Anonyme [1651], PLAINTES DE LA FRANCE, Sur l’Emprisonnement des Princes. , françaisRéférence RIM : M0_2790. Cote locale : B_6_2.
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PLAINTES DE LA FRANCE,
Sur l’Emprisonnement des Princes.

 


TOY qui renuerses du tonnerre
La vaine pompe des humains,
Et releues des mesmes mains
L’obscure humilité qui languit sur la terre,
Toy qui par des chemins secrets,
Au gré de tes sages decrets
Guides le cours fatal de la vicissitude,
Qui peuples les vagues desers,
Et qui faits vne solitude
Des pompeuses Citez qui brauoient l’Vniuers.

 

 


Toy qui formes & qui faits croistre
Les trosnes les plus esclattans,
Et qui les vas precipitans
Dans le premier neant dont tu les as fait naistre,
Qui de mes Estats menacez
Par tant de longs siecles passez,
As de ta forte main soustenu la puissance,
Mesme mal me presse auiourd’huy,
Ne me serts donc pas moins, de secours & d’appuy.

 

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Ie me vis soubs le Regne auguste
D’vn Monarque dont l’équité
Fit toute ma felicité,
Et ie vescus heureuse, autant qu’il estoit iustes ;
Aussi choisit-il pour mon bien
Et pour le solide soustien,
Du plus heureux Estat, qui florissoit au monde,
Vn Ministre dont le bonheur,
Et dont la sagesse profonde,
Ne donnoit point de bornes à ma vaste grandeur.

 

 


Si des malheurs l’enorme suitte,
Si mes cruels destins changeans,
Si l’interest de mes Regens,
A corrompu le cours de sa iuste conduitte,
Si ie n’ay plus de Richelieux,
Si le conseil des vicieux,
Preside au Tribunal qui fait mes aduantures,
Ne mets pas leur crime en oubly,
Vanges dessus eux mes iniures,
Mais las ! ne frappes pas, ceux qui n’ont point failly.

 

 


Leur conuoitise & leur enuie,
Leur cruelle timidité
M’ont abbatuë, & m’ont osté,
Ce vigoureux esprit qui soustenoit ma vie,
Mon corps autrefois si puissant
Maintenant foible & languissant,
De ses extremes maux, n’a plus qui le deliure,
Traistres qui me percez le flanc,
Pensez vous que ie puisse viure,
Apres que vos fureurs, m’ont osté tout mon sang ?

 

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Vous auez d’vne fausse amorce
Et d’vne perfide façon,
Dessus le chef de mon Samson,
Porté les durs cizeaux qui trahirent sa force,
Mais quelqu’asseurez que soyez
Si fermement que vous croyez.
Vostre iniuste puissance à ce coup establie,
On la verra soubs son effort
Dans vostre sang enseuelie,
Et son heur restably, suruiura vostre mort.

 

 


Pour rendre ma teste affranchie
Des outrages d’vn triste sort,
Il falloit tourner vostre effort
Sur les vieux ennemis de cette Monarchie ;
Falloit-il auoir consenty
A faire reuiure vn party
Que vostre interest seul, enfin se concilie,
Pour abbatre mon haut renom,
Pour rendre ma gloire abolie,
Et peut estre m’oster vn iour iusqu’à mon nom ?

 

 


Ie n’ay pas besoin de redire
La longue & dure affliction
Dont leur cruelle ambition,
Soubs pretexte de zele agita mon Empire,
Nos meurtres encor tous nouueaux,
Nos ruynes & nos tombeaux,
Nos Heros massacrez, nos flames & nos pestes,
Et tant de tragiques effets,
Sont autant de bouches funestes
Qui se plaignent encor des maux qu’ils nous ont faits.

 

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Que n’arrestiez-vous la furie
De tant de nouueaux coniurez,
De tant d’enfans desnaturez,
De Tigres affamez du sang de leur patrie,
Ces fiers & perfides geans,
Ces monstres aux meurtres béans,
Ces serpens auortez de mes tristes entrailles,
Qui recompensoient mon amour
Par de sanglantes funerailles,
Et deschiroient les flancs qui les mirent au iour

 

 


Mais par vne estrange foiblesse,
Par vn horrible aueuglement,
Par vn triste abandonnement,
Vn secret iugement du Ciel qui me delaisse,
Quand on abbat mes vrays guerriers,
On esleue mes meurtriers
Aux rangs qu’ont merité mes seruiteurs fidelles,
Et tous noirs de leur attentat
On met dans leurs mains criminelles
La seureté du Prince, & l’appuy de l’Estat.

