Anonyme [1651], PANEGYRIQVE DV ROY TRES-CHRESTIEN LOVYS XIV DIEV-DONNÉ, SVR SA MAIORITÉ. OV SONT LES TRES-HVMBLES supplications faites à sa Majesté, de vouloir couseruer Monsieur le Prince dans l’honneur de ses bonnes graces. , françaisRéférence RIM : M0_2663. Cote locale : B_1_8.
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PANEGYRIQVE
DV ROY
TRES-CHRESTIEN
LOVYS XIV
DIEV-DONNÉ,
SVR SA MAIORITÉ.

OV SONT LES TRES-HVMBLES
supplications faites à sa Majesté, de vouloir couseruer
Monsieur le Prince dans l’honneur de ses
bonnes graces.

A PARIS,
Chez NICOLAS VIVENAY, en sa
Boutique au Palais.

M. DC. LI.

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PANEGYRIQVE DV ROY TRES-CHESTIEN
Louis XIV. Dieu-donné,
sur sa Majorité.

Où sont les tres-humbles supplications faites à sa Majesté,
de vouloir conseruer Monsieur le Prince dans
l’honneur de ses bonnes graces.

Voicy ce iour de vostre seconde naissance,
Sire, qui vous fait voir couronné de splendeur
& de gloire sur la terre, apres y estre vne fois
entré suiuy de toutes ses conspirations du Ciel ;
c’est ce moment qui a excité tant de desirs dans la
nature, qui l’a tant de fois jetté dans l’impatience,
& ne la pas moins trauaillée dans l’attente d’vn
Roy Majeur qu’elle s’estoit desja remuée dans
l’esperance d’vn Roy. Si c’est de l’ordre des petits
presens que d’estre bien-tost donnez ; c’est le propre
des Grands d’estre longuement attendus ; à
b/> mesure que vostre Majesté a tousiours hasté nos
souhaits, elle a semblé retarder la joüissance de ses
biens, non pas moins dans ce iour qui commence
à la faire viure, qu’en celuy qui commença à la faire
regner.

Ie sçay bien ce qu’on dit de l’esprit des Princes ;
c’est ce Dieu qui chemine tousiours, & ne s’arreste
jamais ; le temps qui va viste, ne va pas encor

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si viste que luy : Mais il faut aduoüer, Sire ; qu’apres
cette secrette vertu que vous auez eu de deuancer
si legerement les années ; il n’y a rien qui
vous ait fait auancer à si grands pas dans vostre
maiorité comme ce zele de vos peuples ; tant de
soûpirs embrasez qui se sont eslancez d’vne force
extraordinaire, sont les aises de feu qui vous ont
porte ; & il ne faut pas douter que ces mesmes vœux
qui nous ont obtenu des faueurs du Ciel vn Prince,
ne l’ayent conduit encor auec succez iusques dans
ce iour qui deuoit enfanter sa gloire.

 

C’est en vain que la France vous verroit, Sire,
comme la retribution de tant de larmes respanduës
au pied des Autels, si vn heureux auenir ne
la saisissoit desja de toutes les felicitez d’vn regne
qui doit faire de ses vertus l’embellissement du
monde : Vostre Majesté n’a point de moindre
creancier que le public ; vous estes obligé par le
bonheur d’vne vie heroïque, de satisfaire toutes les
auances qu’il a faites dans l’attente de vostre natiuité.

En cela, il n’y a qu’à voir ces obligations eternelles
que vostre Majesté a contractée auec la prouidence,
qui s’occupe toute autour d’elle, & d’esprit,
& de sens, & de conseil, & de sagesse, pour
parler comme vn pere de l’Eglise ; elle s’addonne
d’vne si forte attention à tous vos ouurages, qu’il
paroist bien que vous estes celuy qu’elle concerte

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auec plus de raisonnement, & duquel elle veut faire
vn exemple à desesperer plustost qu’à instruire
l’ambition de ceux qui suiuront.

