Anonyme [1652], PARIS AVX PIEDS DV ROY LOVYS XIV. , françaisRéférence RIM : M0_2690. Cote locale : B_3_5.
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PARIS SOVS LA FIGVRE D’VNE
Reyne, aux pieds du Roy Louys XIV.

SIRE,

Vostre Majesté, peut-estre, aura de la peine à me reconnoistre
& à me souffrir en l’estat où ie suis. Mais ie viens tascher
de gagner l’vn & I’autre aux pieds de vostre Majesté,
me faisant recognoistre, quoy que bien defigurée, & me
mettant en estat d’estre soufferte aux pieds d’vn Roy
donc ie ne fuis pas la Iustice, mais dont i’implore la misericorde
& la bonté.

Ie parois reuestuë d’vn manteau Royal, & la Couronne
en teste, parce que quelques disgraces que i’aye receuës,
ma grandeur & mon étenduë n’ont point esté diminuée,
ie passe & on me regarde tousiours pour la Reine
de toutes les Villes du monde : Mais ce Diademe & ce
vestement Royal sont plustost auiourd’huy pour esmouuoir
vostre Maiesté à la compassion qu’elle doit auoir de
moy, que pour des marques de ma puissance & de mon
authorité, que ie n’apporte que pour mettre à vos
pieds & soûmettre à vos loix.

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Ie ne sçay si ie dois icy me taire ou parler, si ie dois dissimuler
mes malheurs, & attendre les effets de vostre
bonté, ou bien si ie dois publier moy-mesme mes disgraces,
& portant la honte sur le front, reciter à ma confusion
les desordres que i’ay soufferts, & les miseres que i’ay
endurées. Mais elles sont trop cogneuës pour estre dissimulées ;
mon visage deffait, & mon teint alteré descouure assez
assez quelle a esté ma peine, & quand ie voudrois me
taire pour cacher le crime de mes suiets, & la foiblesse de
mes enfans, mon malheur a si fort esclaté que toute
l’Europe en a veu les esclairs, & que le bruit en a esté porté
souuent iusques aux oreilles de vostre Majesté.

Le souuenir & le recit des disgraces passées, sert quelques
fois de consolation, & le plus souuent d’instruction
& de precaution pour l’aduenir, il est tousiours honteux
quand elles sont arriuées par nostre faute, mais il est
tousiours aduantageux pour attendrir les cœurs, & gagner
la compassion de ceux qui nous escoutent.

Ie crains seulement que ce recit ne soit fascheux à V. M.
qu’il ne renouuelle les iustes sentimens de sa colere, autant
de fois irritée qu’elle en a attendu parler, mais pour
lors elle l’escoutoit par la bouche de ceux qui ne voyoient
pas tout mon mal, n’en ressentoient pas toute l’amertume,
ny toutes les atteintes mortelles que i’en pouuois
receuoir. Peu de personnes sont capables de raconter les
maux d’autruy ; bien peu faire tousiours des rapports veritables,
& tres peu de donner les iustes impressions que
l’on en doit prendre.

Si vostre colere s’irrite en m’escoutant, peut-estre que
vostre pieté receura quelque mouuement de compassion,
& si l’vn de vos bras paroist armé de vostre main de Iustice
pour me faire trembler, l’autre abbaissera sur moy le
Sceptre qu’il porte pour me faire esperer. La tentatiue en
pourroit estre dangereuse, si vostre œil ne masseuroit, si
vostre bouche ne m’animoit, & si ie n’auois pas veu V. M.
nourrie & esleuée dans le sein d’vne Reine, qui a rendu

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les vingts premieres années de sa Royauté remarquables
& illustres pour la compassion qu’elle a tousiours euë des
peuples, & sa Regence glorieuse, par les effects qu’elle
a fait ressentir à ses sujets de sa pieté & de sa bonté. Les
Aigles n’engendrent point de Colombes, & si V. M.
SIRE, ne peut estre que iuste, naissant d’vn Roy surnommé
le Iuste par excellence, elle ne peut estre que
bonne, naissant d’vne mere la meilleure du monde, &
qui porte vn cœur le plus genereux & le plus tendre pour
les miseres d’autruy. Fortifié, donc, & soustenuë de ces
veritez : le diray à V. M. auec les larmes aux yeux qu’elle
me doit considerer comme vne belle amante, mais comme
vne chaste amante, dont l’integrité & la fidelité a esté
attaquée & combatuë par toute sorte de moyens.

 

I’ay esté muguestée, cajolée, recherchée, pressée, importunée,
rauie par force, & enleuée hors de moy mesme,
sans auoir la iouyssance de mes forces ny de ma liberté.
Me loix ont esté violées, mes paroles mesprisées, mes
soûpirs estouffez, mes sentimens mal interprestez, mes
plus fidels seruiteurs seduits, trompez, captifs, fugitifs,
assassinez. Pour me surprendre & pour me forcer l’on a
fait entrer chez moy des troupes estrangeres & ennemies,
l’on a corrompu par argent les ames les plus foibles de
mes subiets, & par de fausses esperances les esprits de ceux
à qui ie pouuois auoir quelque confiance.