 

 


On enchaine mes forts Alcides,
Lors que d’vn dessein plein d’horreur
On m’abandonne à la fureur
De tant de fiers tyrans, & de monstres auides.
Auiourd’huy mon bras est perclus,
Ses coups n’extermineront plus,
Et l’on n’entendra plus le bruit de mon tonnerre,
Quand mes ennemis triomphans
Mettront leur trosne dans ma terre
Sur les tristes tombeaux de mes plus chers enfans.

 

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L’affreuse & sanglante Megere
Soufflera mes feux intestins,
Et la haine de mes destins
Ioindra ma propre rage, à la rage estrangere.
Nos cœurs contre nous animez
Nos bras contre nos bras armez
Feront tomber par tout les coups de la tempeste.
Alors nous n’aurons plus le bras
Qui pouuoit garantir la teste
Et nos mains puniront nos courages ingrats.

 

 


Lors dans vne horrible misere
Toute la pitié cessera
Le sang propre se destruira
Le Fils trébuchera, par le fer de son Pere,
L’enorme & la cruelle faim
Ce monstre auide, pasle, & vain ;
Estouffera les fruicts dans le sein de la terre,
Mes amis seront mes tirans
Et dans les fureurs de la guerre
I’auray pour seuls subiets, des morts ou des mourans.

 

 


A quoy sert d’estre magnanime,
D’auoir si souuent combattu,
Si cette sublime vertu
Si le merite passe auiourd’huy pour vn crime.
Si desormais pour mes vainqueurs
Tous mes peuples n’ont plus de cœurs
Que pour tourner cõtr’eux, leurs mépris, & leurs haines.
Si me deffendre est trahison,
Si l’on met les vertus aux chaisnes,
Si mes Liberateurs, meritent la prison.

 

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Par vos maximes tiranniques
Les hautes vertus vont perit,
Et qui voudra les acquerir
Si l’injure est le prix des actes heroïques.
Si l’on punit vn innocent
Et s’il faut qu’vn Guerrier puissant
En des indignes fers, trouue sa recompence.
Qui voudra me seruir d’appuy,
Et que pourront pour ma deffence
Ceux qui seront moins forts, & moins puissans que luy ?

 

 


Combien de victoires gagnées,
Par combien d’actes genereux
A-t’il rendu mon Regne heureux
Depuis qu’il a pour moy les armes empoignées ?
Des premiers coups de sa valleur
Sur le point que nostre malheur
Auoit fait trébucher, d’vne chûte commune.
Le Royaume, & le Potentat
Malgré la mort, & la fortune
Ne fit-il pas reviure, & le Prince, & l’Estat.

 

 


Mais quand son cœur par ma licence
Est au chastiment animé,
Il voit qu’on ne l’auoit armé
Que pour venger l’affront, qu’attira l’imprudence.
Son bras sans sont intention
Seruit la noire passion
Qui de ma liberté la perte iurée.
Et ne cessant de la chercher
La trouue à la fin asseurée
En attachant les mains, qui pouuoient l’empécher.

 

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S’il faut vn grand Heros destruire
Et si l’on doit moins l’esleuer,
Parce qu’il a sceu me sauuer
Qu’on ne doit l’abbaisser, par ce qu’il me peut nuire,
Si cette Iustice d’Estat,
Et si ce licite attentat
Doit estre de mon bien, vne ferme asseurance.
Exercez les sans passion,
Et du moins faites difference
De l’infidelité d’auec l’ambition.

 

 


Non, il n’en veut point à ma gloire,
Et loing d’enuier ma grandeur
Son innocente & noble ardeur
Ne cherche que pour moy, le gain d’vne victoire.
Si ce haut, & sensible honneur
Ne faisoit pas tout son bonheur,
Il feroit peu d’estat de l’esclat qu’il luy donne
Et croit qu’on peut plus meriter
A maintenir vne Couronne
Qu’on ne sçauroit auoir de gloire à la porter.