 

Si elle a semblé quelque fois suspendre ses soings
& sa vigilance accoustumée, il y a vne raison pour
laquelle il faut que les Royaumes espreuuent leurs
defaillances & leurs langueurs, & qu’ils se purgent
des mauuaises humeurs qui les estouffent : c’est vne
sage Regente, Sire, qui n’a jamais relasché qu’aux
plus petites affaires & aux moins considerables de
vostre couronne, que pour demeurer ferme sur les
plus grandes ; & comme dans la nature elle permettra
bien souuent que la fleur d’vn arbre soit
emportée par le mouuement des vents, & qu’vn
grain pourrisse dans la terre sans qu’el e se rebute
jamais de l’application qu’elle doit apporter aux
principales pieces de l’Vniuers : Aussi Sire, elle
n’a pas laissé perdre quelque morceau de terre,
ny eclipser quelque frontiere de vos Estats, que
pour vous tesmoigner mieux le dessein constant
qu’elle a de faire toutes choses à vostre aduantage
le mal mesme qu’elle a permis elle l’a changé en
bien, & s’en est seruie pour l acheminement de ses
executions.

Quand elle a fait vn miracle de vostre naissance,
elle s’est engagée à mesme temps d’en faire vn
autre de tout le cours de vostre vie ; c’est plustost la
confirmation d vn bien-fait receu que la creation

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d’vn nouueau ; nous auons besoin qu’elle nous renouuelle
tous les jours cette faueur pour ne la rendre
pas inutile ; & tous les jours nous auons à la remercier,
parce que tous les jours nous auons à
vous receuoir.

 

Si elle excite en nous de si viues esperances ; c’est
que vostre Majesté nous coute aussi vn nombre infiny
de desirs ; le Ciel nous a repoussez tant de fois
en vous demandant que nous auons grand sujet de
mesurer vostre prix par la longueur de nos attentes,
& de n’en attendre rien de mediocre, dautant
que nous vous auons attendu long-temps.

Il est bien vray qu’vn grand bon-heur n’est pas
vn auorton, ny le fruit d’vne seule œuure, comme
dit Aristote. Les grands hommes ressemblent à
ce Planete de Saturne, qui quoy plus haut que
les autres est neantmoins le plus lent dans ses démarches ;
ils ne tombent que goutte à goutte ; ils
ne se montrent que peu à peu, & de fort loing ; ce
sont de ces palmes dont parle Theophraste, qui ne
portent que de cent en cent ans. Nous ne verrons
rien de meilleur que les ouurages d’vn Prince
si tardif, rien de si auguste que sa presence, rien
de moins affecté que sa grandeur, de moins estudié
que ses graces, de moins foible que ses bontez. Ce
retardement est vn signe qu’il ne donnera que des
fruits qui seront bien meurs. Ce ne seront pas là de
ces conseils precipitez, qui craquetent comme du

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bois verd dans la flamme, & au bout remplissent le
monde de plus de fumée que de lumiere. La nature
ne fait guere estat de ces productions si soudaines
& qui arriuent si facilement ; Elle fist sans deliberer
beaucoup, des Alexandres, dont la vertu en
effet n’a rendu que des actions aueugles & fortuites,
& qui comme des Dieux, comme on dit en
fleur, se sont veus arrachez dans la plus belle saison
de leur âge ; mais quãd il falust mettre au monde
des Augustes, elle en fist voir l’image en diuerses
fois, dautant que c’estoient là les pacificateurs
de la mer & de la terre, & les maistres les plus legitimes
qui deuoient commander aux hommes.

 

Combien de fois pour parler auec vn grand Personnage
de ce temps, cette mesme nature a-t’elle
rappellé pour l’amour de vous toutes ses forces au
centre de son actiuité ? que de temps elle a mis à
consulter sur cét ouurage ? on eust dit à la voir proceder
de cette longueur qu’elle estoit morte ou
sterile ; lors qu’apres ces oysiuetez apparentes, &
vn assoupissement de plusieurs années, elle fist sortir
tout à coup vostre Majesté pour le bien vniuersel
du monde, n’y ayant pas de marque plus asseurée
de la netteté de sa vocation, que le chemin extraordinaire
qu’elle a tenu pour venir jusqu’à nous,
& la necessité des affaires qui l’ont appellée en vn
temps où elles estoient toutes ébranlées par la fureur,
ou delaissées par la negligence.

