Anonyme [1652], PLAINTES DV GAGNE-PETIT DE LA COVR, DEPLORANT SON MAL-HEVR, & donnant aduis au Roy par vn de ses Gentils-hommes sur la conduite des affaires presentes. , français, latinRéférence RIM : M2_154. Cote locale : B_3_10.
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PLAINTES
DV GAGNE-PETIT
DE LA COVR,
DEPLORANT SON MAL-HEVR,
& donnant aduis au Roy par vn de
ses Gentils-hommes sur la conduite
des affaires presentes.

A PARIS,

M. DC. LII.

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PLAINTES DV GAGNE-PETIT
DE LA COVR :

DEPLORANT SON MALHEUR.
& donnant aduis au Roy par vn
de ses Gentils hommes sur la conduitte
des affaires presentes.

Enfin voila mes esperances perduës,
mes pretensions sont frustrez, & il
ne me reste plus maintenant que le
desplaisir d’auoir suiuy la Cour, &
ioüy heureusement d’vne si puissante
prerogatiue, pour en estre dépossedé
auec plus de rigueur. I’ay esté non
seulement toleré, mais poussé à mes plaisanteries de discourir,
tant que les choses sont venus à cette extremité.
Mais lors que l’on a veu que de Gagne-petit ie pouuois
deuenir grand Conseiller, & dire beaucoup de choses
qui offenseroient les vertus Cardinales ; il m’a falu gagner
le haut, quitter mon logement, & venir à Paris reprendre
mon saint Crespin. Ce diable de Mazarin se seruoit
de mon petit pouuoir, pour éguiser le tranchant de
son Estocade, & déroüiller le Coutelas de sa colere, I’estois
grand Seigneur dans sa maison, quoy que Gagne-petit,
Quand par vn mal’heur contraire à ma fortune, &
vne rouse toute nouuelle : ce traistre m’a contraint de
fuïr de sa presence ; ce que i’ay fait pour éuiter le danger
dont il me menaçoit, si i’eusse poursuiuy d’espier les

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actions & sa conduitte. C'est pourquoy le suis venu dans
cette bonne ville aymant mieux y viure en repos, que
d'aprehender tous les iours l'esclauage dans la suitte de
ce Tyran. Mais comme ie suis bon Patriote, ie n’ay
voulu manquer de contribuer pour la paix de France,
selon la petite estenduë de mon pouuoir, & desabuser
sa Maiesté qui se laisse emporter à la volonté de ce seditieux
Ministre : Ayant donc trouué l’occasion fauorable,
& n’osant pas de mon chef approcher de sa Maiesté,
ie luy ay fait tenir ce dernier aduis cy dessous escrit
par vn de ses Gentils hommes le plus fidele.

 

SIRE, Il y a si long temps que vos subiets patissent
parmy les guerres ciuiles, incitez par le Cardinal Mazarin,
qu’il ne leur reste plus rien que les plaintes & les
remonstrances qu’ils font à vostre Maiesté dans léur afflict
on la plus grande. Vostre Royaume est tellement
affoibly depuis tant de troubles, qu’il faut auoüer que
les fondemens se trouuent tout à fait ébranlez, & la plus
part de racines de ce grand Arbre se voyent descouuertes,
& menacent de grande stereliré. Vostre Estat me fait
ressouuenir de ces belles Cometes, qui pour quelques
mois luisent la haut en l’air, tnat que dure la matiere cõbustible,
dont elles sont composées ; nous voyon paroistre
leur belle cheuelure, elles sont, si vous voulez, plus
agreables ques les Estoiles fixes de ce grand Firmament :
Mais dedans quelque temps cette Comete se perd, se
dissipe, & disparoist à nos yeux, laissant seulement apres
soy matieres de discours, comme elle auoit donne pendant
sa subsistance de l’admiration. Vous en ferez de
mesme, si vous n’y preuoyez Quoy donc ? le seul moyen
d'euiter tous ces mal heurs, est de vous attacher auec
vos peuples par le clou argentin d’amour & de bonté de
les receuoir en vostre protection, & les couurir sous vos
aisles, contre l’effort de leurs ennemis & les vostres :
I’appelle vos ennemis, ceux qui par vne feintise toute
cachée estant aupres de vostre personne, abusent de vostre

