establist le Siege de son Empire, & depuis
ce temps là, elle est montée à vne gloire si extraordinaire,
qu’elle estonne toutes les Nations Estrangeres. Il y a dans cette
Ville vne infinité d’Eglises de Palais de Prestres de Religieux, de
choses Sainctes, & de precieuses Or quand il y auroit quelques particuliers
qui auroient offensé vostre Majesté, est il possible qu’elle
consentist à la perte de tant d’innocens parmy quelques coupables,
à la ruine de tant d’Autels où l’on a si souuent sacrifié pour
elle le Corps & le Sang de Iesus Christ au violement de tant de
Religieuses, qu’elle a honorée de son amitié ou de sa protection,
& au massacre d’vn Peuple aux larmes duquel elle doit presque
autant qu’à ses prieres, la gloire qu’elle a d’estre Mere de nostre

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Roy, & Regente de ce Royaume ? Mais apres tout, ie suis asseuré
qu’il n’y a mesme personne au pres de vous, qui ne fust accablé
sous les ruines de cette Ville. Où est ce que le Roy trouueroit
de secours aussi prompt dans vne necessité pressante, comme il
se peut trouuer dans Paris ? qui ne sçait que c’est l’asile &
le refuge des miserables respandus dans tout le reste de la France ?
Enfin qui est celuy de vos Officiers, de vos Capitaines, & de
vos Soldats, qui n’y ait ses enfans, sa fortune, ou ses affaires ? Ainsi,
MADAME, on ne parle à vostre Maiesté, que de ruiner Paris,
pour ne luy pas faire horreur par vne proposition plus estrange.
Mais il s’agist à bien dire de mettre le feu dans toute la France.
& d’estoufer son propre Fils, à la façon de ces monstres de la Nature,
qui ne se soucient pas de perdre ce qu’ils ont de plus cher,
pourueu qu’ils satisfassent à leur vengeance, & se baignent dans le
sang de leurs ennemis. Mais certes, i’ay de la peine à deuiner, quel
pretexte on a pris, pour donner couleur à vn conseil si pernicieux.
On a fait courir icy vn bruit que le Parlement auoit voulu liurer le
Roy aux Ennemis de la France, & que le Peuple auoit eu trop de
mépris pour vostre Majesté : Mais ce sont des subtilitez ridicules
d’vne fausse Politique. Car qui se persuadera que le Parlemẽt qui est
composé de François, ait moins d’affection pour la France, que
des Estrangers ? Où que le Peuple qui a adoré vostre Majesté dans
sa souffrance, ait moins d’amour pour elle, que ses anciens persecuteurs ?
Ainsi, MADAME, il ne faut point dissimuler. Le crime du
Parlement, c’est de s’estre opposé au brigandage des Partisans, &
celuy du Peuple, d’auoir demandé dans les dernieres barricades la
liberté de ses Protecteurs : Mais ie ne conçoy pas, par quelle Morale
ou par quelle Politique on vous a voulu persuader, que ces actions
estoient des rebellions & des attentats dignes d’vne vengeance
si extraordinaire. On n’a pas manqué de representer souuent
à vostre Majesté, que les Souuerains sont les Seigneurs absolus
de la vie, de la liberté, & des biens de leurs Sujets, & qu’ils
en peuuent disposer à leur fantaisie sans iniustice : de sorte, que
quand le Peuple se plaint des violences qu’on luy fait, il y a tousiours
de la rebellion dans ses plaintes, quand les violences sont authorisées
du consentement du Roy. Mais ie ne veux point d’autre
iuge de la fausseté de ce discours que vostre Maiesté : toutesfois
ie la supplie de suspendre auparauant toutes les impressions
qu’on luy a données sur cette matiere, & d’examiner les choses par
les maximes de la conscience & de la raison, à quoy il est certain
qu’elle est sujette aussi bien que moy. Car il n’y a point de doute,
que la puissance Royalle est absoluë, & sans restriction : Et certes, ie