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Que s’il est vray de dire, qu’il n’y ait rien de si
retardé que vostre personne au monde ; Il est vray
aussi qu’il n’y a rien de si auancé que les productions
de son esprit ; c’est cette vigne de la fameuse Isle
de Naxe, qui [1 lettre ill.]end les fruicts aussi-tost que
les fleurs, dont la montre surpasse encore l’attente ;
c’est vne lumiere naissante qui a donne le iour a
plus de peuples, & fait epanouir plus de belles
choses, que celle du midy n’en fomente, & n’en
fait naistre au point de son eleuation.

Nous auons veu cette prudence de chair disparoistre
plusieurs fois, comme vn fantosme à la veuë
de l’intelligence, qui a pris le soin & le gouuernail
de vostre Empire ; toutes les raisons humaines
ont pris la fuïte deuant cette cause inuisible
qui enchaisne vos ennemis, & qui preside auec
tant de succez sur l’ordre & l’œconomie de la chose
publique. Vostre Majesté n’estoit encore qu’vn
enfant, lors qu’elle faisoit son apprentissage sur la
fosse des lyons ; & se joüoit, comme dit l’Escriture,
sur la cauerne des aspics ; elle nous amena des
monstres auec vn filet ; & c’est cét esprit qui a esté
l’artisan de ces grandes choses ; c’est luy qui a eu la
force de deuancer des siecles entiers ; c’est luy qui
fait que vous ne conterez pas le premier jour de
vostre vie par celuy de vostre naissance, & qui ne
fera pas trouuer aussi le dernier dans celuy de vostre
vieillesse : les ennemis immortels de vostre

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nom, protestent quoy que vous ne fussiez que
de laict, qu’ils vous esprouuoient de fer à toutes
leurs violences ; ils n’ont jamais senty des machines
plus rudes que le jeu de ces mains encore tendres
& delicates, ny des demarches plus pesantes
que ces pieds, qui ne fouloient encore que des
roses.

 

Sans doute que vostre Majesté les auroit reduits
à ne pouuoir plus rien faire que des mauuais souhaits,
si cette tempeste des fureurs ciuiles qui s’est
leuée dans ces dernieres années de sa Minorité,
n’eust dechiré & mis en pieces vn ouurage qu’on
croyoit à l’espreuue du Temps & de la fortune. Ce
qui est cause qu’il a falu obeyr à vne necessité facheuse,
qui a bien souuent osté toute la liberté de
vos conseils & lassé plus d’vne fois vos patiences.

On sçait mesme qu’elle vous a violenté à ce
poinct, que de vous faire descendre de vostre
trosne pour traitter auec vos subjets : il y en a qu’il
a fallu flater par des offres & des conditions qui
valoient plus que les aduantages de la victoire,
& declarer solemnellement apres auoir voulu
diuiser vostre pouuoir, qu’ils n’auoient pensé
qu’au bien de vous seruir : Mais, Sire, ce n’est pas
d’aujourd’huy qu’il a fallu payer le mal par des
bons offices, & sçauoir bon gré à des seruiteurs infideles.
La bonté des Roys, dit vn Sage, recompense
ses ennemis ; il n’y a point de reuenu plus

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certain pour les coupables que celuy-là.

 

S’il y auoit rien à craindre, c’est du jugement des
Estrangers sur tant de recheutes, qui ont donné sujet
de dire, Que la France estoit le sejour de la corruption,
le lieu du monde où l’on estoit plus prodigue
de la foy publique, où l’on menageoit plus
mal la dignité de vostre nom. Mais, Sire, i’ay desja
dit que cette sagesse animale s’est trompée plusieurs
fois auec vous, & qu’elle se cache tous les
jours deuant vostre diuine conduite : Elle ne sçait
pas qu’il vaut mieux que des Estats se maintiennent
par la reputation de leurs vertus, que par la
crainte des supplices : quoy que l’experience de
vostre Majesté n’ait pas esté jusqu’icy fort longue ;
elle a eu assez de loisir pour remarquer que l’amour
vniuersel est le fondement legitime de l’authorité,
& que les plus honorables moyens sur lesquels
elle se puisse appuyer, c’est la crainte de Dieu,
& la reuerence des Loix.