 

 


Si son credit est redoutable,
S’il est à mon estat fatal,
Vostre imprudence a fait ce mal,
Vostre mesme imprudence, en est seule coupable
Pour bien faire, il falloit oser
S’il demandoit le refuser,
Agir d’vne puissance absoluë & Royalle
Et garder vostre authorité
Où vostre crainte desloyalle
N’a monstré que foiblesse, & qu’infidelité

 

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A-t’il de plus hauts aduantages
Que mes autres Guerriers n’ont eus,
Quand mes ennemis abbatus
Ont gemy soubs l’effort, de leurs braues courages ?
Si son illustre & noble sang
Merite encor vn plus haut rang,
Pour quoy destruisez vous auec la violence
Et des motifs trop inhumains
Les iustes fruicts de sa vaillance
Les droicts de la nature, & l’œuure de vos mains ?

 

 


Vous pensiez que cette victime
Deuoit dissiper vos terreurs,
Mais vos craintes & vos erreurs
Ne peuuent iustement s’effacer par vn crime.
Cependant nous l’approuuons tous,
Vous faites pécher auec vous
Mes Peuples abusez de vos noires malices,
Et benissans vostre dessein
Vous rendez leurs ioyes complices
Des coups dont vos fureurs, leur ont ouuert le sein.

 

 


D’vn subtil & doux artifice
On les perd, parce qu’il leur plaist,
Et leur haine aueugle qu’elle est
Par vn chemin de fleurs, les meine au precipice,
On les frappe en les obligeant,
Et l’on les tuë en les vengeant
D’vn coup qui fait ensemble, & leur ioye, & leur perte.
Et d’vne horrible trahison
Dans la couppe leur est offerte
Soubs la douceur du miel, la rigueur du poison.

 

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Mais vous, Personnages habiles,
Qui composez mes Parlemens,
Par les genereux mouuemens
Qui portent les grands cœurs aux choses difficiles.
Par vos Aduis, par vos Arrests,
Prenez en main les interests
Qui me sont si sacrez & si considerables,
Et par des resolutions
Dont les grands esprits sont capables,
Sçachez faire valoir les Declarations.

 

 


C’est vous qui tenez la balance
De la souueraine équité,
Iugez ce qu’ils ont merité,
Arbitres de la peine & de la recompence ;
S’ils ont peché contre l’Estat,
S’ils ont commis quelque attentat
Contre l’auctorité, que leur teste en responde ;
Mais s’ils sont de tout crime exempts,
Que vostre iugement confonde
Les Calomniateurs des Prince innocens.

 

 


Et vous qui depuis tant de lustres
Fustes mes braues deffenseurs,
Nobles & dignes successeurs
De l’ancienne vertu de vos peres illustres,
Vous qui vous vistes tant de fois
Hardis tesmoins de leurs exploits,
Verrez vous sans trahir le sang qui vous anime,
Et l’amour que vous me portez
Qu’vn pouuoir tyrannique opprime
La vertu qui me garde & que vous imitez.

 

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Ames trop long-temps obstinées,
Sentez en fin vostre douleur,
Peuples, voyez vostre malheur
Dans celuy d’vn Heros qui fait vos destinées,
Depuis que le Ciel mit en luy
Toute ma force & mon appuy,
Vostre sort & le sien, contraire ou fauorable,
Sont liez d’vn mesme lien,
Et le mesme coup qui l’accable
Repand en mesme temps vostre sang & le sien.

 

 


Ouurez les yeux à vos ruines,
Le precipice est soubs vos pas,
Et prests à donner le trespas
Les glaiues sont tournez sur vos tristes poitrines.
Ne soyez donc plus aueuglez,
Et ne soyez plus conseillez
Par les pretextes faux d’vne ingrate malice,
Consultez bien vos interests,
Vostre deuoir, vostre iustice,
Et regardez vn peu vostre mal de plus prez.

 

 


Ne perdez pas la souuenance
De ce que leur bras vous valut,
Rendez leur salut pour salut,
Et pour vous deliurer faites leur deliurance,
Des mesmes traicts sur eux lancez
Vos propres chefs sont menacez.
Vous estes exposez aux coups du mesme orage ;
Fuyez tant de maux preparez,
Et de peur d’vn commun naufrage,
Sauuez vous par le Port que vous leur ouurirez.

 

FIN.

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