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authorité, pour leurs propres interests, & la ruine
totale de la Couronne : Certes, pour parler à la verité,
& sans dissimuler, vous pouuez considerer que tandis
que vous ferez guerre à vos sujets, vous aurez Dieu mesme
à partie, qui se monstrera éuidemment partisan de
leur iustes entreprises, pour destruire ces harpies qui
vont rauageans tous les endroits de ce Royaume : mais
aussi prenez garde que vous ne pouuez faire tort à vos
peuples, qu’aux despens de vostre propre Estat, quia hæc
moles conuelli sine exitio conuellentium non potest.

 

On peut comparer ce Royaume à cét Hydre, dont
parlent les anciens, qui ayant vne de ces testes abatuë,
en faisoit à mesme temps croistre deux autres ; de sorte
qu’il estoit impossible de le surmonter. Tant plus on
s’efforcera de l’abbatre, tant plus il s’eleuera de iour en
iour, & les forces s’augmenteront de tous costés, s’il en
falloit venir à ces desordres : Ce n’est pas l’ouurage d’vn
iour, & les siecles entieres ne seroient suffisans d’en asseurer
la victoire, qu’on se prometteroit de gagner par
vne grande violance. Les Stoiques de l’antiquité n’ont
iamais creu, que tant d’hommes se logeassent dans le
cheual Troyen, ou dans la cuisse qu'Argesilaus mit en
ieu, dans laquelle il faisoit voguer la flotte d’Antigone,
& les douze cens voiles de Xercés ; comme il aborderoit
de secours de toutes parts, si la necessité contraignoit
enfin les peuples à se deffendre ouuertement. Mais,
SIRE, on ne desire point en venir à ces extremitez,
Regardez seulement l’estat present de vos affaires,
& comme le sang, & les larmes en si grande abondance
estans montez deuant Dieu, sa misericorde est flechie
aux prieres de ce pauure peuple. Reconnoissez ce que
vous estes deuant le Tribunal de cette diuine Maiesté,
& n’ayez point de part à ce que dit l’Euangile, Maiedictus
qui perculit animam sanguimis innocentis, estant suscité
par ces mal heureux, qui gouuernent vostre volonté
incapable d’elle mesme de tant de mal : Il y a desia vne

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assez grande multitude d’oppressez & de souffrans, qui
sacrifient à tous momens au desespoir & la rage, sans en
augmenter encor le nombre par de nouuelles miseres.
La disette est vn dangereux ennemy, & vn directeur bien
estrange : Et nous pouuons dire que vostre Maieste l’introduisant
de plus en plus au Royaume, se sert d’vn executeur
trop impitoyable. Certes il est vray que quand le
Ture auroit enuoyé ses satellites dans ce Royaume, il
n’auroit pas causé tant de tristesse, d’ennuy & de soûpirs,
qu’il s en est épandu depuis que vostre Maiesté
s’est abondonnée à ces perturbateurs, qui ne respirent
bue la desolation vniuerselle des peuples. N'a t’on pas
veu les villages ruinés, les Chasteaux demolis, les champs
mis en deserts ? la fureur & l’impieté a t’elle mesme épargné
les Eglises ? Quels suplices n’a point inuenté la
cruauté des soldats contre vos Subjets : N’a t’on pas
encor veu ruisseler le sang de tous costés, pendant que
ces Harpyes triomphoient de la perte de tout le monde ?