Elle eust pû conseruer si elle eust voulu vn grand
nombre des choses par la perte de quelques vnes,
& guerir tout le corps par l’absence de quelque
partie, si elle n’eust d’abord tesmoigné de l’horreur
pour ces remedes facheux ; à mesure que quelqu’vn
est tombé, elle l’a supporté par la moderation de ses
diuines mains : ceux qui s’estoient precipitez inconsiderément,
elle les a fait remonter des lieux inaccessibles.
Là où sa Iustice a rencontré quelque

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cause qui n’estoit pas bonne, sa clemence aussi tost
a pris le soin de l’en faire.

 

Que si apres cela il se trouue encore des violateurs
de la pureté de ces beaux sentimens, s’il y en a
qui ne puissent estre destournez ny par la fragilité
des exemples, ny par la dureté de la matiere qu’ils
entreprendront, Dieu ; Sire, qui a esté jusqu’icy
vostre tutelaire dans la plus grande confusion de
vos affaires, ne laissera pas prendre le feu & le souffre
que ces mauuais esprits verseront de tous les
costez de ce Royaume, & quand ils n’auroient rien
à redouter de la vigueur de vos conseils, ny de ce secret
Genie, qui vous couure de toute sorte d’injures
il y a là haut vne Puissance souueraine qui les consommera
du premier coup. Vous combattrez sans
cesse par la force de vostre destinée, tout ce que la
fausse politique suscitera contre la gloire de vostre
nom ; tout ce qui se leuera des puanteurs de la terre
pour troubler la serenité de vos beaux jours. Le
Ciel fera tousiours voir plus de miracles, que vos
subjets ne sçauroient faire de fautes, sa Prouidence
s’opposera fortement à l’imprudence des hommes ;
mais outre cela vostre Majesté est accoustumé
à vaincre ; elle a desja fait vn art de cette fortune ;
peu de choses pourront euiter d’estre emportées
par cette prosperité impetueuse qui a desja
mis plusieurs fois à bas l’ouurage des elemẽs & fait
de la poussiere du trauail des Geants. Ie ne voy pas

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à qui celuy là puisse commander, qui cessera vne
fois de vous obeïr, si ce n’est qu’il aille commander
aux Enfers qui est vne souueraineté encore pire
que la seruitude, dit le Poëte des Grecs.

 

Voila, Sire, en peu de paroles ce que vous auez
à esperer de ce secours diuin qui ne vous peut manquer
& qui destournera toute sorte de peril de vostre
sacrée personne quand elle se trouueroit
bien endormie sur sa confiance ; mais voicy ce
qu’il y a à euiter du costé des hommes : Il se pourra
faire qu’il y aura grand nombre de ces Esprits formez
de la corruption, qui non moins dangereux
que les tonnerres qui se leuent à l’aube du jour, au
premier rayon que jettera vostre grandeur, voudront
ruiner ces beaux & rauissans mouuemens de
vostre ame, & feront ce qu’ils pourront pour diuertir
le cours de vos bonnes intentions, sçachant
que de tous les Roys, il n’y a que les bons & ceux
qui sont plus éclairez, qui s’exposent dauantage
aux surprises.

Peut-estre qu’il y en a desja eu de ceux-là qui ont
commencé de se couurir du credit de vostre nom,
pour décrier plus aisément la conduite de ces Personnes
qui sont eternellement vnies à la vostre, par
deuoir & par naissance, comme par inclination &
par sang. Vostre Majesté l’a desja reconnu puis
que par vne action liée à celle de sa Majorité, &
sans diuertir ses pensées, elle a fait le premier employ

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de sa puissance, à prouuer non seulement
l’innocence, mais encore le merite de leur vie, par
vne solemnelle Declaration.