L’on s’est serui de mes propres armes & de mes biens
contre moy-mesme, & ie le dis auec larmes SIRE, contre
vous, mais i’estois pour lors captiue, ceux qui se disent
mes tuteurs & les vostres n’auoient pas la liberté ny le
pouuoir de me deffendre : l’ay prié i’ay pleuré, i’ay gemy,
i’ay souffert tousiours beaucoup, l’on a veu le feu à ma
maison, le desordres dans mes ruës, le sang respandu dans
mes places publiqnes, dans mes portes, & presque ruisseler
& rejallir dessus mon sein. Et puis que mes armes portent
vn vaisseau, ie puis dire que iamais on a veu de flos
plus mutinez, de vents contraires plus vnis pour me perdre,

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d’orages plus redoublez, de vagues plus impetueuses,
& de tempestes plus dangereuses attaquer vn Nauire,
que ma Nef a receu de secousses impreueuës d’agitations
differentes, de mouuemens violens, d’eau, de sang, & de
feu tout ensemble.

 

Mon Pilote fust contrainct de m’abandonner, mon
gouuerneur de s’escarter, mes Iuges de ma police & de
ma Iustice de s’enfuir, mes Pasteurs sans authorité n’auoient
plus de voix qui fussent entenduës, mes Bergers
sans houlette, mes chiens muets, mes trouppeaux dissipez
& partagez, & la pluspart trompez par le mensonge
qui passant comme en triomphe par mes ruës, en chassoit
la verité qui n’estoit plus entenduë, & establissant
son Empire par ses suppots, debitant autant de menteriés
que de paroles, & autant de differentes faussetez
que l’on leur comptoit d’argent pour les publier.

I’ay veu des mouuemens à ne pas souffrir, des seditieux
à chastier, des reuoltes à reprimer, des duëls à punir, des
meurtres à vanger : ma gouuernante mourut, & la mort
qui durant trois mois a tousiours conduit ses pompes funebres
par mes ruës, ayant reduit en ce peu de temps cinquante
mille de mes subiets dans la poussiere du tombeau,
sembloit me menacer d’vne ruine entiere, n’y ayant point
de maison ny de lieu chez moy où elle n’aye arboré ses
estendars, ne me faisoit pas peur de ma propre perte, mais
me faisoit presque mourir de regret de me voir en vn
estat ou ie peusse passer à la posterité pour infidelle à V.
M. moy qui ay bien peu estre attaquée, mais non pas
gagnée, sollicitée, mais non pas vaincuë, forcée, mais
non pas violée iamais iusques au point que i’aye perdu
l’integrité & la fideliré que ie dois à vostre obeyssance.

Que si maintenant, SIRE, vous connoissez que ie
l’ay tousiours conseruée toute entiere parmy ces violences,
ie suis satisfaite, & n’apprehende plus d’estre
reduite au nombre des plus petites, & des moins considerables
villes de la terre.

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Vangez vous, SIRE, vangez-moy, mais vangez-vous en
Roy, vangez-vous en Pere, & me vangez en Mere ; vangez-vous
comme vn Roy genereux & triomphant à la satisfaction
& à la gloire duquel il suffit de voir des sujets
humiliez par terre, des enfans pleins de repentir &
de recognoissance, & des sujets non plus auec des armes,
mais auec des palmes à la main, non point portant
la corde au col qu’ils pourroient auoir meritée,
mais abbaissant & pliant le col pour prendre le ioug qu’il
plaist à V. M. de leur imposer, pour le porter & cherir
toute leur vie. Vangez vous en Pere, vangez-moy en
Mere, c’est à dire auec les tendresses de pere & de mere
à leurs enfans qui meslent la Pieté auec la Iustice, le
ressentiment auec le mal qu’ils donnent, & les larmes
auec les coups.

N’acheuez pas de deschirer mes vestemens que i’ay
receus de vos ancestres, ne me dépoüillez pas de mes
plus beaux ornemens, ne retirez pas de chez moy ces
illustres marques de ma grandeur, mais reuenez plustost
en Roy debonnaire, en Prince pacifique ; reuenez, SIRE,
mes portes ne sont plus comme elles estoient gardées
par des insolens mutinez, mais par des peuples qui vous
attendent, & qui ne portent des armes que pour vous
les offrir, & les mettre à vos pieds. Mon artillerie &
mes canons ne tireront plus que par resiouyssance & contre
vos ennemis. Mes places publiques ne sont plus remplies
de seditions ny de mains armées de feu pour des funestes
embrazemens, mais bien de flambeaux pour éclairer
vostre triomphe, & pour allumer par tout des feux
de resiouyssance.

Mon Gouuerneur a repris sa place, les Iuges de ma
Iustice & de ma Police sont restablis, mes Conseillers
sont reünis, mes peuples sont soubmis, mes ennemis
ont pris la fuitte, mes seducteurs sont écartez, leurs
langues & leurs voix mercenaires sont dans le silence,
leurs mensonges sont decouuerts, leurs faux pretextes

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sont demasquez, le iour de vostre presence a dissipé la
nuict de nos tenebres & nous ne craignons plus de nuict
que celle qui nous priuera de vous voir, & nous ne souhaittons
de iours que ceux que nous employerons à vous
rendre nos hommages, & nos obeyssances, nos sinceres
respects & nos fidelles seruices iusques à la mort, formant
aux pieds de V. M. vn serment nouueau de fidelité auec
des iuremens si solemnels & des protestations si ardentes
& si sainctes que le Ciel desormais deura vanger vostre
Majesté, & nous accabler d’autant de fouldres que
nous luy souhaittons sincerement de benedictions & de
prosperitez eternelles, si nous manquons à la fidelité dans
laquelle nous desirons viure & mourir.

 

FIN

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