Anonyme [1649], POINT D’ARGENT POINT DE SVISSE. , français, latin, italienRéférence RIM : M0_2807. Cote locale : A_6_71.
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POINT D’ARGENT POINT
de Suisse.

NOVS auons autrefois tesmoigné à Cesar la
grandeur de nostre courage, lors qu’estans
interrogés par ses Ambassadeurs si nous voulions
persister dans la resolution de combattre plutost
que de faire ioug à ses armes, nous leur fismes cette
responce que nous auions bien peur que le Ciel
tombast, mais non point que les Romains vinssent
aux mains auec nous. Cette generosité s’est tousiours
conseruée parmy nous, & bien que la pluspart
des actions les plus belliqueuses ayent degeneré
peu à peu de leur ancienne valeur estãt deuenuës
suiettes de ceux qui leur auoient obey, si est-ce
pourtant que nous auons conserué iusqu’à icy la
gloire de n’estre suiects de personne, & auons main,
tenant ce priuilege que de tous les hommes qui sont
sur la terre au monde, il n’en est point qui soient si
libres & si paisibles que nous. Les plus puissants Empereurs
apres auoir fait tous leurs efforts pour nous
vaincre nous ont declarés indomptables, & il n’est
point d’Estat auiourd’huy en toute l’Europe qui ne
se serue de nous pour se conseruer, & qui ne recherche
mesme auec grands frais nostre alliance. Depuis
que nos ancestres deffierent à Grançon le Duc de
Bourgogne auquel nous auions remonstré qu’il n’y

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auoit rien à gaigner à nous faire la guerre que du
mal, & que l’equipage de son host valoit plus que
tout nostre pays, personne n’a osé nous attaquer, &
d’eslors on a fait vn tel estime de nos troupes que
par tout on nous donne la premiere pointe, & parce
que nous ne sçauons que c’est que de reculer on
nous appelle les murailles des gens de guerre.

 

La fidelité est la compaigne inseparable de la valeur
comme la trahison de la lascheté & du peu de
courage, la nostre se trouue sans exemple & à raison
de ces deux nobles qualitez par tout nous sommes
les bien venus.

Toutes les terres ne sont pas si precieuses que l’Inde,
neantmoins chaque pays a des Priuileges que les
autres n’ont point. Le Soleil esclaire par tout egalement,
& ceux qui sont sous l’Equateur ou viuent entre
les deux tropiques ne iouyssent pas plus longtemps
de sa lumiere que ceux qui auoisinent de plus
prés le Pole. Nostre pays à raison de sa situation mõtagneuse
n’est pas des plus agreables ny mesme des
plus fertils, nous sommes contraints de quitter bien
souuent le lieu de nostre naissance à cause que la terre
ne pourroit nourrir tous nos habitans si nous n’ẽuoyons
tous les ans des armées entieres à nos voisins
ou à nos alliez. Sortant de chez nous, nous n’emportons
qu’vne espee au costé & sans sçauoir aucun art
ny mestier que celuy de la guerre nous trouuons nostre
vie par tout sans vser de force & sans faire tort à
personne.

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La plus part des hommes viuent d’industrie, &
c’est vn prouerbe Italien qu’vn chacun vit en trompant
son compagnon.

Co arte à enganno se passe il mero anno, co engagno
& arte se passa laralparte.

Nous viuõs de nostre mestier, c’est mais sans fraude
& sans tricherie. Il y a beaucoup de peuples qui viuent
sans rien faire, n’ayant d’autreloy que celle des
bestes, le plus fort l’emporte ; les Lacedemoniens
pretendoient autres fois d’estre les plus nobles d’entre
les Grecs, parce qu’ils viuoient comme les plus
nobles oyseaux, c'est à dire de rapine. Les Malabares
n’exerce point d’autre mestier que celuy
de la piraterie six mois de l’annee, ils parcourent
les costes de leur mer volent tout ce qu’ils peuuent
attraper, & si par mal’heur pour eux ils n’ont rien
trouué d’estranger, ils se pillent les vns les autres, le
frere n’espargne point le frere, ny l’enfant le pere,
allegant que c’est leur mestier de prendre ce qu’ils
peuuent attraper, & ce qui est du tout estrange,
c’est qu’apres auoir dechargé leur butin, ils sont
aussi courtois, & aussi fidelles sur terre qu’ils auoient
esté cruels & barbares sur mer.