 

Il faut croire, Sire, qu’il n’y a rien qui demeure
plus authentique, ny qui soit estably auec plus de
saincteté, puis que comme dit vn grand Secretaire
des Roys : S’il y a quelque reconnoissance legitime
dans le monde, c’est le sentiment auantageux
d’vn Souuerain, & la plus haute recompense que se
puisse proposer la fidelité d’vn sujet, c’est la loüange
d’vn Maistre qui luy doit suffire, & dont elle
doit tirer toute sa gloire, quand elle se verroit priuée
de toute autre sorte de biens ; n’estant pas vray-semblable
qu elle soit jamais lachement flattée
par celuy qui peut d’ailleurs, & par le droit de sa
puissance oublier ses seruices sans luy faire tort.

Cependant la langue de ces calomniateurs s’est
renduë tellement ingenieuse à la ruine de ces
Personnes dont ie parle, que pour rendre monstrueuses
certaines matieres de soupçon qui s’estoient
leuées dans l’esprit de vostre Majesté, ils les
ont grossies & multipliées jusqu’à l’infiny : Ils luy
ont persuadé desja que c’estoient des tentations
d’independance, & qu’il estoit de sa prudence d’aller
prendre leurs intentions jusques dans l’ame ; &
courir au deuant du mal qu’elles pouuoient faire,
alors mesme que sa Iustice ne pouuoit s’empescher
de reconnoistre le bien qu’elles auoient fait.

Par là on ne les a jugées coupables que de trop

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de reputation ; & parce qu’elles auoient des qualitez
dignes de commander, on s’est imaginé qu’elles
ne les employeroient jamais à l’obeïssance ; Le
plus puissant de cette sorte se trouuera tousiours le
plus outrageux, & en toutes sortes des causes, il
faudra presumer que l’injure vient de la force, plustost
que de la foiblesse. Ceux qui ne trouueront
aucun moyen de mal faire, n’en auront jamais la
volonté ; & la mauuaise vie ne pourra jamais estre
dans la pensée, mais dans la seule authorité.

 

On adjouste que ce sont des gens à se facher toûjours
à bon marché ; qu’on a beau les accabler des
graces, ils ne sçauroient trouuer le secret de digerer
leur bonne fortune ; ce sont des estomachs delicats
fort peu endurcis à la peine, qui se renuersent
au moindre degoust ; le repos les ennuye encore
plus que le desir ne les aiguise ; d’attendre d’eux
aucune bonne humeur, il est impossible ; de fixer
ce genie impetueux, c’est vouloir arrester l’argent
vif, qui coule & tremble jusqu’à tant qu’il se peut
allier auec l’or ; Ces pauures febricitans sont tousjours
agitez dans leur lict ; donnez-leur la place
qu’ils ont demandée, ils reprennent comme auparauant
leurs plaintes, ils cherchent quelque autre
assiette.

Que croyez-vous, dit-on, que ce soit que des
abysmes qu’on ne sçauroit appaiser, ny remplir
par tout ce qu’il y a de charges & d’honneurs dans
le Royaume ? N’en sont-ils pas les maistres de toutes

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les auenuës ? n’est-ce pas les tyrans qui suffoquent
la liberté des conseils ? ne les a-t’on pas trouuez
entre la pensée du crime & de l’execution, la
main desja saisie preste à frapper le coup ? que ne
faudroit-il point pour satisfaire ces insatiables qui
deuorent desja le monde en esprit, qui sont comme
ces bestes de l’Escriture, à qui il faut l’herbe de dix
montagnes, pour leur nourriture, pendant que les
plus modestes seruiteurs & les plus vtiles, se contentent,
comme des oyseaux de ramage, d’vn grain
qui remplit leur gosier ; Il faut donc se resoudre à
leur detention, & ne leur donner pas le temps de
deuenir plus coupables. Vostre Majesté qui se porte
difficilement à la violence de ce remede, est contrainte
de donner les mains, & de l’accepter comme
vn preseruatif & vn milieu qui marche entre la
peine & l’impunité. Ie sçay bien, Sire, que c’est du
deuoir des Rois de preuenir le danger, & que leurs
songes meritent mesme des sages obseruations,
puis que leur malheur est si grand que leurs peuples
n’adjoustent jamais foy à rien de ce qui les menace,
que que quand ils sont enueloppez dans la
misere, c’est la cause qu’ils s’asseurent bien souuent
par vne excusable seuerité, & qu’ils se negligent de
mesme par vne sotte pitié. Aussi, Sire, vostre Majesté
vist auec quelle joye ils ont souffert leur detention,
puis qu’il s’agissoit d’appaiser les inquietudes
d’vn maistre ; elle seule a esté la preuue la
plus nette de leur fidelité, & la conuiction la plus

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forte de la calomnie de leurs Ennemis.