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croy cette verité dãs le cœur plus fermemẽt, que ceux qui font des
propositions tyranniques : mais de mesme, que Dieu tout puissant
qu’il est, ne sçauroit commettre d’iniustice : Ie ne pense pas que
les Rois, pour estre Souuerains, puissent violer les Loix de la Religion
& de la Nature. Enquoy donc consistera la Souueraineté
de leur Puissance ? I’ay appris de tous les Politiques, & Chrestiens
& Idolatres, qu’ils pouuoient vser absolument de la vie, & des
biens de leurs Sujets, dans les choses qui regardent l’exercice de
leur dignité ; en vn mot dans les rencontres où cela est necessaire
pour la defense de leurs Estats, ou leur conseruation particuliere,
dans la quelle celle de l’Estat est enfermée. Mais ie ne me souuiens
point d’auoir leu nulle part, que les Princes puissent rendre leurs
Sujets esclaues ou miserables à leur fantaisie, & que ce fust vn crime
au Peuple de se plaindre : Quand il void que sous le pretexte de
leur authorité, il y a des particuliers qui s’enrichissent de ses dépoüilles,
& qui boiuent son sang à longs traits. Ce n’est pas que
ie ne sçache, que Dieu commande à Samuel de dire aux Iuifs, que
les Rois disposeroient de toutes choses selon leur volonté : mais
il n’y a personne intelligent dans le langage de l’Escriture, qui ne
reconnoisse que Dieu voulant destourner son Peuple de l’élection
qu’ils vouloient faire d’vn Roy, il leur explique les maux qu’ils auoient
accoustumé de faire en ce temps là, & non pas ce qui leur est
permis dans l’vsage legitime de leur authorité. Et de sait quand
Roboan refusa aux Iuifs de diminuer les subsides que son pere auoit
imposé sur eux : Il est extrémement blasmé, d’auoir suiuy en
cela le conseil de ses ieunes Courtisans, & nõ pas celuy de ses anciẽs
Conseillers ; voire mesme on void bien que Hieroboan qui se soustrait
de son obeyssance, est repris d’auoir erigé vn autre Autel que
celuy de Hierusalem, mais non pas de s’estre plaint de l’oppression
du Peuple, & de la rigueur des imposts. Aussi il n’y a aucun passage
en toute l’Escriture Saincte, ou les Rois soient appellez les
Seigneurs des biens de leurs Sujets, excepté quand [1 lettre ill.]esabel se seruit
de cette maxime, pour persuader au Roy Achab de prendre
la vigne que Nacob refusoit de luy vendre pour l’acheuement de
son Palais : mais ie tremble, quand ie songe à la punition que Dieu
fit de ce Roy, & de cette mauuaise Conseillere, encore qu’il y eust
quelque apparence d’iniustice & d’inciuilité dans le refus de Nacob.
Ie n’explique pas en destail toutes les circõstances de cette Histoire :
Mais, MADAME, ie coniure vostre Maiesté de la lire dans
la saincte Escriture ; car elle y trouuera vne estrange leçon pour les
Souuerains, & pour ceux qui les portent à des extrémitez violentes.
Mais voyons, s’ils vous plaist, quel a esté le sentiment des sages