Les Arabes se ventent d’estre la posterité d’Esau,
& pour maintenir leur noblesse viuent de leur
espée attendant sur le chemin ceux qui voyagent
en ces deserts. Mesmes sans aller plus loing, les bandis
en Italie & beaucoup de cadets des bonnes
maisons en Espagne viuent comme des Malabares,

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hormis qu’ils ne sont pas meilleurs en vn lieu ou en
vne saison qu’à l’autre.

 

Quant à nous, ayant veu que la noblesse pretendoit
de se maintenir par tels moyẽs, viuant sans rien
faire, ou plustost voulant viure comme de pirates &
de voleurs. Nous auons fort bien despeché tous les
Gentilhommes du pays en vne belle nuit, & sommes
demeurez francs & libres, & auons conserué
nostre liberté si entiere qu’il n’est point de pere de
famille parmy nous qui ne soit aussi peu suiet à
personne qu’vn Roy.

Mais comme il arriue que ceux qui n’ont point
de Maistre dans vn logis sont les valets de tous,
aussi nous qui ne reconnoissons que Dieu parmy
nous pour Souuerain, sommes contrainis estant
hors de nostre patrie de seruir. Et pour conseruer
nostre honneur nous prenons party chez les
grands, & faisons si bien nostre marché que l’auancement
ou l’asseurance de nos gages va tousiours
de pair auec la fidelité de nostre seruice, tant
tenus tant payez, point d’argent point de Suisse.

Ceux qui voudront nous employer à la garde
de leurs personnes ou de leurs maisons ou pour faire
la guerre doiuent faire leur compte qu’ils n’auront
point de meilleurs & de plus fideles gardes ou
soldats que nous, mais aussi doiuent ils prendre
leurs mesures à leur reuenu, à sçauoir qu’ils nous
faut vne fois autant d’estofe pour nous habiller de
viures & d’argent qu’aux autres qu’ils pourroient

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employer comme nous.

 

Vn grand Prince d’Italie nous ayant voulu mettre
en besogne sans auoir pourueu à nostre payement,
se trouua bien en peine, lors qu’apres luy
auoir demandé nostre solde & nous croyant amuser
auec des promesses & des paroles, nous nous saisismes
de sa personne, & ne fismes point de difficulté
de le liurer à son ennemy, pour luy apprendre
& à tous ses semblables, à ne se point ioüer de nous
comme quelques vns font de leurs soldats, lesquels
leuent des gens de guerre tant qu’ils peuuent, leur
promettent bonne paye, & apres les auoir enrolez
ou assemblez en corps d’armées, leur donnent la liberté
de piller mesmes leurs propres suiets & prendre
par tout, deuenant par ce moyen de vrais pirates
ou conducteurs de voleurs.

Nous ne voulons tromper ny estre trompez de
personne, & si la solde vient à manquer les armes
nous tombent des mains. Pour animer les soldats
au combat on se sert de beaucoup d’instrumens,
outre les trõpettes, fifres & tambours, les cymbales,
les cistres, les fluttes, mesmes les poisles & les chaudrons
& toute la batterie de cuisine ont esté employez
autres fois par les plus belliqueuses nations
pour s’animer à bien faire quand on commençoit
la bataille : à nous rien n’est de si propre que le son
du, tindan balan, & le colitampon, pour nous faire
agir. Quand nous auons remply la panse & la bource,
nous sommes des foudres de guerre & ne cederions

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point à des Alexandres s’il nous les falloit
combattre auec l’espée & auec le verre.

 

Il y a plusieurs siecles que nous auons l’honneur
de seruir les Roys Tres-Chrestiens, nous auons iusques
icy esté grandement satisfaits de leur paye.
Les priuileges que nous auons en France, comme
de pouuoir vendre le vin sans payer le huictieme,
& plusieurs autres, sont des tesmoignages de nostre
zele pour la Couronne, & de la recognoissance
qu’on a fait de nos seruices.

