HARANGVE DES TROIS ESTATS
du party Catholique du Royaume d’Irlande,
addressée à Monseigneur le Marquis d’Ormond,
Vice-Roy de ce Royaume-là.
MONSEIGNEVR,
Le Clergé, la Noblesse & le tiers Estat du party Catholique
d’Irlande, maintenant assemblez dans cette ville de
Kilkenny, m’ont commandé de vous representer que le
zele qu’ils ont naturellement graué dans le cœur pour le
seruice de sa Majesté, n’eust iamais plus d’ardeur ny plus
d’impatience qu’à present ; Et qu’en toute occasion ils donneront,
comme ils ont tousiours fait, des marques du deuoir
& de la fidelité que des subjets doiuent à leur Souuerain.
En second lieu, MONSEIGNEVR, ils m’ont commandé
de vous asseurer de leurs tres-humbles affections, & de
vous tesmoigner qu’ils seront à iamais sensibles de cette importante
obligation, par laquelle vous auez rejoint & vny,
non sans d’illustres efforts, toutes les parties de ce Royaume,
dont nos troubles auoient fait vne sanglante dissection.
Les Capitulations, accommodements & surceances, qui
se sont faites cy-deuant, n’ont seruy qu’à recouurir d’vne
peau trompeuse ces playes larges & profondes, qui ont
affligé, & qui saignent encore dans tout le Corps de
cét Estat.
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Ces foibles acheminemens ne reçoiuent ny vie, ny perfection,
& auortoient comme vn embrion, peu de temps
apres qu’on les auoit conçeus : c’estoit des feux de paille
qui auoient plus de fumée que de chaleur, & plus de lueur
que de durée.
Mais la Paix que Dieu nous vient d’accorder par sa saincte
Grace, & à qui la bonté du Roy, & vos soins, MONSEIGNEVR,
ont serui de causes secondes si glorieuses &
si authentiques, sera vne paix stable & solide, qui ne trompera
ny nos joyes, ny nos esperances.
Ce sera vne paix qui sondera iusques au vif ces playes
mortelles, qui en fera sortir tout le venin & en effacera
mesme les cicatrices. Elle comblera sans doute le plus sensible
& le plus feruent de nos desirs, en couronnant les efforts
que nous sommes resolus de tenter, pour en obtenir
l’accomplissement ; Ie veux dire qu’elle seruira d’eschelon
à sa Majesté pour remonter sur le Throsne, & contribuera
à le restablir dans ses droits & ses iustes prerogatiues.
Elle remettra ce Royaume dans son premier lustre, & luy
rendra l’abondance & la tranquillité : Elle enseuelira dans
vne confiãce parfaite & reciproque & dans les resioüissances
vniuerselles toute sorte de soupçons, de craintes & de jalousies,
& fera que les membres de cette auguste Assemblée
(à qui les siecles futurs donneront le titre glorieux d’assemblée
pacifique) s’en retourneront chacun dans leurs Prouinces,
la branche d’oliue à la main, & dans la bouche les
paroles, qu’on addressa à nostre Sauueur à son entrée dans
la ville de Naïm, lors que par vn regard de sa compassion
Diuine, il eust redonné la Vie au Filsvnique d’vne mere, qui
accompagnoit sesobseques de larmes & de gemissements ;
ce sont des termes de reconnoissance & de rauissement,
lesquels se peuuent assez proprement adapter à l’estat present
de ce Royaume : Ecce Propheta magnus surrexit in nobis,
& quia Deus visitauit plebem suam.
Nous ne sçaurons assez benir le Ciel, MONSEIGNEVR,
de ce qu’il vous a preserué, & conduit, pour ainsi dire,
de la main, à trauers vn Occean de dangers & de troubles,
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pour vous faire seruir d’instrument heureux & essentiel
à procurer, moyenner, & couronner enfin ce grand
ouurage, qui fera de ce Royaume vn crayon de la Ierusalem
Celeste, en vnissant de sorte toutes ses parties, qu’il
ne formera qu’vne grande Cité d’vnion & de gloire.
Ie n’ay point de termes capables d’exprimer la ioye & la
reconnoissance de ces venerables Prelats, de cette Illustre
Noblesse, & de ces iudicieux & zelés Parrains du peuple,
qui representent tous ensemble le corps des Catholiques
de ce Royaume. Vous le pouuez lire sur leurs visages,
MONSEIGNEVR, & dans l’ardeur impatiente qu’ils ont
de cueillir les fruits de cette Paix, qu’ils ont semée dans
leur sang, & arrousée de leurs larmes, & apres laquelle ils
ont tant souspiré.
Ces fruits seroient encores dans leur verd, si vostre prudence
ne les eust cultiués, & si l’ardeur de vostre courage,
& du zele que vous auez pour nostre bien, n’en eust aduancé
la maturité. Mais parce que sa Majesté est le premier mobile
de ces puissances, & la source de nostre bon-heur, elle
rencontrera dans tous les cœurs de ce Royaume vne obeïssance
actiue & cordiale : Et ce qui nous encourage, MONSEIGNEVR,
à en donner des preuues à vos ordres & à
vos commandemens, c’est que vostre fidelité enuers le Roy,
qui a esté mise à tant d’espreuues, & a tousiours paru inesbranslable.
Le grand interest que vous auez au bien de ce
Royaume, & les belles parties dont Dieu & vostre naissance
vous ont doüé, nous donnent des asseurances toutes visibles,
que vostre gouuernement produira des effets conformes
aux fondemens de nos esperances, & proportionnez
à nos desirs.
I’espere, MONSEIGNEVR, que vostre bonté suppléera
à mon impuissance, qui n’a pas des couleurs assez viues
pour representer la joye & la reconnoissance de cette Illustre
Assemblée, vous en ferez s’il vous plaist vne conjecture
fauorable, & iugerez des effets, par la grandeur de leur
cause, & par la dignité de leur sujet.
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Il vous plaira aussi, MONSEIGNEVR, de mettre la derniere
main à ce chef d’œuure ; & de placer le nom de l’autheur
en quelque endroit de son ouurage, pour en dresser
vn mouuement eternel de vostre gloire & de nostre bien-heureuse
Paix.
Il presente à
Monseigneur le
Vice Roy le
traité de paix, &
le prie de le signer.
Toute l’Assemblée m’a commandé de le signer en son
nom, & i’ay esté contraint de souffrir cét honneur, dont ie
me confesse indigne, la chose ayant esté ainsi arrestée d’vn
consentement commun & solennel : comme aussi de vous
le presenter au nom de tous, MONSEIGNEVR, auec toute
sorte de respects & de deferences.