Anonyme [1652], PLEVRS ET REGRETS INCONSOLABLES DE LA REYNE ET DV CARDINAL MAZARIN. Auec le congé du Roy, donné audit Cardinal, pour sa sortie hors du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2801. Cote locale : B_13_70.
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PLEVRS ET REGRETS INCONSOLABLES
de la Reyne & du Cardinal Mazarin,
pour sa sortie hors du Royaume.

Auec le congé du Roy, donné audit Cardinal.

L’Amour est vn des plus puissans charmes que les
Dieux ayent imposé sur les hommes, aussi ceux qui
en sont épris, peuuent ils à peine exprimer le regret
qu’ils ont quant ils faut necessairement se separer l’vn
d’auec l’autre, & nous en voyons l’experience deuant
nos yeux, puisque la Reyne est contrainte de laisser à
son cœur souffrir, la peine qu’elle a desloigner le Cardinal
Mazarin hors du Royaume, n’ayant pû le maintenir
contre les forces de ces Princes & de ces peuples :
lesquels sont en comparaison plus tristes & plus lamentables
que ceux de Leandre & de Hero, qui se jetta dans
la mer apres la perte de son amy, qui auoit esté submergé
dans les eaux : aussi pouuons nous dire que la
Reine aimeroit mieux abandonner le Sceptre de l’Empire
François, toutefois auec vn iuste ressentir de la
peine de son cœur, que d’abandonner ledit Cardinal,
puïs qu’elle prononce ces paroles, estant dans son
cabinet enfermée, parlant en cette sorte.

La Reine estant seule dans son cabinet, fait son oraison à
Dieu. Seigneur, qui tieut les Sceptres & les Couronnes
en ta main, & qui est le iuste vangeur des Monarques &
des peuples en leurs necessitez, regarde de ton sainct
Ciel les vœux de ta pauure seruante, & considere que
ie suis la plus miserable Reine que tu aye establie sur la

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terre, ne m’ayant fait iouyr de la tranquillité dans ce
Royaume, que tu auois soûmis sous ma conduite, que
pour me faire ressentir les fleaux de ton ire & de ton indignation,
laquelle est sans comparaison plus insupportable
qu’aucune que tu aye fait ressentir aux Reines
mes deuancieres, ne voyant deuant mes yeux que
calamitez de quelque costé que ie puisse regarder : l’obiet
que ie cherissois le plus, estant contraint de s’en aller,
mais puis qu’il te plaist, Seigneur, de m’affliger de
la sorte, au moins donne moy la force de resister à toutes
ces tribulations, & que ie puisse voir ce Royaume
calme à mes despens, te suppliant de respandre sur la
Chrestienté, la rosee de tes plus fauorables benedictions.

 

Alors le Cardinal Mazarin l’ayant escoutée, luy dit en entrant. Madame, il me semble à vous entendre parler,
que vous ayez pris resolution auec le Roy, pour ma sortie
hors du Royaume, & que vous ne pouuez me maintenir
aupres de vous, quoy que la force de vos armes le
puisse bien faire en quelque façon.

La Reine. Monsieur, il m’est du tout impossible de
vous maintenir contre la volonté du Roy mon fils, car
vous sçauez bien qu’il a fait faire responce aux Deputez
du Parlement, Que puis qu’il ne tenoit qu’à vostre éloignement
que le Royaume fust tranquille, qu’il vous
feroit sortir d’iceluy, mais qu’il vous eust assigné lieu
de retraitte.

Les larmes tombant des yeux au Cardinal Mazarin, luy
dist, I’auois crû & m’estois assuré que veu I’amour que
vous m’auez portée, que vous perderiez plustost la
Couronne que vous auez sur la teste, que de consentir
à mon esloignement, considerant que vous auiez persiste
à toures les Remonstrances que vos Parlemens ont
faites à vos Maiestez tant de fois à cette occasion, &

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n’eusse iamais crû que vous vous fussiez laissez emporter
à vne chose qui est contre la promesse que vous m’auez
tousjours faite.

 

La Reine. Monsieur, vous sçauez que i’ay fait mon
possible de vous maintenir contre tous ceux qui demãdent
vostre eloignement, & croyois que Ie Parlement
estant lassé du refus que l’on faisoit de ces Remonstrances
ces consentiroit à vostre demeure dans le Royaume, &
qu’il ne se feroit iamais d’vnion auec le Duc d’Orleans
n’y auec le Prince de Condé, apres les protestations
que plusieurs de leur Compagnie m’en auoient faite,
& ie n’eusse iamais crû que le peuple de Paris se fust
sousmis à endurer vne si longue guerre, veu la quantité
d’Artizans qu’ils y a enfermez dans Paris, & qui ne peuuent
subsister sans le calme ; lequel n’ayant point esté
estably dans ce Royaume depuis vostre retour, auroient
esté contraints de vous redemander & de consentir à
vostre demeure proche la personne du Roy, mais au
contraire de ce, vous sçauez qu’apres que le Parlement
eut rendu son Arrest pour l’vnion d’auec les Princes,
que quatre iours apres, lesdits Princes estans allez à
l’Hostel de Ville, pour sçauoir si Monsieur de l’Hospital,
le Preuost des Marchands & les Escheuins desiroiẽt
en faire autant que le Parlement, ils ne voulurent en
aucune façon que ce soit signer l’vnion que lesdits Princes
demandoient pour vostre esloignement, sur quoy
estans sortis de l’Hostel de ville, le menu peuple les cõtraignit
à ietter l’vnion par ces fenestres, apres auoir
essayé d’empescher qu’on ne mist le feu aux portes de
ladite Hostel de ville, par la forte resistance que firent
ceux qui estoient dedans ; ayant tiré plusieurs coups de
fufil sur cette populace opiniastrée, & mesme iusqu’à
en auoir tué plusieurs sur la place. Voyez donc, Monsieur
s’il m’est possible de vous maintenir contre la volonté
de mon peuple, il m’est plus necessaire pour le salut

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de mon fils, & pour luy conseruer son Royaume de
consentir donc vostre éloignement : & pour moy si ce
n’estoit l’honneur que ie dois à la Maison d’Austriche,
que ie conserueray inuiolable tant que ie viuray, i’aymerois
mieux m’en aller auec vous, que de demeurer
absente de vostre personne.

