Anonyme [1649], PLAINTES D’VNE FRVICTIERE, ET D’VNE HARANGERE enuoyées à la Reyne. , françaisRéférence RIM : M0_2786. Cote locale : A_6_77.
SubSect précédent(e)

PLAINTES D’VNE
Fruictiere, & d’vne Harangere,
enuoyées à la
Reyne.

La Fruictiere.

MADAME,

Encore que ie ne sçache pas escrire i’ay
prié le Clerc d’vn Procureur noustre voisin
de m’escrire ce que ie luy diray, pour escrire à vostre
Maiesté, puisque la necessité m’y contrainct.
Vous auez fait assieger Paris, & ie ne sçauons pas prequoy
si ce n’est pre satifaire à vn homme qui a pris
tout l’argent des cofres du Roy, des voutre & de noutre
aussi, cependant il faut que ie patissions de tout
cela, & que à cause de ce braue homme ie mourions
quasi de faim, pre ne pouuoir pas nous seruir de noutre
mestier, pre l’amour que vous auiez fait assieger
Paris, & qu’il ne venoit point de marée & de poisson
pour manger le caresme, à cause que vous auez faict
boucher les passages, on a baillé la permission de
manger de la chair dans Paris, & les prouisions que

-- 4 --

i’auions faict d’herbes & de racines demeuront toutes
là, car on ne se soucie pas quand on peut mangé
de la chair, de manger de meschantes racines, que
deuiendront noutes espinares que i’auions cueillis,
que serons-ie de noutes blettes raues, de noutes
choux, de noutes nauets, de nos racines de persin, de
noutes oignons & de noutes pourriaux, encore si
voutre Maiesté nous enuoyoit s’il luy plaisoit quelque
passeport i’irions les porter à sainct Germain, où
ie les vendrions mieux qu’icy, i’auions ageté des poumes
& ie croyons qu’on en mangeroit aux colations,
i’auions ageté du beure salé & du fromage, & tout
cela nous demeurera, voyés Madame que vous nous
faictes bien tort, si vous ne gardiez pas ce chapeau
rouge aupres du Roy, ie serions mieux à noutre aise,
& ie ferions noutre petit cas tout doucement, enuoyez
le si vous voulez, car ie ne le souffrirons iamais
à Paris, il nous a trop faict de mal, pre vous ie vous
aimons bien, car ie sçauons bien que s’il n’estoit luy
nous reuiendrez bien tost faire vos deuotions à noutre
Dame, mais à cause de luy vous n’y venez pas, pre
l’honneur de Dieu Madame, enuoyés-le & ne croyés
pas ce qu’il vous fait croire de noutes Messieurs du
Parlement, car ils sont de braues gens, & ie creuerons
plustot tretoutes que de voir qu’on leur voulut faire
quelque chose, ils sont des gens de bien, & qui ne
voulont pas souffrir des meschans, pre vous, qui estes

-- 5 --

si bonne il n’y a personne qui ne vous ayme bien i’aimons
bien aussi noutre Roy, car i’esperons qu’il ne
souffrira point de Maltotiers, qu’il nous donnera la
paix si vous ne nous la donnez, & que ie gagnerons
mieux nostre vie sous luy, que ie n’auons fait iusqu’à
cette heure.

 

LA HARANGERE.

MADAME,

I’ay prié vn de mes comperes qui est Secretaire des
Charniers saint Innocent, de m’escrire cens que i’enuoye
à vostre Maiesté. Que voulez vous que ie facions
de noutes harangs, de noutre mouruë, de noutés
macquereaux salés & de noutre merlu, puisque
vous ne voulez pas qu’il vienne des saules, du turbot,
des viues, & de l’autre poisson frais, à cause de cela ils
ont donné la permission de manger de la chair la Caresme,
ie trouue qu’ils ont bien fait, & puis ma foy,
i’ayme tousiours mieux la chair que le poisson, cependant
ie ne vendons rien de noutre mestié, &
i’allons vous enuoyer tous noutes enfans ; afin que
vous les nourrissiez, car ie ne les pouuons pas nourrir
si le ne gagnons rien, qui en est la cause, c’est ce braue

-- 6 --

estranger qui est aupres de vous, qui nous a tant volez,
& ie nous estonnons bien fort de ce que vous le
souffrez tant aupres du Roy, & que vous auez esté
cause que Monsieur le Duc d’Orleans, & Monsieur le
Prince se sont mis contre nous, vous auez tousiours
esté si bonne, & ie croions que ces messieurs aimoient
tant Paris, mais ma foy i’en sommes bien eslognée,
puis qu’ils sont contre nous, & qu’ils ont mis le siege
deuant Paris.

 

Ne croyez pas Madame, que ie quittions iamais
noutes Messieurs du Parlement ie sommes pour eux
& noutes mary & nous ie mourrons tretous pour
eux, ie sçauons bien qu’ils ne voulont que le bien du
Roy, & celuy de son poure peuple, ils sont de braues
gens, allez & ne croyez pas ceux qui vous en disent du
mal. Ma foy si vous m’en croyés, ie ne suis qu’vne
folle, & vous ne deuez pas prendre mon conseil, mais
n’importe vous ferés bien, enuoyés celuy qui nous a
faict tant de maux, car si ie le tenions ie luy ferions
comme au Marquis d’Ancre, i’aymons tant noutre
bon Roy, amenez nous le ; venez vous en, ie vous aymons
bien aussi, & tous nos Princes, ie prierons tousiours
Dieu pour vous, car cela nous fera mieux gagner
noutre poure vie, que i’auons tant de peine à
gagner faictes retirer tous vos soldats, qui empeschont
de venir la marée fraische, ainsi on ne mangera
plus de viande, & ie vendrons mieux noutre marchandise,

-- 7 --

ma foy Madame, ie vous appellerons noutre
mere, & ie prierons tousiours le bon Dieu pour
voutre Maiesté.

 

Plainte du Secretaire.

ET moy Madame, qui suis le Secretaire de ma
commere Pacquette, ie prieray vostre Maiesté
d’agreer la petite plainte que ie luy fais, qui prouient
de ce que nous ne faisons plus rien sous nos Charniers,
& que les chemins estans bouchez personne
n’escrit plus, ainsi nos plumes demeurent à sec, &
nous à ieun, si les chemins estoient libres, & que celuy
qui les faict boucher n’estoit plus aupres du Roy,
nous trauaillerions fort & ferme, & nous prierions
Dieu plus que personne pour le bien, pour la prosperité,
& pour la santé longue & heureuse de vos
Maiestés.

-- 8 --

SubSect précédent(e)


Anonyme [1649], PLAINTES D’VNE FRVICTIERE, ET D’VNE HARANGERE enuoyées à la Reyne. , françaisRéférence RIM : M0_2786. Cote locale : A_6_77.