Anonyme [1649], PARIS EN SON ESTRE, MALGRÉ L’ENVIE. , françaisRéférence RIM : M0_2694. Cote locale : C_8_18.
SubSect précédent(e)

PARIS EN SON ESTRE,
malgré l’enuie.

 


PARIS fille de l’Vniuers
Fait aymer & hayr les Vers,
Aymer si l’œil de la pandance
Qui marque leurs douces cadances ;
Contraint mesme les enuieux
D’aduoüer que ces petits Dieux
Ont l’Eternité pour merite,
Quoy que Saturne s’en irrite,
Et que les ans creue de dueïl,
De se voir traisner au cercueïl,
Par ces norissons de la gloire
Enfans d’eternelle memoire,
Qui font coucher l’humanité
Dans le lict de l’Eternité,
Quand ils leur plaist & qu’ils resueillent
Les faits endormis qui sommeillent,
Sous la poussiere de l’oubly
De quelque courage annobly,

-- 4 --


Qui faute d’auoir vn Poëte
Qui luy ait seruy de Trompette,
Auecque ces nombreux accords
Enseuelit entre les morts,
Bien qu’il merite vn hecatombe
Ses faits glorieux sous la tombe ;
Ainsi Alexandre le Grand
Alloit tendrement souspirant,
La misere de sa fortune
Qu’il accusoit comme importune,
Pour ne luy auoir pas fourny
Craignant que son lot fust terny :
Ainsi qu’au braue Pelcide
La terreur de l’host pyramide,>
Vn Poëte digne icy bas
De tirer son nom du trespas,
Et des songes creux du silence,
Qui ne dit iamais ce qu’il panse,
Ie sçay bien que quelque brutal
Les logera dans l’Hospital,
Qu’il dira qu’à seruir la Muse
L’homme inutilement s’amuze,
Et que les Rimeurs de ce temps
Sont du party des mescontans,
Qu’Homere auec sa vielle
En chantant mainte Kirielle,

-- 5 --


Prince du iour chargé d’ennuicts,
Mandioit son pain d’huis en huis,
Marque insigne d’ingratitude
Qui passe aux Grands en habitude,
Qui ne sont si-tost trespassez
Que tous leurs hauts faits passez,
Posteres infames d’ancestres
Qui ont esté des temps les maistres,
Pour s’estre monstrez les fauteurs
De ces diuins speculateurs,
Qui ont sçeu descrire leurs gestes
Et les rendre si manifestes
Que le long-temps de l’aduenir
S’en garde encore le souuenir ;
Ainsi sous auguste Virgile
Ainsi sous Louys Theophille,
Qui peut comme Orphée autrefois
De sa lire animer les bois,
Et fleschir le Lyon superbe
Ainsi dessous Henry Mal-herbe,
Qui compose vn Vers graue & doux,
Qui n’a rien commun auec nous,
Et qui merite la Couronne
Qu’Apollon aux Poëte donne,
La subtilité de Bertault
Qui polit les Vers comme il faut,

-- 6 --


A bien merité qu’on le loüe,
Quoy que l’authorité se joüe,
En pensant faire pour le mieux
A leurs former des corps tous Dieux,
Où mille clartez estincelent
Si tous ne disent qu’ils excellent,
Toutesfois ils sont tels pourtant
Qu’il voudroit bien en faire autant :
Mais tousiours Apollon ne tinte
Le chemin est long de Corinthe,
Tous ne boiuent pas les douceurs
Du Nectar de nos doctes sœurs ;
Il est bien aisé de reprendre
A ces gens qui n’ont rien à vendre,
Et qui font valoir leurs cacquet
A la mode du Perroquet,
Qui souuent dégoise sa lire
Sans entendre ce qu’il veut dire,
Voila ô Paris les hazards
Où tombe ces Maistre des Arts,
Qui ont fait sortir des boccages
Les hommes grossiers & sauuages,
Et qui les ont ciuilizés
C’estant familiarizés,
Dieux petits Dieux par tout vtilles
Qui ont donné le nom aux Villes,

-- 7 --


Esleuez les grandes Citez,
Norisse des Societez,
Dieux d’vnion & de concorde,
Cigalles qui seruez de corde
Harmonieux en ces bas lieux
Qui ne seroit rien sans les Dieux,
Inspirez d’vne grace infuse
Qu’horreurs dans la masse confuze,
Ors puis que ces enfans sont tels
Qui te vont voir comme immortels,
Sans auoir l’esprit mercenaire
Comme ils ont taché de te plaire,
Si tu daigne les regarder
Ils auront soin de te garder,
Et de publier tes loüanges
Iusques aux Nations estranges,
Support & demeure du Roy
L’amour & l’ame de la Loy,
Comme toy guindé sur leurs aisles
Tiendra leurs routes eternelles,
Et tant que Seine roulera
Le nom de Paris durera.

 

FIN.

-- 8 --

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], PARIS EN SON ESTRE, MALGRÉ L’ENVIE. , françaisRéférence RIM : M0_2694. Cote locale : C_8_18.