 

Le Cardinal. Madame, ie croy que si vous eussiez suy
les Conseils, que ie vous ay donné, vous m’auriez
maintenu contre les forces qui s’estoient opposées
contre le Roy.

La Reine. Monsieur, i’ay fait mon possible de les faire
obseruer en toutes rencontres.

Le Cardinal. Si vous l’eussiez fait, ie ne serois pas
contraint de vous abandonner.

La Reine. Si le Ciel auoit trouué vostre seiour fauorable
pour la France, il auroit secondé nos desseins.

Le Cardinal. Puis que vous souhaittez que ie m’en
aille & que vous auez resolu pareillement mon esloignement
ie n’ay attendu que cela, & suis tout prest
d’obseruer vos commandemens, puis qu’il vous plaist
que ie m’en aille.

La Reine. Monsieur ie vous ay des-ja dit, que i’ay vn
extreme regret de vostre eloignement, mais puis qu’il
le faut pour le salut de l’estat, il vaut beaucoup mieux
que vous vous en alliez qu’il perisse.

Le Cardinal Puis que vous le voulez, Madame i’obserueray
vos ordres du mieux qu’il me sera possible, sinon
que ie demande cette grace, qui est d’auoir memoire
de moy, & que si ie vous requiert de quelque
chose de ne me pas refuser.

La Reine. Monsieur, vous pouuez demander ce qu’il
vous plaira estant eloigne de moy, vous asseurant que
vous ne serez iamais refuse.

Le Cardinal. Ie vous dis donc adieu ; Madame des
l’heure de present, & voudrois desja estre esloigne de

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vous, ne pouuant demeurer en vn lieu ou ie suis si peu
souhaitte. Car ie voy bien, que le Roy ne souhaitte autre
chose, sinon que ie sois en chemin de partir, mais ie
vous supplie de luy dire en particulier, si ie n’en ay la
commodité, qu’au moins il se souuieune de moy & que
ie ne souhaitte autre chose que de luy obeïr en ce qu’il
treuuera bon que ie luy puisse rendre seruice hors de
ce Royaume.

 

La Reine. Adieu, Monsieur adieu, & croyez tant que
ie viuray j’auray memoire de vous.

Lors le Roy estant en peine de trouuer le Ca dinal Mazarin
pour luy dire ce qui estoit besoin pour le salut de fin
Estat & de sa personne fut bien estonné de le voir proche de
luy, mais estant retenu de cet estonnement il luy dit. Monsieur,
vous sçauez peut estre bien le suiet qui m’ameine
icy, veu que ce n’est qu’à vostre consideration, & lors
le Cardinal luy repartit, si c’est pour le mesme suiet
que la Reine me vient de dire, ie le sçay bien.

Le Roy Si elle vous a dit, que i’ay promis de vous
esloigner hors du Royaume, ce n’est que pour cela que
ie vous cherche.

La Cardinal. Ouy, Sire, & ie n’eusse iamais crû que
vous eussiez permis mon esloignement apres m’auoir
fait reuenir du lieu où i’estois.

Le Roy. Monsieur, ie n’ay que ces mots à vous dire,
lesquels vous [1 mot ill.] bon s’il vous plaist, qui sont.
Que lors de ma Majorité ie donné ma Declaration en
Parlement, que vostre esloignement estoit sans esperance
de retour, & vous sçauez que les [1 mot ill.] Royales
sont inuiolables toutesfois ie n’ay pas delaissé de vous
faire reuenir sous l’esperance que i’auois de vous maintenir
mais ie voy quand le voulant faire ie mets en
combustion tout le Royaume, & que le voila sur le
penchant de sa ruine, si ie n’y donne vn prompt remede,
& qui plus est, vous sçauez que Dieu ne m’a pas fait

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naistre pour vous maintenir, mais bien pour conseruer
mes sujets contre les ennemis de l’Estat, ne portant la
qualité de Roy, que pour m’aquerir celle de pere de
mon peuple. Or donc, vous sçauez que moy qui suis le
pere de mes sujets, & qui ne dois faire chose à leur preiudice,
comment voulez vous que ie vous maintienne
outre leur volonté. Car par exemple, donnez moy responce,
sur ce que ie vais dire, qui est. Si vn pere auoit
neuf à dix enfans dans sa maison & vn seruiteur, & que
les enfans ne voulussent point voir le seruiteur, que desireriez
vous que le pere fisse contre ces enfans ou contre
son seruiteur.

 

Le Cardinal. Chasser le seruiteur, d’autant que si il
chasse ces enfans, il ne sera plus appelle pere.

Le Roy. Or donc, vous m’auoüez qu’il faut donc necessairement
que ie vous esloigne, mes suiets ne voulans
point de vous & ne vous pouuans point souffrir :
vous sçauez que ie ne puis estre Roy sans suiets, n’y
estre Roy sans peuple, & ie ne porterois le nom
que de Tyran, si ie voulois vous maintenir contre leur
volonté, vous voyez donc qu’il faut que vous en alliez
au plustost, toutes fois ie vous promets que si ie puis
vous conduire au lieu où vous desirez ie le feray, vous
promettant que ie ne vous laisseray iamais departir de
mon souuenir.

FIN.

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