Neantmoins, depuis quelques années on s’est
auisé de nous faire des queues quand on nous fait
faire monstre, & mesmes il n’est arriué que trop
souuent qu’on nous a retenu des payes entieres à
quoy nous ne pouuons nous resoudre. He certes,
nous sommes resolus de maintenir nostre parole
comme gens d’honneur, & d’en demeurer là, quoy
qu’il arriue Point d’argent point de Suisse. Il nous
est deu beaucoup, & iamais il ne s’est veu tant de
Suisses en France, si ceux qui gouuernent l’Estat &
manient les finances ne nous payent, nous leur
iouëront quelque tour. Nous voulons qu’ils sçachent
que nous sommes personne à nous saisir des
meilleures places qui sont sur les frontieres, & mesmes
s’ils croyent de nous tromper de leurs personnes
pour leur faire trouuer de l’argent. Nous qui
sommes libres ne pouuons faire la guerre qu’à regret
contre les peuples qui sont esclaues, & leur
donnerions du secours pour se deffaire de leurs tyrans

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plustost que de seruir ceux qui les tyrannisent.
Ce n’est que par force que nous pourrions
faire la guerre contre Paris, autresfois nos ancestres
ont esté engagez dãs cette grande & populeuse
ville, l’esperance du butin les precipita dans
leur mal’heur : car quelques vns ayant voulu menacer
les Bourgeois, & leur dire, moy foutra auiourd’huy
ton femme, se trouuerent enuellopez
& taillez en pieces par vne infinité de peuple qui
prit les armes ayant descouuert que le Roy vouloit
mettre la ville au pillage. Cette faute nous a
rendus plus sages, aussi quand nous fusmes commandez
aux dernieres barricades de prendre nostre
poste au Pont-neuf ne tenant que celuy des
Tuilleries, nous n’eusmes garde de nous engager
plus auant, ayant passé la porte de Nesle nous trouuasmes
de la resistance au coin de l’Hostel de Neuers,
& quoy qu’il n’y eust que quatre coquins l’vn
desquels mit nostre Lieutenant par terre, nous aymasmes
mieux faire la retirade & la garde de nostre
Pont que passer doutre dans le Faux-bourg
ou dans la ville.

 

Nous sommes tres aises que ce ne soient point
les Suisses, mais les Polonois, les Suedois & les Allemants
qui rauagent la France si elle doit estre
rauagée : de tous les desordres qui se sont faits, &
qui se font tous les iours dans les Prouinces ou sur
les frontieres personne ne nous en peut accuser, à

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la verité nous ne faisons point de difficulté de vuider
quelques bouteilles de vin, & mesmes si nous
auions haste de percer les tonneaux auec le fer de
nos hallebardes, mais nous taschons de n’en repandre
pas vne seule goutte aymant mieux que
cette noble & precieuse liqueur soit deuallée sans
corde dans nostre estomach que de croupir dans
vn Celier ; c’est à faire à des enragés de mettre le
feu dans les maisons qui leur ont seruy de retraite,
iamais nous n’auons commis ces actes d’hostilité,
mesmes dans le Pays de nos ennemis bien loin de
violer les filles ou les femmes, de mettre les mains
sur les Prestres, & en leur coupant ses pieces qui
sont requises aux sacrificateurs les rendre inhabiles
à leur ministere, nous empeschons tant qu’il
nous est possible ce desordre, & vsons mesme
deménage laissant les meubles & la prouision pour
y reuenir & seiourner quelque autrefois.

 

Nous ne manquons iamais de fidelité quoy
que nous abandonnions ceux qui nous auoient
employés à leur seruice, s’ils manquent de parole
nous croyons estre degagés de la nostre si bien
que nous n’auons pas beaucoup de subtilité, fort
peu pourtant se peuuent venter de nous auoir
duppez. La meilleure ruse s’est n’auoir point de
ruze. On nous a voulu faire entendre que nous
serions payez, & nous vouloit-on donner pour
argent comptant ces mots Italiens, Pillate patienza,

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à quoy nous auons respondu que nous ne nous
entendions point à la pillerie, mais que nous voulions
de l’argent Nous sommes certains que celuy
qui nous fait parler Italien a receu depuis peu de
Paris plusieurs millions pour payer ce qui est deub
aux gens de guerre, neantmoins il ne s’en veut
desaisir que pour marier ses niepces. Cela ne nous
contente point & voulons qu’il sçache que s’il
nous fait plus tenir ce langage Italien qui n’est
qu’vn mauuais latin, nous luy respondrons du
nostre & luy dirons comme ce ieune garçon page
duquel son Maistre, vn grand Prelat abusoit luy
faisant de grandes promesses sans luy rien tenir, lequel
s’en allant respondit à celuy qui le vouloit retenir
au seruice du Prelat. Tomine tominatio festra
ticat tominationi Tomini Pràsulis quod non folo amplius
præposteræ eius lipidini inserfire.

 

FIN.

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