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Souuerains sur ce suiet. Il y a ce beau mot dans le liure doré
de l’Empereur Marc Aurelle à son Fils : Abstiens toy, mon Fils, du
sang & du bien du Peuple, & suy en toute chose les auis du Senat.
Ce que Iacques, Roy d’Angleterre, recommande encore à son
Fils dans cét Illustre Present, qu’il luy a laissé pour son instruction.
Enfin le grand Sainct Louys, qui a laissé à son Fils les mesmes
preceptes qu’il auoit receus de sa Mere, luy recommande
entre autres choses, de ne point imposer de nouueaux subsides
sur son Peuple. Aussi Philippes de Commines l’vn de nos plus
grands Politiques, & de nos Historiés, & qui estoit pour le moins
aussi habile homme, & aussi grand Capitaine, que les flateurs de ce
siecle, & sçauoit aussi bien qu’eux, iusques où s’estẽdoit la Puissance
des Rois, enseigne neantmoins qu’ils ne doiuent iamais leuer de
nouuelles impositions sur leurs Suiets sans leur consentement. Or
quand ie n’aurois que ces deux exemples à alleguer à vostre Maiesté,
ie m’asseure que vous en seriez satisfaite. Et certes, qu’elle instruction
deuez vous proposer à vostre Fils que celle-là mesme que
S. Louys son Ayeul luy a laissé aussi bien que sa Couronne ? Et où
est ce qu’il pourra mieux apprendre le legitime vsage de sa Puissance,
que dans les escrits de Philippes de Commine, où Charles
V. vostre Bis ayeul, confessoit auoir appris le veritable Art de regner ?
mais voicy sans doute, qui surprendra vostre Maiesté. Il y a
dans le Conseil du grand Turc vn Tresor particulier où l’on met
l’argent des imposts, qu’on nomme en la langue du Pays, Aram
agemi cani, c’est à dire, le sang descendu du Peuple : Et par la Loy
de Mahomet, il luy est defendu comme vn crime execrable, d’employer
cét argent à vn autre vsage, que pour la conseruation de
ses Suiets, voire mesme l’Office des Partisans est à vn si grand
mépris parmy ces Infidelles, qu’il n’y en a point qui vueille receuoir
les Fermes du Prince, de sorte qu’on est contraint de donner
cette charge à des Chrestiens ou à des Iuifs. En verité, y a il rien
de plus honteux, que de voir qu’õ persecute parmy nous des Gens
comme des Seditieux & des Rebelles, parce qu’ils representẽt aux
Rois des veritez pratiquées par ces Empereurs, dont la memoire a
esté en benediction à tous les Siecles, pendant qu’on laisse triompher
à la Cour des ignorans & des Impies, qui veulent introduire
dans la France des maximes, dont les Tyrans mesmes ont horreur ?
Mais ie viens à ce qui s’est passé aux dernieres Barricades. On
vous a dépeint sans doute cette action comme extrémement criminelle,
& vn attentat contre l’authorité Royalle : Et moy au contraire,
i’ay tousiours creu que vostre Maiesté auoit receu en cette
rencontre, vne preuue bien sensible de la fidelité & de la sousmission

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des Habitans de cette ville. En effet où est en toute cette
action vne seule marque de rebellion ou de des obeïssance ? on
emprisonne des Conseillers dont la vie est irreprochable : alors le
Peuple qui les connoist pour ses Defenseurs, & qui sçait que vostre
Majesté ne consent iamais à d’iniustes violences demande leur
liberté : mais depuis que les Bourgeois eurent pris les armes, où
est la maison qui ait esté pillée ? où est la violence qui ait esté faite ?
où est le moindre desordre qui soit arriué ? mais au contraire dés
que vous eustes eu la bonté de satisfaire à vne si iuste demande, ils
quittent volontairement les armes, & remplissent vostre Maiesté
de benedictions ? Qui les empeschoit en l’estat où ils estoient alors,
de porter les choses a de plus dangereuses extremitez ? Qui les empeschoit
de demander la vie de ceux qu’ils croyoient estre les autheurs
de cette violence & de toutes leurs disgraces ? Ie ne voy
rien qui les ait peu retenir dans leur deuoir, que le respect qu’ils
ont tousiours eu pour l’authorité Royale, & l’affection particuliere
qu’ils ont pour vostre Maiesté. On dit, MADAME, que
l’on a fort exageré deuant vous, qu’ils ne s’estoient pas esmeus,
pour la liberté d’vn Prince auec vne pareille ardeur : mais qui a il
d’est range en cela ? Il n’y auoit personne parmy le Peuple qui ne
sceut que ces Conseillers m’estoient criminels que parce qu’ils
auoient demandé son soulagement ; mais, comme le Peuple n’a
point de communication auec les Princes, quelle merueille s’il ne
s’émeut pas quand le Roy vse contre eux de quelque seuerité ? Et
certes il croit que cela arriue pour des choses où il n’a point d’interest
& qui sont au dessus de son esprit & de sa condition. Et
d’ailleurs qui doute que le Peuple n’ait pris les armes dans
cette occasion autant pour la defense de la Religion & la gloire de
Monsieur le Prince, que pour la liberté de Monsieur de Bruxelle ?
Ne sçait-on pas qu’il se plaignoit principalement de ce qu’on
auoit pris pretexte d’vne action de pieté pour en faire vne de violence,
& qu’on soüilloit par vne dignité extraordinaire le triomphe
de Monsieur le Prince, dont il regardoit en ce temps là l’authorité
& la vertu comme son appuy & son esperance ? & ainsi a
considerer nettement les choses, il y a dans le commencement de
cette agitation du peuple beaucoup de zele pour la Religion, beaucoup
de passion pour Monsieur le Prince & beaucoup de gratitude
enuers ses protecteurs ; mais aussi on doit reconnoistre dans la
suite & l’abandonnement des armes qu’il auoit pris, beaucoup de
sousmission & de respect pour vostre Maiesté. Or, MADAME, ie
ne doute point que vous ne soyez maintenant persuadée de l’innocence
du Parlement & de la ville de Paris ; Mais comme la Guerre