 

C’est alors, Sire, qu’on a veu pleuuoir sur eux des
graces si fecondes, & qu’on a veu leur esprit si plein
des effusions de Dieu, qu’vne prison a fait toute leur
liberté, & des liens qui peut-estre les tenoient trop
attachez au monde, les ont vnis auec luy seul. Il paroist
bien qu’il n’est point des prieres plus efficaces,
que celles qui par[1 lettre ill.]ẽt d’vn cœur serré de douleur &
d’affliction ; Elles sont comme les eaux enfermées
dans les tuyaux des fontaines, qui s’eslancent d’autant
plus dans l’air, quelles sont moins libres & plus
estouffées : Ces prieres, Sire, qui auoient penetré
les portes du Ciel pouuoient bien ouurir celles
d’vne prison : La voix publique fut cét Ange qui
secoüa leurs chaisnes : ils sortirent par les desirs de
tous les peuples, comme ceux qui n’auoient jamais
épargné leur sang pour procurer leur deliurance.

L’Enuie qui les vist sortir plustost qu’elle ne pensoit,
& comme des rubis qui sortent de la flamme,
auec toute leur integrité, se resolust ne les pouuant
plus prendre ny dans l’honneur, ny dans leurs personnes,
de les affliger à l’auenir par les parties de
leur esprit, & en les esbranlant, comme elle fait
continuellement par des nouuelles allarmes leur
faire trouuer dans leur propre pensée les tourmens
qu’ils ne sçauroient apprehender du reproche de
leurs actions.

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C’est pour cela, SIRE, que leur ostant toute apparance
de seureté à mesure qu’ils redoubloient le
desir de bien faire, elle les a voulu, mais vainement,
reduire plusieurs fois à la necessité de faire
mal. S’ils se sont tesmoignés si soigneux de la conseruation
d’eux-mesmes, elle a malicieusement interpreté
cét amour que nous auons si propre,
pour vne crainte qu’ils ont de deuenir innocens,
& de se mettre à la mercy des Loix qu’ils ont offensez,
ne croyant pas de pouuoir iustifier leurs
fautes que par la continuation & n’y ayant pas apparence
que vostre Majesté se d’eust contenter de
leur repentance.

C’est iustement, SIRE, pour appuyer cette opinion
qu’elle a tousiours eu de leur tyrannie, puisque
par toute sorte de Politique on croit que le
danger n’est pas moindre à s’en d’effaire qu’à s’en
aisir, & que de s’en retourner de ces penseez, le precipice
est trop haut pour en trouuer l’yssuë : elle se
transporte si fort dans le cours de ses passions impetueuses,
qu’il n’y a aucun bel endroit dans leur
reputation qu’elle ne tasche d’infecter de son
haleine.

On a fait entendre à vostre Majesté, que Monsieur
le Prince conserueroit tousiours vn Esprit
armé au milieu du repos ; qu’on pouuoit bien
luy oster ses forces : mais iamais son venin ; qu’il
n’auoit garde de corriger ses fautes, que tout ce
qu’il pouuoit faire, c’estoit de les changer : que ce

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genereux dessein d’abaisser les tyrans n’estoit que
pour en devenir luy mesme ; qu’il ne s’estoit rendu
si mysterieux ny si populaire que pour amuser le
monde sur vne simple façon de gouuerner & surprendre
chacun dans l’abandonnement ; qu’en fin
on ne verroit paroistre de luy aucun fruict qui ne
fust cent fois pourry plustost que meur, & que
les bons Conseils qui naissent aux autres des infirmités
de leur âge, ne seroient iamais la possession
de ses vieux ans.