 

Et quoy donc ne rejetterez vous point ces imaginations
des hommes seditieux & amateurs de la confusion
qui vous veulent jetter dans vne guerre eternelle, & qui
se veulent vanger injustement, & acquerir de la gloire &
du profit à vos propres despens, abusants ouuertement
de vostre authorité ? Si tant de Royaumes sont peris
jusqu’à present par les seuls artifices de telles gens. Que
sera ce si à la faute vous adioustez la force ? si la violence
est exercée par authorité, si l’oppression est etablie par
Iustice Pauures Souuerains, en quel estat demeurerez-vous,
si dés que vous estes vne fois trompes, il faut que
vous le soyez toûjours ! Pauures peuples, si la premiere
faute de vostre Souuerain luy doit coûter sa ruine & la
vostre ! Pauure Maison Royalle, si l’honneur des Couronnes
pour lesquelles la Prouidence Diuine vous a mis
au monde, se trouue soûmis au moindre de vos sujets !
Est ce pour cela que le cœur des Roys est entre les mains

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de Dieu ? Qu’vn Ange superieur aux autres, est destiné
pour leur conduite ? Les fieurs de Lys n’ont elles esté enuoyées
du Ciel pour autre sujet ? Et l’huille du Sacre de
nos Roys en auroit-elle esté apportée pour faire regner
en leur place les plus vils & les plus meschants, mesme
des Estrangers.

 

Prenez ce sujet de rentrer en vous mesme, & aprés
auoir pesé ces justes plaintes & consideré ces raisons,
faites paroistre que vous n’auez point esté esleué à vn si
haut faist de gloire, pour en aprés destruire vostre
Royaume de vos propres armes ? Imités ceux qui se trouuans
aux frayeurs d’vne grande tourmente, lors qu'il
semble que le Ciel tombe dans la mer, & la mer monte
au Ciel, ne desirent rien tant que le port & haure d’asseurance.
Puisque jusqu’à maintenant vous auez le vaisseau
de vostre Estat agité de tant de secousses d’orages & de
tempestes ; que ne tendés vous au port & haure de Paix,
que tous les peuples affligez vous requierent. Quittés les
fatales diuisions pour jouïr de la felicité du repos ; changés
vostre siecle de fer, en des siecles d’or ; apportés la
paix & la tranquillité dans vostre Royaume, puisqu’elle
ne despend que de vostre puissance.

Il y auoit du plaisir de voir autrefois cét Apollon de
Megare, la lance en vne main & la Lyre en l’autre : Ce
n’estoit pas pour dire que la Musique soit le mestier de
ces hautes Majestés ; mais pour monstrer que l’accord &
proportion harmonique des Souuerains auec leurs Estats
& leurs peuples, fait naistre le repos, du repos le bonheur,
du bon-heur la puissance, & de celle-cy l’eternité
des Empires. Ie dis que cét accord entre les Souuerains
& les peules, est l’vnique moyen de rendre l’ancienne
splendeur à toutes nos Prouinces, & leur premiere tranquillité ;
Car alors toutes les villes & bourgades desolées
se repeupleroient, le trafic reuiendroit en sa vigueur, les
Arts refieuriroient, le peuple enfin jouïroit d’vn commun
& parfait bonheur.

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Il faut donc, Syre, arracher l’Arbre pour oster la racine
d’vn mal si inueteré dans cet Estat : il faut chasser
ces peres de trouble, & de la misere des peuples, puisque
le bonheur de la France est incompatible auec eux, &
éloigner ceux qui vsurpent vostre authorité, qui se couurent
de vostre nom, pour faire perir les plus grands qui
pouroient arrester le cours de leur ambition ; qui n’ont
autre dessein que de risquer leurs vies & leur reputation,
pour en tirer de l’auantage, qui sacrifient tant de braues
hommes, le sang du pauure peuple vostre Estat & vostre
Personne mesme, sous pretexte de la conseruer.

Bref la Iustice & la Conscience vous obligent de perdre
ceux qui ne sont au monde, que pour perdre les innocents,
& conseruer les coûpables : l’affection de tous
les peuples, de n’auoir autre Ame que les bienfaits, autres
desirs que justes, autre volonté qu’amour, & autre
amour que le repos & la felicité de vos Subjets.

Hœc monita gratuita sunt, non possum scire an ei
profuturus sim quem admoneo : illud scio, alicui me
profuturum, si mulios admonuero. Spargenda est manus,
non potest fieri vt non aliquando succedat multa
tentanli.

Senec. Epist. 29.

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