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qu’on leur fait sous vostre authorité est vne pure violence, ie ne
pense pas que la continuatiõ en soit fort auantageuse à vostre Maiesté,
& que les choses reüsissent selon les esperances & la vanité
de ses Ministres. Car quelle apparence y a-il qu’auec vne armée de
quinze mille hommes on puisse subiuguer Paris où il y en a plus
de cent mille, appaiser la Normandie qui a souuẽt donné de la terreur
à l’Europe & à l’Asie, & remedier en mesme temps aux troubles
de la Prouence, où il y a vne seule ville qui peut se rendre
Maistresse de la Mer, & appeler à son secours quelque puissance
d’Italie qui luy plaira ? D’ailleurs quand vos armées auroient eu
quelque auantage, qui peut respondre que Paris n’executera rien
de ce que le desespoir à coustume d’inspirer à des peuples outragez ?
Qui peut assurer qu’il n’y a point de Prouince qui se demembre
de cette Monarchie ? Qui peut dire qu’il n’y aura point quelque
party ou quelque rebellion assoupie qui se réueille ? Enfin qui
peut sçauoir si au lieu de cette tranquilité que les Estrangers regardoient
dans la France auec enuie, on n’y verra point naistre
vne infinité de desordres & de confusions ? Car si l’on respond que
Paris & les Prouinces sont trop fidelles pour porter les choses à
ces extremitez : à la bonne heure, ie le croy & le souhaite, mais si
l’on a si bonne opinion de nostre fidelité, qu’elle raison a-on d’irriter
vostre Maiesté contre nous & de nous persecuter auec tant
de violence ? Ie fremis quand ie songe que vostre Maiesté appelle
ses bons subiets ceux qui luy ont donné des conseils si pernicieux,
& qui l’ont conduite sur le bord de tant d’horribles precipices.
Mais il y en a qui publient en cette ville que ce qui a offensé vostre
Maiesté contre nous, c’est l’Arrest que le Parlement a rendu
contre Monsieur le Cardinal Mazarin, & que vous voulez absolument
qu’il continuë dans les fonctions de son Ministere : toutesfois
ie ne pense pas que vostre Maiesté voulust rompre auec ses
subiets & troubler toute la France pour vne si foible consideration,
& certainement quoy que ie ne vueille en cét endroit ny
condamner ny approuuer sa conduite, ie puis dire neantmoins,
que l’Arrest dont vous vous plaignez, est vne preuue du respect
qu’on a eu pour vostre Regence, & pour le Sang Royal. Car quand
on eut enleué le Roy hors de Paris, il estoit certes bien iuste que
le Parlement se plaignist d’vne action si estrange : Mais d’où vient
qu’il ne s’est pas plaint de vostre Maiesté, qui auoit emmené le
Roy auec elle, ou de Monsieur le Duc d’Orleans qui y auoit consenty,
ou de Monsieur le Prince, qui occupoit toutes les auenuës
de cette Ville ? On ne peur attribuer ce silence, qu’vn respect prodigieux
& sans exemple. De sorte que quand apres cela le Parlement