 

C’est ce qu’on a dit SIRE, d’vn Prince de vostre
Sang, deuenu si agreable par ses peines & par
ses Victoires, qui a tant fait de chemin, n’estant
encore que dans son point du iour, dont tous les
pas sont marqués par autant de felicitez publiques ;
Vn Prince SIRE, qui ne doit pas seulement
tourner la teste pour regarder ceux qui l’accusent,
mais monter promptement au Capitole comme
Scipion, pour dire à ce tas ramassé d’enuieux que
l’Histoire de sa vie sera tousiours en dépit d’eux
celle de son pays, & que Rome ne contera iamais
ses plus belles iournées que par le denombrement
de ses trauaux.

C’est auiourd’huy vne des plus pretieuses pierreries
de vostre Couronne ; si elle tombe, c’est vne
perte à ne se rachepter pas de plusieurs siecles : Considerés
SIRE, qu’elle iette vn feu qui tuë vos ennemys,
& leur fait dire iusques icy auec autant de
douleur que d’admiration, qu’il n’y auoit rien de si

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funeste n’y rien si digne d’estre adoré que sa vertu.
Mais de grace, qui sont ceux qui l’accusent si grossierement,
que de luy faire oublier tout à coup le
souuenir de sa condition presente ; qu’ils ne pensent
quelquefois en sa faueur, qu’il est trop sage,
pour vouloir adiouter son malheur à celuy des autres,
& pour ne voir pas ceux qui paroissent deuant
luy tous moittes & tous degouttans encore de leur
nauffrage.

 

Sa plus grande douleur est d’auoir veu vn grand
peuple longtemps abusé qui a fait plus d’estat de
beaucoup de parolles infideles que de son exemple,
& a iusqu’i-cy preferé des vices estrangers à
des vertus Domestiques : Vostre Majesté ne doit
point desaprouuer cet acte si genereux de son
ame : Mais estre par là, confirmée de sa perseuerance
dans les plus hautes entreprises ; comme en
effet il est prest SIRE. à faire voir qu’il n’est rien
de difficile n’y d’inaccessible à sa vertu, & que la
où les autres trouueront de la peine, il n’y trouuera
iamais que du plaisir & du diuertissement.

Quand il ne seroit pas porté par le glorieux
témoignage de tant d’actions qu’il sçait bien ne
pouuoir pas produire dans vn ame royale comme
la vostre des vulgaires ressentimens, son innocence
se découuriroit assez par la honte & l’infamie
de ces personnes qui l’accusent qu’on connoist
assés pour des gens qui ne sçauroient viure, s’ils
ne viuoient de leur péchez.

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Mais peut estre SIRE, qu’il n’est plus temps
de reprendre si haut le sujet de ses plaintes : Outre
que sa vertu sera tousiours assez forte pour combatre
d’elle seule l’iniustice : il seroit superflu d’embrasser
dauantage le soing de sa iustification, apres
ce que V. M. en a declaré. Il suffist de luy dire, que
c’est vne extréme ioye à Monsieur le Prince d’estre
rentré auec cette ceremonie & cet éclat dans
l’honneur de ses bonnes graces, & se voir remis
dans la possession d’vne chose qu’il auouëra toûjours
tenir de sa seule bõté, & la perdre auec Iustice.

Il fait cette protestation qu’il n’a point cette vanité
de se croire vn obiet de sa colere, & quelque
complaisance qu’il trouue dans le souuenir de ses
actions qu’il n’en a pas assez fait pour s’empécher
de croire qu’il est en son pouuoir quand elle voudra
de le mettre en estat de meriter sa compassion :
& pour luy monstrer l’horreur qu’il auroit quelque
jour de se voir du nombre de ceux qu’elle est
obligee d’hayr mesme quand ils sont miserables ;
elle ne sçauroit croire le mal qu’il a souffert durat
qu’il a creu qu’elle ne luy vouloit plus de bien.
Quelque bruit qu’il ait fait dans cette ardeur si
grande qu’il a euë de se iustifier, Vostre Majesté
peut iuger par ce soing, combien il se sent peu
coupable de supporter sa hayne, & qu’il n’y a rien
de si cruel à fuir dans la vie qu’il ne choisisse pour
euiter ce dernier malheur.