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& le Peuple se sont plains de Monsieur le Cardinal Mazarin :
qui ne void qu’ils ont ressemblé à ces enfans respectueux,
que pour ne point offenser leurs peres dans leurs plaintes, ont coustume
d’imputer les mauuais traittemens qu’ils reçoiuent à la malice
ou à la flaterie des domestiques ? Mais apres tout, ie ne croy
pas que ce soit obliger Monsieur le Cardinal, que de souhaiter son
retour dans le maniment des affaires. Vaut il pas beaucoup mieux
pour son repos, qu’il se retire dans quelque port asseuré à l’abry
de la tempeste, que de demeurer dans vn vaisseau où il n’est pas approuué
de tout le monde, & d’estre tousiours exposé à la fureur
des vagues, & à l’inconstance des vents ? Il y a des exemples de
ces retraites dans toutes les Nations. Ainsi en ont vsé Aristide
dans la Grece, Ciceron dans l’Italie, & Robert dans la France.
Certes quand la cause de Monsieur le Cardinal seroit la plus iuste
du monde, toutesfois si depuis qu’il s’est nourry parmy nous, il
s’est formé dans luy quelque goutte de sang François, il aymera
mieux imiter ces personnes Illustres, que de voir reduire en cendre
vn Royaume où il a receu tant de glorieux auantages. Or,
MADAME, ie ne doute point que vostre Maiesté ne voye maintenant
l’iniustice & le danger de la Guerre qu’on luy a fait exciter
contre Paris ? Que reste-il donc, sinon qu’elle se reconcilie de bõne
heure auec ses Suiets, & qu’elle arreste le feu dont la France est
en danger d’estre embrasée ? Et certes, que seroit-ce, si au lieu de
rendre à vostre Fils son Royaume en vn estat glorieux, vous souffriez
qu’on y fist vne desolation vniuerselle ? Il y a quelque temps
qu’on arreste les fonctions de vostre bonté par de mauuaises impressions,
mais ie m’asseure que vous reuiendrez bien-tost à vos
inelinations naturelles, & vous nous rendrez encore vn coup l’amour
& les delices du Peuple ; & de fait, qu’elle ioye auez vous
receuë depuis que vous estes dans l’embaras où l’on vous a iettée,
au prix de celle qui vous a rauy tant de fois, quand ce Peuple vous
combloit à tous momens de benedictions & de loüanges ? Mais
d’ailleurs, ie vous coniure de ietter les yeux sur la Chrestienté,
& de regarder la gloire qui vous y attend de toutes parts. Car que
peut il arriuer de plus glorieux à vne Souueraine, que d’adiouster
à la qualité de Reyne que vous possedez, les tiltres illustres de Pacificatrice
de l’Europe, d’appuy des Souuerains offensez, & de
Protectrice de l’Eglise ? Mais quand vous aurez appaisé les troubles
qui commencent de naistre en ce Royaume, qui vous empeschera
de meriter ces Noms Illustres, en concluant la Paix que les
Estrangers vous offrent, & vengeant contre les Turcs ou contre
les Anglois la Saincteté de nostre Religion, où la Maiesté de la

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Puissance Royalle Ainsi ie me range maintenant à mes occupations
ordinaires, mais i’espere de me produire encore vne fois,
pour remercier vostre Maiesté de la Paix, ou pour apprendre à
Paris ce qu’il doit faire pour se defendre pendant la guerre. Quoy
qu’il en soit, en attendant que i’apprenne par les discours publics
la resolution de vostre Maiesté. Ie priray Dieu de toute l’ardeur
de mon esprit, qu’il luy inspire de faire ce qu’elle void estre si auantageux
à la Chrestienté, si vtile à la France, & si necessaire à
sa gloire particuliere.

 

MADAME,

De vostre Maiesté.

A Paris le 9. Mars 1649.

Le tres-humble, tres-obeyssant,
& tres-fidelle
seruiteur & sujet.

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