Il luy importoit par trop de deffendre à haute

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voix son innocence : la nature du crime ne souffroit
pas qu’il s’excusast auec silence, & dans la
moderation d’vn simple Cytoyen. En toute autre
occasion où on ne l’eust pas noircy d’intelligence
auec vos ennemis : Il sçait qu’il est obligé de proceder
enuers V. M. plustost par des soumissions
que par des raisons, & de luy rendre les témoignages
de son respect auant que de luy donner
aucun eclaircissement de son droit : Mais SIRE,
que cette pensée luy soit venue de rechercher
l’amitié de ceux qui ne demandent que sa ruine.
Il semble qu’elle le deuoit punir de mille morts
plustost que d’vne si mauuaise opinion, & croire
quand il seroit encore plus faché qu’il n’aura iamais
recours à des remedes pires que le mal : Tout
ce qu’il demande à V. M. est qu’il luy plaise
d’en choisir vn qui luy semble le plus glorieux
pour elle, & le plus cerain pour luy, en bouchant
l’oreille de bonne heure à tous ceux qui
n’en veulent qu’à son repos quand ils n’en veulent
qu’à ses principaux supposts.

 

A lors SIRE, il croira qu’il n’est rien de si assuré
que vostre amitié quand il sçaura qu’il n’est rien de
si certain que la mauuaise reception des persecuteurs
de sa gloire : Il n’estime pas qu’il luy faille
d’autres armes pour se deffendre d’eux, que le
mépris que vous faites de leur faux auis Ils garderont
s’ils veullent leur venin, pourueu que
V. M. le veuille couurir de leurs piqueures. C’est

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dequoy il la supplie tres humblement, & qu’il soit
asseuré de l’integrité des personnes qui l’aprocheront,
affin qu’elle le soit par mesme moyen de
tous les sentimens qu’elle doit auoir de sa naissance
& de ses seruices : Ou bien, SIRE, il faudra
qu’vn Prince qui n’a iamais conneu la peur que
sur le visage de ses ennemis, tremble sans cesse,
& qu’auec le témoignage de mille belles
actions qui le contentent dans l’ame, il manque
d’asseurance au milieu mesme de son repos.

 

Aymez ce Prince, SIRE, comme il a pour
vous du respect infiniment : tout ce que la nature
a fait d’efforts auant luy en faueur de cette Monarchie,
n’estoit que le Lys champestre qui a esté
selon Pline, le premier aprentissage de ses mains
& les rudes Leçons de son enfance, qu’il ne soit
pas de luy, SIRE, comme de ce ieune Romain
dont toute Rome fu autrefois idolatre, & qui
luy fut rauy sur le point qu’il commençoit à luire :
On l’appella pour cette raison les passageres & infortunées
amours du peuple ; que tant de iournées
Augustes ne soit pas effacées par le broüillart
d’vn matin ; que ce soleil du mois de Septembre
qui est le Soleil qui ne se couche iamais pour la
France, & le mois des vaillans dans le vieux testament,
ne luy soit pas funeste. Vous voy la Majeur,
SIRE, il est prest à recõmencer ses seruices comme
vous vous renouuellés en faueur de vos peuples ;

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Il fera voir que ce n’est pas en vain, qu’il s’est endurcy
de si bonne heure à la vertu, & le seul auantage
qu’il pretend sur tout le reste des hommes ;
c’est d’estre tousiours plus vaillant qu’eux, & de
faire moins de fautes. Il n’a pas changé comme
on dit d’humeur ; il a changé seulement de vertu,
& n’a quitté celle de la guerre que pour les
faire voir sous d’autres habits : ce sont tousiours
les mesmes qui veulent deuenir les yeux de l’Etat
par leur conduite apres en auoir esté les bras
leurs fameux exploits.

 

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Anonyme [1651], PANEGYRIQVE DV ROY TRES-CHRESTIEN LOVYS XIV DIEV-DONNÉ, SVR SA MAIORITÉ. OV SONT LES TRES-HVMBLES supplications faites à sa Majesté, de vouloir couseruer Monsieur le Prince dans l’honneur de ses bonnes graces. , françaisRéférence RIM : M0_2663. Cote locale : B_1_8.